Chapitre 41
L'imposante bâtisse rectangulaire se dressait devant Astia et Irfric. Elle comprenait trois étages, comportant à intervalles réguliers, d'étroites ouvertures munies de barreaux. C'était le seul bâtiment de ce quartier en pierre et solidement gardé par de nombreux soldats armés.
Le convoi s'engouffra à l'intérieur rapidement.
Entrée dans les derniers, Astia ne comprit pas tout de suite pourquoi ses compagnons hurlaient soudainement et se débattaient de toutes leurs forces. Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre : les soldats saisissaient les femmes, les séparant de force de leurs amis et époux, pour les emmener dans une autre pièce. Les Imiens, terrorisés d'être séparés de ceux qu'ils aimaient, hurlaient et tentaient de résister, mais sans arme et entravés, ils ne faisaient pas le poids face à ces barbares lourdement armés.
Une peur irrépressible envahit Astia, au moment où un soldat vint la chercher à son tour : elle allait être séparée d'Irfric. Son regard paniqué se posa sur son ami, il lui sourit, lui intimant l'ordre de ne rien tenter, puis elle fut poussée sans ménagement dans l'autre salle.
Là, les femmes furent alignées au fond de la salle sous les rires cruels et pervers de leurs geôliers.
— Allez bande de sorcières, enfilez ça tout de suite ! hurla un des soldats au regard mauvais, en leur balançant un uniforme gris à la tête.
Astia regarda craintivement les femmes autour d'elle. Toutes étaient dans le même état de sidération qu'elle, espérant avoir mal entendu. Ce n'était pas possible, elles ne pouvaient pas se déshabiller devant ces inconnus immondes. N'osant bouger, elles restèrent figées là, leurs uniformes dans les bras.
Perdant patience, l'homme saisit par les cheveux une jeune femme non loin d'Astia.
— Je vais vous apprendre à m'obéir hurla-t-il de rage en lui assenant une terrible gifle.
La jeune femme s'écroula au sol, sonnée par la violence du coup.
Les autres soldats éclatèrent de rire en voyant le visage tuméfié de la prisonnière.
Astia se mordit la lèvre de rage pour s'empêcher de réagir. Elle mourait d'envie d'infliger une correction mémorable à ce garde immonde mais elle savait qu'il était primordial qu'elle garde son identité, et surtout l'étendue de ses pouvoirs, secrets. Elle se résigna à ne rien tenter et aida doucement la malheureuse à se relever. Elle essuya le sang qui coulait de sa lèvre éclatée. Les autres femmes, terrorisées, obtempérèrent sous les regards avides des soldats, qui en profitaient pour les reluquer et faire des commentaires sordides.
— Hum, dis-moi, elle est bien mignonne celle-là, qu'en penses-tu Alwin ? lança l'un d'eux, en s'approchant d'une jeune fille, tout juste pubère, tétanisée par la peur.
— Oui, elle n'est pas mal pour une des leurs.
La saisissant par les cheveux en lui arrachant un cri de douleur, il se pencha et se mit à sentir l'odeur de sa peau. Les yeux exorbités, gémissant de peur, la jeune prisonnière chercha désespérément du regard une aide. Astia n'y tenant plus, leva ses bras vers le geôlier et la jeune fille, prête à agir. Les mains du soldat commencèrent à descendre dangereusement le long du corps de la fillette, quand un coup de poing dans l'épaule, le stoppa net.
Un homme furieux, âgé d'une cinquantaine d'années, venant juste d'entrer dans la salle, se tenait derrière lui.
— Pas de ça ici, c'est compris ? hurla-t-il en le regardant sévèrement. Lâchez-la, immédiatement !
— Heu oui commandant, excusez-moi bredouilla le soldat, honteux de s'être fait réprimander de la sorte devant ses hommes. Tu ne perds rien pour attendre chuchota-t-il à l'oreille de la jeune fille, il ne sera pas toujours là.
— Allez les mettre dans leurs cellules ! hurla le commandant à l'ensemble de ses hommes, et gare à celui que je surprendrais à avoir le même comportement.
Faisant l'inventaire des prisonnières, un registre à la main, un soldat remarqua les oreilles rondes et les cheveux d'Astia. Contrarié, il s'approcha pour l'observer de plus près. Astia sentant le danger, tenta de cacher son visage mais il était trop tard :
— Commandant, pardonnez-moi déclara le soldat, très mal à l'aise. Nous n'avons pas eu le temps de vous prévenir, mais parmi les prisonniers capturés à la forteresse de roche, nous avons attrapé une jeune femme ayant de puissants pouvoirs. Comme la reine l'a exigé, nous l'avons ramenée saine et sauve.
Le soldat, fébrile, marqua une pause, semblant hésiter. Son supérieur, visiblement pressé, le fixa méchamment.
— Quoi ?
— Elle... elle ne semble pas être une sorcière... On dirait l'une des nôtres lâcha-t-il d'une voix tremblante.
—C'est impossible !
Faisant quelques pas dans la direction d'Astia, le commandant l'examina attentivement.
Troublé, il se pencha vers elle.
— Qui es-tu ?
Se sachant en mauvaise posture, Astia ne sut quelle réponse le satisferait suffisamment et lui assurerait une relative sécurité, sans pour autant dévoiler sa véritable identité.
— Es-tu sourde ? Je t'ai posé une question, femme !
Prise au piège, Astia regarda autour d'elle, dans l'espoir de trouver une échappatoire, mais elle dut rapidement se rendre à l'évidence.
Elle était seule.
Les autres prisonnières pétrifiées de peur, ne lui seraient d'aucune aide. La tête baissée, la plupart regardait fixement le sol, espérant passer inaperçues.
La seule issue, l'entrée, par laquelle elle avait pénétré dans ce lieu maudit, était gardée par trois gardes, sans compter ceux qui se trouvaient dans la pièce. Il était impossible de s'enfuir de cet endroit. D'autant plus qu'elle était attachée. Elle serait tuée avant d'avoir fait trois pas.
À bout de patience, le capitaine lui saisit le bras. D'une poigne de fer, il serra le poignet de la jeune femme, qui tomba à genoux en gémissant :
— Arrêtez ! hurla soudain une voix tremblante derrière eux, c'est ma sœur ! Je vous en prie, ne lui faites pas de mal !
Surpris, le militaire arrêta sans toutefois relâcher sa prisonnière. Il fit pivoter Astia toujours à genoux, pour pouvoir observer la femme qui avait osé l'interrompre.
La jeune terrienne jeta un rapide coup d'œil, la prisonnière dont le visage lui semblait familier, lui adressa un léger sourire. Blessée, elle semblait épuisée et très mal en point. Elle tenait à peine debout. Fulminant, le commandant la détailla des pieds à la tête. Sa voix, dure et tranchante, fit frissonner Astia.
— Qui t'a permis de parler, toi ? Me prendrais-tu pour un idiot ? Je vois bien qu'il est impossible qu'elle soit ta sœur ! Tu es une de ces abominations aux oreilles pointues et aux cheveux branches, elle n'a rien de tout cela ! Tu vas regretter ton affront, déclara-t-il, en faisant un geste de la tête à l'un des gardes près de lui. Je ne tolère pas le mensonge !
— Si, c'est ma... commença à répéter la courageuse jeune femme.
Mais avant même qu'Astia ou la jeune femme n'aient pu faire le moindre mouvement, le garde dégaina son épée et transperça la malheureuse prisonnière. Les yeux de la pauvre femme s'ouvrirent en grand sous le choc. Elle glissa à genoux sans un cri en fixant Astia et s'écroula, morte. Son sang tiède se répandit au sol, formant une immense flaque. Les prisonnières, paniquées, étouffèrent leurs cris et leurs sanglots, de peur de subir le même sort.
— Monstre ! Vous êtes ignobles hurla Astia, folle de rage.
Incapable de se contrôler devant cet acte horrible, elle leva instinctivement ses mains d'un mouvement rapide. Le soldat meurtrier s'envola instantanément et se fracassa contre le mur dans un bruit sec.
Il ne tuerait plus jamais d'innocents.
Une lueur de peur et de haine passa dans les yeux du commandant.
Sortant son arme, il en asséna un coup violent sur le crâne d'Astia, qui s'écroula inerte.
— Je crois que la pêche a été bonne cette fois-ci ! Aymar ! Pars de suite pour le château de la reine, la prévenir que nous avons trouvé celle qu'elle recherche ! Les autres, enfermez-les toutes, sous bonne garde, et enchaînez solidement celle-là. Il ne faut pas qu'elle s'échappe ! J'enverrai mon lieutenant l'interroger d'ici peu ! ajouta-t-il un léger sourire aux coins des lèvres.
* * *
Reprenant peu à peu ses esprits, Astia se rendit compte que deux gardes la traînaient sans ménagement à travers un couloir à la peinture grise, sale et délavée.
Ils passèrent devant un nombre important de cellules crasseuses aux épais barreaux de fer. Son corps se raidit lorsque malgré la pénombre, la jeune fille discerna, de frêles et misérables silhouettes allongées à même le sol de terre battue.
—Avance, sorcière démoniaque, si tu ne veux pas finir comme ton amie ! lui hurla le garde de gauche en la poussant vers une cellule ouverte. Je ne te le répéterai pas !
Il plaqua la lame de son épée sur le cou de la prisonnière, pendant que l'autre garde la tirait par le bras. Astia, terrorisée, n'osa plus s'opposer. Les gardes la jetèrent sans ménagement dans le cachot et refermèrent précipitamment la porte.
La jeune prisonnière, tétanisée par la peur, n'osa pas bouger et resta allongée sur le sol malgré le bruit des pas de ses geôliers qui s'éloignaient. Les larmes qu'elle avait retenues difficilement depuis qu'elle avait été séparée d'Irfric se mirent à couler abondamment de ses joues sales et rougies par le froid.
— Astia... Astia, c'est toi ? chuchota timidement une voix familière depuis la cellule attenante.
Le cœur d'Astia s'emballa. Elle s'approcha des barreaux, essayant de distinguer l'intérieur de l'autre cachot.
— Irfric, c'est toi ? Tu... tu es vraiment là ?
— C'est moi ! Tu... tu vas bien ? Ils ne t'ont rien fait, au moins ?
—Je pensais que je ne te reverrais jamais ! ajouta la jeune femme en s'essuyant les yeux du revers de sa manche. Ils sont fous, fous, je te dis. Ils ont massacré une jeune femme, juste parce qu'elle a voulu m'aider. Je ne savais même pas comment elle s'appelait, sanglota-t-elle en se laissant tomber à genoux.
Malgré ses efforts pour la contenir, la voix tremblante d'Irfric trahit son émotion.
— Les monstres ! Et toi, tu... tu n'as rien au moins ?
— Non, ne t'inquiète pas, mais ils savent que je ne suis pas de votre monde. Ils vont prévenir leur reine, ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle n'arrive.
Astia entendit Irfric donner un coup de pied dans les barreaux.
— Il va falloir fuir avant murmura-t-il. J'ai une autre mauvaise nouvelle : ils m'ont affecté au travail de la forge. Tu vas être seule la journée et cela va grandement nous compliquer la tâche pour mettre un plan d'évasion sur pied.
Un bruit léger se fit entendre dans les escaliers. Aussitôt, des bruits de pas précipités montèrent de l'ensemble des cellules de l'étage. Les prisonniers terrifiés, se réfugiaient au fond de leur cellule.
— Chut ! Si vous tenez à la vie, taisez-vous ! murmura une jeune femme d'un ton sec depuis une cellule proche, ils arrivent.
Prudente, Astia imita les autres et recula rapidement au fond de sa geôle. Le bruit des pas se rapprochait dangereusement.
Un silence pesant s'installa.
Deux gardes arrivèrent à hauteur de la cellule d'Astia. Ils traînaient une jeune fille aux cheveux verts hirsutes enchaînée. Sa pâleur, la maigreur de son corps mal dissimulé par les guenilles sales et déchirées qu'elle portait, choquèrent Astia qui n'osa esquiver le moindre geste. Les gardes ouvrirent la porte et jetèrent la jeune femme violemment, sans un mot puis repartirent aussi vite qu'ils étaient apparus.
— Ça va ? demanda Astia pour rompre le silence en avançant prudemment vers l'inconnue.
La jeune fille se redressa péniblement en s'aidant du mur.
— Oui, ça va. J'ai l'habitude de ces brutes soupira-t-elle en jetant un regard craintif à son interlocutrice. Qui... qui es-tu ? interrogea-t-elle anxieuse en remarquant les oreilles arrondies d'Astia.
Apeurée, elle se mit à reculer en fixant Astia qui leva les mains le plus doucement possible, en souriant.
— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas une des leurs. Tu peux me faire confiance. Si c'était le cas, je ne serais pas enfermée ici !
Fouillant dans ses poches, elle en sortit un reste de galette et lui tendit.
— Tu as faim, peut-être ?
La jeune prisonnière acquiesça d'un geste de la tête en saisissant le maigre repas qu'Astia lui tendait, puis le dévora en quelques secondes.
Elle regarda avidement sa nouvelle amie :
— Désolée, je n'avais que cela répondit Astia.
— Merci, je suis désolée de mon attitude mais je n'ai pas mangé depuis deux jours. Je me prénomme Lirria et toi ?
— Astia, ravie de te rencontrer, enfin... tu me comprends. Et voici Irfric, ajouta-t-elle en montrant la cellule d'à côté.
— Enchanté, dit une voix grave de l'autre côté du mur.
— Bonjour, répondit Lirria.
Rassurée, Lirria se rapprocha.
— La vie ici est... très dure. Ils nous épuisent dans divers travaux, aux champs, aux forges ou à la réparation des routes ou des maisons et la nourriture est insuffisante, la plupart du temps, déplora la jeune prisonnière.
— Tu n'as jamais essayé de fuir ? s'enquit la terrienne.
— Fuir ? répéta Lirria comme si ce mot n'avait plus de sens pour elle. Mais pour aller où ? Ils auraient tôt fait de me rattraper. Il est vain d'espérer de l'aide ici ou de rejoindre la zone fantôme sans se faire prendre. Et après, que faire ? La traverser seule ? Du suicide ! affirma-t-elle, résignée.
Astia sentit ses espoirs s'envoler au fur et à mesure qu'elle parlait avec la jeune prisonnière. Elle était sans doute folle de croire qu'Irfric et elle, avaient une chance de s'échapper d'une telle forteresse. Et que faire des autres prisonniers ? Les laisser mourir ici ? Un petit groupe arriverait peut-être à passer inaperçu mais plusieurs dizaines de fuyards, il ne fallait pas y compter. Elle soupira.
De nouveaux bruits de pas résonnèrent dans les escaliers.
— On vient ! souffla Irfric.
Retenant leur souffle Astia et Lirria se blottirent au fond de leur cachot mais leur mince espoir de passer inaperçues disparut quand les bruits de pas se rapprochèrent. Deux gardes entrèrent dans leur cellule.
— L'étrangère avance ! hurla le garde en entrant dans le cachot. Et n'essaie pas de refaire de la magie, tes amis en paieraient le prix ! menaça-t-il sèchement en la saisissant par le bras et en lui tordant.
La jeune fille n'osa pas se débattre, malgré la douleur que lui infligeait le garde.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Nous, rien ! répondit le premier garde d'un air narquois en souriant. Mais notre lieutenant, lui, a quelques questions à te poser. Tu vas adorer !
Astia tressaillit en voyant la lueur mauvaise au fond de leurs yeux. Irfric, hors de lui, saisit les barreaux de sa cellule en hurlant.
— Lâche ! Laissez-la !
— Tu as quelque chose à dire ? questionna le deuxième garde, en le menaçant d'une lance.
Astia regarda l'homme, plein de hargne, se rapprocher dangereusement de son ami enfermé. Son sang se glaça quand elle vit l'autre militaire dégainer son épée et chercher la clef dans sa poche.
— Irfric, tout va bien. Ne tente rien, je serais bientôt là affirma-t-elle en espérant que sa voix ne trahisse pas son angoisse.
Puis elle se retourna vers ses geôliers et disparut dans l'escalier inférieur.
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