Chapitre 11
—Astia, Astia tu m'entends ? questionna Sirria d'une voix tremblante, en ouvrant un minuscule flacon. Respire ça, tu te sentiras mieux après.
Elle souleva la tête de la malade délicatement et lui fit respirer une potion à l'odeur d'herbe. La jeune fille ouvrit difficilement les yeux. Chaque parcelle de son corps la faisait horriblement souffrir.
— Que... que s'est-il passé ? articula-t-elle avec beaucoup de difficulté.
Sirria, penchée sur elle, avait les cheveux encore plus ébouriffés qu'à son habitude. De larges cernes violets étaient apparus sous ses beaux yeux verts.
— Tu... tu as été blessée lors de l'épreuve. Tu nous as fait très peur.
Astia tenta de rassembler ses souvenirs mais tout était flou et décousu.
Le visage livide d'Helvius s'imposa.
— Helvius ? Il va bien au moins ?
La gardienne lui caressa le front, tendrement.
— Oui, grâce à toi. Il m'a raconté ce que tu avais fait pour lui. Je t'en remercie profondément.
Elle marqua une pause, semblant hésiter.
— Tu...
— Oui, qu'y a-t-il ?
Sirria grimaça puis prit une profonde inspiration.
— Tu es restée inconsciente deux jours. Tu as puisé dans tes dernières forces pour déchaîner autant de pouvoir. Tes jambes... j'ai bien peur qu'elles soient redevenues comme avant.
Le cœur d'Astia se serra comme pris dans un étau.
Elle tenta de faire bouger ses jambes de toutes ses forces, seuls les orteils se plièrent à sa volonté. Les muscles des jambes, eux, restèrent sourds à ses supplications. Des larmes coulèrent des joues de la jeune fille qui enfouit son visage dans ses bras.
Sirria la serra dans ses bras, en la berçant doucement.
— Ce n'est que passager. Dès que tes forces reviendront, tu pourrais marcher de nouveau. Cependant, tu dois être consciente que la prochaine fois, tu risques de ne pas avoir cette chance. Je suis désolée.
Astia eut envie de hurler mais à quoi cela aurait-il servit ? À rien... seulement à la rendre agressive et aigrie contre le monde entier.
Ce n'était pas ce qu'elle voulait. Ce monde lui avait permis de courir et de faire tout ce qu'elle avait toujours rêvé... elle devait en accepter le prix.
— Ça ira, déclara la jeune fille lentement, en essuyant ses larmes d'un revers de la main.
Sirria s'écarta un peu de la jeune fille, la regardant avec admiration.
— Des personnes sont impatientes de te voir, tu te sens prête ?
La jeune Terrienne hocha la tête.
— Vous pouvez entrer appela-t-elle, elle est réveillée.
Helvius et Irfric entrèrent lentement dans la cavité maison, visiblement mal à l'aise. Ils savaient, cela ne faisait aucun doute.
— Je leur avais demandé d'attendre pour venir te voir car tu étais très mal en point mais ils ont refusé de bouger de là.
La jeune fille esquissa un léger sourire.
Helvius s'assit à côté du lit, évitant de croiser le regard d'Astia. Un énorme bandage recouvrait entièrement son cou.
— Astia... je suis désolé, murmura-t-il, les yeux encore rougis par les larmes. J'étais censé te protéger, pas l'inverse.
Le cœur d'Astia s'emballa. Il avait l'air si triste. Elle lui serra tendrement la main. Leurs regards se croisèrent. Elle crut percevoir de la peur, de la culpabilité aussi, peut-être même autre chose dans les yeux de son ami.
— Tu... tu n'y es pour rien. Je suis capable de prendre soin de moi. Le plus important est que tu sois sain et sauf. J'ai eu si peur que le Semnos ne t'ait tué...
Irfric, voyant le trouble des jeunes gens, s'avança, un sourire aux lèvres.
— Au moins, on est sûre que voler ne fait partie de tes pouvoirs ! Jamais vu quelqu'un descendre si vite de cet arbre ! Heureusement que nous avons ralenti ta chute.
Astia rougit, elle allait devenir dans la mémoire collective, l'étrangère incapable de monter à un arbre. Quelle honte !
— Pétra et Marius ont demandé de tes nouvelles aussi, ils étaient très inquiets. Une petite surprise t'attend, dès que tu seras remise sur pied ! lui annonça Helvius.
* * *
Deux jours supplémentaires passèrent avant qu'Astia n'arrive à se mettre debout et à marcher sans l'aide d'une canne. Ses membres inférieurs étaient encore raides et douloureux mais la jeune rescapée n'aurait manqué sa balade du soir pour rien au monde. Pendant tout ce temps, Irfric ne l'avait pas quittée d'une seconde, jouant son rôle de garde du corps à la perfection.
Mais elle n'avait fait qu'apercevoir Helvius, apparemment trop occupé pour lui consacrer plus de deux minutes. Elle s'en voulut tout de suite de penser cela mais une partie d'elle ne put s'empêcher de se demander si cela avait un rapport avec la réapparition de son handicap.
Irfric s'arrêta en fixant son amie.
— Quelque chose ne va pas ? Tu as l'air ailleurs ce soir.
— Ce n'est rien.
Il se pencha et la dévisagea longuement.
— Tu veux en parler ?
Elle crut entendre son ami Léo. Son cœur se serra davantage. Ses parents et son meilleur ami lui manquaient terriblement ces derniers temps.
— En fait... je me demandais pourquoi Helvius n'était pas venu me voir, depuis mon réveil.
Irfric parut soudain soulagé et lui passa le bras sur ses épaules.
— J'ai cru que tu te sentais mal ! Pour Helvius, ne t'inquiète pas. Il a été pas mal occupé ses derniers jours. Vu que je ne pouvais plus faire les recherches, il s'en est chargé. Et justement, c'est lui que nous allons voir ce soir. Tu te souviens de cet endroit ? demanda-t-il en s'arrêtant devant une immense porte délimitée par un champ de force.
Elle n'aurait jamais pu oublier ce lieu si particulier : le refuge.
Elle se rapprocha instinctivement de son ami, rassurée par son impressionnante carrure.
— N'aie aucune crainte, les gardes sont là. De toute façon, les animaux n'attaquent jamais sans raison, je te le jure.
Astia frémit mais accepta néanmoins d'avancer en saisissant la main de son ami. Elle ressentit le frisson caractéristique de la barrière en la franchissant. Ils se retrouvèrent instantanément dans la moiteur de la forêt primaire, envahie de cris et de hurlement d'animaux.
Helvius les accueillit avec un grand sourire ainsi que l'intégralité des Artémos, Pétra et Marius en tête.
— Astia ! s'exclama le jeune homme en se jetant dans ces bras ! Enfin !
Il s'écarta doucement puis lui tendit une toge violette.
— Au nom de l'ensemble des Artémos, nous te remercions pour ton courage. Tu fais maintenant partie des nôtres. En remerciement de ton aide héroïque, accepte cette toge, symbole des Artémos.
Helvius leva son poing en l'air en hurlant de joie, aussitôt imité par les autres. Seul Artos, l'air renfrogné, resta en retrait.
Les joues de la jeune fille s'enflammèrent, et un sourire béant illumina son visage.
— Merci, je suis... très touchée par votre geste.
— Sirria a même obtenu que tu puisses assister à la cérémonie du Don glissa Irfric malicieusement. C'est un immense honneur !
— Si tu savais le mal qu'a eu Helvius à tenir le secret ! répliqua Pétra en arrivant hilare à ses côtés. Il était complètement déprimé de ne pas te voir ! Et Astia par ci et Astia par-là, imita-t-elle en prenant une voix plus grave.
Helvius la poussa d'un coup d'épaule en rougissant, ne sachant plus où se mettre.
— Mais non... pas du tout...
Astia, écarlate, aurait voulu disparaître sous terre. Irfric et Marius, eux, ne purent cacher plus longtemps leur hilarité et éclatèrent franchement de rire.
— C'est ça, oui ! répliquèrent-ils en prenant le chemin d'un sentier boueux. Allez, au feu de camp !
La petite troupe se dirigea vers la partie la plus dense de la forêt primaire.
Ils s'enfoncèrent quelques minutes dans la végétation de fougères immenses et d'arbres démesurés. Des oiseaux aux superbes dégradés de vert s'envolèrent sur leur passage ainsi que des petits singes jaunes.
Ils longèrent une rivière et parvinrent rapidement à une superbe cascade, haute de vingt mètres, plongeant dans un bassin d'eau bleu turquoise. Un feu de camp brûlait sur la berge, non loin de hamacs en tissu végétal.
— Voici notre repaire ! déclara Helvius. Magique, non ? s'enquit-il en s'asseyant près du feu. Et attend un peu, je suis sûre que tu n'as jamais vu ce qui va arriver.
Curieuse Astia regarda autour d'elle. Les autres Artémos s'étaient arrêtés de bouger et semblaient, eux aussi, attendre quelque chose, les yeux rivés sur la végétation luxuriante.
Un cri animal résonna soudain au loin à travers la jungle, puis de nombreux autres. Les branches et les feuillages frémirent puis s'agitèrent brusquement, ployant sous le poids de créatures invisibles.
— Ils arrivent ! s'écria joyeusement une jeune fille brune, désignant les arbres aux fruits rouges sur sa gauche.
Astia, médusée, la vit retirer ses habits et se précipiter en sous-vêtements vers le bassin aussitôt imitée par bon nombre des Artémos.
— A l'eau ! hurla Irfric joyeusement en courant.
Emporté par son élan, il ne prit pas le temps de se dévêtir et sauta tel quel dans l'eau sous les rires de ses camarades.
— Mais...commença-t-Astia en voyant Helvius commencer à faire de même.
— Regarde derrière toi, tu vas comprendre, lui suggéra Helvius, maintenant torse nu.
Rougissante, la jeune terrienne obtempéra : la horde entière des Lémiens venait de descendre des arbres et marchait en sa direction. Une bonne trentaine d'individus, mâles, femelles et même des jeunes avançaient paisiblement, certaines femelles portaient d'adorables bébés agrippés à leur dos ou à leur ventre.
— N'aie crainte, ils ne sont pas agressifs, ils viennent ici chaque soir, à la tombée du jour. Laisse-les te sentir, c'est comme ça qu'ils nous reconnaissent et nous saluent.
Astia, le cœur battant, s'obligea à rester immobile alors que la horde l'entourait. Une femelle au pelage bleu parsemé de blanc se détacha du groupe et s'avança vers elle.
Pas plus haute que les épaules de la jeune fille, sa façon un peu raide de se mouvoir et son dos légèrement courbé, trahissaient un âge sûrement déjà bien avancé. La femelle s'approcha au point de frôler Astia, la renifla puis posa sa main sur son bras. Ses grands yeux noirs fixèrent avec bienveillance la jeune fille puis elle se dirigea tranquillement vers l'eau. Les autres Lémiens se mirent à pousser des cris de joie en sautant sur place puis se dispersèrent sur les berges.
— C'est Arl'ki, la matriarche de leur peuple, lui dit Helvius.
Astia, absorbée par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux, se contenta de sourire béatement.
— Regarde, lui dit-il en désignant le bassin.
Les premiers Lémiens s'apprêtaient à rejoindre les Artémos nageant tranquillement. Au contact de l'eau, leur pelage se mit à étinceler comme s'il avait été recouvert de centaine de paillettes. Les Lémiens se mêlèrent aux Artémos, illuminant ainsi l'ensemble du bassin de façon féerique. Des jeunes, intrépides, sautaient dans les bras des Artémos tandis que d'autres plongeaient à la recherche de quelques poissons.
L'instant était tout simplement magique pour Astia qui n'en croyait pas ses yeux. Elle était incapable de détacher son regard de cette scène surréaliste. Un monde aussi fantastique pouvait-il réellement exister ?
Comme pour lui répondre, un petit Lémien se frotta à ses pieds et lui saisit la main. Sa bouille toute mouillée et ses grands yeux noirs semblaient l'inviter à la baignade. Elle s'accroupit et caressa sa douce fourrure. Le jeune animal émit un doux feulement puis la tira vers l'eau.
— Allez ! Viens ! l'incita Helvius en retirant son pantalon, c'est un délice ! Même Til'clon est d'accord avec moi ! Et puis dis-moi, tu as souvent eu l'occasion de faire ça chez toi ?
