CHAPITRE 11 Entraînement
Le mouton commença donc à aller voler la ration de son congénère devenu noir. Jour après jour, il volait le voleur, et bientôt, le dit-voleur redevint blanc. Satisfait de ce résultat, notre mouton se dit que sa tâche était accomplie, mais il remarqua rapidement que d'autres membres du troupeau prenait peu à peu une teinte sombre. Il se dit alors : « Eh bien, j'ai encore pas mal de boulot finalement ! »
- Je suis vraiment désolée de t'avoir demandé de venir alors qu'on est un 31 décembre... s'excuse Lily alors que je m'assois en face d'elle.
Seule la neige qui tombe dehors permet de rappeler que nous sommes en hiver ; les chauffages de la médiathèque marchent à plein régime, et la chaleur ambiante en est presque étouffante.
- En plus, tu dois sûrement avoir des tas de trucs à faire avec tes amis, plutôt que de venir me dire ce que tu penses de mon histoire...
Si tu savais... depuis l'arrivée de Sasha à la maison, c'est tous les jours entraînement. C'est peut-être ce que voulait dire Karen par « Ce sera de plus en plus dur ».
- Mais tu es mon amie, je rétorque en regardant la jeune femme dans les yeux.
Elle rougit un peu, visiblement rassurée par mes mots.
- Merci Ewen, répond-elle en se baissant vers sa sacoche.
Lily sort un dossier similaire à celui que je tiens dans les mains.
- Voilà la suite ! lance-t-elle joyeusement alors que nous échangeons les documents. Je suis consciente que je ne t'avais pas donné beaucoup à lire, mais j'ai écrit pas mal depuis Octobre !
- Merci, souris-je.
Je feuillette rapidement les feuilles, et en effet, il y a plus de lecture que les trois petits paragraphes qu'elle m'avait prêtés précédemment. Je les range dans ma propre sacoche quand mon amie m'interroge, une pointe d'excitation dans la voix :
- Alors ? qu'est-ce que tu en penses ?
- Eh bien c'est un peu dur de juger une œuvre avec seulement trois paragraphes... Mais je trouve que le début est pas mal, j'aime beaucoup l'alliance des couleurs en raccord avec le caractère des personnages.
- Oui je suis plutôt fière de moi sur ce coup-là ! me gratifie-t-elle d'un clin d'œil.
- Mais est-ce que tu penses que des enfants saisiront cet aspect de ton écriture ?
Elle semble surprise de la question, mais répond tout de même rapidement.
- C'est vrai que je te l'avais présenté comme un livre pour enfant... En fait, je pensais plutôt à en faire une fable philosophique, une philo-fable !
- Ah d'accord, je comprends mieux. J'ai hâte de lire la suite.
Nous sirotons notre café un moment, sans rien dire, laissant le liquide nous réchauffer, bien que j'aie déjà assez chaud comme ça...
- Et sinon, commence Lily, comment ça se passe ces vacances de Noël ?
Eh bien comme depuis début novembre, on entraîne Sasha...
- Pas grand-chose à vrai dire.
- Tu ne pars pas quelque part ?
- Non, et toi ?
- Je suis partie au ski la semaine dernière, mais c'est tout, on n'a pas de vacance quand on est adulte ! rigole-t-elle.
Nous continuons de parler de tout et de rien pendant un moment, jusqu'à ce qu'un autre employé de la médiathèque (je peux le dire grâce à son uniforme), rappelle Lily à l'ordre :
- Heu je ne voudrais surtout pas vous déranger, mais Lily... ta pause est finie... depuis 10 min...
Mon amie a un sursaut.
- Oh merde, la vieille va me taper sur les doigts ! Combien pour ton silence Quentin ?
Le nouveau venu esquisse un sourire, réajuste ses lunettes et déclare d'une voix solennelle :
- Un coca et deux Kinder à ma prochaine pause, et personne ne saura votre secret, madame !
- Très bien monsieur, alors retournez bosser, je vous rejoins tout de suite !
Quentin m'adresse un « à plus » et tourne les talons.
- Je suis désolée Ewen, la demi-heure est passée plus vite que ce que je pensais !
- Ne t'inquiète pas ! A bientôt Lily !
A l'extérieur, j'appelle Leila pour qu'elle vienne me chercher.
- Je suis désolé, mais je suis en plein entraînement avec Sasha là...
- Bon c'est pas grave, je me débrouillerai tout seul.
Je doute qu'il y ait des bus qui passent par là où j'habite mais bon...C'est vrai qu'habiter en forêt à pas mal d'avantages, mais on est un peu paumés quand même...
- Non Ewen attends ! recommence ma cousine. Karen peut venir si tu veux, à condition que t'achètes des œufs pour le gâteau de ce soir.
- Ok ça marche, dis-lui de venir au parking du lycée, à tout à l'heure !
- A tout à l'heure !
Je raccroche, et me dirige vers le centre de Vence. Il neige beaucoup désormais, et les voitures ont de plus en plus de mal à avancer dans les rues. Bientôt, les accès au centre seront fermés ; il vaut mieux que je me dépêche de rentrer.
*****
Le poing de Leila frôle ma joue gauche. J'attrape son bras et lance un coup de pied qu'elle évite d'une déportation sur sa droite. Elle tourne ensuite sur elle-même, ce qui a pour effet de la faire se libérer de mon emprise. Elle en profite pour lancer son pied gauche vers moi. Je l'évite de justesse en sautant légèrement en arrière.
- Je vois que tu commences à t'habituer, me lance ma professeure de combat, ravie.
