Chapitre 26
— Je te présente le refuge de l'ermite s'exclama Helvius tout sourire en lui indiquant le vieux temple, enfin nous y sommes ! lâcha-t-il dans un soupir de soulagement.
— Elle vit seule ?
Helvius sembla hésiter à parler durant plusieurs secondes.
— Son peuple a disparu durant les premières années de l'arrivée des autres. Personne ne sait ce qui leur est réellement arrivé mais aucun d'eux n'est réapparu depuis... Les Otras les ont exterminés... Sucua est la dernière représentante de son peuple.
— Je comprends mieux pourquoi elle vit recluse sur cette montagne, c'est si triste.
Le cœur d'Astia se serra. Cette histoire faisait écho à sa propre histoire, elle comprit immédiatement ce que devait ressentir cet être pourtant si différent d'elle. Elle aussi avait l'impression d'être la dernière représentante de l'espèce humaine.
Elle inspira profondément pour calmer la panique qui montait en elle, incapable de faire un pas de plus : cette sage était son dernier espoir de revoir un jour sa terre et ceux qu'elle aimait. Il semblait si infime. Que ferait-elle si elle était incapable de l'aider ? Que deviendra-t-elle, ici, seule ?
— Est-elle de notre côté ? questionna la jeune fille, en se recentrant sur sa rencontre avec l'Atchmi.
— Pas vraiment... Elle déteste la sorcière pour tout ce qu'elle a fait subir à la nature, mais ne te leurre pas, seuls les esprits guident ses choix et personne d'autre. Les préoccupations de notre monde ne sont plus les siennes.
* * *
Prenant son courage à deux mains, Astia emprunta le petit escalier de pierres blanches et passa l'étroite entrée dépourvue de porte, suivi de près par Helvius.
Elle s'attendait à voir une pièce aux dimensions réduites, mais comprit, à son haut-le-cœur en franchissant le porche, qu'un charme similaire à celui de l'école de la forteresse régnait dans le temple. Et effectivement, au lieu de se retrouver dans une salle étroite, ils entrèrent dans une vaste pièce, en partie creusée dans la roche, éclairée seulement par quelques torches accrochées aux murs.
— Que venez- vous faire ici ? tonna une voix grave et calme provenant de leur droite.
Peut-être n'avaient-ils pas regardé attentivement, mais Astia aurait juré qu'il n'y avait personne quelques instants auparavant.
Une vieille femme à la peau très mate, aux longs cheveux, se tenait maintenant près d'eux, assise sur un tapis à même le sol.
Elle possédait une étonnante chevelure épaisse : elle était constituée d'épaisses mèches sombres, auxquelles étaient rattachées de plus fines mèches vert clair. Petite, très maigre, Helvius lui expliqua plus tard que cela était dû à ses jeunes réguliers, elle était habillée de façon très humble : une simple robe de toile sans chaussure et ne possédait qu'un collier composé d'une chaîne argentée et d'un pendentif représentant l'arbre sacré.
L'Atchmi les accueillit avec un sourire radieux tel qu'Astia en avait peu vu dans sa vie. Mélange de sincérité et de joie simple, il apaisa instantanément les craintes de la jeune fille. Helvius s'inclina respectueusement, aussitôt imité quoique maladroitement, par son amie légèrement en retrait.
— Bonjour, grande Atchmi. Je suis Helvius, du peuple de l'arbre sacré et voici Astia. Nous sommes venus vous voir car nous avons besoin de votre aide.
À ces paroles, la vieille femme leur fit signe de s'approcher. Helvius et Astia s'agenouillèrent en face d'elle et s'inclinèrent une nouvelle fois.
L'Atchmi fixa son attention sur la jeune Terrienne.
— Jeune fille, tu sembles bien singulière. Bien que tu sois proche en apparence des Imiens, il m'apparaît clairement que tu n'appartiens pas à leur monde. Il émane de toi un Don puissant. Qui es-tu jeune étrangère ?
Astia, hésitante, chercha l'approbation d'Helvius qui lui sourit pour l'encourager à parler.
— Je viens de la Terre avoua-t-elle. Pouvez-vous m'aider à y retourner ?
— Puis-je ? Demanda la vieille femme en approchant sa main de celle d'Astia.
Astia acquiesça sans réellement comprendre. La main de la vieille femme se posa sur la sienne. Une sorte de courant électrique parcourut la paume de la jeune fille et remonta le long de son bras.
Par réflexe, Astia retira sa main en grimaçant.
— Excuse-moi, mais je ne le contrôle pas expliqua Sucua en souriant. Ce n'est pas dangereux, je t'assure.
Helvius posa sa main sur l'épaule d'Astia pour l'apaiser.
— Son Don fonctionne par le contact. Il est absolument inoffensif, il lui permet seulement d'entrevoir des souvenirs et des émotions.
Astia rassurée, tendit de nouveau sa main à la sage qui la saisit et ferma les yeux quelques secondes. Elle les rouvrit rapidement, les yeux embués de larmes.
— Tu es bien plus que ce que tu crois, chère enfant. Je suis profondément désolée pour les nombreuses épreuves que tu as dû subir. Je ne m'étais pas trompée, ton Don est exceptionnel et source d'espoir pour beaucoup.
— Que voulez-vous dire ? questionna Astia.
L'atchmi la regarda et se leva.
— Cela dépasse mes compétences mais les esprits pourront t'aider. Consens-tu à les rencontrer ?
Astia, déroutée, fixa Helvius.
— Tu vas devoir suivre une cérémonie traditionnelle très ancienne lui expliqua ce dernier, ressemblant à celle que j'ai effectuée à notre rencontre. C'est un honneur immense.
La vénérable sage se leva. Astia, déboussolée, prit peur.
