Chapitre 40
Helvius se réveilla d'un bond, pris de panique à l'idée d'être de nouveau prisonnier. Il soupira de soulagement en regardant ses poignets : aucune attache ne les entravait. L'endroit où il se trouvait n'avait rien à voir avec une infâme geôle. Malgré l'absence de fenêtre, la chambre au mur blanc était lumineuse et accueillante grâce à quatre étranges colonnes d'eau luminescente, disposées aux coins de la pièce. Intrigué, il plissa les yeux.
— Ça alors ! s'écria-t-il en approchant de l'une d'elles.
Ce n'était pas l'eau qui était luminescente, mais la multitude de minuscules méduses qui évoluait dedans. Ils se servaient de la bioluminescence naturelle de ses animaux pour s'éclairer. C'était très ingénieux, pas de doute ! Mais cela posait une question essentielle, comment récupéraient-ils ces animaux vivant dans les profondeurs de l'océan ? Pour y accéder, il faudrait franchir le pays des Otras et les montagnes d'Ilitir, c'était impossible !
Troublé, il se leva et grimaça de douleur en soulevant sa chemise. Visiblement, quelqu'un avait pris soin de lui et avait pansé ses plaies. La majeure partie de son torse nu était recouverte d'un cataplasme étrange de feuilles longues et rouges qui lui étaient inconnues. Se penchant pour les examiner plus minutieusement, il eut un mouvement de recul : une forte odeur d'iode s'en dégageait. Il saisit rapidement ses habits sur la chaise, près d'un meuble où reposaient de superbes coquillages et s'habilla avec hâte.
Mais où était-il vraiment ? Pourquoi prendre soin de panser ses blessures après l'avoir assommé alors qu'il venait de les aider ? Qui étaient-elles ? Des métias ? C'était peu probable. Les autres femmes portaient de riches armures, pas des guenilles de fugitifs ! Elles étaient entraînées, solidement armées et équipées. Rien à voir avec un simple groupe de fugitifs... et puis l'emblème qu'elles arboraient... Il était sûr de ne jamais l'avoir vu...Si seulement Irfric était là ! C'était lui qui possédait une culture phénoménale. Helvius sourit en imaginant l'air enthousiaste de son ami devant ce mystère à résoudre. Son sourire disparu aussitôt lorsque le visage d'Astia terrifié, hurlant son nom s'imposa à son esprit. Ses poings se serrèrent quand il imagina le sort de ses amis... Il lui fallait fuir rapidement, ils avaient besoin de lui.
Il se dirigea sans bruit vers la porte, saisissant au passage la branche lui servant de béquille. C'était la seule arme qu'il avait à sa disposition. Il devrait s'en contenter, c'était toujours mieux que rien, même s'il doutait de son efficacité en situation de combat.
Il colla son oreille à la porte. Aucun bruit extérieur.
Il fit tourner avec une extrême prudence la poignée. Comme il le craignait, la porte avait été verrouillée. Rassemblant ses forces, il recula de plusieurs pas puis courut en donnant un formidable coup d'épaule à la porte. Les battants verticaux grincèrent mais ne cédèrent pas.
À la troisième tentative, ils cédèrent enfin dans un énorme vacarme.
L'épaule endolorie, le jeune homme n'hésita pas une seconde et se faufila à l'extérieur, bâton en main. Mais à son grand désarroi, il se retrouva dans un couloir blanc sans aucune sortie visible. Regardant alternativement des deux côtés, il décida de prendre à gauche et avança prudemment en longeant le mur.
Étrangement, le calme régnait. L'endroit pourtant immense, était vide. Personne ne semblait avoir entendu la porte céder. Il se retrouva, quelques secondes plus tard, devant un escalier qu'il descendit sans un bruit. Toujours personne.
Helvius, perplexe, resta figé. Tout ceci était bien trop facile. Pourquoi personne ne le surveillait ni n'était accouru en entendant le bruit de la porte ? Son cœur se mit à battre intensément en voyant ce qu'il cherchait : une imposante porte en bois. Enfin une sortie !
Hésitant, il saisit néanmoins la poignée, entrouvrit la porte et se faufila avec agilité dehors. L'esplanade devant lui, recouverte de petits pavés, était déserte et sans bruit. La nuit était déjà noire vu le peu de luminosité et le calme régnant. Jamais il n'avait vu pareille ville. Les bâtiments, entièrement en pierre, hauts comme des arbres, étaient disposés en cercle autour de nombreux bassins et reliés entre eux par des sortes de ponts suspendus. Disposées à intervalles réguliers, d'immenses colonnes bioluminescentes, comparables à celles de la chambre, montaient vers le ciel. Mais contrairement aux colonnes intérieures, d'impressionnants voiles noirs les recouvraient en partie, expliquant l'impression de pénombre.
Helvius, décontenancé, leva les yeux au ciel, pensant se repérer avec les étoiles et comprit instantanément pourquoi il n'y avait pas de garde.
L'océan s'étendait à perte de vue.
Une cité sous-marine ! Il se trouvait sous l'océan sous une gigantesque coupole transparente.
Il hurla son désespoir en tombant à genoux. Jamais il ne pourrait sortir de là.
* * *
—Helvius, c'est bien ça ? appela une voix féminine derrière lui.
Il se retourna, brusquement. Une femme, équipée d'une armure bleue, similaire aux femmes qui l'avaient enlevé, se tenait devant lui, pointant sa lance en sa direction. Surpris, il recula et leva instinctivement son bâton pour se protéger en dévisageant l'inconnue. Voyant son trouble, cette dernière posa lentement son arme au sol et l'éloigna d'un bon coup de pied.
—Je ne te veux aucun mal !
Helvius la toisa en grimaçant.
—Assommer et enlever quelqu'un, tu appelles ça comment ?
—Si nous avions voulu te tuer, tu serais déjà mort ! lança la guerrière, sûre d'elle. Allez, viens ! Quelqu'un désire te voir.
Elle n'avait pas tort. Jamais, elles n'auraient pris la peine de le ramener et de le soigner si elles projetaient de le tuer. Mais cela suffisait-il pour qu'il leur fasse confiance ? Et puis où l'avaient-elles emmené ?
—Vous voulez que je vous fasse confiance ? Alors soyez honnête et dites-moi où nous sommes ! s'écria-t-il énervé.
La guerrière le détailla, une pointe de fierté dans le regard.
— Toi au moins, tu ne te laisses pas faire, tu me plais bien ! Et après ce que tu as fait, tu as raison, je te dois au moins ça... Nous sommes à Océanide, notre cité sous-marine mais... tu nous connais sûrement sous notre nom originel...Il y a bien longtemps, nous étions des Imiens, tout comme toi. Des Imiens habitant la région côtière.
Helvius écarquilla les yeux, pensant avoir mal entendu.
— Des Imiens de la côte ? Mais...c'est impossible, les déferlantes...ils sont tous morts !
La guerrière afficha son plus beau sourire.
—Pour une morte, je me sens plutôt bien ! Allez, dépêche-toi, tu es attendu !
Ne sachant plus quoi dire, il l'observa attentivement : ses oreilles pointues, sa haute stature, son corps élancé...sa ressemblance avec le peuple Imien était évidente. Mais pourquoi garder un tel secret, cela aurait pu tout changer dans la guerre, ensemble ils auraient eu une chance...
—Si vous êtes réellement qui vous dites, pourquoi ne pas nous avoir aidés ?
Helvius, profondément troublé, se retenait pour ne pas hurler. La guerrière soupira.
—Nous participons à notre niveau à la guerre, crois-moi ! Mais il nous a fallu du temps pour réorganiser notre vie ici. Notre cité était devenue une terre d'asile pour beaucoup... ton peuple dans sa majorité n'était pas prêt pour cela...
La colère d'Hevius retomba aussitôt. Il avait toujours cru son peuple uni et bienveillant mais la réalité était toute autre... Il était responsable de la venue des Otras, ses alliés historiques ne lui faisaient plus confiance et que dire du traitement réservé à ceux qui étaient différents ? C'était criminel !
La garde remarqua la tristesse du jeune homme.
—Tu n'es pas responsable des actions de ton peuple... Reviens dans la maison de soin.
Helvius la dévisagea un instant puis la suivit. Ils passèrent la porte puis le hall avec l'escalier et pénétrèrent dans une vaste salle, équipée d'une dizaine de couchages similaires à celui dans lequel il s'était réveillé, répartis en cercle autour d'un imposant foyer posé sur une large dalle. Durant quelques secondes, le jeune guerrier eu l'impression d'être de nouveau chez lui, à la cité de roche.
La jeune femme enceinte était assise sur l'un des lits, discutant à voix basse avec un homme. Attirés par le bruit, ils se retournèrent.
— Il va mieux ? questionna la jeune femme, visiblement inquiète, en regardant la garde.
Cette dernière acquiesça d'un mouvement de la tête.
— J'attendrai dehors, au cas où, indiqua-t-elle en prenant congé.
— La jeune femme bannie ! s'exclama Helvius en reconnaissant la femme enceinte.
La jeune patiente haussa les sourcils.
— Oui, c'est moi mais si ça ne te dérange pas, je préfère que tu m'appelles Lorna. Et voici Céléborn, mon compagnon.
Les deux hommes inclinèrent la tête pour se saluer.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te manquer de respect.
Il marqua une pause puis la regarda, l'air embarrassé.
— Je suis désolé de n'avoir rien fait lors de ton bannissement... J'aurais dû m'interposer.
La future mère caressa son ventre doucement et sourit.
— Tu as fait bien plus que tu ne le crois. En avertissant ta mère ce jour-là, tu as sauvé ma vie et celle de mon enfant à venir. C'est un de ses amis qui m'a conduit ici. Et puis, tu viens encore de sauver mon enfant. Les contractions ont cessé grâce à ta tisane.
Helvius fixa la jeune femme, les yeux écarquillés. Sa mère, une résistante ? Elle savait pour la cité engloutie. Se pouvait-il qu'il n'ait rien vu durant toutes ces années ? Il s'approcha, perturbé.
— Tu veux dire que ma mère fait partie d'un réseau qui vous aide ?
— Oui, des personnes luttant pour que nous puissions vivre comme nous le désirons. Certains du peuple des Otras nous aident aussi. Tous ne sont pas des montres sanguinaires comme vous le croyez, ajouta-t-elle alors que l'homme lui prenait tendrement la main.
Helvius porta son regard sur le jeune homme. Sa taille modeste, ses cheveux raides et châtains semblables à ceux d'Astia. Comment ne l'avait-il pas vu plus tôt ? Il appartenait au peuple des Otras ! Le jeune couple s'embrassa. Ils s'aimaient, Helvius en eut la certitude en les voyant se regarder tendrement. Les océanides avaient eu raison. Pourquoi aider un peuple si intolérant...La tristesse et la culpabilité lui nouèrent l'estomac.
— Je suis heureux que ma mère ait pu vous aider, sincèrement. Ces lois sont criminelles. Mais je vous jure que je ne vous veux aucun mal.
Le jeune homme le toisa en serrant les poings.
— Nos peuples se font la guerre depuis des siècles ! Les tiens nous ont toujours rejetés. Comment puis-je te faire confiance ? As-tu conscience des risques que nous encourrons si vous, ou pire, les sbires de la sorcière apprenaient l'existence d'un tel endroit ? Ils nous massacreraient jusqu'aux derniers !
L'individu sortit un couteau de sa ceinture et le leva vers l'intrus.
— Céléborn, non ! Ici, il n'est une menace pour personne ! Arrête ! hurla sa femme en s'interposant entre les deux hommes.
Le jeune Imien recula lentement, ne quittant pas du regard la lame.
— C'est comme cela que vous me remerciez !
Le couple se raidit, mal à l'aise.
— Nous combattons la sorcière, comme vous ! J'ai été fait prisonnier, c'est pour cela que je me trouvais dans la zone fantôme. Les Otras nous ont attaqués. La forteresse de roche a failli tomber. Mes amis doivent déjà être arrivés chez ton peuple. Je dois les aider, ils n'ont que moi.
Lorna s'assit, le teint blême.
— La.. la forteresse a été attaquée ?
L'homme se calma instantanément et posa le couteau.
— Désolé... je t'en prie, parle ! Que s'est-il passé ?
Le jeune guerrier raconta alors le retour de Sucua et l'attaque de nuit de la forteresse, sa capture et celles de ses amis, ainsi que sa chute dans le gouffre mais prudent, il préféra garder pour lui la véritable identité d'Astia ainsi que ses pouvoirs.
Il vit le visage de ses hôtes s'assombrir au fur et à mesure de son récit. La tristesse envahit leurs yeux.
— Je suis désolé de vous apporter de si mauvaises nouvelles. Je dois aller délivrer mes compagnons et tenter de trouver une solution pour que cette horreur finisse.
Le jeune Otras sembla réfléchir quelques secondes, le visage tendu.
— Tes amis sont sûrement déjà arrivés à la prison centrale pour commencer les travaux forcés. Elle est imprenable. Seul, tu n'as aucune chance d'entrer et encore moins, d'en ressortir vivant. Crois-moi, je suis désolé pour toi mais ils sont perdus.
Le regard vide, Helvius resta perdu dans ses pensées, cherchant désespérément un élément auquel se raccrocher. Il refusait d'abandonner ses amis à une vie d'esclave.
— Mais vous, vous connaissez bien les lieux ! Avec votre aide, je devrais pouvoir réussir, non ?
L'homme soudain contrarié, fonça les sourcils, le regard noir.
— Je ne remercierai jamais assez ta mère pour cequ'elle a fait pour Lorna mais comprends-moi. Je vais bientôt être père !Retourner dans mon pays serait signer mon arrêt de mort. Il en est hors dequestion ! Fais-toi une raison ! rétorqua-t-il en se dirigeant versla porte.
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