Chapitre 6
Astia se leva, ravie de faire un peu d'exercice et de pouvoir visiter un marché. En voyage, elle adorait flâner dans les étals, découvrir de nouveaux légumes et de nouvelles senteurs mais baissant les yeux, elle réalisa, dépitée, qu'elle était vêtue d'une sorte de pyjama.
Sirria, amusée, se dirigea vers son coffre de lit et fouilla dedans. Astia ne put retenir un cri de joie en voyant ce que la guérisseuse lui tendit.
-Mon sac ! s'écria-t-elle en le serrant contre son cœur. Je pensais l'avoir perdu !
- Helvius te l'a récupéré si tu veux te changer mais...
Ne prêtant pas attention aux hésitations de la magicienne, la jeune fille se mit à fouiller dedans, impatiente de retrouver enfin quelque chose de familier. Tout semblait encore à l'intérieur. Rassurée, elle en sortit un jean et un haut court.
Osma jeta un coup d'œil à sa fille, qui cherchait visiblement ses mots. Astia, venait enfin de s'en apercevoir. Intriguée, elle avait suspendu son geste et fixait la guérisseuse.
- Ce que n'ose pas te dire ma fille Astia, c'est que pour ta sécurité, il vaudrait mieux que tu passes inaperçue et heu... Tes vêtements ne vont pas t'aider à t'intégrer. Ils sont très différents des nôtres.
Astia regarda les deux femmes, interloquée. Pour elle la différence n'était pas flagrante. Ce n'était qu'un pantalon... Seule la matière et la coupe changeaient et sans doute la longueur de tissu concernant le haut sourit-elle intérieurement.
- Je ne vais quand même pas me balader avec ce pyjama, non ?
Sirria éclata de rire bientôt suivie d'Osma qui lui tendit un pantalon et un chemisier doux comme la soie.
- Non, tu n'as qu'à enfiler ceci, en attendant.
Conciliante, Astia rangea son sac et ses affaires sous la couverture de son lit puis alla se préparer derrière un petit paravent. Elle doutait fortement que de simples habits suffiraient à calmer les habitants de cette étrange cité. Même si elle s'habillait comme eux, un seul regard suffirait pour comprendre qu'elle n'était pas des leurs.
Cela justifiait-il leur comportement ? Pourquoi avaient-ils si peur d'elle ? Comment arriver à retourner chez elle si personne n'était disposé à l'aider ?
Elle soupira. Paniquer n'était pas très constructif. Elle devait procéder par étapes. D'abord, mieux les connaître. Et pour cela, s'intégrer était primordial ainsi que montrer qu'elle respectait leur façon de vivre.
- Où allons-nous ? demanda-t-elle une fois prête.
- Chez notre tisserand, répondit Sirria en lui tendant une béquille sculptée dans un bois noueux. Cela devrait t'aider à te déplacer. Si jamais tu fatigues, préviens-moi. Ta blessure est loin d'être anodine. Ta convalescence durera plusieurs jours.
Elles s'engouffrèrent à travers la tenture et se retrouvèrent dans la salle commune. Astia fut soulagée de constater qu'elle était vide. L'endroit semblait inhabité. Pas un seul bavardage, ni un seul bruit, ne résonnait.
- Où sont les habitants ?
- Le soleil est déjà haut, ils sont au travail, principalement dans les champs.
Astia fronça les sourcils, perplexe.
- Je croyais qu'on était sous terre, non ? Comment pouvez-vous voir le soleil ?
Sirria se tourna vers elle, lumineuse.
- Excellente question ! En fait, les cristaux lumineux qui nous procurent la lumière dans l'ensemble de la forteresse, modifient leur intensité en fonction de celle du soleil.
Astia leva les yeux et fixa les cristaux parsemés sur les murs de la cavité. Le système était vraiment astucieux. Ce peuple était décidément unique...
Sirria l'entraîna doucement vers le couloir d'accès qu'elle avait emprunté durant la nuit. La marche équipée d'une béquille fut bien plus ardue que la jeune blessée ne l'avait pensé. Ses bras, insuffisamment musclés, commençaient déjà à fatiguer avant même qu'elles ne soient parvenues à l'étage inférieur.
Elle suait maintenant à grosses gouttes.
Sirria se tournant vers sa jeune protégée, stoppa net en voyant la pâleur de son teint.
- Ça ne va pas, Astia ? On dirait que tu vas défaillir.
La jeune fille s'appuya contre la paroi en expirant profondément. Une vague sensation de nausée la prit.
- Heu... Ne vous inquiétez pas. Je dois juste être fatiguée, cela m'arrive souvent chez moi aussi. Ce n'est rien.
Sirria, l'air préoccupé, ne parut pas convaincue.
- Comment ça ? Tu as souvent des malaises dans ton monde ?
Astia détourna le regard. Elle n'avait aucune envie de parler de son handicap. Raviver ces mauvais souvenirs était trop douloureux.
Elle soupira.
- Dans mon enfance, j'ai été gravement malade. Je...suis née très en avance... J'avais des difficultés à marcher bien avant ma blessure.
Sirria attendit de croiser le regard de la jeune fille.
- La vie peut être difficile parfois. Je comprends que cela soit compliqué pour toi d'en parler. Merci de me faire suffisamment confiance pour partager ton passé avec moi. Nous avons assez marché pour aujourd'hui affirma-t-elle en serrant Astia contre elle. Surtout, ne bouge pas.
Un halo bleu ciel les entoura puis elles disparurent sans un bruit.
* * *
Astia n'eut pas le temps de prononcer la moindre phrase. La seconde d'après, elle se retrouva, le souffle court, dans une caverne inconnue. Une foule était assise en cercle à quelques dizaines de mètres d'elle.
Un haut-le-cœur l'obligea à s'appuyer contre un énorme rocher.
- Respire profondément, l'éclipsage fait toujours cet effet la première fois. Au moins, tu as échappé à la demi-heure de marche pour arriver jusqu'ici sourit la gardienne.
- Comment vous faites ça ? C'est comme votre fils et votre mère, vous avez des...balbutia la jeune fille en se redressant avec précaution.
- Pouvoirs ! acheva la guérisseuse en l'enveloppant de ses bras pour la soutenir.
Astia la dévisagea en écarquillant les yeux puis posa son regard sur les personnes non loin d'elles. Son esprit refusait encore de croire que tout ceci était réel.
- L'ensemble de votre peuple ?
- Oui, à des degrés divers, et chacun dans un domaine qui lui est propre.
Astia, soudain, pleine d'espoir, regarda autour d'elle. Peut-être que l'apparition de son pouvoir était due à ce monde ? Qu'elle n'était en rien responsable. Une substance dans l'air peut-être ? Ou dans la nourriture ? Mais alors, comment expliquer ce qui lui était arrivé avant, sur Terre ?
- Votre don provient de votre naissance ? questionna-t-elle le plus innocemment possible.
Sirria plissa les yeux.
- Oui, entre autres répondit-elle brusquement évasive.
La jeune terrienne sentit sa réticence et préféra ne pas insister. Elle devait être plus subtile si elle voulait rassembler des informations sans éveiller les soupçons. Elle s'en voulait de ne pas être honnête face à cette famille si aimante mais quelle autre possibilité avait-elle ? Il lui fallait absolument comprendre ce qui lui était arrivé, si elle voulait avoir une chance de rentrer chez elle.
C'était la seule chose qui comptait.
Elle reporta son attention sur la foule non loin d'eux. Des dizaines d'hommes et de femmes assis tranquillement, discutaient pendant qu'une dizaine d'autres leur distribuaient des fruits et des légumes. En retrait vers le fond de la caverne, elle pouvait distinguer de nombreuses échoppes.
- Que font- ils ? demanda la jeune fille en désignant la foule assise.
Sirria ravie du changement de discussion, la prit par la main pour se rapprocher.
- Aujourd'hui nous partageons les récoltes entre chaque famille. Chaque habitant a droit à une part. Depuis le grand cataclysme, elles sont rares alors nous portons une attention particulière à ce qu'elles soient partagées équitablement.
Astia resta interdite.
- Un cataclysme ?
Sirria grimaça, embarrassée.
- Heu... Nous n'avons pas toujours vécu comme ça... Il y a bien longtemps, notre arbre sacré, symbole de notre peuple, fut détruit. Après ça, la nature s'est modifiée et ce fut dramatique pour nous.
La tristesse et la douleur de son hôte étaient palpables. Astia ne sut quoi dire. Les deux femmes restèrent là, en silence.
L'attention d'Astia se posa sur un jeune couple, dont la femme n'allait visiblement pas tarder à accoucher. Elle constata, étonnée, qu'ils avaient droit à trois parts de provisions.
-Et ce couple, pourquoi ont-ils trois parts alors ?
Sirria sourit en regardant les jeunes gens en train de ranger leurs provisions.
- Chez nous, les bébés à naître ont droit à leur part. Ils sont déjà considérés comme des personnes à part entière et ont donc droit aux mêmes prérogatives que leurs aînés.
Astia resta songeuse un instant en regardant la foule paisible discuter et attendre tranquillement. L'espace d'un instant, elle imagina pareille scène sur Terre.
Impossible.
Les scènes d'émeutes et de pillage diffusées à la télévision lors du dernier passage d'ouragan lui revinrent en mémoire. Des centaines de casseurs, volant tout sur leur passage.
Sirria lui fit signe de la suivre. Elles se faufilèrent à côté de la foule, prenant garde de ne pas trop attirer l'attention. Mais Astia sentit rapidement peser sur elle, des regards réprobateurs. Beaucoup s'arrêtèrent de parler en la voyant, d'autres s'écartèrent prestement. Décidée à ne pas y prêter attention, elle s'obstina à leur sourire malgré tout.
Astia et Sirria arrivèrent aux échoppes. Fabriquées de bois, de tissus et de lianes, elles paraissaient assez rudimentaires : des simples tables abritées sous des sortes d'auvents, mais elles regorgeaient d'une multitude d'objets, d'habits, de graines qu'Astia n'avait jamais vus. Prenant garde ne pas attirer l'attention, elles se faufilèrent dans l'allée centrale. Heureusement, la majeure partie de la population devait travailler à cette heure-là, le marché était pratiquement vide.
La jeune fille, fascinée, par tant de nouveautés, ne savait plus où regarder. Veillant à ne pas s'éloigner de la mage, elle s'approcha d'un stand de fruits longs et fins ressemblant à d'étranges bananes violettes : l'odeur âcre qui s'en dégageait était loin d'être agréable et l'incita fortement à ne pas s'attarder. Ecœurée, elle se concentra sur le stand suivant, où reposaient une multitude de boites, remplies d'herbes, des feuilles et de fleurs séchées. Deux femmes préparaient des mélanges.
- Ce sont des Nel'ris, chuchota Sirria en s'approchant de sa protégée. Elles récoltent et préparent les plantes médicinales.
Sirria continua quelques mètres puis bifurque à droite, dans une allée plus étroite. Elle s'approcha d'un étalage d'habits où un vieil homme était occupé à ranger des pantalons. Fin, musclé, et vêtu d'une cape verte, seuls ses cheveux blancs en bataille et son visage profondément ridé trahissaient son grand âge.
Siria le regarda respectueusement, mettant sa main sur son cœur.
- Yourni !
Le marchand, souriant, se redressa et effectua le même geste en reconnaissant son amie. Puis son regard interrogateur se posa sur Astia. Il la dévisagea attentivement.
- Je présume que c'est la jeune fille ?
- Oui, Astia, je te présente Yourni, le meilleur tisserand de notre monde et un ami cher.
Malgré son âge avancé, il rougit devant le compliment, en réajustant sa chemise. La jeune fille, un peu fébrile, le fixa respectueusement tout en posant sa main sur son cœur.
- Enchantée de vous rencontrer, Monsieur Yourni.
