Chapitre 46
Astia caressa, songeuse, la douce fourrure du Gorrac, et soupira :
— Je crois qu'il est inutile de tenter de passer discrètement avec notre imposant ami. Si nous agissons vite, en passant en force, nous aurons peut-être une chance, non ?
— Nous n'avons pas le choix, confirma Tarus. Heureusement, il y a peu de distance et l'effet de surprise peut jouer en notre faveur, pour peu qu'ils n'aient pas encore été prévenus. Mais il va falloir aller vite.
Astia se tourna vers l'animal et fronça les sourcils. Son colossal ami se livrait à un étrange manège : il la fixait puis secouait la tête comme pour désigner son dos. Il recommença plusieurs fois.
— Heu, vous allez me prendre pour une folle mais je crois qu'il a compris ce que nous venons de dire et qu'il nous invite à monter sur lui déclara Astia au bout de la troisième fois.
Le groupe interloqué se retourna vers l'immense animal et le fixa. Celui-ci émit une sorte de ronronnement que les fugitifs prirent pour un appel, et ils n'hésitèrent plus. Les uns après les autres, ils grimpèrent sur le large dos de l'animal en se tenant à sa fourrure. Tarus, avec sa connaissance approfondie du territoire, se plaça en tête pour orienter leur nouveau moyen de locomotion dans la vaste cité, sans perdre de temps.
Pour plus de sûreté, il décida de contourner la ville par l'extérieur des remparts en utilisant le passage qu'il avait créé. Après l'avoir franchi, la troupe se dirigea à vive allure à travers les champs, heureusement déserts. À cause des préparatifs pour la venue de la reine, les habitants étaient tous rentrés dans la cité. Ils empruntèrent un chemin de terre, défoncé par les derniers glissements de terrain. De larges crevasses s'étaient formées le rendant pratiquement impraticable pour les hommes et obligeant le Gorrac à réduire son allure pour éviter de faire tomber ses amis, ballottés en tous sens. Astia, sensible sur Terre au mal des transports, commençait sérieusement à avoir la nausée.
Contrairement à ce qu'ils avaient craint, arriver, derrière les forges et les hangars, où étaient entreposées les armes, fut un jeu d'enfant.
Tarus fit ralentir le Gorrac d'une petite tape sur l'encolure, quelques mètres avant, près d'immenses fourrés. L'équipage mit pied à terre, au grand soulagement d'Astia. Instinctivement, l'animal comprit qu'il devait patienter et alla se cacher de lui-même dans les fourrés, en attendant leur retour.
Avançant prudemment en file indienne, les trois compères et le petit lémien, se faufilèrent dans les hautes herbes derrière une série de grands bâtiments sûrement utilisés pour le stockage de la production. Dissimulés en partie par la végétation, ils progressèrent, rapidement et sans encombre, vers deux hangars.
Une formidable explosion retentit.
Le souffle de la détonation propulsa violement l'ancien garde ainsi que ses compagnons en l'air, ils s'écrasèrent quelques mètres plus loin. Un énorme nuage de poussière recouvrit l'ensemble du site.
Les oreilles bourdonnantes et le cœur battant la chamade, Astia se releva péniblement, en toussant. Mettant sa main en visière devant ses yeux, elle chercha nerveusement Helvius du regard.
Mais la visibilité était tellement mauvaise, qu'elle ne discernait que de vagues formes.
— Helvius, ne put s'empêcher de chuchoter la jeune fille en plissant les yeux, ça va ?
Son appel resta sans réponse.
Elle se mit à fouiller anxieusement les débris, à côté d'elle.
Rien.
Une ombre colossale approcha sans un bruit derrière la terrienne, qui ne vit rien, trop affairée qu'elle était à retrouver ses compagnons.
Un bruit attira son attention dans son dos.
— Toi ? Que fais-tu là ? demanda-t-elle rassurée en caressant le Gorrac. Tu t'es inquiété pour moi, mon ami ? Il nous faut retrouver les autres, tant pis pour la prudence, vite ! déclara-t-elle en montant sur son dos.
