CHAPITRE 12 Bernard Crovach
De mon expérience dans les Astrea Messengers, j'ai pu remarquer que les cibles que nous exécutons peuvent se classer dans plusieurs catégories.
Il y a d'abord ceux, qui, comme Alexandra Blinov, volent. Que ce soit de l'argent ou des biens. Si c'était voler pour une bonne cause, comme le ferait Robin des Bois (le héros préféré de Leila), nous resterions en-dehors de cela. Mais voler pour voler, ce n'est pas pardonnable. Mais ce ne sont pas les pire, ils en sont bien loin.
Ensuite, viennent ceux qui tuent pour arriver à leurs fins, comme Sophie Narton. A ce stade, la rédemption n'est déjà plus envisageable.
Pire encore, ceux comme John Lumen. Ceux qui battent, ou séquestrent. Ceux qui font subir ce qu'ont subi Sasha et sa sœur (d'ailleurs, je ne sais toujours pas comment elle s'appelle et à quoi elle ressemble).
On pourrait croire qu'on est arrivé au sommet de cette pyramide, mais il y a encore un niveau. Et c'est celui de Bernard Crovach.
Cet homme intelligent et passionné par l'enseignement se destine à devenir professeur de mathématiques. Il passe le concours sans problème, enseigne une dizaine d'années et change finalement de voie pour devenir le principal du collège dans lequel il enseignait.
Bernard Crovach adore les enfants, c'est bien pour ça qu'il est principal... mais Monsieur Crovach aime beaucoup les enfants. Un peu trop même.
Le scandale éclate deux ans après, et le titre « Bernard Crovach, principal pédophile ? » fait le tour des journaux de la région.
Mais finalement, Crovach est déclaré non-coupable, suite à trois longues années de procès, le principal témoin s'étant rétracté. L'homme est donc de nouveau libre, et l'argent lui revenant suite à la mort de sa riche tante tombe à pic.
Âgé maintenant de 67 ans, le retraité vit dans la résidence Montmeuille, où il coule de vieux jours paisibles. Malheureusement, d'après le neveu de Monsieur Crovach, il semblerait qu'il aime toujours autant les enfants.
C'est de ce genre d'individu dont est constitué le sommet de la pyramide.
- On est bientôt arrivés, lance Sasha, au volant de la voiture de Leila.
- Oui... ralenti un peu.
Je ressasse le plan alors que nous pénétrons dans la forêt, ignorant en même temps les commentaires de la conductrice sur le lieu.
- Et dire qu'avant y'avait un parc...
Pour ma première mission avec Sasha, nous allons nous faire passer pour des... escort-girl et escort-boy ! Si l'idée me dégoûte particulièrement, je dois avouer que l'idée de Sasha était plutôt bonne...
- Maintenant, les vieux riches l'ont récupéré, et le parc de vacances aussi y est passé !
Nous allons nous présenter chez lui, mais je doute qu'il se plaigne d'une erreur. Alors, nous rentrerons, on le poussera dans les escaliers, et on maquillera pour que ça ait l'air d'un accident.
- On dirait juste un gros parc d'attraction pour vieux ! sauf qu'il y a que des maisons...
- Et la police de temps en temps, la coupé-je.
En effet, au moment où je prononce la phrase, on aperçoit deux policiers marcher sur le bas-côté de la route.
- Va falloir être prudents, je rajoute.
Cinq minutes plus tard, nous arrivons enfin devant la villa numéro 478. Sasha se gare en face du portail, et nous pénétrons rapidement dans le jardin.
- J'ai froid avec ces vêtements... se plaint ma coéquipière.
C'est sûr qu'un décolleté aussi plongeant en plein hiver est peu recommandé... enfin, c'est pour la mission.
La maison, du moins à l'extérieur, est très bien entretenue, Bernard a probablement des jardiniers. Peut-être même qu'ils ne servent pas qu'à jardiner... Nous arrivons devant la porte, Sasha sonne, et une petite minute plus tard, la cible vient ouvrir la porte.
Je me le décris mentalement, il est gros... Enfin non, il est massif. C'est d'ailleurs pour ça qu'on est deux à devoir rentrer. Ses cheveux sont peignés impeccablement, et il pue le parfum.
