Chapitre 25
Cela faisait trois heures que la petite troupe était repartie et progressait bon train, Irfric ouvrant la marche. Il connaissait par cœur chaque arbre et chaque buisson de cette forêt et était intarissable sur les plantes et les racines poussant à leurs pieds.
La nuit, commençant à tomber, décida les trois compagnons à s'arrêter pour monter le bivouac.
Astia, épuisée de fatigue, lâcha son sac et se laissa glisser au sol, bientôt imitée par ses deux compères.
— Ceci est une théora skintus plus couramment appelée Olyra, nous pouvons l'utiliser en tisane apaisante lui confia Irfric en montrant une petite plante verte.
Helvius saisit délicatement une minuscule et ravissante fleur pourpre, la portant à son visage pour en sentir le délicat parfum.
— Et celle-ci ?
— Non ! C'est une plante urticante ! Lâche là immédiatement ! s'écria le métamorphe en voulant lui arracher des mains.
Mais il était déjà trop tard. Helvius prit par une soudaine envie de se gratter, se tortillait déjà dans tous les sens pour se soulager.
— Ah ! Fait quelque chose, c'est insupportable !
Astia et Irfric, hilares, regardaient leur ami se contorsionner, un morceau de bois à la main, pour réussir à se gratter le milieu du dos. En désespoir de cause, il s'appuya contre un tronc et commença à se frotter contre, déclenchant de plus belle l'hilarité de ses amis, qui finirent par franchement éclater de rire.
Irfric, entre deux fous rires, arriva néanmoins à prononcer :
— J'ai un remède avoua-t-il en saisissant discrètement de la boue mais... tu risques de ne pas l'apprécier.
— Non, non ! Laisse-le encore un peu comme ça, s'il te plaît. Il est trop drôle s'écria Astia en se tenant les côtes.
Et avant même qu'il n'ait pu esquiver le dangereux projectile, Helvius se retrouva le visage recouvert d'une boue épaisse et malodorante.
— La boue ! exulta Irfric en reprenant de la vase nauséabonde. Alors toujours envie de mon remède ?
Astia, riant aux éclats, n'eut pas le temps, contrairement à Irfric, d'éviter la substance collante, qui s'écrasa sur son ventre.
Médusée, elle jeta un regard rapide à Irfric, qui lui fit un clin d'œil.
— À l'attaque ! s'écrièrent-ils en fonçant sur Helvius, les mains pleines de boue.
Irfric, grâce à son imposante stature, fit tomber le jeune homme sur le dos pendant qu'Astia lui recouvrait le visage avec la dégoulinante substance. Helvius, hilare, roula sur le côté en entraînant son amie, qui fut bientôt aussi sale que lui. Irfric, de nouveau debout, lançait ses projectiles avec précision, dissimulé en partie derrière un arbre.
En moins de dix minutes, ils furent tous les trois recouverts de la tête aux pieds et exhalaient une odeur immonde. Ils s'écroulèrent, poisseux, sur le sol jonché de boue.
— Ça va, plus de démangeaison ? s'enquit Astia un large sourire aux lèvres en regardant Helvius allongé contre elle.
Ce dernier, rayonnant, se redressa. Son visage à quelques centimètres de celui de la jeune fille, il la regarda intensément sans oser prononcer un mot. Astia, rougissante, sentie son cœur battre plus vite.
— Heu, Heu ! fit Irfric en s'éclaircissant la voix.
Helvius et Astia, confus, se redressèrent d'un bond et s'éloignèrent l'un de l'autre.
— Un petit bain ne serait pas du luxe ! décréta leur ami, en se pinçant le nez. Quelle odeur !
Astia, mal à l'aise, tenta de détourner l'attention en faisant de l'humour.
— Vous n'auriez pas un sort par hasard pour nous nettoyer demanda-t-elle en essayant de retirer la boue de ses habits.
— Tu rêves ! sourit Helvius. Il faudra se contenter de la rivière, et le plus discrètement possible.
