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Seul avec sa musique, Aimé n'entendit pas les portes de l'ascenseur s'ouvrir. Il n'entendit pas le pas lourd de Caïn qui se dirigeait vers lui. Alors il fut incroyablement surpris lorsque la poigne forte de Caïn se referma sur son col, le tirant près de lui. Il vit son visage de près, son expression dure et ferme, qui ne trahissait aucun de ses sentiments, excepté sa colère qui se reconnaissait au froncement léger de ses sourcils et au plissement de son nez. A priori pas de quoi s'inquiéter. Mais Aimé avait tort de penser cela. A ce moment-là, aucun sourire narquois, aucun regard sadique, mais des yeux assombris.
Aimé abaissa son violon, posant le regard vers le sol, trop faible pour affronter celui de son désormais supérieur. Le silence l'angoissa. Lorsqu'il jouait sa musique, au moins, son angoisse le quittait.
Il prit un certain temps pour se demander ce qu'il avait bien pu faire, cette fois, et imagina un tas de possibilités, sans qu'il ne puisse trouver la bonne.
— Tu te souviens, de ce que je t'avais demandé, Aimé ?
Il s'en souvenait très bien, il devait oublier Asha. Or, depuis que cet ordre avait été prononcé de la bouche de Caïn, Aimé n'avait pas cessé une seule seconde de songer au robot. C'était plus facile à dire qu'à faire... Et puis ces caméras ne l'aidaient pas.
— Bien sûr que tu t'en souviens. Alors explique moi pourquoi il n'y a plus qu'un seul écran allumé, celui où nous voyons Asha ?
— Eh bien, tenta spontanément Aimé, j'ai supposé qu'il était le seul à savoir quelque chose puisqu'il est parti avec cette personne, et...
Caïn raffermit son emprise, soulevant presque Aimé du sol. Il avait une force considérable et Aimé ne ressentit rien d'autre que la peur. Cette même peur qui lui avait permis de fuir à toute vitesse le chaos du massacre. Mais là, il ne pouvait pas s'enfuir.
— Et ce n'est absolument pas une raison valable ! On doit toujours surveiller chacun d'entre eux ! Abel est assez intelligent pour manigancer quelque chose à n'importe quel moment !
Il relâcha Aimé. Le col de son haut était complètement déformé, et il crut qu'il allait tomber lorsque ses pieds se posèrent pleinement sur le sol.
— Tu penses encore à lui, tu penses toujours à lui. Tu te rends compte de ta bêtise ? Tu nous mets en danger, tu mets en danger la ville entière si tu laisses les autres sans surveillance ! On ne les entend plus par ta faute, alors si on ne les voit plus comment veux-tu que l'on puisse faire quoi que ce soit contre eux ? Rien, on ne peut rien faire !
Aimé, instinctivement, recula d'un pas, puis deux, en baissant les yeux. Il sentit son cœur s'affoler tandis qu'il transpirait. Ses muscles étaient tous contractés et il était tétanisé. La colère de Caïn était à peine visible, à première vue. Mais elle émanait de lui d'une façon puissante et dérangeante. Malheureusement, cette fois ci, la fuite lui était impossible.
— C'est vraiment dommage, Aimé. Je te faisais confiance. Et ma confiance, ici, elle vaut énormément. Et toi tu la gaspilles !
Il eut un faible rire sans émotion.
— Je pense que ça mérite une correction. Tu ne peux pas continuer à travailler en restant comme ça. Et avant que tu l'envisages... Bien sûr que tu continueras à travailler pour moi. Tu n'as nulle part où aller. Personne d'autre ne veut de toi. Tu n'es utile à personne, Aimé, et si tu continues, tu me seras inutile aussi. Ni toi ni moi ne voulons en arriver là, si ?...
Aimé savait qu'il n'avait pas à répondre. Il resta simplement figé sur place, ne pensant plus à rien.
— J'ai déjà eu une employée comme toi, auparavant. Elle aussi faisait des erreurs, comme toi. Mais moi, je ne pardonne pas des erreurs aussi graves.
Caïn soupira, tourna le dos à Aimé et sembla fixer un des quelques tableaux accrochés sur le mur.
— Elle est morte dans des conditions obscures il y a quelques années... Mais là n'est pas la question. J'avais trouvé une solution pour réparer ces erreurs qu'elle répétait sans cesse. J'ai aménagé une pièce rien que pour elle... Rien de bien compliqué. Mais plutôt efficace.
Aimé n'avait aucune envie de se retrouver dans cette pièce.
— Je pense n'avoir aucun autre choix que de t'y emmener. Juste quelques petites heures, pour que tu réfléchisses un peu à tout ça. Je suis absolument certain que tu t'amélioreras. Et j'emploierai tous les moyens nécessaires pour cela. Ne te méprends pas, je veux t'aider, Aimé, je veux t'offrir l'avenir que tu mérites. Tu ne seras plus invisible, tu seras respecté. Je te le promets.
La peur amena à lui faire croire que Caïn avait raison. Il n'avait de toute manière aucune envie de le décevoir. Alors il se soumettait à ses décisions. Si un homme comme Caïn pensait qu'il pouvait lui être utile, il souhaitait y croire.
— Alors maintenant, si tu veux bien...
Caïn se tourna de nouveau vers Aimé, et tandis que celui-ci restait immobile, il se plaça derrière et posa douce-ment ses mains sur ses épaules. Il l'amena lentement vers une porte qu'il n'avait jamais ouverte. De l'extérieur, cette porte semblait parfaitement normale. Mais n'ayant aucune idée de ce qui l'attendait derrière, il eut de plus en plus peur à mesure qu'il s'en approchait.
— Je ne suis pas peu fier de ce dispositif. Il était assez efficace sur elle... Il t'aidera beaucoup, toi aussi.
Aimé ne voulait pas être aidé. Il voulait être aux côtés d'Abel, de Judy, d'Asha. Vivre leur aventure palpitante. Mais à cet instant, aucun retour en arrière n'était possible.
Caïn ouvrit la porte. Aimé découvrit une pièce blanche. Entièrement blanche. Le sol, les murs, le plafond. Tout semblait être construit dans le même matériau. Du béton, peut-être ? Au centre, une chaise. Blanche elle aussi. Les pieds semblaient fixés au sol. Elle était relativement normale, mais semblait loin d'être confortable. Etant donné qu'Aimé ne savait pas à quoi s'attendre en entrant dans la pièce, il n'eut pas de réaction spécifique si ce n'est un certain étonnement. Comment cette pièce immaculée pourrait changer quoi que ce soit ? Comment pourrait-elle le rendre meilleur dans ce travail ?
C'est dans la confusion qu'il fut forcé d'y entrer, légèrement poussé par Caïn, dont la colère avait été remplacée par un sourire qui se voulait bienveillant.
— Et voilà, c'est tout ! J'aimerai que tu restes un peu ici et que tu réfléchisses à tes actes. J'espère que tu en sortiras plus mature.
Il s'apprêtait à refermer la porte.
— Je... Je vais rester ici longtemps ? Demanda Aimé avec une voix tremblante d'inquiétude.
— Oh, non, ce ne sera pas long, je ne voudrais pas que tu meures d'ennui ! Termina Caïn en émettant un rire peu rassurant.
Aimé sursauta en entendant le claquement de la porte. Il était seul dans cet espace limité. Il y avait quoi, huit mètres carré ? Il décida de ne pas s'asseoir tout de suite, préférant marcher autour de la chaise pour faire passer le temps plus vite. Il ne comprenait pas réellement l'intérêt de tout cela. Il se sentait dépassé mais surtout impuissant face à cette situation.
Il observa la pièce en détail. Les murs étaient froids, bel et bien en béton, bel et bien blancs. Et lui était bel et bien seul. Il remarqua rapidement un dispositif étrange dans chaque coin du plafond. Cela ressemblait à des caméras, ou des micros...
Il patienta, cela faisait déjà certainement quelques minutes qu'il était là. Enfin, il ne savait pas trop, comment pouvait-il savoir ?
« Bonjour, Aimé ».
Il se tourna brusquement vers le coin à sa gauche, là d'où provenait l'étrange voix. Est-ce qu'il venait d'imaginer ce qu'il avait entendue ? Pourquoi imaginerait-il une voix artificielle ?
« Il serait bon pour toi que tu gardes en mémoire quelques points ».
Non, il n'avait rien imaginé. Il resta figé devant le minuscule haut-parleur, blanc lui aussi.
« Ce sont des choses simples ».
« Tu as fui devant le danger ».
« Tu es lâche ».
De durs souvenirs refirent surface. Aimé voulait que cette voix, pourtant si douce, se taise.
« Tu as fui devant tes amis ».
« Tu es lâche ».
« Tu es lâche ».
Il plaqua ses mains contre ses oreilles, en vain. Il eut une grimace de dégoût.
« Et maintenant que tu as l'occasion de faire tes preuves, tu échoues ».
« Tu es une déception ».
« Tu n'es aimé de personne, Aimé ».
— Tais-toi !
« Tu es misérable ».
— ASSEZ ! Hurla-t-il de toutes ses forces.
« Tu es misérable ».
— Assez...
« Tu es misérable ».
Il ne dit rien, s'effondra sur la chaise, la tête entre les mains.
— Je suis misérable.
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