Chapitre 89 - Le sentier des déchus
LYKOS
Après avoir assisté aux horreur fait subit à notre peuple nous avions quitté la ville en hâte, le cœur lourd mais l'esprit déterminé, traçant notre chemin à travers la dense forêt qui bordait Ekousa. Sa Majesté avait été clair afin qu'on le laisse gérer seul son exil donc après avoir vu Alden arriver à son secoure nous avions décidé de leurs faire confiance et d'aller trouver de l'aide, car seules nous sommes impuissants.
Le crépuscule peignait de longues ombres parmi les arbres, et l'air, parfumé par l'humus et la sève fraîche, portait en lui un semblant de paix trompeur. Ivar, Tomas et moi, nous retrouvions notre souffle dans une ancienne cabane, un lieu enveloppé de souvenirs, où Léandre avait jadis affûté ses compétences loin des regards indiscrets.
La cabane, dévorée par le temps et recouverte de lierre, ressemblait à une relique oubliée, un sanctuaire secret où les échos du passé murmuraient encore entre les murs délabrés. Là, assis sur des souches usées qui faisaient office de sièges, nous partagions un repas frugal, nos pensées tournées vers nos amis capturés et le destin incertain qui les attendait.
— Cette ruine, dit Tomas en scrutant les ombres qui dansaient sur les parois de bois pourri, semble chargée de tant de souvenirs, n'est-ce pas ?
— C'était ici que le Roi venait s'entraîner en secret, lorsqu'il était encore prince, murmurai-je, la voix empreinte de nostalgie. Il disait que ces murs lui rappelaient qu'en dehors des palais, la vraie force se forge dans l'ombre et le silence.
Ivar, toujours le plus pragmatique parmi nous, piqua un morceau de pain avec son couteau avant de dire :
— Et maintenant, ces mêmes murs pourraient bien nous voir planifier sa libération, ou du moins, notre prochain mouvement pour contrer les sombres desseins de Darius et Lorcan.
— Nous ne pouvons pas rester ici éternellement, lui répondais-je en balayant du regard la pièce sombre et les coins cachés par des toiles d'araignées. Il nous faut agir, et vite. Sa Majesté et Alden compte sur nous.
Nous finissames notre repas en silence, chacun perdu dans ses pensées, le poids de nos responsabilités aussi lourd que la nuit qui se refermait sur nous. La lueur de notre petit feu jetait des ombres fantomatiques sur les murs de la cabane, comme pour rappeler que même dans les lieux oubliés, la lumière trouve toujours son chemin.
— Demain, nous devrons prendre des décisions qui pourraient bien changer le cours de cette guerre silencieuse contre nos oppresseurs, concluais-je en regardant mes compagnons. Que la nuit porte conseil, comme dit l'ancienne sagesse de nos ancêtres.
Tandis que le feu mourait lentement, laissant place à l'obscurité et au murmure du vent à travers les branches, nous nous enroulions dans nos manteaux pour trouver du réconfort dans le sommeil, prêts à affronter les jours incertains qui nous attendaient.
**********
IVAR
Dans la pénombre précédant l'aube, le froid nous saisissait encore alors que nous émergions de notre abri temporaire. L'air frais du matin, chargé de rosée et du parfum de la terre humide, nous revigorait tandis que nous nous aventurions hors de la cabane. Notre premier objectif était simple : trouver de quoi sustenter notre faim matinale dans les bois environnants. Mais au lieu de gibier, ce fut une rencontre inattendue qui nous stoppa net.
À peine avions-nous franchi le seuil de la cabane que la silhouette familière d'Emeric, le fidèle bras droit du gouverneur Lorncrest, émergea des brumes matinales. Sa bouche dissimulée derrière un foulard et coiffé d'un chapeau. Ses traits restaient cependant indéniables à nos yeux.
Sans hésiter, Tomas bondit sur lui, le plaquant au sol avec la froide détermination d'une lame pressée contre sa gorge. Emeric, surpris mais non résistant, nous fixa avec une résignation sombre.
— Que faites-vous ici ? balbutia-t-il, le souffle court sous le poids de Tomas.
— Ça tombe bien, j'allais vous demander la même chose, rétorqua Tomas, son regard empreint de méfiance.
Emeric, toujours aussi stoïque, prit une profonde inspiration avant de nous révéler sa tragique histoire. Il s'était échappé durant la capture tumultueuse du gouverneur, convaincu que son maître avait été assassiné, une nouvelle que Lykos confirma d'un hochement de tête grave.
Le silence qui suivit fut chargé d'émotion, chacun de nous absorbant le poids de cette perte. Emeric reprit, la voix teintée de douleur et de détermination :
— Je n'ai plus de maître à servir, mais j'avais promis au Gouverneur Lorncrest de veiller sur Alden.
— Et pourquoi précisément Alden ? questionna Tomas.
— Car c'est son fils caché.
— Quoi ? Alden est le fils du gouverneur ? Mais il avait une fille que tout le monde pensait morte, non ? intervint Lykos, ébranlé.
— Oui, mais il avait aussi un fils, clarifia Emeric.
Je restai silencieux, la révélation me frappant de plein fouet. Je connaissais la vérité sur Alden, que c'était une femme, mais cette nouvelle couche d'identité secrète ajoutait une complexité inattendue à l'histoire. J'avais promis à Alden de ne rien dira, alors je ne dis rien. Mais je savais que Emeric mentait sûrement pour les mêmes raisons que moi.
Il continua, expliquant qu'il était là pour surveiller et protéger Alden, mais que seul, il était impuissant à le libérer. Il se contentait de suivre de loin, espérant découvrir une faille qui permettrait une évasion.
— Reste avec nous, lui proposèrent les autres presque immédiatement. Plus on est de fous, plus on rit, et un guerrier valeureux et vigoureux comme toi ne serait pas de refus.
Emeric acquiesça, et après notre repas frugal, Lykos conclut :
— Alors après le petit-déjeuner, allons espionner chacun de notre côté, et on se retrouve ici ce soir.
Notre plan était risqué, mais la présence d'Emeric renforçait notre résolution. Ensemble, nous avions peut-être une chance de changer le cours des choses.
**********
LYKOS
La nuit tombée, notre petite troupe se retrouva dans la chaleur confinée de la cabane, rassemblés autour d'un repas improvisé mais étonnamment copieux. Chacun avait apporté sa part de chasse ou de cueillette, constituant une table disparate mais accueillante. Les mets les plus périssables furent partagés avec appétit, tandis que les mets pouvant être conservés étaient soigneusement mises de côté pour les jours à venir.
La lumière vacillante des bougies jetait des ombres dansantes sur les murs de bois, donnant à notre assemblée un air de camaraderie semblable à celle des veillées d'antan. Emeric, bien qu'encore marqué par les récentes épreuves, profita de ce moment pour partager avec nous les détails du désastre à Lylh Serrine.
— Les troupes de Lorcan et du Général Dravell nous ont encerclés. Leur nombre et leur technologie Drevanienne étaient écrasants. Le gouverneur Lorncrest s'est sacrifié pour que Alden et le prince Aurelian puissent fuir, confia-t-il d'une voix chargée d'émotion.
— Quel courage... murmurai-je d'admiration.
Emeric hocha la tête, les traits durcis par les épreuves :
— J'ai profité de la confusion pour m'échapper, mais des soldats m'ont poursuivi. J'ai été touché par une flèche, mais par chance, un paysan m'a trouvé et sauvé la vie.
— La chance a joué en votre faveur, c'est certain, ajouta Tomas, toujours prompt à reconnaître le rôle du destin dans les affaires des hommes.
— Et maintenant, je suis ici pour une seule raison : sauver Alden et couper la tête de ce traître de Darel ! Et vous, pourquoi n'êtes-vous pas auprès de Sa Majesté ? questionna-t-il, son regard scrutant chacun d'entre nous.