Astia se redressa et sourit. Là, il marquait un point, songea-t-elle. Il est vrai que se mettre en sous-vêtements devant ses nouveaux amis la mettait très mal à l'aise mais une occasion comme celle-là risquait de ne jamais se reproduire. Til'clon, le petit Lémur, lui tira de nouveau la main, semblant comprendre son dilemme intérieur. Hésitante, la jeune fille se mordit l'ongle en fixant Irfric et les autres en train de rire dans l'eau scintillante puis reporta son attention sur le petit Lémien qui sautait maintenant d'impatience. Elle expira profondément.
— Tu ...tu peux te retourner s'il te plaît, demanda-t-elle timidement, en levant les yeux vers Helvius.
Le jeune homme, soudain rougissant, en la voyant commencer à retirer son haut, se tourna vivement vers la jungle.
Astia se déshabilla le plus vite possible puis suivit le jeune Lémien et plongea dans l'eau, délicieusement chaude.
—Tu peux venir ! cria-t-elle à Helvius, le lémien dans les bras.
Le petit primate se servit des épaules d'Astia comme d'un tremplin et sauta dans l'eau, l'éclaboussant. Bon nageur, il ne fallut que quelques secondes à l'animal pour réapparaître à la surface, semblant narguer sa nouvelle amie.
— Dis donc petit monstre ! Tu vas voir ! s'écria Astia riant, en lui lançant de l'eau dessus.
Til'clon cherchant un abri, sauta dans les bras d'Helvius qui venait de les rejoindre.
—Alors, tu ne regrettes pas ?
La jeune fille le regarda, les yeux pétillants, s'attardant un instant sur les muscles saillants du jeune homme. Elle sentit ses joues s'empourprer quand le jeune homme se rapprocha.
—Comment pourrais-je ? C'est la meilleure soirée que j'ai passée depuis bien longtemps !
—Alors, viens voir la dernière surprise lui dit-il en lui saisissant la main.
Un frisson parcouru la jeune fille quand elle toucha la peau mouillée de son ami. Essayant de cacher son trouble, elle détourna le regard et observa Til'clon s'éloigner puis suivit Helvius vers la cascade, un peu en retrait des autres. Aucun Lémien ne s'y trouvait. L'endroit, plongé dans la pénombre, offrait une vue imprenable sur l'ensemble du bassin et de la chute d'eau.
— Vous avez le droit de venir quand vous voulez ? demanda Astia en s'asseyant sur un rocher à côté d'Helvius.
Le jeune homme, dont le visage n'était plus qu'à trente centimètres d'elle, semblait mal à l'aise. Il n'osait plus la regarder et fixer les autres Artémos.
— Helvius ? Ça va ?
Tournant la tête vers elle, il plongea son regard dans le sien. Astia n'osa plus faire un mouvement. Son cœur se mit à battre intensément quand elle vit le jeune Imien se pencher lentement vers elle. Le cœur battant la chamade, elle posa sa main sur la sienne, lui souriant tendrement. Leurs visages se rapprochèrent encore, leurs lèvres n'étant plus séparées que par quelques centimètres.
Un cri joyeux fusa, aussitôt suivi d'un énorme plongeon. Des trombes d'eau les recouvrirent entièrement.
Irfric, jubilant, sortit la tête de l'eau.
— Je ne vous ai pas dérangés au moins ? questionna-t-il avec un large sourire.
Helvius s'abstint de lui répondre mais le regard noir qu'il lui lançait était tout aussi parlant que des mots. Astia lui prit tendrement la main.
— On devrait rejoindre les autres proposa-t-elle, ils sont presque tous sur les berges.
En effet quand ils sortirent de l'eau, la horde de Lémiens avait déjà disparu dans les arbres et les Artémos s'étaient installés pour la plupart autour du feu de camps.
Astia, arriva la première à la berge, suivie de près par Helvius. Elle sortit de l'eau en tremblant légèrement, chercha autour d'elle un moyen de se couvrir.
—Je peux t'aider si tu veux, lui proposa une jeune fille au visage encore enfantin.
—Heu oui, merci répondit Astia, se demandant comment cette jeune fille pensait l'aider à se sécher ou à dissimuler son corps sans serviette.
La jeune fille tendit une main et se concentra, une mini tornade d'air chaud se matérialisa et s'envola sur Astia, déroutée. En dix minutes, sa peau fut parfaitement sèche ainsi que ses cheveux.
—Merci, tu as un sacré Don ! s'exclama-t-elle en se rhabillant rapidement.
—Je m'appelle Elouine, ravie de faire enfin ta connaissance.
— Moi aussi.
Marius s'approcha d'Astia en lui tendant un fruit de couleur violette.
— Goûte-moi ça, c'est délicieux.
L'air dégouté, Helvius et Irfric se jetèrent sur le fruit, avec une seconde de retard. Astia l'avait déjà dévoré. Des pétillements étranges et un horrible goût de chaussettes pourries lui remonta dans la bouche.
Marius éclata de rire en la voyant tout recracher.
— Désolé, mais c'était trop tentant ! Savoureux, non, le fruit de l'arbre Tillus ?
— Immonde oui ! Tu ne perds rien pour attendre !
Marius sourit de plus belle, la toisant d'un air de défi. La jeune fille, hilare, leva les bras en regardant le bassin. Il n'eut pas le temps d'esquisser le moindre mouvement qu'une trombe d'eau lui tomba dessus, provoquant l'hilarité générale. Même Helvius ne put se retenir de rire.
— Alors vaincu ? questionna-t-il entre deux fous rires.
— Oui, je me rends, elle est trop forte pour moi ! déclara Marius dégoulinant en s'allongeant, lançant un clin d'œil à son adversaire. La prochaine fois qu'on passe une épreuve, tu es dans mon équipe !
Astia, acquiesça, radieuse. Pour la première fois, elle se sentait à sa place parmi ces jeunes étranges et chaleureux. Tous s'installèrent autour du feu et savourèrent un plateau entier de fruits aux multiples couleurs. Les discussions allaient bon train, certains chantaient, riaient. Le groupe s'éparpilla progressivement le long de la berge. Une bonne partie des jeunes gens allèrent se baigner.
Helvius et Irfric profitèrent d'être seuls avec Astia. Ils lui firent signe de les suivre un peu en retrait.
— J'ai trouvé quelque chose pour toi avoua le jeune homme à la balafre à voix basse.
Astia le questionna du regard, intriguée.
— Dans les archives, j'ai appris une information intéressante : l'ordre des voyageurs possédait une plaque secrète.
Astia crut avoir rêvé. Un espoir enfin ?
— Vous croyez qu'il reste des pendentifs ?
Les deux jeunes hommes se regardèrent, haussant les épaules.
— Il n'y a qu'une façon de le savoir murmura Irfric.
— Vous avez une idée du lieu ?
Helvius, fier de lui, haussa un sourcil avec un grand sourire. Même Irfric piétinait guettant sa réaction.
— Justement, viens voir ce que l'on a découvert dit-il d'un air mystérieux en attirant la jeune fille vers la cascade.
Il la dirigea vers un chemin, fait de terre et de roches plates, qui serpentait en direction de la cascade. Les embruns rendant les pierres extrêmement glissantes à l'approche de l'eau, Helvius proposa son bras à la jeune fille pour se stabiliser, laissant Irfric passer devant. Ce dernier s'engagea sous la puissante chute d'eau et désigna un endroit précis sur la roche.
Astia resta bouche bée.
Un symbole identique à son médaillon était gravé sur la roche.
Irfric lui indiqua d'un geste de la main de ne pas attirer l'attention. Ils descendirent de façon nonchalante le chemin et allèrent s'isoler discrètement dans la jungle.
La voix étranglée par l'émotion, Astia s'appuya contre le tronc d'un arbre pour se calmer.
— Vous pensez qu'une salle est dissimulée là-bas ?
— Notre peuple adore ce genre de stratagème, c'est tout à fait possible murmura Helvius.
— Sans compter que l'accès est réglementé ici, c'est l'endroit parfait !
Astia écouta les rires qui fusaient à quelques mètres d'eux.
— Impossible d'y aller sans se faire voir pour l'instant soupira-t-elle. Tes amis nous verraient tout de suite.
Helvius scruta le plafond de la cavité. La luminosité avait déjà énormément baissé depuis leur arrivée.
— L'heure est déjà bien avancée. Attendons qu'ils s'endorment.
— Nous devrions les rejoindre. Notre absence va être repérée conseilla Irfric en prenant la direction des berges.
Astia n'en avait aucune envie maintenant. Elle était si proche du but. Elle devait obtenir des réponses, des vraies et maintenant ! Sa patience était à bout. Elle se mit néanmoins à suivre ses compagnons en traînant les pieds.
* * *
Les ronflements avaient remplacé les rires depuis un certain temps déjà. Les pierres lumineuses éclairaient faiblement l'ensemble du plafond de la grotte tel des centaines d'étoiles. Seuls les chants de certains oiseaux résonnaient encore.
Astia leva discrètement la tête et jeta un coup d'œil aux hamacs dispersés autour d'elle. Aucun mouvement suspect.
Seul Irfric était réveillé et se dirigeait vers leur lieu de rendez-vous.
— Helvius, murmura Astia, en lui effleurant l'épaule.
Le jeune homme tressaillit légèrement à ce contact et se retourna brusquement. Leurs visages se retrouvèrent à quelques centimètres l'un de l'autre. Leurs regards se croisèrent. Astia sentit ses joues s'empourprer.
— C'est l'heure murmura-t -elle en souriant maladroitement en le fixant.
Immobile, il semblait hésiter. Les battements de son cœur s'accélérèrent au moment où il se pencha vers elle mais il s'arrêta à quelques centimètres de son visage, la regarda sans rien dire quelques secondes, puis se releva d'un bond.
— Ce... il faut y aller ! lança-t-il dans un murmure en lui tendant la main.
Interdite, Astia se leva en le dévisageant sans comprendre. Visiblement mal à l'aise, le jeune homme fuyait son regard. Il sortit de sa poche un petit champignon fluorescent et se dirigea vers la chute d'eau. Astia lui emboîta le pas, perplexe.
Rejoignant Irfric, ils se faufilèrent sans un bruit jusqu'à la cascade.
— Une idée pour l'ouvrir ? s'enquit Astia en scrutant minutieusement le symbole.
Irfric apposa ses mains sur la roche, examinant chaque centimètre carré de la paroi à l'aide d'un champignon luminescent, semblable à celui d'Helvius.
— Cherchez une partie amovible, n'importe quoi, un creux, une aspérité.
Astia tiqua. Vu la superficie de la paroi, ils en avaient pour des heures. Et le temps pressait, les autres pouvaient se réveiller d'une minute à l'autre.
— Nous devons nous dépêcher.
Mais elle avait beau regarder attentivement la roche, aucun mécanisme d'ouverture ne semblait exister. Ils s'étaient peut-être fourvoyés... rien ne se cachait derrière cet amas de pierre.
Les mains d'Astia se crispèrent sur la roche au moment où une image de sa famille apparut dans son esprit. La colère et le désespoir l'envahirent, faisant naître une vague de pouvoir en elle.
Ses cheveux se soulevèrent à l'instant où une lumière blanche s'échappa de ses doigts et se transmit à la roche, qui s'illumina à son tour.
— Astia, calme-toi murmura Helvius en lui prenant les bras.
Semblant émerger d'un rêve, la jeune fille le regarda sans réagir quelques secondes puis laissa retomber ses bras. La lumière disparut.
Un craquement fit trembler l'imposant bloc de pierre.
Une entrée venait d'apparaître.
— Enfin ! laissa échapper Astia en posant un pied dans la cavité découverte.
Mais Irfric la saisit par le bras.
— Non, je passe devant. Tu oublies que je suis toujours ton garde du corps. Et vu ce qui vient de se passer, interdiction de toucher à quoi que ce soit !
Il ramassa une branche morte et murmura un mot incompréhensible : la partie haute du bois s'enflamma.
— Suivez-moi doucement, conseilla-t-il, et prudence, nous n'avons aucune idée de ce que l'on va trouver.
Astia lui emboîta le pas, aussitôt suivie d'Helvius qui ferma la marche. Ils se retrouvèrent dans un couloir sombre. La torche et les champignons fluorescents n'éclairaient que partiellement le couloir, projetant une multitude d'ombres angoissantes.
Très rapidement, ils débouchèrent sur une cavité, d'une cinquantaine de mètres carrés, essentiellement meublée de bureaux, et d'étagères, recouvertes de bibelots et d'objets divers. Astia s'approcha intriguée et poussa un cri.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit Helvius en accourant.
— Ces objets, bredouilla Astia tremblante. Ils viennent tous de mon monde.
Certains de ces objets, comme un vieil appareil photo ou une ancienne montre à gousset, dataient du début du 19e siècle. D'autres, au contraire, étaient récents.
— On dirait une collection... une collection réalisée à travers plusieurs siècles.
— Des chercheurs ! déclara Irfric en soulevant une énorme pile de documents. Ils étudiaient ton monde. Et depuis des siècles !
Mais dans quel but ? Et pourquoi le cacher à leurs compatriotes ?
— Il faut trouver la raison de ces recherches et surtout qui les mène encore, déclara Astia sous le choc, en fouillant méthodiquement le deuxième bureau.
Rien.
Que des papiers sans importance. Aucun pendentif.
Des relevés météorologiques et sismiques de différentes régions de la Terre. Pourquoi effectuer de pareilles recherches sur un monde qu'ils n'habitent même pas ?
— De quoi parlent vos documents ? se renseigna la jeune Terrienne en fronçant les sourcils.
Helvius, les yeux rivés sur des feuilles, énuméra.
— Modification des températures, fontes des glaces, instabilité du climat.
— Pareil pour moi, confirma Irfric en se tournant vers Astia. Pourquoi ?
— Je ne sais pas... vous ne trouvez pas ça curieux vous, qu'ils s'intéressent autant à un phénomène qui ne concerne pas leur monde ? Des phénomènes qui se produisent aussi en partie ici, c'est troublant, non ?
Irfric se laissa tomber sur la chaise toute proche.
— Ils tentent d'enrayer les anomalies !
— Oui, mais alors pourquoi le cacher ? questionna Helvius, incrédule.
Oui, pourquoi ? La population et le conseil seraient ravis de ces recherches. Ils les soutiendraient sans aucun doute. Quelque chose clochait... qu'avaient-ils si peur que l'on découvre ?
Une idée commença à germer dans l'esprit de la jeune fille.
— Les anomalies, comme vous les appelez, elles sont apparues depuis combien de temps ?
Helvius et Irfric se dévisagèrent, ne comprenant pas où leur amie voulait en venir.
— Bien avant notre naissance ou celle de nos parents répondit Helvius de façon désinvolte.
— Dans les archives du royaume, les premiers rapports faisant état de catastrophe inhabituelle remontent à peu près à l'arrivée des Otras confia Irfric après un moment de réflexion.
Se pouvait-il qu'il s'agisse d'une simple coïncidence ? Se pouvait-il que tout ceci soit lié ?
Helvius remarqua l'air préoccupé de son amie.
— Tu les crois responsables de la venue des Otras ?
— Cela expliquerait leur silence et leur recherche, non ? Vous m'avez bien dit que vos ennemis me ressemblent trait pour trait ?
Irfric s'enfonça un peu plus dans son siège.
— Il est vrai qu'on n'a jamais compris d'où ils venaient... Cela expliquerait bien des choses en effet murmura-t-il pour lui-même. Pourquoi ils ont réussi à franchir un portail magique alors qu'ils sont totalement dénués de magie mais surtout pourquoi ils haïssent tant nos pouvoirs.
— Et surtout pourquoi l'ordre des voyageurs se cache ! Imaginez la réaction de la population si elle apprenait qu'un ou plusieurs des nôtres sont responsables de la venue de ces êtres abominables, de cette guerre et de la destruction de l'arbre sacré, lâcha Helvius stupéfait. Ce serait...
— La guerre civile, conclut Irfric, blanc comme un linge.
Astia fixa ses deux amis, un sentiment de culpabilité l'envahit.
Ils étaient figés, les yeux dans le vague, déboussolés par le choc de la nouvelle.
Leur monde qu'ils croyaient connaître par cœur, risquait bientôt de s'écrouler. Et elle en était en partie responsable.
Tout ça pour rien... Aucun n'indice n'expliquait pourquoi elle avait été mêlée à ça et encore moins qui en était responsable.
Qu'allaient-ils trouver d'autre, s'ils continuaient de creuser ?
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