CHAPITRE 16 Suite logique
Je sors de la salle de bain et descend prendre le petit déjeuner. 7h15, et pas d'Ewen en vue. Je remonte alors les escaliers, et toque à la porte de sa chambre. Pas de réponse. Je me décide à rentrer après la troisième tentative.
La pièce est plongé dans l'obscurité, je le vois à peine au fond, recroquevillé dans son lit. Immobile sous la couette.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il d'une faible voix, toujours sans bouger.
- On est le 8 mars, lui rappelé-je gentiment. Les vacances sont finies.
Il émet un léger grognement, puis remonte la couette au-dessus de sa tête.
- Je veux pas y aller, finit-il par prononcer.
Je soupire.
- Moi non plus, figure-toi... Mais on n'a pas le choix. Tu vas pas rester en mode larve toute ta vie.
- Laisse-moi encore un peu de temps. J'irai demain... peut-être.
Je comprends qu'il soit déstabilisé par la mort de Leila, je le suis aussi... Mais ce n'est pas une raison pour déprimer le restant de ses jours.
- T'as de la chance que ta tante soit partie, je suis sûre que tu serais déjà au lycée si elle était là. Bon à tout à l'heure.
Je n'attends pas de réponse, et redescends finir de prendre mon petit-déjeuner.
Karen est repartie trois jours après l'enterrement, car elle avait du boulot à faire en dehors de la région. Du coup, je me retrouve seule à gérer une grande maison, et tout ce qu'il y a à l'intérieur. Soit : la bouffe, les factures, l'entretien, et un ado dépressif.
Avant l'enterrement, il n'avait pas versé une seule larme, ce qui m'avait fait demandé s'il tenait vraiment à Leila. Après tout, c'est un tueur professionnel, on peut le dire, alors ça ne m'aurait pas étonné qu'il soit doublé d'un comédien. Mais je n'aurais pas dû douter de lui, car, dès la mise en terre, son comportement a radicalement changé. Enfin, pas vraiment depuis ce moment-là, plutôt depuis le départ de Karen.
Je pense qu'il se retenait de montrer ses vrais sentiments devant elle. Je ne sais pas vraiment pourquoi d'ailleurs, c'est sa tante, et elle l'aime. Elle devrait le comprendre, non ? Enfin, je ne connais pas le fin mot de l'histoire, et je ne le connaîtrai probablement jamais. Ah, la famille...
Toujours est-il que, depuis, deux semaines, il n'a quasiment pas quitté sa chambre. Les seuls moments où je le croise, c'est à table (quand il a faim, soit pas souvent), et quand il va dans la salle de bain. Il passe le reste du temps enfermé. Je ne sais pas ce qu'il fait, peut-être qu'il lit le bouquin de son amie Lily...
7h30, il faut que j'y aille. On n'est pas vraiment très loin de Vence, mais comme on habite dans la forêt, et qu'on est bien isolé, il faut un certain temps pour aller jusqu'au lycée. C'est le prix de la tranquillité.
Avec le départ de Karen et la Cadillac hors d'usage, on se retrouvait sans voiture, mais grâce à l'argent de l'assurance, la chef des Astrea Messengers a pu en acheter une autre, qu'elle me laisse à disposition. Bien sûr, ce n'est pas une Cadillac Eldorado 1970, mais c'est bien suffisant pour faire le trajet maison-lycée, et aller faire des courses de temps en temps.
Il y a du brouillard sur la route, enfin non, pas du brouillard, on est sur la côte d'azur quand même. Non, je suis dans un nuage, ça arrive régulièrement, dans les alentours de Vence. J'allume les feu antibrouillards quand même, on n'y voit pas grand-chose.
Au bout de quelques minutes de route, je remarque une femme en train de pousser son véhicule sur le bas-côté. En temps normal, je serais passée sans y donner plus d'intérêts (bah oui, j'allais être en retard sinon), mais je vois rapidement qu'il s'agit de Malia !
Je gare ma voiture derrière la sienne, et m'approche doucement de ma sœur.
- Un problème, mademoiselle ?
- Oui, ma voiture est tombée en... oh Sasha !
- Qu'est-ce que tu fais là ? je lui demande en lui faisant la bise.
Elle soupire un instant, et s'essuie le front, comme si elle venait de faire un effort monumental.
- J'allais bosser. D'habitude, je passe pas par-là, mais j'avais envie de changer, de prendre par la forêt.
Elle s'allume une clope.
- Un délire bucolique qui m'arrive de temps en temps, éclate-t-elle de rire. Mais voilà à quoi ça mène de changer. La caisse vient de tomber en panne.
- Elle était pas toute jeune en même temps, je remarque.
- Mouais c'est vrai, admet-elle.
Ça me rappelle l'histoire d'une autre voiture tout ça...
- Tu veux que je t'emmène, du coup ? Je propose. Ça vaut mieux que d'arriver en retard à cause de cette caisse non ?
Elle feint de réfléchir un instant, alors que la réponse est évidente :
- Tu me sauverais la vie ! En plus ça fait longtemps qu'on s'est pas vues.
- Allez, en route alors !
Et nous partons.
- Quel temps de merde, s'indigne Malia en regardant par la fenêtre.
- C'est vrai qu'on a eu que du mauvais temps pendant les vacances.
Ma sœur soupire, tire un coup sur sa cigarette, et libère la fumée dans l'habitacle. Je n'apprécie pas vraiment son comportement mais bon, je ne vais pas l'engueuler pendant notre réunion de famille. Réunion de famille ? On se voit tellement souvent que oui, même un trajet en voiture, je le considère comme une réunion de famille.
- Bon et sinon, commence-t-elle. T'as enfin un Jules ? Ou je vais mourir sans jamais connaitre de beau-frère ?
- Il s'appelle Quentin. Je te le présenterai à l'occas'.
Elle semble ébahie. Elle pensait vraiment que je mourrais seule et désespérée avec 42 chats ?
- Le mien aussi s'appelle Quentin ! rigole-t-elle.
- Félicitations, chère sœur. Rigolé-je.
- Enfin, c'est pas vraiment mon Jules, il a déjà une copine à vrai dire... Mais ça risque pas de durer à mon humble avis. Il a déjà « succombé » à mes... charmes. En même temps, c'est mon collègue, j'ai bien le temps de le séduire entre deux heures de travail, si tu vois ce que je veux dire.
Je comprends très bien ce qu'elle veut dire par « succomber » et « séduire », mais ça ne me choque pas plus que ça. Je la connais, la Malia.
- On te changera pas, hein ?
- Oh ça non, s'exclame-t-elle.
- T'imagines quand même quand ils se rencontreront. « Quentin, je te présente, Quentin, le copain de ma sœur ».
- Le bordel que ça sera quand on passera du temps tous les quatre.
- Enfin faut d'abord que tu l'aie pour toi toute seule, s'il a une copine, ça sert à rien.
Elle soupire.
- Et il en est attaché en plus, il parle tout le temps d'elle. Même Lily, ma supérieur, en a marre.
Quoi ? Lily ? Soudain je remarque que je ne sais pas où elle travaille.
- Au fait Malia, tu bosses dans quoi en ce moment ?
La réponse me paralyse.
- Je bosse à la médiathèque de Vence. Je pensais que tu savais.
Je prends une grande inspiration.
- Et ton Quentin, c'est quoi son nom de famille ?
- Forradeli, pourquoi cette question ?
Je fais piler la voiture.
- Mais ça va pas ? s'indigne ma sœur.
J'observe les alentours. On est toujours en pleine forêt, encore en plein dans le nuage. On ne voit pas à plus de cinq mètres devant soi.
- Descends, je lui ordonne d'un ton calme.
- Quoi ? Mais pourquoi ?
- Descends, hurlé-je. Tout de suite.
Je vois dans ses yeux que c'est la première fois qu'elle m'entend parler comme ça. La première fois qu'elle a peur de moi.
- Ok, ok...
Je descends à mon tour et ouvre le coffre. De là où elle est, elle ne voit pas ce que j'y prends. Je charge le pistolet, rajoute le silencieux, puis cache l'arme dans mon dos.
- Qu'est-ce qu'il se passe Sasha ? Qu'est-ce qu'il t'arrive d'un...
- Ta gueule.
Elle est choquée, trop pour rajouter quoi que ce soit. Et pourtant, elle n'a pas encore vu le revolver. Néanmoins, je décide de lui expliquer, le plus rapidement sera le mieux.
