CHAPITRE 18 Robert Transon
Le mouton essaya de convaincre son ami d'arrêter de rendre justice, étant donné qu'il n'y avait plus de moutons noirs ! Mais il lui tint ces mots : « Ecoute mon ami, tu as œuvré pour le bien de la communauté depuis bien plus longtemps que moi. Mais maintenant, c'est à moi de prendre le relais. Tes yeux sont fatigués, et tu n'es plus capable de voir les tâches qui assombrissent la prairie. Il est temps pour toi de te reposer, ô héros inconnu ». Le mouton n'était pas vraiment d'accord, mais il se laissa convaincre par la flatterie, et il partit se reposer près du ruisseau.
- Ewen ? me crie Sasha depuis le salon. C'est l'heure.
Je repose les feuilles sur mon bureau et enfile mes chaussures.
- J'arrive.
Allez, c'est parti pour une nouvelle mission...
*****
Robert Transon est un homme d'affaire respecté, père de famille attentionné, tout cela malgré ses voyages d'affaires réguliers. Sur la couverture, un monsieur parfait. Mais bien sûr, l'homme parfait n'existe pas. Quentin ne m'aurait pas trompé sinon. Et c'est exactement ce que fait Robert.
Il a pris la sale habitude depuis quelques temps déjà, de faire un petit détour par Nice avant de rentrer à la maison quand il revient de voyage d'affaire. En effet, monsieur passe tout d'abord récupérer une « jeune amie » avant de l'emmener dans un hôtel pour heu... vous voyez la suite.
Mais ce soir, il sera pris à son propre jeu. Pendant qu'il était en voyage, un tunnel urbain par lequel il passe tout le temps pour aller à son hôtel, a été fermé pour cause de travaux. Mais ça, il ne le sait pas.
Le plan est simple. Je me ferai passer pour une pu... péripatéticienne (j'ai l'habitude depuis Bernard Crovach), et l'accompagnerai jusqu'au tunnel. Ewen, quant à lui, est chargé de camoufler tous les panneaux indiquant sa fermeture. Ensuite, il ira se cacher au fond du tunnel, dans un coin sombre. Quand la voiture arrivera jusque dans le cul de sac, je le ferai descendre du véhicule, et Ewen pourra l'abattre. Ensuite, on récupère la voiture garée non loin, et on se casse.
Un jeu d'enfants !
La seule difficulté réside dans ma réussite à être assez séduisante pour l'attirer. Mais d'après d'autres pu... « collègues » que j'ai interrogées, il prend toujours la première qu'il voit. J'aurai juste à me positionner en pole position !
Une heure et demie du matin. Je gare la voiture à une trentaine de mètre du tunnel. Robert n'arrivera pas avant une bonne heure au moins, mais j'ai un peu de marche à faire avant d'arriver là où il fait son « petit marché », alors mieux vaut prendre de l'avance.
- C'est parti ? demande Ewen en fermant sa portière.
- C'est parti, affirmé-je.
On se fait un check, et nous exclamons en même temps :
- Bon courage.
Petit rituel de début de mission.
Je ne croise pas grand monde sur la route. De toute façon, dans cette partie de Nice, on ne trouve que mes collègues de ce soir, et ceux qui veulent leur trouver un toit pour la nuit.
- Les panneaux sont camouflés, me lance Ewen dans l'oreillette.
- Très bien, j'arrive à l'endroit prévu dans une quinzaine de minutes.
C'est pratique ces petites oreillettes quand même. Elles sont très discrètes, et fonctionnent dans un énorme périmètre. C'est beau la technologie.
J'arrive enfin sur le boulevard. Je croise une dizaine de collègues peut-être (c'est un grand boulevard), avant de me poster près de la sortie de l'autoroute. Je m'observe grâce à la caméra frontale de mon portable. Maquillage excessif, rouge à lèvre rose fluo, lentilles vertes, et cheveux teins en rouge pour l'occasion. On rajoute le décolleté bien trop grand et la mini-jupe ras-du-cul -comme disait Malia-, et je suis parfaite.
