CHAPITRE 1 Retour au travail
Nom : Migi
Prénom : Ewen
Date : Lundi 7 Septembre 2020
Classe : Première L 3
La partie la plus simple de cette banale et répétitive fiche pour « mieux vous connaître » distribuée par Madame Venus terminée, je jette un coup d’œil à la classe. Nous serons seulement 24 dans cette classe littéraire, en comptant l’absent (bravo, dès le premier jour), à croire que de moins en moins de français ont le niveau pour intégrer cette section. « On dit merci au langage SMS ! » avait plaisanté ma prof principale quelques minutes précédemment.
Je ne reconnais que très peu de personnes dans la salle. Deux filles assises côte à côte devant le bureau du professeur étaient dans ma classe en cinquième. Et trois garçons qui discutent entre eux partageaient la même école primaire que moi. Personne de ma classe de seconde. Ça explique peut-être pourquoi mon sac occupe la place de mon voisin potentiel. Ou alors, peut-être que les élèves de notre époque ont simplement la flemme de marcher jusqu’au fond d’une salle. J’opte plutôt pour la première solution.
Enfin, ne pas connaître grand monde ne me dérange absolument pas, au contraire ; je n’apprécie pas vraiment les gens de mon âge… Je ne les déteste pas non plus, mais je ne m’attache pas eux. « Tu ne t’attaches pas vraiment à qui que ce soit » m’aurait sermonné ma tante.
Je m’apprête à continuer de compléter la feuille lorsque la porte d’entrée s’ouvre de manière très peu discrète. Un garçon plutôt grand apparaît dans l’entrée. « Génial ! Enfin quelqu’un que je connais… », J’ironise. En effet, il s’agit d’une des personnes que j’ai voulu transpercer de mon parapluie tout à l’heure. J’ai d’ailleurs le réflexe de cramponner mon ami protecteur d’intempéries tandis que je regarde l’énergumène.
Il scrute la salle de ses yeux vitreux avant de croiser le regard de Mme Venus, postée à quelques centimètres de lui. Elle ne s‘intéresse même pas à son nom. Elle lui tend simplement la fiche pour « mieux vous connaître » et lui ordonne :
- Va t’asseoir, et remplis ça !
Le pauvre garçon semble maintenant se tenir face au pire dilemme de sa vie : mais où va-t-il s’asseoir ? Bien qu’en sous-effectif, la classe occupe tout de même vingt-trois des vingt-sept sièges disponibles ! Trois choix se dessinent devant le regard éteint du garçon : s’asseoir sur une table complètement libre. Non, il ne supporterait pas la solitude. Deuxième choix : Opter pour la place auprès d’une jeune fille. C’est quand il part à l’opposé de cette dernière que je comprends qu’il a choisi le troisième : à côté de moi.
Je retire avec regret mon sac pour laisser Regard Vitreux (comme j’ai décidé de le surnommer) se poser. Le paquet de cigarette qu’il tenait dans sa poche choisit ce moment pour s’enfuir et se jeter sur la chaise. Regard Vitreux ne semble même pas s’en apercevoir et s’assoit avec une grande délicatesse sur le pauvre paquet. Après un travail laborieux pour sortir sa trousse (complétement hors d’usage), il finit par écrire sur le bout de papier. Je décide donc de continuer également, sans même tenter de déchiffrer son écriture qui aurait pu m’apprendre son véritable nom.
Responsables légaux (barrer la/les mentions inutile(s)).
J’écoute la consigne et barre les cases « mère » et « père », puis complète la dernière : « autres responsables ». Karen Migi, tante. J’ajoute son numéro de téléphone et mon adresse puis remarque que Regard Vitreux observe attentivement ma feuille. Je l’ignore et poursuit le remplissage de la fiche.
Situation familiale : Je vis avec ma tante et sa fille adoptive, Leila.
L’énergumène continue de scruter la feuille de papier. Peut-être n’a-t-il jamais vu de personne sans parents auparavant… Mais même si c’était le cas, il pourrait arrêter de fixer ma feuille comme un psychopathe écervelé !
Un rictus commence à se former sur les lèvres de Regard Vitreux. Il tente de prononcer quelque chose, mais seule une odeur de tabac arrive à sortir de sa bouche. Il sera sûrement un tombeur de dames celui-là… La deuxième tentative de communication se solde encore par un échec. J’ai presque envie de l’aider à dire une quelconque remarque sur ma situation familiale, ou sur l’absence de parents, mais l’Alien arrive finalement à exprimer le fond de sa pensée.
- Migi… C’est drôle comme nom.
Et il éclate de rire, sous les regards interrogateurs des autres élèves, et celui désespéré de Mme Venus.
Mon dieu, l’année va être longue…
*****
- Nom ? Prénom ?
- Lumen. Sasha Lumen.
- Age ?
- J’ai vingt et un an.
- Raison du retard ?
- Je me suis trompé de salle…
La vieille bibliothécaire à l’air désespérée. Mais, au lieu de me dicter un sermon sur la ponctualité (surtout pour un premier jour), Mme Bouya soupire.
- Vous savez Vanessa…
- Moi c’est Sasha madame.
- Oui, si vous voulez. Donc je disais, Sasha, que vous ne ferez jamais un meilleur travail que la précédente stagiaire.
Merci de le préciser madame.
- Lily était passionnée, et passionnante ! Elle a fourni l’année dernière un boulot formidable ! Elle aimait les élèves, et les élèves l’adoraient ! Enfin bon, bonne chance quand même.
- Euh… Merci, madame.
Mme Bouya décide ensuite de partir s’enfermer dans la réserve au fond de la salle, me laissant seule sans consigne au milieu du CDI. « Mais qu’est-ce que c’est que cette patronne ? »Je soupire.
La pièce dans laquelle je me trouve n’a plus rien à voir avec mon CDI, celui de 2017. Celui-là est deux fois plus petit, et il y a beaucoup moins de livres. La plupart des rayons sont constitués d’ordinateurs placés côte à côte. Je repense au CDI dans lequel je voulais travailler, si grand, si accueillant, si lumineux… Lumineux ? Maintenant que j’y pense, les seules fenêtres dans la pièce sont minuscules ! Presque aucune lumière provenant de l’extérieur ne pénètre à l’intérieur… Désespérant.
Puisque je n’ai rien à faire, je décide de m’informer sur ces nouveaux bâtiments qui ont été construits récemment au lycée. J’allume donc un ordinateur et me connecte à la session de Mme Bouya, dont l’identifiant et le mot de passe trônent fièrement sur un post-it jaune fluo.
Internet c’est génial, on y trouve tout, ou presque. Et malheureusement pour moi, dans « presque » se trouvent les informations sur le lycée Matisse… Maintenant que je n’ai vraiment plus rien à faire, je vais observer la vue probablement sans intérêt que m’offrent les fenêtres de schtroumpfs.
De l’herbe ! Moi qui croyais que les nouvelles bâtisses avaient totalement avalées le petit bois où j’allais tout le temps avec mes amies, je me vois soulagée. Enfin, un petit peu soulagée… Le bois est toujours là. Mais en version miniature. Un pauvre chêne et un petit banc en bois se battent en duel dans 30 m² d’herbe très mal coupée… C’est toujours mieux que rien.
J’observe un petit moineau abrité sous les feuilles de l’arbre. « Ah, si seulement je pouvais te rejoindre, à l’air libre, plutôt que de rester coincée dans ce CDI… »
Je sens que l’année va être longue.
*****
La cloche sonne, enfin. Je range mes affaires et sort le plus rapidement possible de la classe, souhaitant à peine une bonne après-midi à Mme Venus. Heureusement que la rentrée des premières ne dure qu’une matinée… Je ne pourrai pas supporter le rire de Regard Vitreux une seconde de plus.
Je sors du lycée et m’en vais attendre Leila sur le parking d’à côté. La pluie ne semble pas décidée à s’arrêter, heureusement que mon parapluie-embrocheur-de-personnes-désagréables est là.
Je profite de l’attente pour regarder mon emploi du temps. J’ai deux heures de plus que l’année dernière, ça ne devrais pas me déranger pour mon « petit boulot ». C’est ce moment que choisit Leila pour débarquer.
La voiture redémarre à peine qu’on manque de percuter quelqu’un.
- Mais elle est pas bien ?! s’indigne Leila
Pour toute réponse, la bégayeuse, pressée maintenant encore, s’enfuit en courant en articulant un « désoléééééé » à vous rendre sourd.
J’espère qu’elle aura trouvé le CDI au final…
- Bref, alors ta journée Ewen ?
- J’ai eu mieux….
- Et tes horaires ?
- Ça ne changera rien pour notre travail.
- Tant mieux, c’est Karen qui sera contente !
J’ai rarement vu ma tante heureuse, mais elle n’aime pas les inconvénients, alors je suppose qu’elle sera satisfaite, en effet.
- Pendant que j’y pense, continue Leila, elle nous a envoyé une lettre.
- Une pour le boulot ?
- En effet. Ce sera le premier de tes 16 ans d’ailleurs !
- T’as sans doute raison. Ce sera compliqué ?
- Pas trop non.
- Tant mieux, je suis un peu fatigué ces derniers temps…
- Oh mon pauvre…
Elle rigole doucement, un grand sourire aux lèvres.
- Regarde la route au lieu de rigoler. Ma tante te torturerait si je mourais par ta faute.
- Oui sûrement, hihi.
Je songe au boulot qui m’attend à la maison. Les Astrea Messengers reprennent du service…
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro