Le lendemain, Asha s'inquiéta en voyant son bracelet clignoter furieusement. Il venait à peine de se réveiller, et une odeur d'œuf et de bacon traversait la pièce.

— T'es réveillé ? Questionna Ciel depuis la cuisine.

— Oui, mais...

Il se leva rapidement et suivit instinctivement l'odeur, jusqu'à ce qu'il arrive devant Ciel.

— Ah, oui, quand ça clignote en violet, c'est des appels manqués. Quand c'est violet clair, c'est des messages, précisa-t-il en surveillant sa poêle.

Asha resta dubitatif devant son bracelet.

—Fais glisser ton doigt dessus pour voir ça ! Conseilla Ciel. Tu le savais pas ?

— Euh, non, je ne suis pas encore très familier avec ce truc...

Il fit ce que Ciel lui avait dit, et un mini écran holographique fut projeté au-dessus de son poignet. Il blêmit en voyant les trente-six appels manqués d'Abel.

— Il faudrait que je le rappelle ? Demanda-t-il, paniqué.

— Ah, bah si c'est tes amis, ouais, ils doivent s'inquiéter.

Asha se sentit coupable et espéra que rien de grave n'était arrivé avant de poser son index sur l'icône en forme de téléphone.

Il n'eut même pas le temps de sonner puisqu'Abel décrocha tout de suite.

— Joachim ?! Putain j'y crois pas, enfin !

— Je...

— On s'inquiète, Tanja et moi depuis hier soir ! Tout va bien, tu as pu trouver un logement où dormir ?

L'androïde fut déstabilisé par l'utilisation des faux noms, mais il réalisa qu'en effet, il ne serait pas très malin de dévoiler sa réelle identité au téléphone, alors que les appels étaient probablement surveillés et localisés.

— Oui, tout va bien, je suis avec Ciel.

— Vous pouvez me faire confiance, je m'occupe bien de lui ! Cria le concerné depuis sa cuisine, où il s'affairait toujours.

— Il a dit que...

— J'ai entendu, lui assura Abel. Bon, tiens-nous informés.

— Au rev...

Trop tard, Abel avait déjà raccroché.

Asha regarda le mur en face de lui. C'était juste du béton, triste, comme lui. Il savait qu'il n'allait pas pouvoir revoir Abel et Judy d'ici un petit moment. Sortir en ce moment, c'était trop dangereux. Et se donner rendez-vous par téléphone ou par message ? Même pas en rêve : c'en serait fini de lui.

— Tu viens manger ? Comme j'ai pas souvent des invités, j'ai fait un p'tit déj de luxe !

Un faible sourire se dessina sur les lèvres de l'androïdes et il partit se saisir de l'assiette que lui tendait Ciel.

— C'est pas du vrai, évidemment, mais de toute façon, tout le monde crache sur la nourriture synthétique alors que, en vrai, c'est pas si mal.

— Ce n'est pas moi qui m'irait me plaindre, de toute façon, renchérit Asha.

— En plus, comment tu veux que je critique quoi que ce soit, moi j'ai jamais mangé un vrai œuf ou une vraie tranche de bacon ! Rit Ciel.

Ils mangèrent leur petit déjeuner et Ciel ne tarda pas à allume la télé. Sur toutes les chaînes, une banderole défilait, en haut ou en bas de l'écran (voire les deux), précisant qu'Asha était toujours recherché.

— Ça craint... soupira-t-il.

Toutes les cinq minutes, une brève coupure se faisait pour afficher l'annonce en plus gros, et un portrait-robot réalisé à partir des seules photos qui avaient pu être prises.

Le visage était assez similaire au sien, mais ses traits avaient été adoucis (la photo originale n'était même pas très nette). Ses yeux étaient marrons (il devait donc se débarrasser définitivement de ses lentilles) et ses cheveux un peu plus courts, et un peu plus foncés (sa coloration s'estompant déjà). En plus, il n'avait pas de barbe sur le portrait, et portait encore ses anciens habits.

— Bon... La situation n'est pas si critique que ça, fit remarquer Ciel en posant sa fourchette. Tu es assez différent de ton portrait. J'pense que tu crains rien en sortant, mais évite les endroits peu fréquentés. La foule c'est super quand tu veux rester caché : personne fait attention à toi. Par contre, évite les appels inutiles où ton identité peut être dévoilée, ce serait vraiment trop con.

Le concerné hocha la tête, embêté.

— Tu voudras bien m'accompagner, si je sors, hein ?

— Mais oui, chou, affirma tout de suite Ciel en ébouriffant affectivement ses cheveux.

Asha se remit à sourire, rassuré.

Quelques jours passèrent sans que rien ne se passe. Asha n'osait pas réellement sortir, au début, alors il passait ses journées avec Ciel, chez lui. Ils ne se parlaient pas beaucoup, mais lorsqu'un échange s'établissait, tout se faisait naturellement, comme s'ils étaient amis de longue date. Cela plaisait à Asha. Il se plaisait, là, avec son nouvel ami, même si l'endroit où il vivait était très loin du palace dans lequel étaient toujours hébergés Abel et Judy.

A chaque nouvelle discussion, Ciel abordait des sujets toujours plus intimes sur la vie d'Asha : il se montrait réellement curieux et désireux de mieux connaître l'androïde, qui coopérait avec plaisir.

— C'est ça. Après cet épisode avec George, j'ai dû m'enfuir et je me suis retrouvé à vivre en bas, avec les « Erreurs ». Ils ont tous été vraiment gentils avec moi. Enfin, presque tous, sourit-il tristement en pensant à Aimé. Je ne sais pas vraiment combien de temps j'ai vécu là-bas. Plusieurs mois, je crois. Peut-être même un an, ou plus ? Enfin... Ils me manquent. Certes, il y a encore Abel, Judy, et... non, il n'est plus là non plus. Je ne sais pas si je les reverrai un jour. Et puis, combien de temps s'est passé depuis que je les ai laissés ? Un mois, deux mois, trois ?

Ciel écoutait attentivement. Il hochait la tête, il affichait une moue triste, parfois, ou souriait quand Asha évoquait des moments joyeux.

— De qui tu parles, quand tu dis « presque tous » ? Et qui n'est plus là non plus ? Demanda calmement son ami.

— C'est Aimé...

— Tu m'en as jamais parlé. Pourtant, on dirait que tu tiens à lui.

— On peut dire ça comme ça, soupira Asha qui sentait ses yeux s'humidifier.

— C'est pas grave si tu veux pas en parler, rassura Ciel en posant une main sur l'épaule de l'androïde.

— Tout ça pour dire que j'espère réellement les revoir un jour. En plus, une de ces personnes attend un enfant... J'espère qu'ils vont bien, que rien ne leur est arrivé.

— Pourquoi leur arriverait-il quelque chose ? Ils sont à l'abri, sous terre, non ?

— Mais, il y a les A.S.H.A...

Ciel eut l'air de ne pas comprendre.

— Mais si, tu sais, les A.S.H.A qui patrouillent dans les égouts et couloirs qui relient chaque abri. Ils tirent à vue. Ils tuent.

Des images passèrent rapidement devant les yeux d'Asha. Son visage devient soudainement très pâle et il se mit à trembler en Gaëtran mourir sous ses yeux.

— Mais non, je n'en savais rien... Avoua Ciel, choqué.

— Ils sont très grands, et ils sont très différents des A.S.H.A d'ici, avec des armes intégrées à leur corps.

Ciel rongea nerveusement l'un de ses ongles et ses sourcils exprimaient sa confusion.

— Mais alors, ceux qui vivent là-bas ne sont pas seulement injustement exilés, ils sont obligés de vivre confinés et, pire, ils sont mis à mort ?

— Eh bien, oui, je pensais que c'était su de tout le monde...

— Je n'ai vraiment pas les mots, affirma Ciel. Personne ne sait rien de tout ça ici. Pas à Sankyo, en tout cas. Et si ça se savait ! Il y aurait très sûrement une autre révolution.

Asha se tut. Parler de tout ça avait rendu son cœur lourd, et il détourna le regard pour éviter de montrer à quel point ça l'avait touché.

— T'en fais pas, finit par dire Ciel en prenant l'androïde dans ses bras. Tu les reverras, j'suis sûr. Je sais pas quand et comment, mais tu t'en sortiras. Et tu pourras toujours compter sur mon aide. Toujours, promis.