Pendant ce temps, Sasha arbore un sourire radieux, tout en répétant à voix haute le petit speech qu'elle a appris :
- Bonjour maître, vous nous avez appelés ?
Petit clin d'œil qui fait toute la différence.
- Moi c'est Vanessa, le petit, c'est Alex. Il est timide, mais ne vous en faîtes pas, vous serez content de lui.
La bête me regarde de haut en bas après cette phrase. Si seulement on pouvait le tuer dès maintenant...
- Alors, on peut rentrer ?
« Vanessa » n'attend pas de réponse pour pénétrer à l'intérieur. Cependant, Bernard la repousse vers l'extérieur, et prononce enfin ses premiers mots.
- Trop vieille.
Il me prend ensuite par le bras et m'emmène dans la maison.
- Toi tu viens. Hey la fille, reviens d'ici deux heures, j'aurai fini.
Il claque la porte sans demander son reste.
*****
Merde. C'est le seul mot que j'ai à la bouche le temps de retourner à la voiture, et de m'assoir à l'intérieur. Merde, merde, et remerde ! Je suis complètement perdue, je ne sais absolument pas ce que je dois faire, et ne pas faire dans ces situations-là !
Après quelques minutes à stresser comme une folle, j'entends mon oreillette grésiller. Quelle conne ! J'avais oublié qu'on pouvait communiquer comme ça ! Encore quelques grésillement, et j'entends enfin la voix d'Ewen.
- Sasha ?
- Ewen est-ce que ça va ? Il a essayé de te tuer ? Tu veux que je vienne ?
- Calme-toi Sasha... Tout va bien, il va pas tuer sa proie, réfléchis un peu...
- Dé... désolée, j'arrive à balbutier. Je m'inquiétais pour toi.
- C'est pas grave, je te demande juste de te calmer, et de m'écouter. Je n'ai pas beaucoup de temps.
- Va-s-y je t'écoute.
Je l'entends prendre une grande inspiration, puis il commence :
- Tu vas prendre la voiture, tu retournes à l'entrée OK ?
- Oui mais... pourquoi ?
- Fais-moi confiance, fais ce que je te dis, et tout se passera bien. Tu retournes à l'entrée, je veux pas que la police remarque la voiture devant la maison de ce porc. De là-bas, tu observeras la maison avec les jumelles, l'entrée est en altitude alors ça devrait aller. Si tu remarques quelque chose d'anormal, tu t'en vas.
- Et toi ? Qu'est-ce qu'il se passe de ton côté ?
- Il revient, alors je vais être rapide. Quand je te dis de redescendre, tu réfléchis pas. Tu reviens le plus rapidement possible OK ? Tu me récupères devant chez lui, et on s'en va par l'autre sortie, celle du côté de la falaise. Ça marche ?
- Oui mais... Comment tu vas le...
- Je coupe, il est là.
Bon, c'est parti.
Je tourne la clé dans le contact, j'engage, et je pousse la pédale d'accélérateur. La voiture démarre, et je peux enfin me diriger vers l'entrée.
Arrivée, je me gare à côté du panneau indiquant « RESIDENCE MONTMEUILLE », prends les jumelles dans le vide-poche, et descend. Je les place devant mes yeux, mais n'aperçois qu'une tâche bleue bizarre. J'essaye de régler, en vain. Puis la tâche bleue décide de m'adresser la parole :
- Bonjour mademoiselle. Beau temps, n'est-ce pas.
J'enlève les jumelles pour découvrir que la tâche bleue était une partie de l'uniforme du policier qui se trouve devant moi.
Re-remerde.
*****
- Alors comme ça, on est timide ?
Bernard m'adresse un petit sourire, et vient déposer les verres d'alcools sur la table basse du salon. Il en fait le tour, puis vient s'assoir à côté de moi sur le canapé. Je sens son bras passer derrière mon cou, qui me rapproche de lui.
Je laisse échapper un toussotement, noyé dans cette dose de parfum bien trop forte, quand le parfumé en question continue :
- T'as quel âge, au fait ? 13, 14 ans ?
Je ne réponds pas, je sais que si j'ouvre la bouche, je risque de l'insulter de tous les noms. Ce genre de personne me débecte. Mais ça ne l'empêche pas de continuer son enquête.
- Non, tu dois être un peu plus vieux... je doute que ton agence embauche des gamins si jeunes. 16 ans ?
J'hoche la tête, ce n'est pas la peine de lui mentir. Il va bientôt mourir de toute façon.
- Un poil plus vieux de ce que j'ai l'habitude de... enfin tu vois.
Il rigole, prend son verre et me rapproche un peu plus.
- Enfin c'est pas grave, tu feras bien l'affaire... rajoute-t-il en me toisant d'un air joueur.
Le liquide ne fait pas long feu, en une seconde, Monsieur l'ex principal Crovach boit l'ensemble de l'alcool. C'est peut-être pour ça tout ce parfum... histoire de cacher les effluves de vodka.
- Décontracte-toi un peu mon petit... plaisante ma cible en me donnant une tape « amicale » dans le dos. Tu dois avoir soif, bois un peu !
J'obéis, et bois une gorgée de l'alcool. Même pas bon en plus.
Bernard fait ensuite le mouvement qui précipitera sa mort. Il m'attrape le menton avec sa main gauche et tente de m'embrasser. J'esquive en me levant, mais ce n'est pas pour déplaire au pédophile.
- On a du caractère alors ? J'aime bien ça... soupire-t-il en déboutonnant le haut de sa chemise.
- Je vais vous resservir, maître, lancé-je en attrapant son verre.
- Tu sais parler en plus... J'espère juste que tu sais te servir de ta bouche pour autre chose.
J'ignore sa dernière réplique et part vers la cuisine.
Je m'étonne, quand même. Moi qui pensais l'insulter si je parlais. Mais le miroir de la salle à manger m'apporte la réponse quant à mon absence d'injures ; Je suis énervé.
Très énervé.
Je le vois dans mes yeux. Mes pupilles sont extrêmement contractées, presque invisibles. Bernard Crovach peut en être fier, on m'a rarement mis dans cet état-là. Mais c'est parfait pour la mission. Quand je suis énervé, je trouve toujours le meilleur moyen pour tuer ma cible.
Si quand je suis dans cet état, je n'hurle pas ni n'insulte personne, je parviens toujours à obtenir ce que je veux, dans les plus brefs délais. La preuve : à peine entré dans la cuisine, je sais déjà comment cette mission va finir.
J'espère juste que tout va bien du côté de Sasha...
*****
- Oh oui en effet, un peu frais pour la saison même non ?
Oh mon dieu, mais qu'est-ce que je vais faire ? Et qu'est-ce qu'il fout là lui ?
- C'est vrai que la neige n'a pas tardée à tomber cette année, admet le policier.
- En effet.
Je rigole un peu, histoire de faire croire que je ne suis absolument pas stressée.
Bon voyons voir, l'homme en face de moi est assez gringalet, rien à voir avec Bernard Crovach... Il a l'air assez jeune, pas beaucoup plus vieux que moi. Même avec l'arme qu'il porte probablement sur lui, je pourrais peut-être le tuer et m'enfuir...
Non ! Qu'est-ce que je pense encore ? Si jamais je fais ça, la mission sera pour de bon fichue...
- Qu'est-ce qui vous fait venir à la résidence Montmeuille ?
- La nostalgie... je venais souvent ici, avant que la résidence existe. Faut croire que le parc me manque un peu.
Pitié, faîtes que ce mensonge passe !
- Je vous comprends... moi aussi j'allais souvent m'amuser dans la forêt... maintenant, je la surveille !
Je rigole comme si monsieur le policier était un véritable humoriste. J'en ai peut-être trop fait là, par contre...
- Vous ne regrettez pas l'ancienne forêt ? Elle était plus paisible... dis-je après avoir fini ma crise de rigolade.
- Je ne voudrais pas être méchant envers les vieux qui habitent là mais...
Il s'approche de moi et fait comme si il allait me dire un secret classé confidentiel.
- Je la regrette énormément...
Puis nous éclatons de rire à l'unisson, avant qu'il ne rajoute :
- En plus, avec les sous qu'ils ont, ils pourraient au moins s'acheter des caméras de surveillance, la police n'a pas que ça à faire que de surveiller les environs ! C'est pas comme si quelque chose allait arriver dans ce trou paumé !
Non en effet...
