
Chapitre 76 - La couronne du marionnettiste
Silas
Posté devant les appartements de Darius, j'étais chargé de veiller à ce que seules les personnes autorisées puissent entrer. Lorsque Darel arriva, convoqué par Darius, une partie de moi hésitait à le laisser passer. Soudain, je me rappelait son échec récent, un échec qui avait mis notre cause en péril. Pourtant, une satisfaction malsaine s'empara de moi en me rappelant ce fiasco. Je le laissai donc entrer, non sans un certain plaisir car je savais qu'il aurait sûrement une correction.
Darel avait été choisi par mes soins pour infiltrer les rangs ennemis. Sa cupidité et sa soif de vengeance contre le royaume de Valeria faisaient de lui le candidat idéal. Le convaincre de nous rejoindre n'avait pas été une tâche ardue. Cependant, récemment, son attitude avait changé. Se croyant intouchable grâce aux promesses de Darius qui avait promis de le faire nommer Général pour son aide, il s'était mis à me traiter avec condescendance, comme s'il était mon supérieur.
Son incapacité à assassiner le Prince et, pis encore, à le conduire vivant en plein cœur du palais, avait été pour moi une source de jubilation secrète. Darel, qui se voyait déjà général grâce à ses manigances, s'était révélé n'être qu'un pion facile à jouer. Observant son entrée, je ne pus m'empêcher de sourire intérieurement. Peut-être que cet échec remettrait les choses en perspective et rappellerait à Darel sa véritable place.
Soudain, les cris de Darius résonnèrent à travers le couloir, perçant le silence habituel des appartements. Curieux et légèrement inquiet de l'intensité de ces éclats, je décidai d'agir. Avec précaution, je poussai légèrement la porte, juste assez pour jeter un coup d'œil sans me faire remarquer. Le tumulte à l'intérieur était tel que mon geste passa inaperçu.
À travers l'entrebâillement, je pus observer la scène se déroulant à l'intérieur. Darius, visiblement en proie à une grande colère, faisait face à Darel. Les mots échangés étaient durs, chargés de tension. J'étais là, spectateur clandestin de cette confrontation, essayant de saisir chaque mot, chaque accusation lancée par Darius.
L'atmosphère dans la pièce était électrique, chargée d'une colère qui trouva son exutoire dans une violence brutale. Darius, consumé par la fureur, déchaîna sa rage sur Darel avec une force impitoyable. Un coup de pied, d'une puissance inouïe, envoya Darel se heurter violemment contre le mur.
— Espèce d'abruti ! rugit-il, la voix emplie de mépris.
Les coups pleuvaient, s'abattant avec férocité sur Darel, qui ne pouvait que se tordre de douleur sous l'assaut.
— Meurs !
— Aïe
— Tu mérites la mort pour ta bêtise, pour avoir introduit le Prince Héritier Impérial en plein cœur du palais, compromettant ainsi tous nos plans. On y était presque ! Tu n'es qu'un idiot, un échec total ! Tu as tout gâché !
Avec une bouche ensanglantée, Darel, dans un geste désespéré, tentait vainement d'implorer la clémence de Darius en agrippant les pans de sa tunique.
— Votre Majesté, pardonnez-moi, je reconnais mon erreur, suppliât-il, la voix étouffée par la peur et la douleur. Épargnez-moi ! Je vous en prie !
Mais Son Altesse, sourd à ses supplications, le repoussa avec dédain, accentuant encore sa punition. La colère de Darius ne connaissait pas de limite. Dans un accès de fureur supplémentaire, il se mit à lancer des objets fragiles - verres et assiettes - dans la direction de Darel, qui, malgré sa détresse, parvint à éviter de justesse ces projectiles improvisés qui volèrent en éclat contre le mur.
L'intervention d'un messager, annonçant le réveil du Prince Aurélian, interrompit mon divertissement sur cette scène chaotique pour Darel. Comprenant qu'il était temps de reprendre les choses en main, je m'avançai résolument vers Darius à contre cœur pour lui transmettre la nouvelle.
— Le Prince héritier Impérial est réveillé, Votre Altesse.
La surprise se peignit sur le visage de Darius, avant qu'il ne lance un dernier regard empli de mépris vers Darel, lui assénant un ultime coup de pied au visage accompagné d'une insulte, puis quitta précipitamment la pièce après m'avoir demandé de l'attacher et de lui programmer une séance de 100 coups de fouets avant de le relâcher.
Une fois seul avec Darel, je le saisis par le col, le forçant à me regarder dans les yeux.
— Espérons que cette leçon vous sera bénéfique. Si l'envie vous prenait à nouveau de me manquer de respect, souvenez-vous de ce moment. Ce sera la dernière chose que vous ferez, ai-je menacé d'une voix glaciale, ponctuant mes mots d'une tape moqueuse sur sa tête blessée.
Ensuite je pris le soin de l'attacher à une poutre, afin d'aller avertir les bourreaux qu'ils avaient 100 coups de fouets à asséner pour aujourd'hui.
En partant, j'entendis Darel marmonner des menaces à l'encontre d'Alden, jurant de se venger.
— Alden, cette fois, tu as dépassé les bornes... sale petit... Mais ne t'inquiète pas, je me chargerai personnellement de régler ton compte dès que l'occasion se présentera, grommela-t-il avec rancœur. Tu t'es bien joué de moi. Je vais m'assurer de mettre fin à tes jours. Moi Darel je t'achèverai je te le promets !
La porte se referma sur ces mots, laissant derrière elle les échos d'une vengeance annoncée et les sombres desseins d'un homme brisé par l'humiliation.
**********
Grand Conseiller Raymund Morinth
Mes fils étaient vraiment des imbéciles, et avaient réussis une fois de plus à montrer leur incompréhensible incompétence. Ils avaient permis l'entrée du Prince héritier au sein du palais sans même s'en apercevoir, une bévue qui n'ajoutait qu'à la longue liste de leurs échecs passés.
Dans un tourbillon de pensées sombres, le ministre Jo-Gar vint m'annoncer que le Prince héritier s'était réveillé, jetant un nouveau défi à ma stratégie déjà complexe grâce à l'ingéniosité de mes fils. Je ne pouvais ouvertement disposer du Prince, trop d'yeux étaient témoins de sa survie. Pour le moment, il devait demeurer Empereur, mais son attitude future serait décisive afin qu'il maintienne son statut légitime : un défi à mon autorité m'obligerait à le faire disparaître discrètement lors de son transfert vers Drevania où peut-être quelques mois après son accession au trône afin d'éveiller le moins de soupçons. En revanche, s'il se révélait être une marionnette docile, son règne nominatif pourrait servir mes desseins.
Résolu à évaluer son caractère, je m'approchai de sa chambre. En y pénétrant, le contraste entre l'opulence des lieux et la figure défaite du jeune Prince me frappa. Je fus accueilli par sa figure abattue, un spectacle pitoyable qui trahissait son absence de prestance Impériale. À peine avais-je franchi le seuil que, sentant ma présence, il se redressa précipitamment.
— Votre Majesté Impériale, articulai-je d'une voix empreinte d'un respect formel.
Sa réponse fut aussi inattendue que révélatrice. Il ne répondit pas par la dignité attendue d'un souverain, mais par une démission totale. Il s'effondra sur sa chaise, les mains jointes dans un geste d'imploration désespéré, ses yeux déversant un flot de larmes.
— Je vous en supplie, Grand Conseiller Raymund, épargnez-moi. Je m'en remet entièrement à vous, dit-il la voix brisée par le désespoir. Je fermerai les yeux sur tout si vous me le demandez. Je n'interviendrai pas et ne prendrai aucune décision. Si vous voulez que je sois un pantin, alors je serai un pantin, mais je vous en supplie ne me jetez pas dehors.
« S'il n'est pas l'idiot du siècle, il doit dissimuler une ruse, prêt à frapper tel un serpent tapi dans l'ombre » pensai-je.
— Grand Conseiller, je vous implore, ne me jetez pas aux loups !
— Relevez-vous, ordonnai-je, répugné par tant de lâcheté.
Il obéit, son regard imprégné de crainte et de surprise. Je profitai de ce moment pour lui annoncer froidement la disparition de son père.
— Nous avons officiellement fait nos adieux à l'Empereur, votre père. Vous êtes désormais seul maître à bord.
Il sembla se décomposer davantage, choqué par la nouvelle, vraisemblablement ignorée jusqu'alors.
— Est-ce la vérité ? balbutia-t-il, sa voix tremblante de peur et d'incertitude.
Saisissant l'occasion, je me permis de le blâmer pour sa conduite indigne d'un Empereur, bien que son acte d'humilité ait flatté mon orgueil. Cela me permettrait également de le jauger.
— Assez de pleure et de soumission, l'admonestai-je. Un empereur ne se prosterne devant personne alors ne pleurez plus jamais et ne vous agenouillez plus devant qui que ce soit. Vous êtes à la tête du plus grand empire de ce monde. Il est temps de vous élever au-dessus de ces bassesses.
Dans ses yeux, je vis un tumulte d'émotions, luttant entre la peur, la surprise et la prise de conscience de son nouveau rôle. Malgré sa fragilité apparente, une étincelle de défiance semblait s'allumer au fond de son être, présageant peut-être d'un réveil inattendu. Ce jeune homme, propulsé au sommet du pouvoir dans les circonstances les plus tumultueuses, tenait désormais entre ses mains le destin d'un Empire.
