Asha était trop effrayé pour qu'il se pose d'autres questions, et la réunion se termina.  Tout le monde se leva et retourna à ses occupations, ou pas.

Thomas sembla remarquer l'état d'hébétude d'Asha, et il posa affectueusement une main sur son épaule.

- Tu sais, ils dramatisent beaucoup, mais ce n'est pas si terrible. On survit. D'ailleurs, plutôt que de se faire appeler "Erreurs", nous c'est les Survivants. Ça sonne mieux hein ?

Asha acquiesça.

- C'est la notion de devoir survivre qui me plaît moins, répondit-il. Avant, je faisais le ménage et je me posais pas de questions...

- Tu peux faire le ménage ici si tu préfères !

Thomas se racla la gorge devant l'air blasé d'Asha.

- Pardon. Petite note d'humour. Nous n'avons pas réellement besoin de faire le ménage...  Tiens, je vais te faire visiter, qu'en dis-tu ?

Il n'attendit pas de réponse, et saisit le bras d'Asha.

- Nous allons donc sortir de la "salle commune". On s'en sert surtout pour les réunions, les briefings avant chaque expédition.

Ils sortirent de la grande pièce, y laissant les jumeaux, Aimé et Juvénile.

- Au bout de ce long couloir se trouve la pièce où tu dormais. Si tu veux, ça peut être ta chambre.

Asha opina. Il ne savait pas si beaucoup de choix s'offraient à lui, de toute manière. Il tournèrent alors brusquement sur la gauche, le couloir se prolongeant.

- Tu remarqueras toutes les portes ! Ce sont les anciens bureau convertis en chambre.

Thomas pointa la première porte sur la droite.

- À droite y'a les filles. Tu as Kalypso, qui se retrouve souvent dans la chambre de Gaëtran, étrangement. Puis viennent Juvénile, Judy, Morrigan qui partage sa chambre avec Felicity, et celle de Mériline qui finit bien souvent dans la chambre de son père à cause des ses nuits tourmentées.

Il dirigea maintenant son doigt vers les portes de gauches.

- Ici, tu t'en doutes, ce sont les mecs, virils, genre moi.

Voyant qu'Asha ne riait pas, il continua, embarassé :

- En premier y'a Abel, qui fait souvent des nuits blanches et qui de toute façon dort dans son labo. La porte avec le crâne gravé dessus et le "N'ose même pas frapper" c'est la chambre d'Aimé, tu t'en doutes. Après y'a Jody, Gaëtran, Gustav, et moi, tout au fond. Il y sûrement moyen que tu squattes une chambre. Il y en a une inoccupée à droite, là où Fel devrait être.

- Est-ce qu'elle est plus grande que celle où j'étais ? Demanda  précipitamment Asha.

Il était mal à l'aise dans l'autre chambre qu'il trouvait trop étroite.

- Assurément ! Étant donné le peu d'affaires que tu as, tu peux t'installer tout de suite. Enfin, après la visite.

Ils longèrent le couloir sans dire mot. Il bifurquèrent à droite, vers un couloir plus large.

- Par là, c'est le laboratoire d'Abel. Il n'aime pas qu'on y entre, tu t'en doutes. Il passe beaucoup, beaucoup de temps à l'intérieur. Si un jour tu dois partir en expédition, ramène chaque objet que tu trouves, il saura en faire quelque chose.

Thomas s'arrêta et sembla prendre du temps pour réfléchir.

- Pendant tes premiers jours ici, tu devrais éviter de croiser Abel. Le connaissant, il serait capable de t'emmener de force dans son labo pour "t'édudier". Si tu ne veux pas finir en pièces détachées, évite le. Il a un bon fond, mais il prend son rôle d'homme de science souvent trop au sérieux... Tu n'auras qu'à demander à Jody et Judy.

- En parlant d'eux, qu'est-ce qu'ils ont de spécial ? Ils sont... Différents.

- C'est vrai. Je pense qu'ils voudront bien t'en parler. Ne brusque pas trop Jody, il est très timide. Quant à Judy... Elle fait comme si c'était une terreur, mais elle est gentille. Elle viendra vers toi toute seule, tu verras.

- Et les autres ? Ils sont... Comment ?

- Mon p'tit gars, si tu veux en savoir plus sur eux, vas les voir ! Ils ne vont pas te mordre. Bon, je l'admets, certains semblent un peu... Réticents. Mais en voyant que tu n'es pas comme les autres A.S.H.A, en prouvant que tu es toi, ils vont finir par t'adorer.

- Toi, ils t'adorent ?

Thomas eut un rire léger.

- On peut dire ça comme ça. Mes tentatives d'humour les exaspèrent et on râle souvent après moi, mais je me sens accepté. Ouais, je me sens bien avec tous ces gars là. Au début, j'ai eu du mal à m'intégrer. Moi je suis un peu le mec lambda sans histoires à raconter. Je menais une vie tranquille dans les Arbres, et je suis ici à cause d'un énorme malentendu. J'ai atterri là avec des tas de préjugés, j'étais effrayé. Je ne savais pas me battre, ni m'imposer. C'est Gaëtran qui m'a retrouvé alors que je vagabondais dans les Égouts. J'ai eu une sacré chance.

- Je ne sais pas me battre, moi. Et encore moins m'imposer.

Thomas eut un sourire chaleureux, et mis ses mains dans ses poches en regardant Asha droit dans les yeux.

- Comme nous tous ici, Asha. Gaëtran est un militaire hors pair, mais il a un jour été un petit garçon qui ne savait pas tenir une arme. Tu veux savoir ce que je pense ? Tu as l'air d'un adulte, mais au fond, Asha, tu es un petit garçon qui ne sait rien du monde. Tu as vécu dans une maison de riche sans en voir l'extérieur, en passant ta vie à passer le balai sans te poser de questions. Tu vas grandir, Asha, et tu vas apprendre. Si tu as peur, je serai là. Nous serons tous là. Juvénile t'aimes déjà, tu sais !

Asha sourit, il sourit tant qu'il eut l'impression de s'en décrocher la mâchoire. Mais c'était sincère. Décidément, entre la peur et la joie, ses émotions finiraient par l'achever. Mais il était heureux, heureux de pouvoir ressentir, plus que jamais, cette euphorie déraisonnable.

Ils firent demi-tour. En passant devant les chambres, ils purent entendre un "Ton discours c'était de la merde" s'élever.

- Aimé, les bonnes manières ! Lui répondit Thomas.

Après une réponse pas moins vulgaire, Thomas soupira et traça son chemin, pour revenir à la grande salle de réunion, désertée cette fois ci.

- Quand je disais que tout le monde allait t'adorer.... Commença Thomas.

- On ne peut pas compter sur Aimé, c'est ça ?

Thomas soupira.

- C'est ça. Malheureusement. On ne peut pas tenir de conversation avec lui. Il râle sans arrêt, est associable, grossier... Il y a sûrement quelque chose derrière ce comportement, mais il n'en parle jamais. La seule chose que nous savons c'est que ses parents ont été tués par des A.S.H.A. Pourquoi ? Comment ? Je ne sais pas si nous le sauront un jour. Mais... Ce n'est pas un garçon méchant. Il suffit que tu ne fasses pas attention à ses remarques.

Asha opina. Tous ces mystères autour de ces personnes faisaient naître en lui une certaine curiosité.

- En parlant de parents... Osa Asha, vous êtes tous nés...

- De manière naturelle ? Non. Moi par exemple. Je suis né comme tous les Autorisés. Artificiellement. Mais il me semble que tous les autres ont été bannis pour être nés naturellement, oui. Abel est un cas un peu particulier, tout comme Judy et Jody. Mais ça, tu le sauras sûrement un jour. En attendant, tu peux aller t'installer. Pour ce qui est des affaires... Ton t-shirt était foutu alors c'est un des miens que tu portes en ce moment. Je suppose que je peux te prêter d'autres vêtements, au besoin. On est un peu limité, niveau stock, mais ta veste, ton jean et tes chaussures sont encore en excellent état.

- Merci, Thomas. D'être si... Gentil.

- Mais c'est normal, Asha. Tu ne dois pas avoir l'habitude, mais vraiment, si tu as un problème, viens me voir.

Avec un dernier sourire, Asha se dirigea vers les chambres.

C'est la deuxième qui était inoccupée. Il en ouvrit la porte et découvrit une pièce plutôt grande, avec un lit en état convenable. La structure métallique était un peu rouillée, mais le matelas était propre. C'était presque mieux que le canapé sur lequel il dormait chez George. Non, c'était mieux. Il y avait une étagère, sur le mur à hauteur raisonnable. Il n'y avait rien dessus, et Asha n'avait rien pour combler le vide.

Il se demanda ce qu'il pourrait faire. Il se dit aussi qu'il serait sûrement mal vu qu'il aille toquer à chaque porte pour dire "Salut, moi c'est Asha, et toi, c'est quoi ton histoire ?" alors il s'assit sur sont lit, fixa le plafond et attendit. Quelques secondes après, il entendit :

- Nan, ne me dites pas qu'il est dans la chambre juste en face de la mienne ! Mais j'en ai marre !

Asha sursauta en entendant le fracas d'un objet lancé contre un mur.

Et il se dit que, vraiment, ce serait sûrement plus dur pour lui d'être accepté que n'importe qui d'autre.