- Et sinon, mademoiselle, vous observiez le paysage avec ces jumelles ?
- Oui, j'essaye de repérer un arbre qui doit être par là-bas... J'y jouais souvent avec mes frères et sœurs, j'espère qu'on ne l'a pas déraciné...
Etonnamment, je prends un malin plaisir à berner ce pauvre policier. Ça a quelque chose de jouissif que de mentir ouvertement à quelqu'un qu'on ne connaît pas.
- Et le garçon qui était assis dans la voiture avec vous, il fait quoi ?
Merde, je pensais pas que ces deux policiers auraient fait attention à nous...
Je me mords la lèvre inférieure, comme si ça allait m'aider à trouver un mensonge plus ou moins potable.
- C'est mon petit frère ! Il est allé voir à pied s'il le trouvait !
C'est toujours mieux que rien...
- Oh je vois ! Il risque peut-être de croiser Trévor dans ce cas !
- Trévor ?
- Le deuxième policier de garde ! Je suis venu surveiller cette entrée, et lui est allé à celle de la falaise.
Ce policier est tellement gentil de me donner des infos gratuitement comme ça... Elles ne vont probablement jamais me servir mais bon.
- Mais comme je vois qu'il n'y a aucun problème de ce côté je vais pouvoir aller prendre ma pause, continue-t-il.
- Bonne pause alors, je réponds avec joie !
- Au revoir mademoiselle, je vous souhaite de trouver cet arbre.
Puis il part en direction de la descente menant vers la ville, me laissant seule à l'entrée de la résidence.
Soulagée, j'ouvre la portière et me jette sur le siège, toute tremblante de stress. Allez Ewen, appelle-moi, qu'on parte vite d'ici.
*****
- Ça ne sent pas un peu le gaz ?
Ça ne sent pas un peu le gaz, ça sent énormément le gaz. Mais évidemment, avec tout l'alcool que je lui ressers depuis tout à l'heure, ce n'est pas étonnant que Crovach ne le remarque que maintenant.
- Vous trouvez maître ?
En tout cas, sa gazinière fait un travail impressionnant. J'ai allumé le gaz il y a à peine 15 minutes, et je commence déjà à avoir mal à la tête. Et je n'ose même pas imaginer ce pauvre Bernard... Enfin, il n'a que ce qu'il mérite.
Il ne répond rien, l'alcool l'a déjà bien entamé. Il n'est plus qu'à une étincelle de la mort.
- Une cigarette peut-être ?
Il hoche la tête lentement, avant de pointer son sac, posé sur le meuble de l'entrée. Je me dirige donc là-bas et en profite pour appeler Sasha :
- Ça y est, tu peux venir.
- Alors il est mort ?
- Ça ne devrait pas tarder, alors dépêche-toi !
Je raccroche et attrape le paquet de clope et le briquet. Je les pose sur la table basse, bien loin de ma cible. J'aimerais quand même avoir le temps de sortir avant que ça explose.
- Je reviens dans un instant, maître.
A peine la porte d'entrée passée, je me précipite jusqu'à la route. Dès qu'il allumera sa clope, la maison sautera, alors mieux vaut se dépêcher.
*****
Je m'arrête juste devant Ewen, et l'assaille de questions pendant qu'il rentre :
- Tout va bien ? Il ne t'a pas violé au moins ? Ni frapper j'esp...
- Fonce !
Mais c'est trop tard.
Je n'ai pas le temps d'appuyer sur l'accélérateur que la détonation se fait entendre. L'explosion n'a beau durer que quelques secondes, je me trouve véritablement passionnée par ce spectacle.
Les vitres volent en morceau, dont certains parviennent même jusqu'à la route, avec la porte en bois, complètement détruite. Les bouts de murs voyagent à travers le jardin, s'écrasent dans les arbres, ou au sol, dans un fracas assourdissant. Et bientôt la fumée vient recouvrir le sol et s'élève dans les airs, camouflant pour un moment la ruine.
La destruction à l'état pur.
J'arrive finalement à articuler une seule phrase :
- Putain de merde.
- Fonce, je te dis ! insiste Ewen.
J'appuie enfin sur l'accélérateur, et nous parvenons à sortir du côté de la falaise.
Ca y est, ma première mission est terminée.
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