Devant cette silhouette vacillante, je me demandais si nous étions au seuil d'un nouveau chapitre de notre histoire ou au bord du précipice. Le temps, ce juge implacable, révélerait la vraie nature de cet Empereur réticent et déterminerait le cours de notre destinée commune.
**********
Empereur Aurélian
Face au Grand Conseiller Raymund, une vague de sentiments contradictoires m'envahit. Je me surprenais à verser des fausses larmes, abondantes. Cependant, en y réfléchissant elles n'étaient pas si fausses que cela et étrangement sincères, car nourries par la douleur de la perte de mon grand-père et de mon père, la trahison que j'allais devoir infliger à Alden, ainsi que par la rage sourde envers celui qui avait orchestré tant de douleurs dans ma vie. Mais c'était aussi le théâtre parfait pour ma représentation ; si le Grand Conseiller pouvait prendre ces larmes pour des larmes de peur, alors soit, qu'il en soit ainsi.
Les conseils du Général Dravell résonnaient en moi, clairs et méthodiques, façonnant chaque mot, chaque geste de ma part. Il était impératif de naviguer dans ce marécage politique avec une prudence extrême, de jouer le rôle de l'agneau docile, prêt à se soumettre aux volontés du Grand Conseiller.
En une soirée j'avais l'impression d'avoir pris plusieurs années de maturité. Mais la situation actuelle ne me laissait pas le choix sinon je signerai ma perte, ma mort même.
Lorsque le Général était dans ma chambre il me forma afin que je reste en vie dans ce monde impitoyable.
« Votre Majesté Impériale, m'avait-il dit, le temps des illusions est révolu. Il ne peut y avoir qu'un seul dirigeant pour l'Empire, et tant que Raymund respire, ce ne sera pas vous. Avec ses ambitions voraces, il ne s'arrêtera devant rien pour asseoir son pouvoir, à moins que vous ne jouiez selon ses règles. Flatter son ego peut vous garder en vie, lui faire croire que vous serez son pantin docile également. C'est la seule manière de le manipuler à votre avantage. Sinon, il n'hésitera pas à vous éliminer. Implorez-le, donnez-lui l'impression que tout ce qu'il désire de cet empire, vous êtes prêt à lui offrir sans limites. Mais souvenez-vous, c'est une danse dangereuse, très dangereuse. Votre survie et celle de l'Empire dépendent de votre capacité à le convaincre. Le moment de la vengeance viendra ne vous en inquiétez pas , mais pour l'instant assurez-vous d'être en vie pour la voir arriver. Vous devez la jouer finement Votre Majesté. Donnez-lui tout, en apparence. Mais gardez l'esprit affûté pour le futur. Comprenez-vous ? »
Acquiesçant silencieusement, je ressentais le poids de ses paroles, une feuille de route pour ma survie dans ce nid de vipères. Mon esprit, bien que troublé par le danger imminent, gravait dans ma mémoire ce conseil stratégique, une lueur d'espoir dans le tumulte des intrigues de la cour.
Me sortant de mes pensées le Grand Conseiller m'admonesta :
— Assez de pleure et de soumission. Un empereur ne se prosterne devant personne alors ne pleurez plus jamais et ne vous agenouillez plus devant qui que ce soit. Vous êtes à la tête du plus grand empire de ce monde. Il est temps de vous élever au-dessus de ces bassesses.
— Un dirigeant ? C'est absurde, cette notion m'est si étrangère, dis-je la voix ébranlée par une fausse humilité. Le trône Impériale ne devrait pas m'accueillir. Ce n'est pas à moi de m'asseoir dessus. Mieux encore, vous devriez prendre le trône. Vous Grand Conseiller Raymund, avec votre sagesse et votre dévouement pour l'empire, vous méritez cette place. Je suis prêt à renoncer à tout pour votre gloire et votre pouvoir. Je vous donnerai tout ce que je peux vous donner et que vous souhaiteriez avoir. C'est à vous d'être le dirigeant après tout ce que vous avez fait pour nous, vous le méritez. Je vous demande simplement de ne pas me jeter dehors. Épargnez-moi. Je ne veux pas diriger moi, Tout ce que je veux c'est avoir une vie confortable, Grand Conseiller.
L'acceptation de Raymund fut immédiate, ses yeux brillant d'un éclat triomphant. Cependant, ce qu'il m'annonça par la suite me glaça le sang, tout en confirmant la profondeur de ses ambitions. Cela je ne l'avait pas vu venir...
— A partir de maintenant, moi, Raymund Morinth, je vous protégerai.
— Oh Grand Conseiller...
— En échange, pour sceller notre accord vous devez me faire une promesse.
— Ce que vous voulez Grand Conseiller. Dites-moi. Quelle qu'elle soit, je m'exécuterai.
— Vous devez épouser ma petite-fille, Thalia, et faire d'elle votre Impératrice.
— Cela signifie-t-il que...que... que vous deviendrez comme mon beau-père ?
— Cela ne vous plaît pas ? s'énerva-t-il.
La perspective de devenir son petit gendre, de tisser des liens familiaux avec cet homme, me répugnait. De plus, j'en aimais une autre, et si je faisais de Thalia mon Impératrice, Althea ne pourra jamais le devenir. J'étais acculé. Pourtant, face à lui, je devais maintenir ma façade.
— Bien sûr que si ! C'est un honneur inestimable. Il n'y a pas de plus grand honneur que de vous avoir pour beau-père. Rien ne saurait égaler la grandeur de vous être associé, dis-je, dissimulant mon dégoût.
Raymund se délecta de ma réponse, son sourire narquois trahissant sa satisfaction. Dans son esprit, il avait déjà gagné, me croyant sous son joug. Il me répondit cependant.
— Ce sont les cieux qui nomment les Empereur...
Je lui prie alors la main en lui disant :
— Même les cieux, ont besoin de votre permission, Grand Conseiller.
Je le vit avoir un rictus en coin et je su que j'avais réussi ma mission.
— Je viens de la leur donner, afin qu'ils vous choisissent. Vous pouvez donc prendre le trône.
— Merci, Grand Conseiller. Merci ! Merci beaucoup !
Ma gratitude exprimée fut exagérée, mais nécessaire pour apaiser ses soupçons. Dans le secret de mon cœur, une promesse silencieuse prenait forme.
« Alden, mon fidèle compagnon et protecteur, je ne t'oublie pas. Cette comédie, ce sacrifice de mon honneur et de ma liberté, n'était qu'un pas vers une vengeance plus grande. La justice pour les crimes commis contre ma famille et mon peuple ne resterait pas inassouvie. Ma lutte, ma résistance, ne faisait que commencer. Je suis vraiment désolé mais je ne peux pas mourir maintenant. Je survivrai et prendrai ma revanche tant attendue. Et pour la promesse que je n'ai su tenir, je me rattraperai. Je le ferai, par tous les moyens. »
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Grand Conseiller Raymund Morinth
Pendant que je contemplais notre nouvel Empereur, si aisément pliable, si désespérément soumis je ne pus m'empêcher de penser qu'il était la personne la plus pathétique que j'ai eu à rencontrer. Mais une révélation s'imposait lentement à moi, telle une pièce du puzzle longtemps ignorée : cet Aurelian bien que pathétique pourrait bien être l'empereur que j'ai inconsciemment cherché tout ce temps. Il était là, juste sous mon nez, depuis longtemps, et pourtant, j'ai mis des années à voir en lui le potentiel que je désirais exploiter.
Quelle perte de temps cela a été, m'investissant dans des machinations et des complots, alors que la solution se trouvait devant moi. Et dire que j'avais failli le tuer, cet héritier faible et maniable, sans réaliser qu'il pouvait être la clé de ma quête de pouvoir absolu.
Ce garçon, avec ses larmes et ses supplications, pourrait très bien être le fantôme d'un souverain, le visage d'un Empire dont je tirerais les ficelles dans l'ombre. J'avais envisagé tant de scénarios, manipulé tant de vies, orchestré tant de destins, tout cela pour me rendre compte que le pion parfait pour mon jeu de trône était devant mes yeux depuis tous ce temps. Et maintenant que je le vois pour ce qu'il est, je ne peux m'empêcher de penser à la précieuse ironie du sort.
Je devais admettre qu'une partie de moi ressentais une sorte d'admiration perverse pour sa capacité à incarner si parfaitement le rôle de l'empereur ombre que j'avais imaginé. Un dirigeant en titre, oui, mais une marionnette dans mes mains, exécutant ma volonté, défendant mes desseins comme s'ils étaient les siens. Ma vision pour l'empire, mes ambitions, mes rêves de grandeur... tout cela pouvait se réaliser à travers lui. Aurelian, dans sa faiblesse, dans son ignorance, deviendrai l'instrument ultime de ma volonté. Il ne s'en rendais pas compte encore, mais il avait déjà commencé à jouer le rôle que je lui avait destiné.
D'une certaine manière, sa pathétique présence confirmait que j'étais sur la bonne voie depuis le début. Mais maintenant, avec une clarté renouvelée et une détermination froide, je savais ce que je devais faire. Aurelian n'était pas simplement un empereur de passage. Non, il était le fondement sur lequel je bâtirai mon règne, un règne où je serai le vrai souverain, masqué derrière le visage d'un empereur fantoche. Et pour cette raison je le protégerai corps et âme à tout prix.
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