Je me demande si Quentin aimerait ça.
- Hé mademoiselle !
Je n'avais même pas vu la voiture –une petite Opel- s'arrêter. Malheureusement, moi, j'attends une Mercedes. Rouge. Je la louperai pas celle-là.
- Je t'emmène au pays des merveilles ? me demande le mec en faisant un clin d'œil.
Je prends un air étonné, et réplique en hurlant :
- Tu m'as pris pour une pute ou quoi ? Dégage, je veux pas te voir !
Et il s'en va en remontant sa vitre.
Je sens une satisfaction étrange monter en moi. J'ai toujours rêvé de faire ça en fait. Vous savez, ce genre de rêve qu'on a tous, mais qui sont trop « bizarres » pour les révéler à d'autres.
- T'es arrivée ?
J'en aurais presque oublié la mission.
- A l'instant, mens-je à Ewen.
- Des clients potentiels ? pouffe-t-il.
- Je viens d'en virer un à vrai dire !
Je l'entends rire en écho, il doit donc être dans le tunnel.
- Et le client que j'attends, tu penses qu'il arrivera quand ?
- Je sais pas, admet-il. Mais y'a du trafic sur l'autoroute, alors je pense qu'il aura un peu de retard.
Je soupire.
- Bon, je te laisse, j'ai un autre pigeon à renvoyer.
- Ok. Bon courage !
Cette fois-ci, l'homme au volant est plutôt jeune, et même plutôt beau. Mais je vais devoir le renvoyer aussi bien sûr.
- Vous êtes seul mademoiselle ? Je vous dépose quelque part ?
Et poli en plus. Ça me donne envie de jouer un petit peu.
- Peut-être, dis-je en faisant un clin d'œil. Vous pouvez m'emmener où exactement ?
- Un peu où vous voulez. Je connais bien Nice, et tous ses endroits...
J'ai envie de prononcer une phrase que je n'aurais jamais prononcée en temps normal. Mais est-ce que je vais le faire ? J'aurais bien l'air bête si on m'entendait... Mais bon, quand on est déguisé, on est anonyme, on fait ce qu'on veut. C'est tout le principe du carnaval de Venise après tout.
Je me lance :
- Et le septième ciel, ça vous connaît ?
Mon Dieu, mais qu'est-ce que je viens de dire ?
- Je pense que je pourrais vous y accompagner en effet.
- Super alors !
Puis je change complètement de ton :
- Mais attends, ton père n'est pas au courant j'espère ?
- Hein ?
L'étonnement se lit dans ses yeux.
- Bah oui ! Si il apprend ce qu'on a fait, s'en sera fini de notre amour !
- Attends, attends, notre amour ? Mais de quoi...
- Va-t'en mon Roméo, rejoins ta famille ! Tu sais bien que l'amour entre une Capulet et un Montaigu est impossible.
- Mais qu'est-ce que...
- Tu m'aimes n'est-ce pas ? Dis que tu aimes ta petite Juliette.
- Puisque que je te dis que je comprends ri...
- Moi aussi je t'aime mon Roméo. Alors si tu m'aimes vraiment, va-t'en ! Et ne nous revoyons jamais ! Ainsi, Vérone ne sera plus tiraillée entre nos deux familles !
Il commence à remonter sa vitre.
- Va, mon Roméo, pars retrouver les tiens ! Fais cela si tu m'aimes vraiment.
Et mon « Roméo » s'en va, laissant sa pauvre « Juliette » seule et désolée.
Ah la la... Je m'amuse comme une petite folle !
*****
Vingt minutes que Sasha est arrivée au boulevard, presque trois quarts d'heure que je suis seul dans le noir. Seul avec mes pensées. Ça fait moins d'une semaine que je me suis « réconcilié » avec mes camarades de classe, et pourtant, j'ai l'impression qu'on se connaît depuis toujours.
