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Et les portes s'ouvrirent de nouveau. Et ce fut un véritable choc pour Asha. Parce que l'endroit qu'il avait devant les yeux, c'était exactement le même que celui qu'il connaissait.
La maison de George. Son ancienne maison, droit devant. Blanche. Comme le reste des structures. Comme la ville entière.
Asha était tétanisé. Dans cet ascenseur, il avait saigné. Il avait eu peur. Il avait tué quelqu'un.
Les trois autres s'avancèrent, et Asha était incapable de les suivre. D'un coup, il ressentit la peur l'envahir et il tremblait, comme ce jour là. Ce jour il était né à nouveau, et où il avait chuté. Ce jour à la fois béni et maudit.
- Asha ? Quelque chose ne va pas ? Demanda Abel, inquiet.
- Je... Commença-t-il sans être capable de terminer sa phrase.
Il ne bougea pas. Son regard s'était perdu vers son ancienne demeure, affolé.
- C'est là que... George... Parvint-il à affirmer d'une voix faible et tremblante.
- Oh non, merde, murmura Abel.
Asha recula jusqu'à se cogner contre la paroi de verre de l'ascenseur. Il ne voulait pas revenir ici. Que faire, que faire si George était encore là ? Et la police ? Si elle surveillait les lieux ? Et si... Non, il ne voulait pas y aller, il avait peur, il avait cette drôle de sensation au ventre qui le retenait là où il était.
Devant lui il y avait dix ans. Dix ans de vie en tant qu'esclave. Pouvait-on vraiment parler de vie ? Après tout... Dix ans pendant lesquels il n'avait fait que passer le balai, nettoyer, laver, habiller, servir... Sans oublier les coups, ces multiples coups qu'Asha avait reçu. Lorsqu'il avait oublié de nettoyer une étagère, lorsqu'il avait renversé du café par terre, lorsqu'il parlait sans qu'on ne le lui demande.
Asha n'avait pas eu mal, mais bien souvent il en était tombé. Bien souvent il avait vu ses pièces s'abîmer, se détacher. Bien souvent il avait été insulté. Pendant dix ans.
Il avait peur de le revivre. Peur que tout ce qu'il avait vécu, en dessous, n'avait été qu'une pause, ou pire, un piège. Peur qu'il doive désormais retourner auprès de Georges et subir à nouveau tous ses coups, en ayant mal cette fois.
Abel réfléchissait, Judy se tenait droite comme un I, se remettant de ses émotions, mais Aimé, lui, s'avança vers Asha.
Lentement, afin de ne rien brusquer, il s'arrêta devant lui, éloigné de quelques centimètres.
Et puis, doucement, en souriant, Aimé prit les mains d'Asha dans les siennes. Sa peau était froide et cela le surprit, mais il ne le montra pas et son regard ne quitta pas celui d'Asha.
- Asha. Ce que tu as vécu ici, c'est fini. George n'est plus là et il ne reviendra jamais. Asha, regarde moi. Je suis là. Avec toi. Tu affrontes ton passé, mais tu n'es pas seul, termina-t-il sur un ton rassurant.
Asha respirait déjà plus calmement, et il fixa Aimé sans détourner le regard. Il serra ces mains qui tenaient les siennes et se laissa aller, Aime l'emmenant sans précipitation en dehors de l'ascenseur.
- Voilà, on y est. Personne ne va venir te chercher, je te le promets, assura Aimé.
Le sol froid et bétonné ne lui avait pas manqué. Il sentit la main d'Aimé lâcher la sienne et il ferma les yeux, cherchant une once de courage au plus profond de lui même.
Abel, témoin de la précédente scène, avait été étonné du pouvoir apaisant d'Aimé. Mais il se changea rapidement les idées et annonça :
- Asha, je suis vraiment désolé, mais il va falloir qu'on essaye d'entrer dans cette habitation. Il y a peu de chances qu'elle ait été réhabilitée, et une occasion comme ça ne se reproduira plus.
Asha dut se retenir de ne pas crier que non, il ne voulait surtout pas y retourner. Mais Abel avait raison. Il fallait qu'il mette ses émotions de côté.
- Et puis, qui sait, ajouta le scientifique, nous trouverons peut être quelques documents qui nous en diront plus sur l'endroit et la date de ton achat.
Le concerné lui aurait bien répondu que c'était impossible, car Georges plaçait ce genre de papiers dans son coffre personnel à la banque. Mais il ne voulait pas le décourager.
Et alors les quatre jeunes gens se dirigèrent vers la demeure immaculée, en évitant d'entrer dans le champ de vision des caméras. Heureusement, le quartier n'était pas très surveillé et ils parvinrent rapidement jusqu'à la porte dépourvue de poignée, tout aussi blanche que les murs.
- Comment on ouvre ça ? Se demanda Abel. Asha... Une idée ?
Asha soupira et se plaça devant la porte. Le système de reconnaissance biométrique se trouvait à hauteur d'yeux, invisible à l'oeil nu. Il espérait être toujours enregistré... En plus de cela, il n'avait plus du tout la même apparence qu'auparavant, mais il savait que les données de sa mise à jour avait dû être transférées à celles de la maison.
Et c'est pour cela qu'un léger "clic" se fit entendre, et la porte s'ouvrit. Asha en fut satisfait.
- Mais attends... Ça n'envoie pas de données aux forces de l'ordre ce truc ? Interrogea Abel. Si c'est le cas...
- On serait dans la merde, coupa Aimé.
- George avait fait privatiser son terrain. Les données entraient mais ne sortaient pas. Après, peut être que ça a été rendu public depuis sa mort... Dans ce cas il ne faudra pas traîner.
Ces paroles effrayèrent les trois autres qui, étrangement, hésitèrent à entrer.
- Qu'est ce que je viens de dire ? Gronda Asha. Il ne faut pas traîner ! Allez, entrez.
Étonnés par le ton que l'androïde avait pris, ils obéirent sans broncher.
Asha ferma les yeux avant de devoir se retourner vers l'intérieur de l'habitation. Les trois autres l'attendaient avant de dire quoique ce soit.
Il les ouvrit, et la première chose qu'il vit fut l'énorme tâche rougeâtre sur la moquette blanche. Celui de George, à l'endroit où son cadavre gisait. Asha eut rapidement des nausées et se sentit défaillir, s'appuyant alors dos à la porte.
"Vanessa, qu'est ce que tu sais faire ici à part tout rater ?" Résonnait la voix de son ancien maître dans sa tête.
"Vanessa, t'es qu'une bonne à rien."
"Vanessa, sale pute, c'est comme ça que tu cires les chaussures ? Recommence. Dix fois."
"Espèce de sous merde, t'es vraiment une incapable ! Mais ramasse moi ce bordel au lieu de me fixer comme ça !"
"Vanessa, vient ici et ne bouge pas."
Et le son assourdissant des coups contre ses parties métalliques résonnèrent longuement dans son crâne, insupportable.
- Asha. Asha ! Cria Abel. Revient parmi nous. C'est tout, il n'y a personne ici. Seulement des mauvais souvenirs.
Asha eut un faible sourire de reconnaissance envers Abel qui avait fait cesser toutes ces visions.
- Tu nous ferait pas visiter, plutôt ? Demanda le scientifique d'un ton doux.
Asha opina et avança sans regarder l'énorme tâche sanglante.
- La cuisine est là-bas, annonça-t-il faiblement. Il reste peut être deux trois conserves ou sachets déshydratés...
Il ouvrit tous les placards en bois artificiel sans rien trouver. En bas, il trouva cependant deux conserves de haricots blancs, ainsi que trois sachets de nouilles et un paquet de riz. Il vérifia les dates de péremption en songeant qu'il n'avait aucune idée du jour présent, mais il remarqua à l'année que c'était encore bon.
- On pourrait prendre ça, ce sera toujours mieux que le pain, suggéra Asha en regardant vers Abel.
- Oui, bonne idée, affirma-t-il en ouvrant son sac.
Il y rangea les vivres et décida d'explorer rapidement l'endroit en se dirigeant vers le salon. La décoration était neutre, sobre et simple. Probablement assez onéreuse cependant. Il découvrit une vitrine dans laquelle se trouvaient de nombreuses bouteilles d'alcool. Il haussa les sourcils, hésita à en piquer une mais se retint. Cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas soulé ou défoncé. Depuis l'arrivée d'Asha en fait. Ce robot avait définitivement eu une influence positive dans sa vie. Il sourit en y pensant et continua son exploration en direction de la chambre.
- Ash, tu connaîtrais pas des endroits cachés où George aurait pu mettre des trucs secrets ?
- Non, répondit l'interpelé depuis la bibliothèque, il y a seulement ce coffre fort, là où je suis, mais il n'y avait qu'un pistolet...
Asha préféra rapidement oublier la scène qui lui revient en mémoire.
Il se dirigea lentement vers la fenêtre qui donnait vue sur la rue principale. Celle qui prenait fin à l'ascenseur. Les voisins n'avaient jamais donné signe de vie et l'extérieur était toujours désert. Aucune patrouille, aucun enfant n'allait dehors. Asha n'avait jamais apprécié cette tranquillité surfaite.
Et puis il vit quelque chose qui l'empêcha de bouger sous la surprise. Il aurait dû se cacher à l'instant où deux étranges individus entrèrent dans son champ de vision. Il traversaient la rue en se méfiant eux aussi des caméras. C'étaient deux hommes, l'un plus petit que l'autre. Le plus petit avait une peau presque aussi pâle que la sienne, et des cheveux noirs en bataille. L'autre avait une longue tignasse châtain et une barbe impressionnante.
Ces gens là n'étaient pas des habitants des Arbres. De plus leurs vêtements étaient bizarres, même pour des habitants du dessous.
Le plus petit adressa quelques mots au barbu et Asha put déchiffrer sur ses lèvres :
- Dan, dépêche-toi !
Ce à quoi son acolyte répondit quelque chose d'incompréhensible en marmonnant.
Et le plus petit lui prit la main et continua d'avancer en pressant le pas. Il se tourna vers la fenêtre où se tenait Asha, toujours incapable de bouger. Et puis, le surprenant, il lui adressa un sourire et un clin d'oeil, ce à quoi Asha répondit en se retournant, confus de ce qui venait de se passer.
- Tu devrais voir ta tête, lança Aimé, on dirait que tu viens de voir un extra terrestre !
Il s'esclaffa légèrement et laissa Asha en rejoignant Abel. Ce dernier venait de terminer sa patrouille et il n'avait rien trouvé, ce qui justifiait sa moue déçue.
Il se plaça au centre de l'entrée et s'exclama :
- Bon, on va où, maintenant ?
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