— Nous partageons le même but, Emeric. Sa Majesté nous a repoussés pour notre sécurité, mais mon cœur est lourd de soucis pour lui, confessa Lykos. Je ne peux me résoudre à rester les bras croisés ; je dois le surveiller et tenter de le protéger, même de loin.
Alors que la conversation s'approfondissait, Ivar fit irruption, essoufflé et les yeux grands ouverts d'urgence :
— La procession pour l'exil de Sa Majesté et les tributs vers Lylh Serrine se prépare !
— Sais-tu quand ils partiront ? demandai-je me redressant brusquement.
— Dès demain matin, répondit Ivar, sa voix trahissant son inquiétude.
— Bien, reposez-vous alors, nous aurons besoin de toutes nos forces pour suivre cette procession à distance, conclut Lykos, d'un ton qui se voulait rassurant mais qui cachait mal son anxiété.
La soirée se clôtura sur ces mots, chacun d'entre nous gagnant son coin de repos, emporté par ses pensées, mais uni dans un but commun.
**********
ALTHEA
Les premières lueurs de l'aube perçaient à peine la brume matinale lorsque je fus conduite vers l'entrée du village, déjà habillée en esclave. Les lanières du harnais serrées autour de mon corps me rappelaient douloureusement la réalité de ma situation, une réalité que je n'arrivais toujours pas à embrasser pleinement. Je ne comprenais pas pourquoi j'avais été doté de ce harnais mais quelque chose me disait que je n'allais pas tarder à le savoir.
Devant moi, une longue procession d'esclaves enchaînés s'étirait, chacun lié à l'autre par des menottes qui scintillaient sous les faibles rayons du soleil naissant. Tout au bout de cette chaîne de misère, la voiture impériale reposait majestueusement sur le sol, gardée par des voituriers vêtus de blanc et d'or, symboles d'une opulence que je trouvais obscène dans ce contexte. Devant eux, Lorcan trônait sur un cheval qui paraissait aussi fier et impérieux que lui. À côté de la voiture, le Ministre Jo-Gar discutait avec la personne caché à l'intérieur. Sûrement l'Empereur Aurelian. Mon cœur se serra à cette vue ; je devais trouver le moyen de mettre fin à ses jours le moment venu, quel qu'en soit le coût.
Darius était également présent vêtu de sa fameuse robe verte et doré et les cheveux bien coiffés pour l'occasion. Il faisait aussi partie de la liste à abattre, mais priorité à Aurelian.
Patience.
Était devenu mon maître mot.
Un armée imposante encadrait la procession, une muraille de fer entre les esclaves et la liberté. Je scrutai la foule à la recherche de Sa Majesté, mais en vain.
Puis, soudain, Lorcan, remarquant mon arrivée, s'avança vers moi à cheval au galop. Il ordonna à Eryndor et Darel d'amener « le Roi déchu ». J'observai, impuissante, tandis qu'ils roulaient une cage sur roues vers nous. Léandre y était enchaîné de la tête aux pieds, bâillonné, réduit au silence forcé par un muselage cruel.
Lorcan s'arrêta devant moi, un sourire méprisant étirant ses lèvres.
— Voici Sa Majesté le Roi déchu, lança-t-il avec dédain. Comme tu le vois, un roi ne doit pas marcher, même en exil. Notre père nous a demandé de le traiter avec les égards dus à son rang.
Puis, se tournant vers moi avec une froideur glaçante, il ajouta :
— Et toi, tu vas tirer sa voiture étant donné ton rang.
Les yeux de Léandre s'écarquillèrent, reflétant un mélange d'horreur et de résignation. Mais contrairement à lui, la peur m'avait quittée. Je tirerai cette voiture, pas par soumission, mais par rébellion. Pour lui, pour nous, je traverserai cette épreuve avec la tête haute.
