Chapitre 69 - Les masques tombent
LYKOS
Envoyé en éclaireur par Léandre pour suivre de près la situation d'Alden et du Prince Aurelian, j'avais gravi les pentes escarpées qui surplombaient le lac. Mon rôle était de recueillir des informations et de revenir avec des nouvelles, bonnes ou mauvaises, pour mon Roi. Caché derrière les roches et la végétation, j'observais, tentant de rester invisible aux yeux de nos ennemis. Mais rien ne m'avait préparé à la scène surréaliste qui s'était déroulée sous mes yeux. Perché sur une crête je vis un dragon aussi majestueux que terrifiant faire son apparition. Un spectacle à couper le souffle. Mais je n'étais pas préparé à ce qui suivit et cela me glaça le sang. Alden et Aurelian, dans un acte de bravoure ou de folie pure, montèrent dessus, puis se jetèrent à tour de rôle dans le vide pour échapper à leurs poursuivants qui n'étaient d'autre que le Général Lorcan et le Général Dravell. La hauteur de la falaise et la violence de leur chute me laissèrent peu d'espoir quant à leur survie.
Retournant auprès de Léandre, le cœur lourd, je lui fis le récit de ce que j'avais vu. Son visage se décomposa à l'annonce de la nouvelle, la douleur et la détresse peintes dans ses yeux.
— Vous devez impérativement retrouver leurs corps, Lykos. Drevania ne manquera pas de nous accuser de la mort du Prince, aggravant encore la situation. Nous devons nous préparer au pire.
Puis d'une voix pleine d'émotions il ajouta :
— Quand vous aurez retrouvé leurs corps, ramenez-les au palais.
Je voyais bien que Sa Majesté était à la limite de ses forces, épuisé par les événements récents et cette nouvelle tragique de la perte d'Alden qui le connaissant le touchait plus que la futur accusation du Grand Conseiller. Il était au bord de l'effondrement, écrasé par le poids de la responsabilité et du chagrin. Je m'approchai de lui, posant une main réconfortante sur son épaule.
— Votre Majesté, permettez-moi de suggérer que vous rentriez vous reposer au palais. Avec Ivar nous nous occuperons de tout. Nous nous chargerons de la recherche et dès que nous aurons retrouvé les corps, nous les ramènerons. Il est crucial que vous soyez dans les meilleures dispositions pour affronter les jours sombres qui s'annoncent.
Son regard se fixa dans le vide un instant, comme s'il mesurait l'ampleur de la tâche qui l'attendait. Puis, d'un signe de tête résigné, il accepta ma suggestion. Il me regarda, les yeux emplis de tristesse. Il savait qu'il ne pouvait rien faire de plus pour le moment, et que veiller à son propre bien-être était essentiel pour faire face aux épreuves à venir. C'est avec une lourdeur dans l'âme que nous nous séparâmes, lui retournant au palais pour attendre des nouvelles, et moi, avec les autres, entamant la pénible tâche de rechercher dans les profondeurs du lac les restes de nos chers disparus. La mission s'annonçait sombre, mais nécessaire pour apporter un semblant de paix à ceux qui restaient.
**********
LEANDRE
L'attente était insoutenable, chaque instant étiré en une éternité d'angoisse. La douleur et le désarroi m'envahissaient alors que je scrutais l'horizon depuis les remparts du château, attendant le retour de Lykos et Ivar. Leur mission était claire : retrouver Alden et le Prince héritier Aurelian, ou du moins ce qu'il en restait. Mais quand ils revinrent, les mains vides, un voile de désespoir s'abattit sur moi me brisant le cœur. Leur absence de réussite était un coup dévastateur, non seulement pour la mission mais pour mon âme déjà lourdement éprouvée.
— Nous avons fouillé le lac et les alentours, Majesté, mais... il n'y a aucune trace d'eux, avoua Lykos, la voix teintée de regret.
Les mots résonnèrent dans le vide de la pièce, comme un écho dans un abysse sans fin. Alden... qui avait risqué tant de fois sa vie pour protéger le Prince, afin de protéger notre royaume, était maintenant perdue. Alden, ce guerrier intrépide qui avait traversé le champ de bataille pour sauver Aurelian, avait disparu dans le néant, emportant avec lui une part de mon espoir pour un avenir meilleur. Aurelian, le prince de notre royaume ennemi, Drevania, représentait une chance de paix, un possible rapprochement entre nos peuples. Sa perte signifiait bien plus qu'un échec militaire ; c'était un coup porté à l'avenir même de Valeria.
— Majesté, il est peut-être encore temps... Nous pouvons continuer les recherches, proposa Ivar, essayant de percer le voile de ma détresse.
Je secouai la tête, épuisé. Comment pourrais-je leur dire que ce n'était pas seulement une question de devoir, mais d'une perte personnelle déchirante ? Alden n'était pas seulement un fidèle alliée ; il était devenu, au fil des épreuves, une partie de moi-même. Son courage, sa détermination, et cette lumière inextinguible qui brillait en lui, même dans les moments les plus sombres, m'avaient profondément touché.
