L'appréhension qu'Asha ressentait n'avait pas cessé de l'envahir tout entier, jusqu'à l'engloutir sans pitié. Ça ne s'améliorait pas au fil de ses pas qui, peu à peu, le mèneraient vers un endroit encore inconnu de lui, au bout de ce couloir froid et gris. Thomas ne cessait pas, lui non plus, de parler afin de le rassurer. Mais tout ce que Asha percevait de ses paroles n'en furent que des bribes de mots incompréhensibles. Le pire était son incompréhension face à son appréhension. Aussi, il en avait assez des questions qui défilaient inlassablement dans sa tête, et des possibles réponses toutes plus effrayantes les unes que les autres.

Et bien qu'il le voulut, ce moment ne dura pas une éternité, puisqu'il finit, malgré lui, par rejoindre une autre porte, la fameuse porte, identique à celle qu'il eût traversé plus tôt. La répétition ne rassura pas plus Asha que les paroles envolées de Thomas. Thomas qui poussa la porte rapidement, sans aucune pitié pour Asha qui, livide à l'extérieur, vivait une atroce angoisse à l'intérieur.

Il ferma les yeux en même temps que la porte grinçait. Il avait pu entendre, une fraction de seconde, des voix murmurer qui s'étaient tues aussitôt. Dans le silence complet, il décida enfin d'ouvrir les yeux. Il découvrit alors une drôle d'assemblée, certains sur des chaises, d'autres assis par terre et d'autres encore se tenant debout. Parmi ces derniers, Asha vit d'abord un très grand homme à la carrure impressionnante. Sa posture était si droite que si sa poitrine ne se soulevait pas régulièrement, il aurait très bien pu s'agir d'une statue.

À gauche de cet homme se tenait une femme presque aussi grande. Elle avait des épaules larges et son t-shirt délavé laissait apercevoir des bras musclés. Elle se tenait droite, elle aussi, et son visage de fer semblait familier à Asha. Peut être l'avait-il entraperçue plus tôt, alors que son état ne lui permettait pas d'être pleinement conscient. Il sut cependant reconnaître Juvénile et sa silhouette enfantine, assise à la droite d'une jeune fille inconnue des souvenirs d'Asha. Celle-ci avait une longue frange droite qui cachait ses yeux. Ses cheveux noir corbeau et sa peau pâle, bien que d'une couleur miel, lui donnaient un air morbide et Asha se demanda si elle était aussi froide que son apparence. Derrière cette étrange jeune fille se tenait une autre fille plus jeune qui sautillait gaiement. Ses nattes blondes se balançaient de part et d'autres de son visage au rythme de ses sauts.

Asha sourit à la vue du père et de sa très jeune fille, qui souriaient eux aussi. L'âge commençait à marquer le visage du père à son plus grand regret. Sa fille était extrêmement jolie, pensa Asha, avec son visage constellé de tâches et sa chevelure rousse.

Étaient ensuite assis deux personnes qu'Asha n'avait jamais vu. Elles se ressemblaient fortement mais l'une était une fille, l'autre un garçon. De jeunes adultes, à l'évidence, et sûrement jumeaux. C'est leur physique qui intrigua Asha. Leur peau était blanche aux reflets verdâtres. Leur chevelure était d'un blond platine étonnant, mais pas moins que leurs yeux. Au milieu de leurs yeux figurait une pupille fendue à la verticale, entourée d'un iris vert. La fille avait un sourire carnassier et son frère semblait apeuré. Asha préféra fixer le jeune homme à côté d'eux. Il le reconnut de suite. Aimé. Aimé qui n'aimait personne. Aimé, sa peau mate, ses yeux gris et ses cheveux d'un brun si foncé qu'il en paraît noir.

Tous, à l'exception d'Aimé, lorgnaient Asha avec un regard empli tantôt de jugement, tantôt de bienveillance. Asha en fut vite mal à l'aise, et lorsqu'il remarqua qu'Abel manquait à l'appel, Thomas, à ses côtés, prit la parole.

- Mes chers amis, nous sommes ici réunis en l'honneur d'Asha, que nous avons retrouvé blessé, mais vivant. Il se porte mieux aujourd'hui et je compte sur vous pour l'accueillir de la meilleure façon possible dans ces conditions.

Tous approuvent d'un signe de tête.

- Je propose donc, reprit Thomas, que nous nous présentions d'abord à lui, un par un, afin que Asha puisse se sentir plus à l'aise, n'est-ce pas ?

Thomas se tourna vers Asha qui ne savait pas trop quoi faire. Il opina alors sans dire mot.

Avant même que Thomas ne dise quoique ce soit, c'est le premier homme à la carrure imposante qui prit la parole.

- Major Astakhov ! Gaëtran Astakhov. Ancien militaire pour la Résistance, unité d'artillerie. Enchanté.

Sans qu'une seconde se passe, la femme à ses côtés ouvrit la bouche pour crier sur le même ton :

- Caporal Vane, Kalypso Vane. Ancienne militaire pour la Résistance, unité d'artillerie. Ravie de vous connaître.

Asha ne sut que penser des ces présentations très officielles. Il devina que Kalypso et Gaëtran se connaissaient bien avant qu'ils ne finissent là. Son regard croisa alors celui de Juvénile, qui n'avait même plus besoin de se présenter.

- Juvénile, toujours là pour tromper l'ennemi ! S'enquit-elle de sa voix fluette.

Asha lui sourit, et fixa la fille aux cheveux noirs.

- Moi c'est Morrigan. C'est tout c'que t'as à savoir sur moi. Celle qui saute comme une tarée derrière c'est Felicity. Elle est muette. Viens pas l'embêter.

Asha nota pour lui même qu'il n'irait parler à Morrigan qu'en cas d'extrême nécessité.

L'homme aux côtés de Morrigan se leva, fit une drôle de courbette et prit la parole.

- Gustav. Doyen du groupe à mon plus grand malheur, mais père de Mériline pour mon plus grand bonheur, hein chérie ?

- Papa, arrête de parler aussi bien, ça te va pas.

Gustav en resta bouche bée et se rassit en faisant la moue. De ce point de vue, sa fille paraissait plus mature que lui.

Ce fut au tour des étranges jumeaux, et c'est la jeune femme qui se leva d'abord, son sourire grandissant.

- Judy, ssssoeur jumelle de Jody, assssis isssi-même, siffla-t-elle en montrant du doigt son frère recroquevillé sur lui même. Tu n'as pas besoin de ssssavoir pourquoi nous ssssommes ainsssi, vraiment. Hein Jody ?

Jody bredouilla un faible "oui" pour toute réponse.

Aimé eut un rictus de dégoût et ne daigna pas se présenter. Asha se tourna alors vers Thomas.

- Hé bien ! Merci pour ta longue tirade, Aimé, nous n'avions pas besoin d'en savoir tant ! (Il se tourna à son tour vers Asha) Voilà, Asha, tu connais tout le monde dans notre petit groupe ! Ne t'en fais pas, ils vont très vite d'adopter, tu verras. Tu sais, nous sommes tous ici, toi y compris, déchus. Perdus. Abandonnés. Nous avons été seuls, tristes, blessés, nous avons vu, vécu des choses horrible. Nous avons tout ça en commun. Ça fait de nous une famille, Asha. Une famille soudée. Alors, tout ce que je peux te dire maintenant c'est...

Il marqua une pause symbolique.

- Bienvenue dans la famille ! S'exclama-t-il avec un grand sourire qui sonnait plus vrai que ceux des autres.