— Veuillez me suivre.
Tout ceci allait bien trop vite et était bien trop étrange pour la jeune fille, mais elle n'osa pas s'opposer à la vieille femme et la suivit. Cette dernière prononça alors une série d'incantations, en traçant sur le sol de terre battue de grands cercles concentriques avec le bâton qui lui servait de canne.
La paroi la plus proche se mit à scintiller un bref instant puis un passage apparut le long de la roche. Après quelques minutes de marche dans la pénombre, ils débouchèrent sur une vaste cavité et furent subjugués par la beauté des lieux : une splendide cascade d'eau cristalline coulait à leurs pieds, entourée d'une luxuriante végétation de plantes et de fleurs colorées, exhalant des senteurs enivrantes de fruits mûrs.
— Vous devez boire l'ayahua, je vais la préparer.
La voyant s'éloigner, Astia se pencha vers Helvius et lui murmura discrètement, pour ne pas être entendue, vaguement inquiète :
— C'est quoi l'ayahua ?
— C'est une préparation que nos anciens boivent pendant les cérémonies pour converser avec les esprits. Ce n'est pas dangereux, ne t'inquiète pas. Par contre, cela va sans doute te provoquer des visions passagères. Mais rassure-toi, l'effet se dissipe en quelques minutes et au cas où tu te sentes mal, je reste près de toi.
Sucua alla cueillir deux végétaux en les choisissant avec minutie parmi la multitude de plantes poussant au pied de la cascade, les mit dans une coupelle de bois et s'employa à les broyer méthodiquement dans un silence absolu. Seul résonnait le bruit du pillon tapant de façon répétitive le fond du récipient.
Elle avala une gorgée de la précieuse décoction obtenue puis la tendit à Astia.
— Bois cette décoction, cela te permettra d'entrer en communion avec les esprits. Venez-vous asseoir en cercle à côté de moi.
Astia, le cœur noué par l'appréhension, but néanmoins le breuvage au goût amer et les deux jeunes gens s'assirent en silence.
Dans les premières secondes, la jeune fille, soulagée, ne ressentit rien de particulier. Seul un goût âpre désagréable, lui resta au fond de la bouche.
Helvius, soucieux, lui prit la main.
— Ça va bien, le rassura-t-elle.
Après cinq minutes, la décoction commença à agir. Les muscles de la jeune fille se détendirent soudainement, la douce et envoûtante mélopée que Sucua chantait à côté d'eux s'insinua dans l'esprit embrumé de la jeune fille. Imperceptiblement, elle se mit à osciller au rythme de la lente chanson. Sa vision commença à se troubler, le sol ainsi que les parois de la grotte se mirent à danser sous ses yeux ébahis, la voix de la sage lui parvint de plus en plus déformée comme si elle était très lointaine.
Pourtant Sucua n'avait pas bougé et était toujours en train de psalmodier des paroles inconnues, assise en tailleur à sa droite, les traits tirés par la concentration.
Des formes lumineuses se matérialisèrent devant d'eux. Un état de bien-être et de plénitude envahit la jeune fille quand elle les contempla, complètement hypnotisée par leur grâce et leur beauté. De plus en plus nombreuses, elles semblaient danser dans les airs et se regroupèrent au centre de la pièce.
Quelques secondes après, elles s'envolèrent de nouveau, révélant une minuscule pousse à l'endroit où elles s'étaient agglutinées. Un simple bourgeon qui se développa brusquement au rythme des incantations de l'Atchmi pour finir par devenir une superbe et gigantesque plante, comportant un bourgeon de fleur d'au moins un mètre. Les êtres magiques tournoyaient autour d'elle, l'entourant d'une sorte de nuage de lumière. La fleur arriva à maturité et s'ouvrit délicatement : un etre fait de lumière reposait à l'intérieur de ses pétales.
L'Atchmi accéléra encore le rythme des incantations. Astia eut l'impression de percevoir un léger murmure à peine audible, provenant de cet étrange être lumineux.
Se concentrant sur ce murmure, elle commença à en saisir des bribes, puis petit à petit, des mots et des paroles intelligibles émergèrent.
Les formes s'approchèrent et se mirent à entourer la jeune fille :
— L'arbre... L'arbre sacré est la clef, la clef de toute vie y compris de la tienne... Tu dois...
Mais au moment où l'une des formes allait toucher Astia et lui parler, un épouvantable vacarme provenant de la première cavité retentit, faisant trembler les parois. Les esprits disparurent instantanément, sortant brusquement Sucua et Astia de leur transe.
Déboussolée, cette dernière regarda autour d'elle en se relevant péniblement, aidée par Helvius.
— Astia, reprend tes esprits lui dit Helvius en la secouant légèrement.
La jeune Terrienne essayait vainement de se reconnecter au monde réel malgré le produit psychotrope qui coulait encore dans son organisme.
— Attends un peu dit-elle en s'appuyant contre le mur, ma vision est encore trouble.
— Pas le temps, rétorqua Helvius, qui la guida dans l'étroit passage.
Sucua les suivit précipitamment. Ils se retrouvèrent dans la première salle, au moment où Irfric, haletant, débarqua au seuil de la grotte, l'air paniqué.
— Vite, nous devons fuir, une patrouille arrive, dans moins de dix minutes, nous serons tous piégés hurla-t-il dans leur direction.
Mais à peine ressortit-il pour vérifier leur avance, qu'une pluie de flèches l'accueillit, le contraignant à se réfugier à l'intérieur. Faisant un rapide tour d'horizon, Irfric ne remarqua malheureusement aucune autre sortie et lança un regard préoccupé à son compagnon d'arme.
Ils étaient piégés comme des rats dans cette grotte.
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