— Je le ferai pour Sa Majesté, répondis-je avec fermeté, mes propres yeux ne quittant pas ceux de Lorcan. Je l'emmènerai jusqu'à Lylh Serrine sans fléchir.
Et dans le secret de mon cœur, je fis une promesse silencieuse : une fois là-bas, je trouverais le moyen de tuer ce traître d'Empereur et de m'échapper. Cet acte de défiance, c'était ma révolte contre un destin qu'ils croyaient pouvoir m'imposer.
Lorcan interrompit brusquement mes pensées, sa voix tonnante brisant le silence précaire :
— La procession va démarrer ! Sonnez tambours et cornettes ! Exécutez tout retardataire ! Évidemment, le Roi déchu en fera partie.
Puis, il planta ses yeux glacials dans les miens et ajouta d'une voix tranchante :
— Si Léandre nous retarde, il mourra. Six gardes seront postés de chaque côté de vous. Si je constate que vous ralentissez, je leur ordonnerai de l'exécuter. Prépare-toi à faire ton deuil, considère qu'il est déjà mort.
— Il ne sera pas un fardeau pour moi, répliquai-je avec fermeté. Et il ne sera pas en retard.
— Fort bien. Mais si malgré tout, il ralentit, tu devras l'achever toi-même. Ce sera ta seule chance de survie. Es-tu prête à le soutenir malgré cela ?
— Attachez le harnais à sa cage, ordonnai-je en guise de réponse.
Darel laissa échapper un rire moqueur, mais un regard glacial de Lorcan suffit à le réduire au silence. La procession s'ébranla alors, s'étendant à travers la plaine, chaque pas résonnant lourdement sous le poids des destins entrelacés.
La déclaration brutale d'Eryndor me glaçait le sang, mais je serrais les poings, refusant de laisser la peur me submerger. Attachée à cette voiture comme une bête de somme, je sentais le poids de chaque regard posé sur moi, chaque chuchotement de la foule renforçant ma détermination. Je ne tirerais pas seulement cette voiture ; je tirerais également les espoirs de ceux qui, comme moi, étaient oppressés et réduits au silence.
À mes côtés, Léandre, malgré le bâillon qui muselait ses protestations, communiquait par ses yeux une volonté indomptable. Il n'était pas seulement un roi enchaîné ; il était le symbole de notre lutte commune contre l'oppression.
Je me penchai légèrement vers lui, murmurant assez fort pour que seuls ceux les plus proches puissent entendre, ma voix tremblante mais ferme :
— Où que vous finissiez, Votre Majesté, promettez moi de survivre. Pour tous ceux qui ne peuvent pas se battre, pour ceux qui ont perdu tout espoir. Et surtout pour moi. Je ne survivrai pas sans vous.
Il hocha la tête légèrement, les yeux brillants d'une lueur de défiance qui me réchauffa le cœur. En cet instant, notre lien transcenda les chaînes et les harnais ; nous étions unis par notre détermination commune à résister, à survivre, à lutter pour un avenir meilleur.
Alors que les tambours battaient leur rythme implacable, la procession s'ébranla lentement, chaque pas que je faisais résonnait comme un écho de notre résilience. Lorcan, monté sur son cheval, surveillait chaque mouvement avec une attention de faucon, prêt à fondre sur la moindre faiblesse. Mais il ne trouverait aucune faille en moi, pas aujourd'hui. La cage était lourde mais je ne montrerai aucun signe de faiblesses. Fort heureusement ma force était presque totalement revenue mais je ne prendrai pas le risque de l'utiliser pour nous échapper. Il fallait que je l'utilise pour tirer cette cage et ramener Léandre en vie jusqu'à Lylh Serrine.
Pour moi, cette marche était une marche vers la rébellion contre ceux qui croyaient pouvoir briser notre esprit. Je ne savais pas ce que l'avenir nous réservait, mais une chose était certaine : tant que je respirerais, je me battrais.
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