Chapitre 18
Le lendemain, Astia se leva tôt.
Incapable de trouver le sommeil, elle n'avait cessé de retourner dans son esprit la discussion de la veille. Pour la première fois depuis qu'elle avait atterri dans ce monde, elle avait une réelle chance d'en apprendre plus sur les raisons de sa venue et peut-être même sur un moyen de retourner chez elle. L'impatience mêlée d'angoisse lui noua l'estomac.
Pour ne pas avoir à justifier de leur absence, ils avaient décidé d'agir après les cours, et s'étaient donné rendez-vous à la rivière souterraine.
Astia fut la première sur place avec Irfric, armé pour l'occasion d'une imposante épée. La jeune fille se mordillait déjà l'ongle du pouce en fixant l'escalier d'accès.
— Si tu continues comme ça, bientôt, tu devras attaquer la main plaisanta le garde du corps avec un grand sourire.
Astia, honteuse, retira prestement sa main de sa bouche.
— Désolée, je suis un peu stressée se justifia-t-elle.
— Un peu ? questionna son ami, remarquant son pied qui battait la mesure au sol.
— Bon, d'accord, beaucoup ! Pas toi ?
Irfric bomba le torse et afficha un large sourire.
— Jamais peur, moi !
Des bruits de pas résonnèrent. Helvius déboucha de l'escalier, Pétra et Marius derrière lui.
Astia ouvrit de grands yeux.
— Ben, qu'est-ce que ?
— J'ai emmené du renfort. Désolé de ne pas vous avoir prévenus avant, s'excusa le jeune homme en esquissant un sourire crispé.
Pétra se posta devant la Terrienne.
— Petite cachottière ! Une occasion de se venger du conseiller Altir et vous ne nous prévenez pas ?
Astia, confuse, ne savait comment se justifier.
— T'inquiète ! Helvius nous a expliqué. On te taquine, on comprend tes réticences ajouta Marius.
La jeune fille se détendit, soulagée.
— Marius et Pétra seront là pour surveiller les alentours. Le temps presse, tout le monde a bien compris son rôle ? intervient Helvius, de nouveau sérieux.
Tous acquiescèrent sauf Astia qui paraissait contrariée.
— Tu es sûre que je ne peux pas davantage participer ? C'est pour moi que vous faites cela et...
Helvius se tourna vers la jeune fille.
— Ton rôle est important, en parlant avec Altir, tu le tiens loin de nous et assures ainsi notre sécurité. En plus, les cours particuliers te donnent le prétexte idéal.
— Ouais... plutôt l'impression que c'est un prétexte pour m'éloigner ! marmonna-t-elle, nullement convaincue.
Après un dernier regard, le groupe se divisa : Irfric et Astia se dirigèrent vers la cuisine, lieu choisi pour rencontrer le conseiller Altir et les autres allèrent se mettre en embuscade, non loin du bureau.
Astia et Irfric constatèrent avec soulagement que la cuisine était pratiquement déserte, seul Ralus était encore présent, occupé à préparer la pâte à pain pour le lendemain. Lui faisant un signe de la main, ils s'installèrent au fond de la pièce.
— Tu te rappelles ? Tu dois l'occuper au moins une demi-heure chuchota Irfric.
Astia grimaça. Elle, dont on pouvait lire les émotions comme dans un livre ouvert, devait engager la discussion avec un homme qu'elle détestait... Elle doutait d'y parvenir plus de deux minutes alors trente...
Irfric lui donna un discret coup de coude. Le conseiller venait de faire son entrée dans la pièce.
Les deux jeunes gens se levèrent et le saluèrent respectueusement.
— Je dois avouer que je suis très étonné. Selon votre ami Marius, vous désiriez me voir ?
Astia, très mal à l'aise, esquissa un sourire ressemblant davantage à une grimace.
— Oui, je me suis dit qu'il serait bien de... de... bégaya-t-elle rouge pivoine.
— Oui ?
Astia ne sachant quoi dire, resta la bouche grande ouverte. Irfric, lui envoya un discret coup de pied, la faisant sursauter.
— De mettre les choses à plat, lâcha la jeune fille d'une manière abrupte.
Le conseiller la fixa avec attention.
— C'est-à-dire ? Je croyais que nous l'avions déjà fait hier, non ?
La jeune fille se jeta à l'eau.
— Je suis consciente que vous ne m'appréciez guère mais si nous devons travailler ensemble, il me paraît judicieux d'essayer d'y remédier. J'espérais que vous pourriez changer d'avis en me connaissant un peu mieux.
Le conseiller se tritura le menton, pensif.
— Je dois dire que vous ne manquez pas de courage. Ceci est une parole bien sage mais...
Son visage se figea brusquement, et une colère froide se lut dans ses yeux.
— Vous pensiez m'avoir comme ça ? Vous ne perdez rien pour attendre, soyez-en sûr ! menaça-t-il en s'éclipsant avec un mouvement de la main.
Astia, stupéfaite, se tourna vers son garde du corps. Irfric livide, posa sa main vers le pommeau de son épée.
— Son bureau ! Il devait être équipé d'un charme de protection.
Astia se leva d'un bond.
— Helvius, les autres ! Il faut les...
Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de faire un pas, un torrent de feu s'abattit sur eux.
* * *
— Qui êtes-vous ? hurla le conseiller Altir, hors de lui, au moment où il se matérialisa dans son bureau.
Il jeta un regard circulaire : la pièce semblait vide, rien n'avait été déplacé.
Seul le cristal bleu de présence scintillait sur son bureau, preuve que l'intrus se trouvait encore là.
— Cela ne sert à rien de vous cacher, je sais que vous êtes là ! Gagnons du temps, sortez !
Helvius, dissimulé grâce à un sort d'invisibilité, tressaillit. Il était fait comme un rat !
Pétra et Marius, occupés dans les couloirs à surveiller le retour du conseiller, n'avaient aucune idée de ce qui se passait. Quand bien même, impossible pour eux de rivaliser avec son pouvoir...
Il l'avait grandement sous-estimé, et cela allait lui coûter très cher.
— Je suis là ! admit-il en apparaissant près de la bibliothèque, dégainant son épée.
Une bourrasque vint le projeter instantanément contre le mur, lui faisant lâcher son arme.
— Si vous ne voulez pas que je recommence, dites-moi tout de suite, ce que vous faites ici !
Étourdi par le choc, le jeune homme, à genoux, toussa puis se releva difficilement.
— Je fais comme vous, je fouille, pourquoi ? répondit-il hargneusement.
L'homme suspendit son geste, faisant mine de ne pas comprendre. Helvius, fou de rage devant tant d'hypocrisie, serra les poings.
— Vous allez nier appartenir à l'ordre des voyageurs aussi ?
— Que... comment êtes-vous au courant ? balbutia le conseiller Altir en se retenant à son bureau.
Helvius s'engouffra dans la brèche.
— Nous avons découvert votre planque ! Vous êtes prêt à tuer, juste pour sauvegarder votre rang et votre mensonge ? Vous me dégoûtez !
Altir baissa les mains et s'affala sur le siège de son bureau. Son air menaçant et agressif avait totalement disparu. Ne restait plus qu'un homme dévasté, semblant avoir vieilli brusquement de plusieurs années.
Helvius, qui ne s'attendait pas à cette réaction, l'observa quelques secondes en hésitant. Il ramassa discrètement son épée pendant que le conseiller parlait.
— Je n'ai jamais voulu ça. Quand Astia est arrivée, j'ai tout de suite compris d'où elle venait et le risque qu'elle représentait pour moi... ma famille avait dissimulé la vérité depuis si longtemps, il m'était impossible de faire marche arrière. Que dirait les autres s'ils apprenaient que lors d'une expédition nous avions perdu un pendentif de transport et que c'est grâce à lui que ce peuple abject nous a envahi ?
— C'est bien beau, mais vous avez quand même tenté de la tuer !
Son interlocuteur baissa les yeux.
— Ce n'est pas moi, mais il est vrai que je n'ai rien fait pour l'éviter, se... commença-t-il à expliquer.
Il se figea, soudain, livide.
— Astia est restée à la cuisine à mon départ ?
Helvius ne comprit pas où il voulait en venir.
— Sans doute, pourquoi ?
— Vous devez y retourner, maintenant ! paniqua le conseiller. Elle est en danger !
— Mais de quoi parlez-vous ?
Le conseiller Altir se leva précipitamment.
— Ralus, c'est Ralus qui a tenté de la tuer !
Helvius rengaina son épée, sous le choc.
— Lui ! Mais... de toute façon, Irfric est avec elle. Elle ne risque rien.
Le visage du conseiller se décomposa.
— Votre ami ne tiendra pas deux secondes. Vous ignorez totalement de quoi il est capable !
Helvius se précipita vers la porte et hurla dans le couloir :
— Pétra, Marius, Astia a des ennuis, vite !
Sans attendre de réponse, il se retourna vers le conseiller.
— Venez avec moi ! ordonna Altir en lui tendant la main, nous serons plus rapides.
Helvius hésita un court instant, en regardant la paume du conseiller avant de la saisir et de disparaitre.
Rien ne l'avait préparé à ce qu'il vit à l'instant où il se matérialisa dans la cuisine. Pourtant, il avait déjà combattu vaillamment mais là, cela se passait au cœur de sa cité...
Le chaos.
Une odeur atroce de brûlé avait envahi la caverne. Des fumées épaisses enveloppaient l'ensemble de l'espace, dissimulant tout.
Plusieurs habitants couraient en hurlant, d'autres s'évertuaient à combattre les immenses flammes avec de ridicules marmites remplies d'eau.
Heureusement trois d'en eux possédaient le don de l'eau. Courageusement, ils combattaient le feu, en projetant d'immenses trombes d'eau à la base des flammes. Mais la chaleur insupportable les empêchait d'approcher suffisamment près, et faisait s'évaporer une partie de l'eau avant qu'elle n'arrive sur le foyer.
— Je vais les aider. Retrouvez vos amis lui hurla le conseiller.
Helvius, sous le choc, le regarda sans bouger, se précipiter vers les flammes.
D'horribles images défilaient dans l'esprit du jeune homme, lui intimant l'ordre de ne pas avancer. Se faisant violence, il se couvrit le visage avec une étoffe et approcha prudemment, épée au poing.
Ses mains tremblantes s'accrochaient si désespérément à la garde de son arme que ses phalanges blanchirent instantanément. Il ne distinguait rien à plus d'un mètre. La fumée lui brûlait atrocement la gorge et les yeux. Déboussolé, il tournait régulièrement la tête, ne sachant pas où s'orienter.
Il buta dans une table renversée.
Un gémissement étouffé lui parvint enfin. Il le suivit à travers la fumée, la boule au ventre. Ce n'était plus qu'un infime murmure à peine audible lorsqu'il arriva vers une autre table renversée.
Tremblant, le jeune Artémos serra la machoire et contourna la table.
Une forme inerte gisait au sol.
— Irfric !
De larges brûlures s'étendaient sur la majeure partie du torse et des jambes du guerrier. La peau à vif semblait même entièrement calcinée à certains endroits.
Helvius, hurlant, se laissa tomber près de son ami. L'atroce odeur de la chair calcinée le frappa de plein fouet. Refoulant un puissant haut-le-cœur, il se pencha sur le visage livide de son ami.
Aucun signe de vie n'était visible.
Helvius, désespéré, allait se relever quand soudain la poitrine d'Irfric se souleva très faiblement.
— À l'aide ! cria son ami en s'agenouillant, il est vivant ! Aidez-moi vite !
Des larmes coulaient de ses joues rougies.
Sirria apparut soudain dans son champ de vision suivi de près par Marius et Pétra, visiblement essoufflés et paniqués. La mage, en pleurs, se précipita vers son fils et le serra à l'étouffer.
— Tu n'as rien, mon fils ?
— Non... mais aide-le, je t'en prie. C'est... c'est ma faute, sauve-le sanglota-t-il inconsolable.
Elle s'agenouilla près du blessé d'un air horrifié et apposa ses mains bienfaitrices sur son front brûlant. Une lueur blanche illumina le blessé qui hurla soudainement avant de s'évanouir de nouveau. Sirria, atterrée, dévisagea son fils.
— Mais que s'est-il passé ?
— C'est l'œuvre de Ralus, avoua le conseiller Altir les habits à moitié brûlés, en s'approchant, visiblement exténué.
Il leva pourtant les bras, en fermant les yeux : une minuscule tornade se forma et dissipa en quelques secondes le reste de fumée, permettant enfin de distinguer l'ensemble de la cavité.
Aucune trace d'Astia ou du traître.
Helvius se releva difficilement. Il ne sut s'il devait se réjouir ou non de ne pas retrouver son amie. Un horrible pressentiment enserrait sa poitrine.
— Il l'a enlevée ! gémit-il en regardant autour de lui.
Il jeta un regard désespéré au conseiller et dégaina son arme d'un geste vif.
— Si vous avez une idée du lieu, dites-le-moi ! hurla-t-il en pointant son épée vers le haut dignitaire.
Celui-ci recula instinctivement.
— Je crois savoir où il se trouve... mais avant, promettez-moi que vous me laisserez lui parler. Je le connais depuis très longtemps, il m'écoutera.
Helvius jeta un regard à Irfric, agonisant à ses pieds.
Il ne servait plus à rien de parler. Il le savait mais il aurait accepté n'importe quoi pour éviter qu'Astia ne subisse le même sort qu'Irfric. Pétra et Marius l'entourèrent.
— Tu n'es pas seul, comment peut-on aider ? questionna la jeune fille l'air grave.
Helvius les dévisagea en leur souriant faiblement puis se tourna vers le conseiller.
— D'accord, je vous laisserai cinq minutes. Pétra et Marius, vous pouvez inspecter les environs au cas où quelque chose nous aurait échappé.
Il s'apprêtait à prendre la main d'Altir, lorsque Sirria le saisit par le bras, l'empêchant de partir.
— Non, c'est de la folie ! Tu as vu ce qu'il a fait ici ! Laisse-moi y aller à ta place.
Helvius se dégagea brusquement.
— Non, Irfric ne survivra pas sans ta magie. Je dois le faire.
— Le temps presse ! s'impatienta le conseiller. Si tu veux avoir une chance, c'est maintenant.
Helvius lui saisit la main, regarda sa mère une dernière fois, puis disparut.
— Pourquoi être venu là ? questionna Helvius, en reconnaissant le couloir menant à la salle sacrée.
Altir lui fit signe de se taire et de regarder à l'intérieur.
Astia gisait, prostrée au sol, de dos, non loin d'un Ralus totalement méconnaissable. Les cheveux à moitié brûlés, le regard fou, il semblait avoir définitivement perdu la raison.
Le conseiller Altir allait pénétrer dans la salle lorsqu'Helvius le retint par la manche.
— Vous êtes insensé ! Vous voyiez bien qu'il ne vous écoutera pas, il va vous tuer !
— Je dois essayer s'entêta-t-il. Vous, qui allez risquer votre vie pour votre amie, vous pouvez comprendre, non ?
Helvius hésita.
C'était de la pure folie.
Il jeta un regard sur Astia, toujours immobile. À cette distance, impossible de voir si elle était blessée. Était-elle encore capable de combattre ? Si une bataille éclatait maintenant, elle serait prise en étau, sans possibilité de fuir. Elle n'aurait aucune chance.
— Cinq minutes, murmura-t-il à contrecœur.
Son compagnon d'infortune acquiesça et s'avança à découvert.
— Ralus ! C'est moi ! cria-t-il en levant les mains en signe de paix.
Ralus le regard hagard, se tourna vers son vieil ami ainsi qu'Astia, attirée par le bruit.
Helvius mit la main devant sa bouche pour s'empêcher de crier : une énorme brûlure recouvrait l'intégralité du bras gauche de la jeune fille dont le visage était déformé par la douleur.
Le visage de Ralus s'illumina d'un sourire dément.
— Que fais-tu là ? Tu vas être fier de moi, regarde qui j'ai réussi à attraper ! Enfin !
— Mon ami, tu dois arrêter cette folie, avant que la forteresse entière ne parte en fumée ! Pense à notre peuple que tu mets en danger implora Altir en avançant lentement de deux pas.
Ralus, soudain hésitant, se figea et le regarda, le regard désespéré.
— Elles me manquent tant... je ne peux plus faire semblant, Altir.
Le conseiller s'arrêta en lui tendant sa main.
— Je sais...
— C'est à cause d'eux tout ça... notre monde a été détruit par leur faute, nos familles massacrées !
— Ta famille n'aurait pas voulu ça, mon ami...
Une rage indescriptible s'empara du forcené, déformant les traits de son visage. Le feu jaillit instantanément de ses mains.
— Comment oses-tu parler d'elles en présence de cette abomination ? Tu crois qu'elles ont voulu mourir à trente et dix ans ! fulmina-t-il, déchaînant un déluge de flammes en direction du conseiller.
Une bourrasque violente les éteignit in extremis avant d'atteindre le conseiller.
— Je comprends ta douleur mais Astia n'y est pour rien... Elle n'était qu'un bébé à cette époque. Elle est la meilleure chance que nous ayons contre les Otras, songes-y. Nous pourrions sauver d'autres familles grâce à elle. Je t'en prie, calme-toi.
Ralus leva les mains au plafond, faisant jaillir une colonne de feu, haute de plusieurs mètres.
— Peu importe ! Il faut que quelqu'un paie ! hurla-t-il en dirigeant les flammes vers son ami.
Le conseiller réagit trop tard, sa bourrasque mal dirigée, n'éteignit pas les flammes.
Il allait se faire brûler vif.
D'un bond, Helvius le plaqua au sol, lui évitant de justesse une mort atroce.
— Helvius !
Voyant son ami, Astia se redressa et reprit courage.
Une douleur inimaginable la fit hoqueter. L'impression que son bras était littéralement en feu.
Une douleur si implacable qu'elle lui arracha, sans qu'elle ne réussisse à le contrôler, un effroyable cri.
Incapable de mobiliser son bras gauche, elle tenta néanmoins de se concentrer. Ses cheveux furent bientôt parcourus par un frémissement puis se mirent à flotter.
Ralus se préparait déjà à une nouvelle salve de flammes.
Le conseiller et Helvius, se relevant difficilement, étaient à sa merci. Il lui fallait agir, maintenant. Elle concentra la moindre parcelle d'énergie de son corps et la focalisa dans ses mains.
Une main invisible, incroyablement puissante, balaya le cuisinier, qui alla se fracasser dans un bruit sec contre les parois.
La jeune fille s'écoula, à bout de forces.
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