L'animal, le museau en l'air, sembla repérer une piste et fonça vers un tas de débris. Le petit lémien essayait de dégager une forme qui dépassait des décombres.
— Helvius ! hurla Astia en sautant à terre, angoissée.
Une sensation de bonheur envahit l'esprit de la jeune fille car un message était martelé en boucle par Maico.
—Vivant ! Vivant ! Vivant !
Elle tituba.
—Moins fort, Maico ! J'ai compris !
Le petit animal lui lécha le bras, semblant s'excuser et l'aida à soulever la grande plaque qui recouvrait leur ami.
Helvius se trouvait bien là, inconscient. La langue râpeuse du Gorrac le fit frémir. Il ouvrit les yeux au moment où Astia se jeta dans ses bras.
—Ne recommence plus jamais ! s'écria-t-elle, les larmes aux yeux.
Il lui sourit doucement en l'embrassant.
Ils trouvèrent Tarus quelques mètres plus loin. Recouvert de morceaux de bois et de poussière, il se releva à grand-peine.
— Un sacré vol plané ! s'exclama Helvius.
— Mais qu'est-ce qui s'est passé ? hurla Tarus.
Astia mit immédiatement un doigt sur sa bouche, lui faisant comprendre qu'il parlait beaucoup trop fort. Tarus, embarrassé, chuchota prestement :
— Désolé... Je n'entends plus rien à cause de la déflagration.
— Je pense que c'est Irfric dit Astia. Vite, grimpez. Nous devons aller voir ce qui s'est passé. Les gardes vont inspecter l'ensemble des bâtiments et des décombres d'une minute à l'autre, nous ne pouvons pas rester là.
Le Gorrac pressé, s'élança rapidement, avant que les jeunes cavaliers soient correctement installés et ils durent saisir au vol les poils de l'animal pour ne pas chuter trois mètres plus bas, au risque de se fracasser les os.
Une partie des deux hangars, juste à côté d'eux, avait été relativement épargnée. L'animal se faufila entre les bâtiments, faisant attention de ne pas se blesser avec les pans de murs reposants au sol. Passés ces entrepôts, ils se retrouvèrent dans ce qui avait dû être la route reliant les forges aux hangars de stockage des armes.
De part et d'autre de cette chaussée, d'une dizaine de mètres, de nombreux hangars se dressaient.
Ceux situés à proximité immédiate des forges avaient été anéantis par l'explosion, mais malheureusement, les hangars périphériques demeuraient debout et ne semblaient pas avoir été affectés.
Le chaos régnait, de nombreux corps gisaient au plus proche de la source de l'explosion. Certains blessés couraient en hurlant comme des fous pendant que d'autres, hébétés, restaient assis sans bouger en écoutant les autres s'époumoner, trop choqués pour arriver à faire le moindre geste.
Astia, écœurée, avait envie de vomir et ne put retenir des larmes.
Les yeux rivés au sol, elle finit par discerner ce qu'elle cherchait depuis plusieurs minutes :
— Là ! fit-elle en sautant à terre. Irfric hurla-t-elle en dépit du danger.
Elle se précipita sur une forme inanimée, recouverte de poussière et la retourna pour déceler d'éventuelles blessures. Irfric, évanoui, présentait de multiples coupures et hématomes sur l'ensemble du corps.
Se penchant instinctivement vers son visage, Astia ne put retenir un cri.
— Il respire !
— Vite ! Tarus, aide-moi, demanda Helvius alors qu'une flèche frôlait son épaule.
Des soldats, menaçants, alertés par la détonation, arrivaient en courant, armés d'arcs et d'épées. Astia leva les mains en se concentrant et fit voler dans le ciel les deux premiers puis sauta sur le dos du Gorrac au moment où une seconde rafale de flèches les frôlait dangereusement.
Helvius et Tarus saisirent le blessé par le dessous des bras et le hissèrent, non sans difficulté, sur le dos de leur compagnon à fourrure, avant de grimper à leur tour rapidement. Le Gorrac émit un hurlement rauque au moment où deux flèches se plantèrent dans ses flancs mais le courageux animal ne ralentit pas sa course pour autant. Il continua à s'élancer aussi vite qu'il pouvait à travers les entrepôts puis emprunta le chemin menant à la route principale et à la zone fantôme.
Arrivé à la bifurcation, il pila : une garnison entière bloquait la route menant à la zone fantôme.
Impossible de franchir un tel rempart.
Le Gorrac, ne sachant où aller, se retourna vers ses compagnons comme pour s'enquérir de la marche à suivre.
— Et maintenant ? s'écria Astia. On fait quoi ?
— Impossible d'espérer passer par là, admit Helvius, rebrousser chemin ? interrogea-t-il.
Mais en regardant en arrière, il eut sa réponse. Un groupe de soldats arrivait en courant des forges.
— Quoi que nous fassions, c'est maintenant ! Ils vont nous rattraper dans peu de temps hurla Astia qui cramponnait Irfric, toujours inconscient.
— Bon, je ne vois qu'une issue intervint Tarus dépité. Va ! ordonna-t-il au Gorrac en lui montrant la route menant à la forteresse.
L'animal s'élança vaillamment. Il remonta la route dans la direction de la forteresse puis bifurqua de nouveau à gauche près des champs, aussitôt poursuivi par les soldats. Une route large contournait la forteresse sur toute la longueur de la ville pour continuer ensuite au nord et s'enfoncer au cœur du pays de leur ennemi. Sur leur droite, au loin, de majestueuses montagnes aux sommets enneigés, perdus dans les brumes, se dressaient fièrement bloquant toute possibilité de fuite.
Leurs poursuivants à pied furent aisément semés. Seuls quelques-uns, possédant des montures ressemblant à des sortes de vaches, arrivaient encore à les suivre.
Mais au détour d'un virage, le Gorrac s'arrêta brusquement, manquant faire tomber tout son équipage.
À cinquante mètres d'eux, un bataillon de soldats montés sur d'étranges bêtes, ressemblant à des lions, les attendait patiemment, leur barrant la route. Un cavalier, en avant, portait une sorte de heaume dissimilant entièrement son visage mais Astia reconnut sans peine la personne à terre qui l'accompagnait : Lirria. Voulant faire marche arrière, Astia et ses amis virent que les soldats des forges les avaient déjà rattrapés.
Aucun moyen de fuir, songea la jeune fille, fixant son ancienne codétenue avec haine.
— Lirria ! hurla-t-elle, ulcérée, tu nous as piégés, traîtresse ! Je te faisais confiance !
La jeune femme, se tassa un peu plus, et n'osa pas la regarder.
— Je... je suis désolée. Je n'ai jamais voulu ce qui est arrivé. Regarde-moi, crois-tu que j'aurais tenu encore longtemps à ce rythme ? J'étais obligée de passer un accord.
— Tu nous as tous condamnés pour te sauver ! Comment pourras-tu vivre avec ça, maintenant ?
Des larmes coulèrent le long des joues de Lirria.
Astia blêmit, pétrifiée.
Concentrée sur Lirria, elle n'avait pas prêté attention au cavalier en première ligne : une femme portant un heaume surmontait d'une couronne.
— La reine laissa échapper la jeune fille, stupéfaite.
Ils étaient encerclés. Regardant alternativement en avant et en arrière, ses compagnons, impuissants, ne savaient plus quoi faire...
La reine qui regardait dans leur direction, retira son heaume, dévoilant son visage pâle et répandant sa longue chevelure brune en cascade sur ses fines épaules.
Astia ne put retenir un hurlement.
— Bonjour petite chérie, alors comment vas-tu ? lui demanda la reine, un sourire cruel aux lèvres.
Astia, blème, regardait sans comprendre, luttant contre une furieuse envie de vomir, des larmes coulant de ses yeux.
— Non ! Pas toi !
— Astia, qu'y a-t-il ? questionna Helvius précipitamment en se tournant vers elle.
— La... la reine bégaya Astia, blanche comme un linge.
— Oui, et bien quoi la reine ? Qu'est-que tu as ?
— Je....je la connais. C'est... C'est ma marraine !
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