Astia, soudain inquiète, jeta un coup d'œil vers la rive, à peine visible de leur position :
— Sérieux ? Je ne vais pas aller me baigner là-dedans, avec toutes les bestioles qui y vivent !
— Allez, j'ai pitié de toi, déclara Helvius théâtralement, passe-moi tes habits, j'irai les laver.
Aux yeux ronds que fit la jeune fille, il comprit qu'il y avait un malentendu. Il se mit instantanément à rougir et bredouilla en lui tendant une couverture :
— Heu, mais... Je n'ai pas dit que...
— Et bien, tu ne perds pas de temps pouffa Irfric, espiègle, en voyant son ami de plus en plus rouge.
Helvius lui lança un regard noir avant de se diriger, mortifié, vers le fleuve, les habits gluants sous le bras. Astia et Irfric, enroulés dans leurs couvertures, se blottirent près d'un arbre mort pour avoir un peu plus chaud.
— Tu aimes travailler à la bibliothèque ? questionna Astia.
Se tournant vers elle, Irfric la regarda avec étonnement et acquiesça :
— Oui, beaucoup mais comme tu le sais, j'ai effectué la cérémonie du Don l'année dernière et j'ai été placé dans l'armée.
Regardant la mine déconfite de son ami, Astia comprit qu'il n'avait sûrement pas été à l'origine de ce choix :
— Je croyais que vous étiez libres dans le choix de l'affectation. Vu tes connaissances sur la flore et ta passion des livres, je n'aurais pas pensé à l'armée.
Soupirant, l'air abattu, Irfric attrapa de quoi grignoter puis se réfugia aussi vite que possible sous sa couverture :
— C'est mon père ! Il a voulu que je le suive. Pour lui, étant donné mes aptitudes physiques et ma carrure, cela semblait une évidence.
La jeun fille le fixa d'un air peiné.
— Je suis désolée. Chez nous aussi, ça arrive parfois que les parents décident à notre place.
Hésitant, il s'arrêta de parler quelques secondes, regardant les restes de boue au sol.
— Je vais à la bibliothèque en cachette, pendant mes pauses, et j'aide souvent la mère d'Helvius quand il y a des recherches à effectuer.
— Je te comprends tout à fait. Dans mon monde, il y a aussi de grandes bibliothèques. Tu adorerais ! J'y restais des heures entières à lire, feuilleter les guides. Travailler dans la vôtre doit être fantastique, elle est grandiose !
Se sentant en confiance, le jeune homme poursuivit curieux :
— Je n'ai encore pas eu le temps de te demander mais c'est comment chez toi ?
Un voile de tristesse passa devant les yeux de son amie, qui lui fit regretter instantanément d'avoir posé cette question :
— Je suis désolé, je ne voulais pas te rendre triste. Oublie ce que je viens de dire.
— Ce n'est rien. Nous sommes assez semblables à vous, si ce n'est que la magie n'existe pas dans mon monde et que j'ai la chance de vivre dans un pays où n'y a pas la guerre.
* * *
Ce matin-là, après une heure de marche, Astia remarqua que les arbres semblaient reprendre vie. Des bourgeons vert pomme et rose poussaient sur les branches, et au sol, de timides touffes d'herbe apparaissaient. Même l'air paraissait plus respirable, ce qui permit à Astia de retirer son chiffon.
— Tu as remarqué lui dit en souriant Helvius, la nature reprend ses droits. Nous approchons du royaume des fées, la retraite de la sage n'est plus très loin. Nous sommes enfin arrivés à destination.
Quelques heures plus tard, une montagne émergea au loin. Il leur fallut encore plusieurs heures avant de l'atteindre.
Au pied de cette montagne, Astia pouvait maintenant observer un interminable escalier creusé dans la roche et disparaissant dans les hauteurs. Sûrement très ancien, son inclinaison très prononcée et l'absence d'homogénéité dans la hauteur très importante des marches, devaient à coup sûr, en rendre la montée exténuante. Regardant vers le sommet de l'édifice, Astia ne parvint pas à en discerner la fin, perdue dans une végétation abondante, composée de lianes et d'arbres aux feuillages denses.
L'escalier interminable semblait monter jusqu'au ciel, et cela ne la rassura pas du tout :
— Ne me dites pas que la sage est là-haut ! s'exclama-t-elle dépitée en faisant une grimace très éloquente.
— Si, désolé, et je te rassure, c'est pire que ce que tu crois ! s'amusa son jeune compagnon en l'écoutant râler.
Irfric, lui, ne semblait pas préoccupé par la montée vertigineuse. Depuis la veille, il redoublait encore de vigilance et ne cessait de scruter nerveusement les fourrés, constamment sur le qui-vive.
La désagréable impression d'être surveillé ne l'avait pas quitté.
— Ce site est difficilement défendable ! En cas d'attaque, nous serions tous pris au piège en haut, sans aucun moyen de fuite. Je vais rester ici et surveiller les alentours, ce sera plus prudent.
Voyant l'anxiété de leur compagnon de route, Astia et Helvius comprirent qu'il serait vain de tenter de le faire changer d'avis, ils ne le contredirent donc pas et entamèrent l'ascension seuls.
Helvius ne s'était pas trompé : la montée était très éprouvante. À certains moments, l'inclinaison de l'escalier était telle, que les deux jeunes gens étaient obligés de s'aider de leurs mains pour grimper et enjamber certaines marches, et pour ne rien arranger, des lianes pendaient pratiquement jusqu'au sol sur de nombreuses portions de l'escalier.
Sous l'effet de l'effort intense, ils eurent rapidement la respiration haletante. Astia, dont le corps tout entier surchauffait, eut l'impression que son cœur, totalement emballé, allait sortir de sa poitrine et exploser. Au bout de vingt minutes à ce rythme, sa tête commença à tourner et une forte envie de vomir apparut, l'obligeant à se résoudre à faire une pause. Elle détacha la canne qu'Osma lui avait offerte et s'en aida pour gravir les marches malgré ses jambes flageolantes et la douleur qui remontait maintenant jusqu'au milieu du dos. S'approchant d'elle pour voir son état, Helvius remarqua le teint blême de son amie :
— Tiens prends ça lui dit-il en lui donnant une petite boîte en métal argentée, contenant des herbes odorantes. Respire ça, cela te fera du bien, tu vas voir.
Incapable de calmer les battements de son cœur, la jeune fille s'exécuta et prit une longue bouffée dans la boîte : aussitôt une forte odeur d'herbes aromatiques ressemblant à de la menthe poivrée, envahit ses narines et sa bouche. Ses nausées disparurent et son rythme cardiaque ralentit en quelques secondes.
— Je me sens mieux, heureusement que tu avais cela sur toi. J'ai cru que je faisais une crise cardiaque avoua-t-elle.
Se tournant vers son sauveur, elle le remercia en déposant un doux baiser sur sa joue, si rapidement qu'il n'eut pas le temps de réagir. Elle avait déjà repris la montée, s'aidant régulièrement de sa canne et des plantes miraculeuses.
Interdit, une main sur sa joue, le jeune homme regarda Astia monter et sourit, ravi de ce geste tendre.
Après une quarantaine de minutes, ils franchirent enfin les dernières marches de l'escalier et se retrouvèrent au sommet de la montagne.
La vue grandiose des forêts du territoire des fées s'imposa à eux : jusqu'à l'horizon, ils admiraient à perte de vue sur leur droite, les cimes d'arbres immenses et magnifiques baignant dans la brume du matin, en écoutant les cris d'animaux sauvages qui se répercutaient au loin. Se recueillant un court instant devant tant de beauté, Astia en oublia sa fatigue. Elle se surprit à espérer de nouveau et se mit à songer à sa famille qu'elle pourrait peut-être revoir dans peu de temps.
Elle chercha la vielle sage du regard. Mais rien.
A la place se tenait un temple. De taille modeste, il était constitué de pierres blanches, son toit très incliné était peint de couleur verte et rouge et était décoré de fines sculptures.
Pleine d'espoir, elle se dirigea vers l'entrée.
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