J'ai été étonné par la rapidité avec laquelle je me suis intégré. En fait, Claire avait raison ; c'est moi qui ne faisais aucun effort. Maintenant, j'ai l'impression d'être vivant dans la classe, et je m'y sens bien. Bien sûr, ils sont toujours aussi bruyants, et pas très évolués intellectuellement, mais ça ne me dérange plus. Il s'avère même qu'ils me font rire parfois. C'est fou comme l'évolution des sentiments change notre vision sur les choses. Claire avait raison, je suis encore jeune, alors il faut que j'en profite. « C'est Amy qui serait contente » m'avait dit Claire.
Ouais... Si je ne l'avais pas tué.
- Mercedes rouge, me lance Sasha dans l'oreillette. Je te laisse.
J'éteins la mienne pour être sûr que la cible n'entende rien. S'ils ne sont pas là dans vingt minutes, je la rallumerai pour m'assurer que tout va bien.
Bien que mes yeux se soient habitués à l'obscurité, je n'arrive même pas à voir à plus de trois mètres devant moi. Je me suis calé tout à gauche, près des barrières empêchant le passage.
De là où arrivera la voiture, Robert ne pourra pas me voir. Il apercevra seulement les barrières de sécurité. Sasha aura juste à le faire descendre, et le tour sera joué. Une balle bien placée, et c'est tout. Simple, non ?
Et pourtant, je n'arrive pas à faire disparaître cette boule d'angoisse dans ma gorge.
Un vrombissement, un bruit de moteur. J'avale ma salive et me force à contrôler ma respiration lorsque les phares de la voiture illuminent l'entrée du tunnel.
Mais pourquoi est-ce que je suis aussi stressé ? C'est pas comme si c'était ma première mission.
La voiture se rapproche de plus en plus, comme mon envie de détaler tout de suite. Bordel, mais qu'est-ce qui m'arrive ?
Plus qu'une vingtaine de mètres avant qu'il ne remarque les barrières. Quinze, dix, cinq. La voiture s'arrête, mais les feux restent allumés. Je n'arrive pas à les entendre, mais je vois qu'ils parlent. Puis Sasha hurle quelque chose d'inaudible pour moi, et Robert sort.
Je sais exactement ce qu'il me reste à faire. Je tends mon bras droit, et vise la cible en face de moi. Il ne m'a pas encore remarqué, mais ce n'est qu'une question de temps ; je n'ai pas le droit à l'erreur.
Je pose mon doigt sur la gâchette, commence à appuyer, mais le visage d'Amy apparaît dans mes pensées et me stoppe dans mon élan. C'est pas le moment, putain...
Je me ressaisis, chasse cette image de mon esprit, et recommence le même geste. Cette fois, c'est Leila qui vient me hanter. Et je loupe encore une fois la possibilité de mettre un terme à la mission.
Je m'apprête à essayer une troisième fois, mais c'est trop tard. Robert m'a vu.
- Ewen ! hurle Sasha alors que la cible commence à courir.
C'est un réflexe ; j'appuie sur la détente. Malheureusement, je n'arrive qu'à abîmer la carrosserie de la Mercedes.
En un instant, Sasha se retrouve devant moi.
- Donne-moi ça !
Elle me prend l'arme des mains, vise l'homme, et tire. La balle l'atteint en pleine tête, et il s'effondre au sol.
- Putain de merde... soupire-t-elle. On n'est pas passés loin.
Puis, comme je ne réagis pas :
- Allez, dépêche-toi, faut qu'on se barre.
Ça me revient maintenant. Cette boule d'angoisse que j'ai sentie. C'est la même que celle que je ressentais durant mes premières mission.
La peur de prendre une vie.
Sur le chemin du retour, une seule question tourne en boucle dans ma tête : est-ce que j'ai encore une place dans les Astrea Messengers ?
*****
- Alors cette mission ? me demande Karen au téléphone.
Je m'enfonce un peu plus dans la baignoire.
- T'avais raison.
- Hein ?
- Pour Ewen, rajouté-je. T'avais raison pour Ewen.
Elle soupire à l'autre bout du fil.
- Eh bien. C'est comme ça, rationalise-t-elle.
- On passe à la phase B alors ?
Un autre soupir.
- On passe à la phase B, conclut-elle.
Puis elle raccroche.
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