- Je ne t'arrive même pas à la cheville, je déclare, dépitée.
Leila quitte sa position de combat et m'examine de haut en bas.
- Evidemment que tu ne m'arrives pas à la cheville ! Ça ne fait que deux mois que tu t'entraînes, moi ça fait des années.
Je reprends une position normale à mon tour et soupire :
- Mais à ce rythme, je ne vous serez d'aucune utilité...
- T'es trop méchante envers toi-même... Certes, tu n'as pas l'hypermnésie d'Ewen, mais il m' dit que tu n'avais aucun mal à mémoriser des informations. Et tu te débrouilles pas mal en combat ! Y'a peut-être une chose ou deux que je pourrais te reprocher mais...
- Dis-moi ! La coupé-je. Comme ça je m'améliorerai.
- Eh bien, tu as un peu plus de mal avec tes membres gauches, mais c'est parce que tu es droitière... et puis...
Le son du portail me sort de la conversation, Karen et Ewen sont rentrés.
Puis le paysage défile devant mes yeux, la neige tombe de plus en plus vite à mesure que mon corps s'envole, et plus rien. Le bruit de mon être s'écrasant dans l'eau de la piscine. Je ressors en quelque secondes, transie de froid (on est en plein hiver quand même !). Je me tiens le ventre, là où le poing de Leila m'a frappé.
- Et puis, tu n'es pas toujours très concentrée... rigole-t-elle.
Seul mon éternuement lui apporte une réponse. Elle vient déposer sa veste sur mon dos gelé.
- Bon, c'était peut-être pas très gentil, continue-t-elle en me ramenant à l'intérieur de la maison. Mais comme ça tu viens d'apprendre quelque chose de très important : tout peut se passer, en ne serait-ce qu'une fraction de seconde, alors fais bien attention, ok ?
Je toussote un peu et répond enfin :
- Promis.
La chaleur de l'eau vient réveiller ma peau, ensommeillée par le froid. J'ai toujours passé beaucoup de temps sous la douche. Sûrement car, étant petite, c'était peut-être le seul moment où personne ne me criait dessus ou me frappait. C'est un vrai moment de repos et de réflexion pour moi.
Les gouttes coulant sur mon corps m'emmènent à repenser aux évènements des derniers mois. J'ai tué mon père. Non. J'ai tué le monstre qui me servait de père.
L'enquête de police a conclu à un vol qui aurait mal tourné. L'histoire n'a aucunement été médiatisée, papa n'était pas quelqu'un de très connu... J'ai échappé aux accusations en prétendant avoir passé des vacances chez des amis, de toute façon, personne ne m'avait vu dans le voisinage, je n'étais pas sortie une seule fois de la maison.
L'enterrement a eu lieu quelques jours plus tard, il n'y avait que deux personnes : Malia et moi, et nous ne sommes pas restées longtemps. Moi car ce monstre n'aurait même pas dû mériter cela, et ma sœur, car elle trouvait inconcevable que cet être soit enterré à côté de maman. Elle m'a bien proposée de vivre avec elle, mais je venais de m'installer officiellement chez les Migi. Depuis, plus aucune nouvelle de Malia.
Alors j'ai commencé l'entraînement. Tandis que Leila m'apprend à combattre et me défendre au corps à corps, Ewen me montre comment manier certaines armes, et comment regrouper des informations sur un individu.
Je suis sortie de mes pensées par l'individu qui toque à la porte. Je coupe l'eau et écoute ce qu'on a à me dire :
- Le dîner est prêt ! On t'attend pour commencer ! me lance joyeusement Leila.
- Merci, j'arrive dans cinq minutes !
Leila est vraiment quelqu'un de gentil. Elle est très attentionnée, et semble m'apprécier. Ewen est un peu plus distant, mais j'ai l'impression que c'est un gamin très gentil lui aussi, dans le fond.
La seule personne que j'ai dû mal à cerner est celle que je trouve de l'autre côté de la porte de la salle de bain : Karen. Je sais seulement qu'elle est la tante d'Ewen, la mère adoptive de Leila, et qu'elle a fondé Astrea Messengers.
- Elle était bonne cette douche ? lance-t-elle d'un sourire éblouissant.
- Oui merci !
- Tant mieux alors...
Elle reprend sa respiration et ajoute :
- Sasha, est-ce que je peux te poser une question ?
- Bien sûr.
- Quel est ton but dans cette organisation ?
- Euh...
Pourquoi cette question maintenant ?
- Déjà, je veux vous être utile, car vous m'avez aidé à ne pas être poursuivie par la police.
- Oui c'est vrai... mais pour toi ? Que veux-tu réaliser ?
- Eh bien, j'aimerais pouvoir tout d'abord rembourser mes dettes.
Karen éclate de rire. Essuie une larme qui lui coule de l'œil, et continue :
- Oui c'est vrai que ce serait une bonne idée ! Bon allez, descendons, ils doivent nous attendre.
- Et merci encore de m'accueillir !
- De rien, répond-elle d'un sourire carnassier.
*****
J'entends les feux d'artifices résonner au loin. Ça y est, on est le 1er janvier 2021. Karen pénètre doucement dans ma chambre et se rapproche de mon bureau, où je suis assis.
- Bonne année 2021 mon petit Ewen.
- Bonne année Karen.
Elle fait ensuite le chemin inverse de son entrée, et s'arrête sur le pas de la porte.
- La prochaine mission est pour bientôt... Et rappelle-toi : ce sera de plus en plus dur.
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