3
Asha ne faisait même plus attention aux routes qui défilaient, au temps qui s'écoulait. Tout ce qui lui importait était ses pensées, qui l'obnubilaient depuis qu'il était entré dans hovercar qui flottait à toute vitesse. Il ne savait pas ce qu'il adviendrait de George, il espérait seulement ne pas avoir à se retrouver en face de lui.
Lorsqu'il fut frappé, il avait ressenti la douleur. Pourtant il était persuadé, jusqu'à maintenant, que les A.S.H.A ne la ressentait pas. Ceci dit ce n'était pas une mauvaise chose. Il s'était senti extrêmement... Vivant lorsque le poing de George était venu s'écraser contre sa nouvelle joue. Il se demandait à présent si elle allait être marquée, ou pas.
C'était des questions simples qu'il se posait, et pourtant il leur accordait une certaine importance. Plus le temps passait, plus Asha se sentait humain.
Avant, les seules choses qui occupaient de la place dans ses pensées étaient : faire le ménage, nettoyer, ranger, haïr George, craindre son maître, ne pas toucher aux livres, et bien d'autres interdits encore. Désormais il ne se souciait plus de cela, mais de la marque qui apparaîtrait sur sa joue ou non. Asha avait la drôle d'impression d'être plus... Humain. Il avait toujours conscience de n'être qu'une machine, mais ses questionnements n'étaient plus en rapport avec ce qu'il devait faire, mais en ce qu'il pouvait ressentir.
Après un certain temps, qui lui parut interminable, l'hovercar s'arrêta devant ce qu'Asha reconnut comme étant un commissariat. Le bâtiment était à l'effigie de tous les autres. Blanc, sobre, simple, vide de toute fantaisie. Plus Asha le regardait, plus il trouvait son architecture austère et inhospitalière, contrairement à ce qu'il avait pu penser en voyant l'Institut.
On le tira du véhicule, un peu brutalement, et il fut emmené à l'intérieur. Peu après, il reconnut à travers les vitres d'un autre hovercar George, et alors il se figea. On avait beau le pousser, il ne bougeait plus. Là, en ce moment même, Asha avait peur. Il était littéralement pétrifié.
Pourtant, lorsque George sortit à son tour, Asha trouva le courage d'avancer pour ne pas croiser son regard qu'il devinait empli de rage.
Du reste, il ne fit plus attention à ce qu'il se passait. Il redevint attentif alors qu'il était assis, face à un bureau et à côté de George, dans la même position que lui. La proximité entretenue avec son maître ne le ravit pas, bien au contraire.
Un agent se tenait derrière le bureau blanc, les bras appuyés sur le meuble, le regard sévère. Derrière lui, postés à chaque coin de la pièce, deux autres agents. Asha put deviner que c'était des automates. Des A.S.H.A, de surcroît. La police les recrutait de plus en plus. Leur programme était modifié pour faire d'eux de véritables machines de guerre, redoutables. Asha en avait peur. Pourtant il était comme eux, enfin, pas tout à fait, et c'est ce qui le perturbait.
En effet, ces A.S.H.A là ne semblaient pas préoccupés par des idées ou émotions. Leur regard était... Vide. Asha se demanda si le sien l'était aussi.
Brusquement, la voix dure et sévère de l'officier le sortit de ses pensées.
- Monsieur Hamford, vous avez volontairement frappé votre automate alors même que celui ci sortait de sa mise à jour alpha. Pouvez-vous m'en expliquer la raison ?
- Un peu que je peux, râla George. Ce tas de ferraille sur pattes n'a pas été foutu de ressembler à ce que je voulais.
- Si je comprends bien, reprit l'agent, impassible, vous l'avez agressé parce qu'il a désiré ressembler à autre chose que l'apparence que vous lui aviez assignée d'avance ?
- Vous avez bien compris.
- Or, monsieur Hamford, si l'on se fie à la loi, vous n'en aviez aucun droits. Je cite l'article 481, notamment : "Tout acte de violence, que celle-ci soit physique ou mentale, envers un A.S.H.A et blablabla sera punie d'une amende de 800 crédits, et sera passible d'une peine de prison".
George allait reprendre la parole, mais l'officier le fit avant lui.
- De plus, selon l'article 37 du Code pour les A.S.H.A concernant la mise à jour alpha : "Chaque A.S.H.A est libre de désirer ressembler à qui que ce soit, il est important que ce choix d'apparence physique leur revienne à eux et à eux seuls, le contraire pouvant perturber leur système, ainsi que le prouvent les cas A-0231 et A-6745".
Asha était mal à l'aise. Ceci dit, il était tout de même heureux que certaines lois respectent les A.S.H.A, il n'en avait pas la moindre idée jusqu'alors.
- Vous ai-je suffisamment rafraîchi la mémoire, monsieur Hamford ?
- Ça ira, merci bien, grommela George.
- Vous êtes donc conscient des peines que vous encourez.
George ne répondit pas, au lieu de cela, il sortit un billet de 100 crédits de sa poche.
- Est-ce que cela suffit à faire taire cette affaire ?
L'officier cilla. Il hésita, son regard était étrangement attiré par le bout de papier.
George se contenta d'en rajouter un deuxième, de la même valeur.
- Et maintenant ?
L'agent de police récupéra les deux billets, les fourra dans la poche de sa veste et annonça :
- En espérant que vous serez plus consciencieux la prochaine fois, monsieur Hamford. Un chef d'entreprise de votre ampleur ne voudrait certainement pas entrer en conflit avec la Justice.
- Certainement pas. Bonne journée, monsieur. Toi là, tas de ferraille, viens avec moi, sans broncher.
Asha déglutit, mais ne désobéit pas. Ils sortirent tous deux.
Asha ne comprenait pas pourquoi George n'avait pas été puni. Pourquoi l'officier n'avait rien dit après avoir pris l'argent ? Ce n'était pourtant pas la somme de l'amende. Asha était alors en colère, envers son maître et envers l'agent qui s'était laissé avoir.
Pas un mot ne fut dit durant le trajet retour. La tension, cependant, était palpable.
Lorsqu'ils rentrèrent, George se dirigea tout de suite vers la cuisine, où il sortit une bouteille de scotch, qu'il ouvrit avant de porter le goulot à ses lèvres. Il but d'une traite ce que peu d'individus aurait pu boire, et Asha évita tout contact visuel avec son maître, ce pourquoi il alla au salon.
Dans le salon, il y avait une grande bibliothèque, mais Asha n'avait jamais eu le droit d'y toucher. De toute manière, les livres qui y étaient disposés ne l'intéressaient pas. Les seuls titres qu'il arrivait à déchiffrer comportaient le mot économie et Asha ne voulait rien savoir là dessus. La société était déjà assez compliquée comme cela. En plus, Asha ne savait pas lire, alors à quoi bon.
En aventurant son regard parmi les étalages, il remarqua, entre deux livres, un écart laissant apparaître, au fond, un revêtement métallique.
Il écarta les deux bouquins, et aperçut alors un coffre-fort. Bien sûr, il y avait un code.
Asha n'était pas très intelligent, son environnement ne lui permettant pas de l'être, mais il l'était suffisamment pour savoir que George était encore plus bête que lui. Des gens comme George n'inventaient pas des codes compliqués.
Qu'est-ce qui comptait le plus aux yeux de George, et qui pouvait se résumer en quatre chiffres ? L'année de rencontre avec sa femme ? Non, bien sûr que non, George se contrefiche de sa femme.
Son entreprise ? Oui, George aimait son entreprise par dessus tout. L'année de sa création ? Asha ne la connaissait que trop bien. George la répétait à tout bout de champ. "2437, une belle année, j'te dis !" disait-il à la plupart de ses invités, après avoir bu deux ou trois verres.
Asha n'attendit pas plus longtemps. Il fit tourner la sécurité. 2437. Il entendit un léger déclic, et le coffre s'ouvrit sur une arme. Un revolver, de ce que savait Asha.
Alors une envie lui prit. L'envie de prendre l'arme et de s'en servir contre George. Après tout ce qu'il lui avait fait, il le méritait bien.
Sans trembler, il saisit l'arme et l'empoigna fermement. Lorsqu'il se retourna, il vit George, appuyé contre le chambranle de la porte, la bouteille de scotch vide à la main. Asha devinait à sa posture qu'il était saoul.
Lorsque George le vit, arme à la main, il ne se mit pas en colère, il se contenta d'esquisser un sourire.
- Alors c'est comme ça que ça doit se terminer, toi et moi ?
Asha ne répondit rien. Il leva son bras armé en direction de George, toujours sans trembler.
George, de son côté, révéla dans son autre main, cachée jusqu'alors, un couteau, celui bien aiguisé pour couper la viande. La lame était grande, fine, brillante.
Asha ne tremblait toujours pas. Son arme était désormais pointée sur la tête de George, qui restait impassible face à la situation qui s'aggravait.
Asha augmentait la pression sur la détente, jusqu'à appuyer complètement. Le coup de feu résonna longtemps dans sa tête.
Cependant, la première balle n'atteignit pas George, et passa à côté.
Son bras avait dévié alors que le couteau s'était planté dans le flanc d'Asha, lui coupant le souffle.
Cependant, Asha ne cria pas, bien que la douleur, fulgurante, traversait chaque parcelle de son corps. Dans un dernier élan de courage et de haine, il releva son bras, visa, et tira.
Premier coup de feu dans l'épaule.
Deuxième coup de feu dans la tête.
Troisième coup de feu dans le coeur, que George n'avait jamais eu.
Le maître d'Asha s'écroula d'abord sur les genoux, et bascula en avant. Le sang, rouge écarlate, s'étala sur la moquette blanche.
À présent, Asha tremblait. Il lâcha son arme.
Il regardait plus bas, là où la lame s'était fichée. Il la saisit par le manche, la retira d'un coup sec, lui arrachant un cri de douleur.
Là, il fut surpris. Même un peu plus que ça. Son beau t-shirt blanc se teintait lentement de rouge, le même rouge que celui sur le sol. Asha saignait.
Asha était un robot et il saignait. Il était tiraillé entre la douleur et la joie. La douleur gagnait cependant, et il plaqua la paume de sa main contre la plaie, essayant de stopper le saignement, en vain.
Asha fixa le corps inerte de George et la réalité le frappa en pleine face.
Il devait fuir. Loin d'ici.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro