CHAPITRE 2 Investigation
J'ouvre la porte de mon appartement et m'étale de tout mon long sur le lit. Quelle journée ! Je me réveille trop tard, me trompe de salle, me retrouve à travailler avec une vieille femme nostalgique dans un CDI minuscule, et manque de me faire écraser par une voiture en rentrant !
J'aimerais me rendormir, mais je risquerais de me réveiller encore en retard demain matin... Et puis, il n'est que midi, comme me l'indique le réveil encore sous la couette.
Je manque de m'évanouir dans les bras de Morphée, mais mon estomac gargouille et me rappelle à l'ordre. Cette intervention me fait passer de loque à chef cuisinière en un instant ! C'est fou ce qu'une faim nous permet de devenir ! Malheureusement, après une inspection du réfrigérateur, je me rends compte que les deux tomates et l'unique chou-fleur qu'il contient ne me permettra pas de participer à une émission de cuisine... Autant repasser en mode loque et manger au snack.
Je n'oublie cette fois pas mon parapluie, et cinq minutes plus tard, j'arrive Chez Bella. C'est Bella Maista, la propriétaire, qui m'accueille à l'entrée.
- Salut Sasha ! Heureusement que t'as apporté un parapluie...
- Je ne te le fais pas dire !
Il n'y a personne d'autre que moi à l'intérieur. C'est rare. Je m'installe au bar, comme d'habitude, et, comme d'habitude, je commande Cheeseburger frites, avec un Coca.
- Qu'est-ce qu'il se passe aujourd'hui ? je demande. C'est la première fois que c'est si vide chez toi.
- Eh bien, je suppose que c'est cette satanée pluie ! Ils avaient pourtant annoncé du soleil à la télé.
- J'espère juste que ça ne perturbera pas ton quota de client.
- Oh t'inquiète pas pour ça ma chérie ! Ça arrive, les jours creux !
Je connais Bella depuis le lycée, la seconde exactement. Elle a fait le choix audacieux d'abandonner les cours un an plus tard. Je me souviens avoir été très étonnée à l'époque. Elle avait des notes bien au-dessus de la moyenne ! Mais son rêve était de monter son propre restaurant, et elle pensait qu'avec un père chef cuisinier, il ne lui faudrait pas longtemps pour le réaliser. Malheureusement, il mourut un an plus tard. L'argent de son héritage permit à Bella d'acheter ce petit snack. Cela fait maintenant deux ans qu'elle gère, avec deux employées saisonnières, cette entreprise. Elle est encore loin de son but ultime, mais elle gagne pour le moment assez bien sa vie, et elle est heureuse dans son travail.
- Et toi Sasha ? Comment s'est passé le premier jour, enfin, matinée de boulot ? Le CDI te plaît toujours autant ?
- Au contraire ! Il a été déplacé dans les anciens bâtiments. Il est tout petit maintenant ! Y'a presque plus rien.
- Ah mince ! Et c'est toujours la gentille mamie qui gère l'endroit ?
- Même pas ! Bon, elle est aussi vieille, mais pas sympa du tout ! En tout cas, elle m'a bien fait comprendre que j'arriverai J-A-M-A-I-S à la cheville de l'ancienne stagiaire.
Je soupire en repensant à mon abandon ce matin. D'ailleurs, il faudra que je réponde au message de ma sœur...
- Tiens, pour te remonter le moral !
Le plat est toujours aussi bien présenté ! Même si le manger ne me permettra pas de me faire oublier mes problèmes, c'est vrai que ce sera toujours plus agréable que d'y penser...
- Merci beaucoup, Bella.
Le cheeseburger ne fait pas long feu. Quant au coca, je le garderai pour le retour.
- Je te dois combien ?
- C'est la maison qui offre !
Ça ne me réjouis pas de ne jamais lui payer ce que je consomme (ou presque), mais je ne crache pas dessus non plus...
- T'es super ma chérie !
Je l'embrasse fort sur la joue et sors du magasin, parapluie déplié.
J'ai juste le temps de finir mon soda que je me retrouve de nouveau dans l'entrée de l'immeuble. Les lettres dépassant de ma boîte m'indiquent que le facteur est passé. Pub, pub, pub, et encore pu... Ah non ! Une lettre des propriétaires.
« Mademoiselle Lumen, ma femme et moi souhaitions vous informer que le règlement de l'immeuble s'applique, évidemment, à tous les locataires. Vous n'êtes, à ce titre, pas autorisée à ne pas le respecter. En effet, un habitant est venu se plaindre d'aboiements à toutes heures provenant de votre appartement. Nous vous invitons donc à relire le passage du règlement concernant les animaux domestiques, et plus particulièrement, celui traitant de leur interdiction. Nous vous rappelons en même temps que vous risquez l'expulsion si d'autres plaintes continuent d'affluer. »
- Oh la salo...
Je me tais. En effet la peste à l'origine de ces « plaintes » descend les escaliers. Madame Erzina, la trentaine, hautaine, travailleuse à mi-temps pour une entreprise de pub, et à plein-temps en tant qu'agaçante voisine de palier.
- Bonne journée, mademoiselle Lumen...
Je ne lui réponds même pas et la laisse, elle et son sourire narquois, franchir la porte. Je ne sais pas ce que j'ai fait à cette femme, mais elle m'en veut apparemment. Elle fait tout pour me faire virer depuis que j'ai emménagée. J'ai bien essayé de m'en plaindre aux propriétaires, mais ils ont évidemment préféré croire Erzina, la femme modèle, plutôt que la petite Lumen, au chômage (du moins jusqu'à récemment).
Mais cette fois, elle a fait fort : je n'ai même pas de chien !
*****
Je passe l'après-midi devant mon ordinateur, à faire des recherches pour le boulot. Je ne m'arrête que lorsque Leila m'appelle pour descendre manger. Je traverse le couloir, descend les escaliers et arrive dans le salon. La télé est allumée, une blonde à forte poitrine présente la météo ; un grand soleil. « C'est ça, comme aujourd'hui... ». J'attrape la télécommande et cloue le bec de la présentatrice avant de partir vers la cuisine.
- T'as trouvé des choses intéressantes ? me demande Leila en se servant de la salade.
- Oui, mais toujours pas assez. Il va falloir aller voir sur place.
- Tu comptes y aller quand ?
- J'ai pensé à demain, ça te va ?
- C'est parfait !
Je m'assois autour de la table et me sert à mon tour.
- Dans ce cas il va falloir prévenir le lycée...
- Pas la peine, demain c'est la rentrée des terminales, et mercredi ce sera au tour des secondes, ça nous laissera suffisamment de temps je pense.
- Oui t'as probablement raison, de toute façon, ta tante ne nous a pas donné une mission bien difficile...
J'avoue intérieurement qu'elle est en effet plutôt simple, comparée à d'habitude. Mais bon, ce n'est pas une raison pour se relâcher.
La soirée se finit rapidement, tout comme les trois jours suivants d'ailleurs. Comme prévu, nous trouvons ensemble un plan assez rapidement pour cette fois.
Vendredi matin, pour une fois, la météo ne s'est pas trompée ; il pleut encore. La première L 3 a donc la joie d'avoir course de haie sous la pluie. Enfin, la première L 3 moins moi. Monsieur Bourjaud a préféré me laisser à l'intérieur. Je l'avais déjà l'année dernière alors il sait très bien que j'ai une dispense. Il ne s'encombre pas de moi. Il a déjà tenté de me faire participer de quelques façons que ce soit pendant un an, mais il a vite remarqué que je ne m'entendais pas vraiment avec le reste de la classe... C'est donc tout seul dans le gymnase, avec un café, que j'attends que les deux heures d'EPS passent.
Il m'a dit de m'occuper de mes devoirs, mais je les ai déjà tous faits. Je préfère donc répéter mentalement encore une fois le plan inventé la veille avec Leila, celui qu'on mettra en exécution ce soir même. Je sais très bien que le répéter ne sera pas très utile, il est déjà ancré dans mon crâne pour toujours ou presque. Merci à l'hypermnésie.
J'ai été diagnostiqué avec cette « maladie » lorsque j'avais sept ans, un an avant que mes parents ne meurent. C'est bien pratique d'ailleurs. Ça me permet d'avoir 18 de moyenne générale sans aucun effort par exemple. Bien que des notes pareilles ne me serviront pas vraiment à l'avenir. En effet, ma tante veut que je fasse de mon « petit boulot » actuel, mon futur job à l'avenir. Et Karen Migi, fondatrice des Astrea Messengers, m'a déjà jugé parfaitement apte à y parvenir.
Le reste de la journée passe très vite. Après deux heures de physique avec monsieur Massard (qui a d'ailleurs l'air de n'être pas très loin de la retraite), et une heure de français avec ma prof principale, je me retrouve à attendre Leila sur le parking. Elle arrive au bout de cinq minutes, en manquant d'écraser encore une fois un élève. Je me demande comment elle a eu son permis... Ca fait déjà trois ans qu'elle l'a et elle est toujours aussi maladroite au volant...
- Alors ? demande-t-elle. C'est cool de finir à midi ?
- Oui mais c'est seulement parce que la prof de maths n'est pas là.
- Dès le début de l'année ? Je la félicite pas ! Mais bon, son absence nous permettra de mieux nous préparer pour ce soir.
Oui c'est vrai, même si je pense que nous sommes déjà bien prêts. Elle a peut-être l'air un peu tête en l'air, mais Leila ne l'est pas le moins du monde, et je sais qu'elle connaît aussi bien que moi le plan dans tous ses détails, même sans hypermnésie. Et elle me le prouve d'ailleurs en me le récitant par cœur quelques secondes plus tard. Oui, nous sommes prêts pour ce soir.
Nice, « Nissa la bella », aurait dit ma prof d'italien, niçoise. Le flot de voiture sur la promenade des anglais ne s'arrête pas malgré les vingt-deux heures passées. Mais tant mieux, ce sera encore plus simple pour moi. Leila, avec ses talents de conductrice, parvient tant bien que mal à se garer dans une rue perpendiculaire à l'avenue Jean Médecin, la plus grande de la ville.
- Bon, dit-elle, on se retrouve ici quand on aura fini. Ça va aller ?
- Pourquoi ça n'irait pas ? je rétorque.
Elle rigole, m'embrasse sur le front, et part dans la direction opposée à la mienne, son ordinateur portable à la main. Je marche une quinzaine de minute sur l'avenue avant d'arriver en face du plus grand centre commercial de la capitale Azuréenne : Nice Etoile. Une grande affiche recouvre en partie sa façade : « Grandes Rénovations de 2020, Nice Etoile plus resplendissant que jamais ! ».
Je m'assois sur un banc proche et observe l'entrée. Le nombre de personnes rentrant dans le centre alors qu'il ne va pas tarder à fermer m'impressionnera toujours. Au bout d'une dizaine de minute, la raison de ma venue pénètre à l'intérieur : une femme assez jeune, et très grande, blonde. Habillée fraîchement malgré les 15°C ambiants.
J'envoie un SMS à Leila : « La mission peut commencer ».
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