- Quentin Forradeli... c'est le mien.
Je vérifie qu'il n'y ait personne aux alentours, aucun passant, aucune voiture. Puis je pointe mon arme vers Malia.
- Quoi ?
Et elle s'effondre, une balle entre les deux yeux.
Je remets mon matériel dans le coffre, que je referme avant de venir auprès de ma sœur. Même si on ne risque pas de la retrouver tout de suite grâce au nuage, je préfère la pousser le plus loin possible de la route. On ne sait jamais.
Je regarde une dernière fois ses yeux étonnés. Bah quoi ? C'est pas si étrange quand on y pense.
Après le père, la fille. C'est une suite logique.
*****
Le mouton était bien content d'avoir trouvé un camarade qui l'aidait à rendre la vie meilleure. Ensemble, ils avaient réussi à rendre le troupeau encore plus heureux qu'avant. Alors le mouton crut que son devoir était terminé, que plus de mouton noir ne viendrait semer le trouble dans la prairie. Mais ce n'était pas l'avis de son camarade qui lui, continuait de rendre justice malgré l'absence de congénères sombres.
Je repose les feuilles sur mon bureau et retourne me coucher. Je n'ai même pas la force de lire. Je m'apprête à m'endormir quand j'entends des bruits de voiture dans l'allée. Sasha est déjà rentrée ? Mon portable m'indique qu'il n'est que 8h10, c'est étonnant qu'elle soit déjà de retour.
Pourtant, c'est bien elle qui ouvre la porte de ma chambre quelques minutes plus tard.
- T'es déjà là ? dis-je doucement.
Tellement doucement que je ne sais même pas si elle m'a entendu.
Elle dépose son sac sur la chaise de mon bureau, et s'arrête devant mon lit.
- Fais-moi un peu de place, tu veux ?
Hein ? Je n'ai pas le temps de comprendre qu'elle vient se glisser sous les draps auprès de moi.
- Qu'est-ce que...
- Chuuut, me coupe-t-elle.
Puis elle passe ses bras autour de moi et vient se coller dans mon dos. Son corps est gelé.
- Moi non plus, je ne vais pas au lycée aujourd'hui...
- Pourquoi ?
Elle soupire, semble hésiter à m'expliquer, puis se ravise :
- Tais-toi et dors.
Puisque c'est demandé si gentiment...
*****
13h40. Ça doit faire une demi-heure que j'ai laissé Ewen tranquille –seul- dans son lit. Peut-être qu'il sera réveillé par l'odeur de la pizza ? N'empêche, je ne sais toujours pas ce qu'il m'a pris d'aller squatter sous sa couette. Peut-être que tuer des membres de ma famille me fait faire des choses folles ? Enfin je préfère passer cinq heures dans le lit d'un gosse de 16 ans qu'une semaine enfermée dans une maison qui contient le cadavre de mon père... J'espère juste qu'il ne va pas me regarder d'une autre façon maintenant...
Oh et puis merde ! Si ça se trouve, s'il avait daigné se bouger pour aller au lycée, tout ça ne serait jamais arrivé ! Et quand on parle du loup...
- J'ai bien réfléchi, commence-t-il en arrivant dans la cuisine.
Il est encore en pyjama –fait rare- et il est pâle comme un linge. Il ne mange pas en même temps.
- T'as raison, continue-t-il. Je peux pas continuer à me morfondre comme ça. Ça la fera pas revenir. Alors, demain, je retournerai au lycée.
C'est bien la première fois que je le vois comme ça. On dirait un gamin tout ce qu'il y a plus normal.
- Tant mieux, me réjouis-je. Allez, je suis sûre que t'as faim. J'ai fait de la pizza, t'en veux ?
Bien sûr qu'il en veut, ça fait au moins trois jours qu'il a rien avalé.
- Oui merci... Et heu... Désolé, si je t'ai inquiété.
Eh bien, il a beaucoup de choses à dire aujourd'hui !
- T'inquiète pas, le rassuré-je. C'est normal que je m'inquiète pour toi. On est une famille, non ?
Les mots sont sortis tout seul, cependant, je le pense vraiment. Et puis, Malia morte, les Migi sont les plus proches de ce qui s'apparente à une famille de toute façon.
- Oui !
Il l'a dit avec un sourire éblouissant sur le visage.
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