Sirria et son ami échangèrent un regard de surprise et de fierté.
- Elle apprend vite la petite ! déclara-t-il enjoué. Elle me plaît bien. Mais tu peux simplement m'appeler Yourni, jeune pousse !
Astia, rayonnante, sentit soudainement un poids s'envoler de sa poitrine. Enfin quelqu'un qui commençait à l'apprécier. Yourni se tourna vers Sirria puis vers Astia, qu'il détailla de la tête aux pieds.
- Elle a besoin d'habits je parie ! déclara-t-il en contournant son étal et en regardant la morphologie de la jeune fille. Tu es assez mince, je devrais trouver facilement.
Il fouilla dans les habits aux dégradés de vert, de bleu et de jaune, étalés sur la table, pour saisir plusieurs pantalons légers ainsi que des chemisiers, une robe longue et une cape similaire à celle qu'il portait. Il lui tendit l'ensemble.
Astia incapable de recoudre correctement un bouton, se demanda comment il avait pu confectionner seul de si beaux habits.
- C'est vous qui les fabriquez ? Sans machine ?
Une lueur de fierté apparut dans l'œil du vieil Imien.
- Du tissu à la confection du vêtement ! Oui, bien sûr ! Mais qu'est-ce qu'une machine ?
Astia réfléchit un instant, prise de court.
- Un objet qui fabrique les choses à notre place. Cela permet d'aller plus vite.
L'Imien ne sembla pas saisir le concept et la regarda perplexe.
- Jamais entendu parler !
Sirria, aussi perplexe que le vieil homme, ne dit rien. Elle ramassa un large sac de toile posé près de l'étal et y fourra les habits. Se pouvait-il que ce peuple ne possède aucune technologie, aucune machine ? Mais alors comment faisaient-ils dans la vie quotidienne ? La moindre récolte, la moindre construction devaient leur prendre un temps et une énergie folle !
* * *
L'éclipsage du retour se passa mieux qu'à l'aller. Astia ne ressentit qu'un léger tournis, qui se dissipa rapidement. Fatiguée par cette matinée bien remplie, elle fut soulagée de pouvoir se reposer et s'écroula sur sa paillasse avec délice.
- Je vois que la matinée t'a épuisé sourit Sirria en posant les nouveaux habits sur le lit. Je vais te laisser te détendre. Un moment de tranquillité te fera sûrement du bien. N'aie crainte, Osma ne devrait pas tarder.
La jeune fille acquiesça. Sirria allait sortir lorsqu'Astia se redressa et se tourna vers elle.
- Merci sincèrement, pour ce que vous faites pour moi.
Sirria la regarda tendrement.
- Ce n'est rien, repose-toi maintenant.
La tenture bougea puis se remit en place. Astia était seule. Allongée sur le lit, elle chercha à l'aveugle son sac en passant la main sous sa couverture.
Rien. Il était introuvable.
Elle sentit son cœur s'accélérer. Elle se leva d'un bond en soulevant la couverture.
Aucune trace du précieux objet. La panique lui serra la gorge. Ce sac était la seule chose lui restant de sa famille et de son monde. Elle ne pouvait le perdre. C'était impossible. Elle fouilla chaque centimètre carré de la pièce, souleva même sa paillasse et le découvrit enfin près du coffre de son lit. Comment avait-il bien pu atterrir là ? Elle était certaine de l'avoir rangé sous sa couverture. Déversant le contenu sur son lit, elle constata avec soulagement que rien ne manquait. Pas même son vieux carnet de croquis qu'elle feuilleta machinalement.
Une photo tomba au sol. Astia se figea.
Sa famille riait aux éclats lors de leur dernier voyage.
Son cœur se serra. Des larmes coulèrent sur ses joues. Recroquevillée sur elle-même, elle serra son sac à s'en faire blanchir les phalanges, sanglotant sans pouvoir s'arrêter.
Les reverrait-t-elle un jour ?
L'espoir semblait bien mince.
Vous en avez appris un peu plus sur Astia et sur les habitants de ce monde! Quelles sont vos réactions?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro