Asha fut un peu déçu lorsqu'il découvrit le goût de la première chose qu'il mangea. C'était simplement ignoble. Cela devait se voir à sa tête car Thomas se mit à rire et les autres à sourire.

Lorsqu'il eut fini, il eut au moins la sensation d'être rassasié.

- Et c'est ça à chaque repas ? Demanda-t-il.

Tous agitèrent la tête de haut en bas.

- Cache ta joie, surtout ! Plaisanta Thomas. Après, si tu as de quoi payer, et beaucoup de volonté pour sortir, tu peux te rendre au Marché et tenter de trouver quelque chose de comestible.

- Vous payez aussi en crédits ?

- Bien sûr que non ! Ce serait trop dur à obtenir, s'exclama Abel. On se contente de faire du troc, en quelque sorte. Si tu as des pièces détachées, ou un truc qui intéresse le vendeur, c'est bon.

Asha prit un air compréhensif et se dit qu'il avait plutôt hâte de sortir de cet endroit et d'en découvrir l'extérieur, aussi dangereux soit-il.

- Quand partez-vous ? La prochaine expédition, je veux dire.

Thomas lui répondit d'une voix plus ferme.

- Demain matin, quelqu'un partira à la Surface. Et nous devons nous rendre en ville d'ici trois jours. Nous avions déjà organisé le groupe mais tu peux venir, si le coeur t'en dis.

- C'est pas une partie de rigolade, ajouta Juvénile. Nous somme trois ou quatre maximum, et tout doit se faire dans la plus grande discrétion possible. Pour s'y rendre, je veux dire. Un A.S.H.A vous repère et paf, vous êtes morts.

- Je comprends, répliqua Asha. Mais j'ai envie d'y aller... Je veux voir comment c'est.

- Bien évidemment, lui sourit Abel.

Abel sembla réfléchir à toute vitesse et finit par se lever et se diriger vers la sortie.

- Rejoins-moi dans mon labo si l'envie t'en prends, j'ai des idées dont je dois te faire part, lança le scientifique avec un clin d'oeil qui inquiéta Asha plus qu'autre chose.

Une fois qu'il était parti, Asha ne savait vraiment pas quoi décider. Il se tourna vers Thomas qui lui avait conseillé plus tôt d'éviter le scientifique. Celui-ci haussa les épaules et déclara après quelque instants.

- Il m'a l'air clean, pas en état de manque, rien ne l'a énervé aujourd'hui... Je pense que tu peux le rejoindre. S'il commence à vouloir bidouiller ou faire je ne sais quelle autre expérience sur toi, gueule lui que t'as pas envie. Et si il continue tu hurles mon nom, je viendrai à ta rescousse comme le héros que je suis, termina Thomas avec un sourire en coin.

Il reçut un coup de coude de la part de Juvénile et protesta bruyamment.

- Bon, Thomas a raison, si Abel te harcèles comme le savant fou qu'il est, tu nous appelles.

Asha opina et finit par demander en se tournant vers Thomas :

- Tu disais qu'il n'était pas en manque... De quoi ?

- Ah, oui. Le sujet délicat, lança Juvénile.

Cette dernière se recula dans sa chaise et regarda vers le haut.

- Abel est un "ancien" junkie. Quand il travaillait en Institut, il se droguait régulièrement. Quand il lui en a fallu plus, il a créé ses propres mélanges et ça l'a rendu... Misérable. Il ne nous en parle pas beaucoup, on ne sait pas grand chose. Mais il lui arrive d'être énervé, ou que sa sensation de manque soit trop forte et quand c'est le cas, il se shoote.

- Mais Abel a beau être un peu trop à fond, c'est tout de même lui qui a trouvé l'endroit, lui qui y est resté seul un bon bout de temps alors qu'il n'avait que dix-sept ans, et lui qui a eu la bonté de tous nous accueillir, conclut Juvénile. C'est un peu notre meneur, malgré tout.

- Je comprends, répondit Asha. Je vais peut être aller le voir...

- Et n'oublie pas, tu m'appelles et je viens à ta rescousse ! S'exclama Thomas alors qu'Asha sortait.

Ce dernier sourit à l'idée d'un Thomas super héros, et se dirigea sans hésiter vers le laboratoire. Il n'angoissait pas avant de franchir la porte, pour une fois, et était même plutôt curieux de ce qu'Abel aurait à lui dire.

Il poussa la porte sans trembler pour voir Abel assis devant un genre de bureau, une petite lampe l'éclairant. Il écrivait frénétiquement sur un carnet. Il portait sa blouse et regardait de temps à autre une éprouvette en face de lui, contenant un liquide bleu néon.

- Ah ! Tu n'as pas attendu, ça fait plaisir ! Lança-t-il sans détacher son regard de l'éprouvette. Je t'en prie, mets-toi à l'aise.

Asha ne sut pas trop comment il pouvait se "mettre à l'aise". Il n'y avait pas d'autres chaises et toutes les surfaces planes étaient envahies par des notes, des outils étranges ou d'autres objets dont Asha ne pourrait même pas deviner le nom.

- Bon. D'accord, c'était un peu vite dit. Attends deux minutes, je dois absolument terminer mon équation, déclara Abel calmement.

Asha patienta. Il en profita pour détailler la pièce. C'était grand, mais tellement désordonné que l'espace s'en retrouvait resserré. Il y avait comme une autre pièce, derrière, avec des étalages et de multiples ustensiles, un peu comme une réserve.

Il y avait sur le mur droit un grand tableau noir sur lequel étaient griffonés d'immenses calculs dont Asha ne comprenait pas la moindre addition.

Abel se leva brusquement de sa chaise en ayant l'air satisfait.

- Ha, j'avais raison !

Asha ne posa même pas de questions, sachant qu'il ne comprendrait rien aux possibles réponses.

Abel s'avança vers Asha en le fixant étrangement.

- J'ai réfléchi. Après t'avoir observé un peu plus, je peux tout à fait comprendre que tu ne veuilles pas que je fasse mes petites expériences sur toi. Il est vrai que tu es différent. Différent de tous les autres A.S.H.A que j'ai pu voir. Mais ça te rend tellement... Bien, que ce serait vraiment, vraiment dommage que je t'abîme. Tu as déjà prit un peu cher en arrivant ici, c'est presque un miracle que tu sois en bon état. Alors la seule chose que je ferai afin de te comprendre un peu mieux, afin que tu te comprennes un peu mieux, je vais simplement te dire ce que je sais des A.S.H.A et on pourra comparer avec toi. D'accord ?

Abel était sincère dans ses propos. Et il n'avait aucune mauvaise intention derrière la tête, Asha en était persuadé. Alors il accepta, lui même curieux d'en apprendre plus sur lui-même.

- Tout d'abord, attends ici, il faut que je te montre un truc.

Il partit dans ce qu'Asha avait lui-même appelé "réserve" et sembla ouvrir un placard dont certains objets tombèrent au sol. Après un "Merde !" non retenu et quelques effort, Abel revint avec le corps d'une femme sur son dos. Il l'amena vers Asha et lui demanda de la tenir, ce qu'Asha fit en manquant de tomber. Elle était sacrément lourde, et Asha n'avait pas la carrure à porter des charges pareilles.

Abel se dirigea vers la grande table au milieu, balaya de la main ce qui y traînait et reprit la jeune femme des bras d'Asha pour la poser sans délicatesse sur la table.

- Approche, ordonna Abel.

Asha s'approcha donc et put distinguer le corps allongé. C'était une jeune femme, très jolie, brune, avec des traits presque parfaits. Un corps qui l'était tout autant, avec une poitrine opulente, une taille fine et de larges hanches.

- Ce que tu as devant toi, mon gars, c'est le modèle de base d'un A.S.H.A. Pas d'entraînement militaire, pas de particularités... C'est A-889. Kimberley, si tu préfères.

Asha songea que c'est exactement le genre de corps que George aurait voulu qu'il ait. La vue de Kimberley commença dès lors à le répugner.

- Elle était sûrement destinée à être serveuse ou quoi, avec un physique pareil. En fait, j'ai participé à sa mise à jour alpha. Je l'ai vue en tant que squelette mécanique et on a fait en sorte qu'elle ressemble à ce qu'elle voulait. Je travaillais, malgré mon jeune âge, à l'Institut 0314. C'était ma première opération dans le genre. Si elle est ici, inanimée, c'est parce qu'un des scientifiques avait foiré je ne sais plus quoi dans son système cérébral et ça a tout foutu en l'air. Ça ne l'a pas empêchée d'être comme ses semblables.

Il soupira.

- Kimberley, Kim pour les intimes, avait donc une conscience. Elle savait que c'était un robot. Et qu'elle devait rester un robot. C'est pour cela que les A.S.H.A n'ont pas de personnalité. Ils sont, si je puis dire, programmés pour obéir et ne pas se poser de questions. Ils accomplissent leur tâche à longueur de journée et ne sortent pas de leur environnement, ce qui ne leur permet pas de développer leur personnalité. Ils sont neutres, sobres, chiants à mourir quand t'entames la discussion. Et puis, je ne sais pas si tu es au courant, mais dès qu'un A.S.H.A désobéit, ou fait preuve d'un peu d'autonomie, il est envoyé à la casse. Direct.

Il termina en regardant Asha droit dans les yeux.

- C'est pour ça, Asha, que j'ai eu peur en te voyant arriver. Peur que tu sois comme les autres et que tu sois incapable de te poser de questions, de te demander pourquoi tu étais là. Ce dont n'importe quel A.S.H.A serait donc incapable. Mais j'ai remarqué que tu passais du temps à réfléchir, que tu t'affirmais dans ce que tu disais. J'y croyais à peine au début, quand tu étais cloué au lit. Mais je t'ai défendu quand même, avec l'intime conviction que tu me serais au moins utile à mes expérience. Mais je suis maintenant convaincu, Asha, que tu es tout autant humain que nous, malgré ton numéro de série gravé dans ta nuque.

Abel offrit son plus beau sourire à Asha qui le lui rendit.

- Et c'est pour ça que, à mon tour, à la manière de Thomas, je te souhaite la bienvenue parmi nous !