— Non, laissons... Cela ne servirait à rien, murmurai-je, la voix brisée par le chagrin. Si le destin a décidé de les arracher à ce monde, qui sommes-nous pour le contester ?
Le silence s'abattit sur la pièce, lourd et accablant. Je me levai, vacillant légèrement, me dirigeant vers la fenêtre pour regarder les étoiles, cherchant du réconfort dans leur éclat immuable. Peut-être là-haut, quelque part, Alden et Aurelian trouvaient-ils la paix qui leur avait été refusée ici-bas.
— Reposez-vous, soufflai-je à l'intention du vent nocturne. Votre courage et votre sacrifice ne seront jamais oubliés. Quant à moi, je porterai le poids de cet échec jusqu'à la fin de mes jours, me demandant éternellement ce que j'aurais pu faire différemment pour vous sauver.
Me retournant vers mes compagnons, j'ajoutai avec lourdeur :
— Préparez-vous. Drevania ne tardera pas à utiliser la mort du prince contre nous. Il nous faut être prêts à affronter ce qui nous attend.
Lykos, Tomas et Ivar acquiescèrent, partageant mon chagrin mais aussi ma détermination. Nous savions tous que les jours à venir seraient difficiles, mais le sacrifice d'Alden et d'Aurelian ne serait pas vain.
En me retirant dans la solitude de mes appartements, je réalisai la lourdeur de la tâche qui m'attendait. La guerre avec Drevania allait prendre une tournure nouvelle, plus sombre, mais je ne fléchirais pas. Pour Alden, pour Aurelian, pour l'avenir de Valeria, je combattrai jusqu'à mon dernier souffle.
Soudain, la cour résonna d'un tumulte inhabituel, une cacophonie qui semblait annoncer l'approche d'une armée en marche. Poussé par une curiosité pressante et l'inquiétude qui serrait mon cœur, j'ordonnai à Lykos, Tomas, et Ivar de me suivre pour enquêter sur cette perturbation. À peine avions-nous franchi les portes qu'un spectacle des plus déconcertants s'offrit à nous. Darius, flanqué du Général Lorcan, du Général Eryndor, du Général Dravell, et d'Alexandre, faisait irruption dans ma cour. Mais ce n'était pas leur présence qui m'arracha un frisson d'effroi, c'était la vue du pauvre Gouverneur Lorncrest, une figure emblématique de notre temps, traîné avec peine par deux gardes. Ses pieds et ses yeux bandés par un bandage blanc imbibé de sang, témoignaient d'une cruauté que je peinais à concevoir. Darius, le traître notoire, ne me surprenait plus, mais le voir ainsi, triomphant dans son infamie, ravivait en moi une vague de dégoût profond.
D'un ton empreint de fausseté, Darius s'inclina devant moi, déclarant avec une insolence calculée :
— Votre Majesté, nous avons l'honneur de vous présenter l'assassin présumé du Prince héritier Aurélian.
En poussant le Gouverneur à mes pieds, Darius souligna ses mots d'une cruauté qui me glaça le sang. Le Gouverneur, désorienté, semblant complètement perdu, incapable de comprendre sa situation. Il tournait la tête de droite à gauche de manière saccadé comme s'il ne savait pas où il se trouvait. Cette vision me transperça le cœur, mais je me forçai à rester impassible, conscient de la mascarade qui se jouait devant moi.
Le Général Lorcan, affichant un sourire moqueur, s'approcha du Gouverneur et exigea des explications.
— Gouverneur ! Expliquez-vous ! Nous vous laissons la chance de vous expliquer !
Voyant que le Gouverneur ne répondait pas Lorcan se fit plus pressant :
— Alors expliquez-vous ! Ou souhaitez-vous peut-être qu'on le fasse à votre place ?
C'est alors que Darius s'avança, révélant la tragique condition du Gouverneur, mutilé et privée de ses sens : un sort qui dépassait l'entendement.
— Ce ne sera pas nécessaire Général Lorcan, il a été blessé dans la bataille et en a perdu l'usage de sa langue et de son ouïe. Il ne peut ni voir, ni entendre, ni même parler. Mais cette homme témoigneras pour lui au sujet de cet incident, dit-il en désignant Darel, le traître parmi les traîtres.
La trahison de Darel, un des plus proches alliés du Gouverneur, m'accabla d'un poids insoutenable. L'idée que Lorncrest ait pu être ainsi trahi par un des siens me brisait. Mon cœur se serrait à la pensée de la douleur et de la solitude qu'il devait éprouver. Face à cette révélation, je restais de marbre, cachant ma peine et ma colère derrière une façade d'indifférence, alors que mon âme criait en silence pour la justice et pour l'honneur de mon vieil ami.
Darel s'avança à son tour me faisant une révérence maladroite.
— Bonsoir, Votre Majesté. Permettez-moi de me présenter, je suis Darel, du corps de patrouille du Gouverneur Lorncrest de Lylh Serrine, son ton, teinté de déférence, ne parvenait pas à masquer l'inquiétude qui luisait dans ses yeux.
— Épargnez-moi vos civilités, Darel. Ne vous souvient-il pas de la mission que je vous confiai, celle de veiller sur le Prince Aurelian ? ma question, tranchante, visait à le déstabiliser, à le pousser dans ses derniers retranchements.
— Effectivement, Votre Majesté, sa réponse timorée confirma mes soupçons.
Le Général Lorcan, impatient, l'incita avec un ton méprisant qui lui était propre à se dépêcher :
— Allez, trêve de bavardage ! Dis-nous donc la vérité qu'on en finisse.
— Le Gouverneur Lorncrest est coupable, Votre Majesté. Il a assassiné le Prince héritier Impérial et mis à feu et à sang la presqu'île de Lylh Serine, sa voix tremblait, trahissant le mensonge qu'il portait comme un fardeau.
— Comment osez-vous proférer de telles calomnies ? Et surtout comment osez-vous me mentir ?
— C'est la vérité Votre Majesté. J'en fus témoin de mes propres yeux. J'ai vu et entendu.
Ses mots sonnaient faux, une pièce mal jouée. Le Général Eryndor et Darius échangèrent un regard complice, tandis que Lorcan poursuivait son interrogatoire, feignant l'ignorance des réponses de Darel.
— Et qui donc a donné cet ordre tragique ?
— D'après le Gouverneur l'ordre émanait de....
— Du Général Eryndor, interrompis-je leur pièce de théâtre mal joué, visant directement Eryndor. Général, dites-moi, avez-vous déjà rencontré le Gouverneur Lorncrest avant aujourd'hui ?
— Non Majesté, comment connaîtrais-je cet homme ? Je ne l'ai jamais vue avant cet instant, me répondit ce dernier.
Je jubilai intérieurement car il venait de tomber droit dans mon piège ce qui me permit de continuer :
— Bien, vous dites ne l'avoir jamais rencontré donc. Tomas ?
— Oui, Votre Majesté.
— Le Gouverneur Lorncrest m'a informé lors de ma visite dans la prison qu'il avait mordu le cou du Général Eryndor il y a quelques jours. Si ce que le Gouverneur a dit est vrai vous devriez avoir une morsure dans le cou. Curieusement, vous avez pris soin ce soir de dissimuler votre cou sous vos vêtements. Je vous somme de le révéler maintenant !
Eryndor se drapa dans une défense aussi vaine que transparente :
— C'est absurde ! se défendit-il.
Je fis un signe de tête à Tomas qui compris mon message. D'un geste rapide et précis il dégaina son épais coupant le morceau de tissu de la tenue du Général Eryndor qui masquait son cou. Il le pris par le bras l'obligeant à montrer son cou.
— Lâchez-moi espèce d'imbécile ! s'exclama-t-il.
— Il a bien une blessure au cou, annonça Tomas, une pointe de triomphe dans la voix.
Lykos, avec son œil acéré et l'esprit aussi brillant, s'avança pour mieux l'examiner :
— Une morsure. Sans l'ombre d'un doute, Votre Majesté.
Le regard que Darius et Lorcan échangèrent avec Eryndor aurait pu fendre la pierre. Mais le temps des murmures était révolu. Je poursuivis, inébranlable :
— Il apparaît que vous êtes l'instigateur de ce tragique assassinat du Prince héritier. Lykos avait déjà été témoin de votre assaut contre le Prince et Alden. Cette preuve vient s'ajouter à son témoignage, renforçant votre culpabilité. Vous prétendez n'avoir jamais croisé le Gouverneur, et pourtant, voici la preuve indélébile de vos mensonges gravée sur votre peau. Général Eryndor vous m'aviez confirmé ne pas avoir vu le Gouverneur avant cet instant et pourtant il vous a mordu il y a quelques jours preuve que c'était vous qui étiez derrière l'assaut de Lylh Serrine et non le Gouverneur comme vous venez d'essayer de me faire croire ! Que faisiez-vous alors sur le champs de bataille? De plus...
La tension était à son comble quand la voix de Nora, ma belle-mère fendit l'air, un interlude presque théâtral dans ce tableau de duplicité :
— Votre Majesté ! Que se passe-t-il donc ici ?
Me retournant je vis ma belle-mère Nora vêtue de ses atouts royaux et de sa tenue de reine alors que Reine elle n'était plus depuis l'abdication de Père. Sans un regard pour celle qui fut autrefois ma reine, je rétorquai, laissant transparaître mon irritation :
— Veuillez reculer un instant, vous n'avez rien à faire ici, lui lançais-je.
— Je viens vous livrer un message. Le Grand Conseiller Raymund Morinth vient d'arriver et il vous attends tous !
Cette annonce sema un vent de soulagement chez Darius, Lorcan, et Eryndor. Cependant, l'expression sombre du Général Dravell et de son fils trahissait curieusement un tout autre ressenti.
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