Chapitre 45 - Désolation
LEANDRE
L'acier chantait dans l'air, une symphonie tranchante, tandis que je m'entraînais à l'épée avec Ivar dans les jardins du palais. Nos mouvements s'apparentaient à un ballet de précision et de force, un art que j'avais appris dès mon plus jeune âge. Le soleil se frayait un chemin à travers les feuilles des arbres centenaires, créant des jeux d'ombre et de lumière sur nos figures concentrées. Je parais un coup, puis en assénais un autre, me perdant dans le rythme et l'intensité de l'entraînement. C'était une de ces rares occasions où je pouvais échapper au poids de la couronne, où je pouvais être simplement Léandre, l'épéiste, et non le roi.
Soudain, Tomas apparut, son expression sérieuse tranchant avec la sérénité des jardins. Derrière lui, le général Caius Dravell et son fils Alexandre avançaient avec une gravité qui ne présageait rien de bon. Je m'arrêtai net, essuyant la sueur de mon front avec l'arrière de ma main. Un serviteur s'approcha en courant et me tendis une serviette. Ivar lui recula respectueusement, comprenant que la situation demandait mon attention immédiate.
— Votre Majesté, le général Dravell et son fils sont ici et souhaiteraient vous parler, annonça Tomas, un léger froncement de sourcils trahissant son inquiétude.
Je hochai la tête, replaçant mon épée dans son fourreau avec une fluidité acquise après des années de pratique.
— Général Dravell, que m'apportez-vous de si urgent ?
— Que faites-vous ? Comment osez-vous retenir le prince héritier en captivité ?
— C'est une mesure de protection.
— Protéger le prince de qui, exactement ? intervint Alexandre, son ton sceptique.
— Des individus qui tentent de le tuer. C'est ma responsabilité de le garder en sécurité.
— Merci pour vos efforts, mais nous prendrons la relève. Nous assurerons désormais sa protection, déclara Alexandre avec une confiance non dissimulée.
— Jusqu'à ce qu'un nouvel ordre soit émis de ma part, aucun membre de la dynastie de Drevania ne s'approchera de lui. Tant qu'il sera sous ma juridiction, et jusqu'à ce qu'il atteigne le prochain royaume qu'il est censé visiter, il demeurera sous ma garde.
— Je vais vous révéler la vérité. C'est moi qui ai incité le prince Aurélian à s'échapper et qui ai feint sa mort pour le protéger. J'ai sauvé la vie de Son Altesse. Si les brigands l'avaient tué, Valeria aurait été plongée dans une grave crise. Vous auriez eu de sacré problèmes ! Vous devriez plutôt me remercier pour cela.
— Dans ce cas, je m'assurerai d'en informer le grand conseiller Raymund Morinth. Il semblerait qu'il ne porte pas le prince héritier dans son cœur. Il sera sûrement ravi d'apprendre que c'est grâce à vous que le prince a survécu. Quand il saura que vous l'avez sauvé, il sera probablement très enthousiaste à l'idée de vous couper la tête.
À ces mots, je vis les yeux d'Alexandre s'écarquiller, tandis que son père bafouillait, pris de court.
— Je... je ne sais pas de quoi vous parlez.
— Dès demain, je vous ordonne de quitter Valeria et de retourner à la dynastie de Drevania. Vous n'êtes plus les bienvenus sur mes terres. Si vous souhaitez conserver votre tête sur vos épaules et rester en vie, je vous conseille vivement de suivre mes directives et de vous éloigner.
*************
Après l'interruption de mon entraînement avec Ivar, j'étais curieux de voir comment se déroulait la journée du prince héritier, comment il allait avec Alden et l'informer que son cher général devait retourner à Drevania dès demain.
Poussant la porte avec un peu trop d'entrain, j'entrai dans ses appartements. Ce qui se passa ensuite était à la fois embarrassant et hilarant. Le prince, dans une tentative maladroite de se lever dignement, s'emmêla les pieds dans les plis de sa robe impériale. Il tomba en avant avec une grâce digne d'une comédie de boulevard, s'écrasant sur sa table recouverte de mets délicats. Les assiettes et les coupes vacillèrent, certaines se renversant dans un bruit de vaisselle fracassant. A ce rythme-là, il allait finir par se tuer lui-même. Je voulais bien le protéger contre des assassins mais je vais avoir du mal à le protéger contre lui-même et sa maladresse. A cette vue, je ne pus retenir un rire étouffé. Quant à Alden, qui était assis sur le fauteuil derrière lui, éclata de rire, se tenant la boucher pour tenter de contenir son hilarité. Son. Rire était contagieux, et il était difficile de ne pas se joindre à lui dans cette explosion de joie spontanée. Le prince se releva, couvert de mets et de boissons, et avec une dignité quelque peu écornée, balaya les restes de nourritures de sa robe d'un geste de la main, tentant de sauvegarder ce qui restait de son allure impériale.
— Tout va bien, rien de cassé, déclara-t-il, avec un sourire gêné mais sportif.
Il semblait presque surpris par sa propre maladresse, comme s'il ne s'attendait pas à ce que sa robe impériale se transforme en piège mortel pour ses pieds. Sa réaction à l'incident, plutôt que de le rendre ridicule, ajoutait une touche d'humanité et de charme à son personnage. Il était clair que malgré son statut et son éducation, il était drôle. Malgré cela, je n'arrivais pas à l'apprécier à sa juste valeur, quelque chose chez lui me dérangeait, mais je finirai bien par découvrir ce que c'était.
Me tirant de mes pensées, il me dit :
— Quelle est la raison de votre visite, Léandre ?
— Je suis venu vous informer que le général Dravell retournera à la dynastie de Drevania dès demain. Je l'ai relevé de ses fonctions. Sur ces terres les ordres émanent de moi et non pas de Raymund, révélais-je, mes mots empreints d'une fermeté résolue.
Le prince me fixa, ses yeux écarquillés par la surprise.
— Comment est-ce possible ? Et qu'en est-il de moi alors ? sa voix tremblait légèrement, révélant son inquiétude sous-jacente.
— Je ne laisserai aucun soldat de Drevania vous approcher, ni vous escorter pour votre prochain voyage. J'ai également fait parvenir à votre mère un Dragon messager lui demandant d'envoyer un valet de confiance pour veiller sur vous pendant votre séjour ici, expliquai-je, essayant de masquer mon agitation intérieure et mes inquiétudes.
— Je suis le prince héritier de l'empire de Drevania ! Comment pouvez-vous m'être aussi déloyal et me traiter avec une tel désinvolture ? s'exclama-t-il, sa voix montant d'un cran.
— Déloyal ? N'avez-vous pas proposé de changer le nom de Valeria pour le vôtre ? ripostai-je, ma voix s'élevant malgré moi.
— Et quel mal y a-t-il à cela ? demanda-t-il, une sincère incompréhension teintant ses mots.
— Comprenez-vous seulement la portée de vos paroles ? ma frustration commençait à transparaître.
— J'ai vu le peuple de Valeria souffrir. J'ai fait cette proposition par souci pour eux, répondit-il, sa voix tremblante.
A ces mots, une vague d'émotion me submergea. Je le saisis par le col, la colère me consumant. Alden tenta de s'interposer, mais je le repoussai d'un geste ferme.
— Vous ne réalisez donc pas qui a réduit ce pays en cendres ? criai-je ma voix résonnant dans la pièce.
— Quoi...euh...Comment osez-vous ? balbutia-t-il, choqué par ma soudaine véhémence.
— Taisez-vous et écoutez-moi bien. Rappelez-vous que vous seriez mort si nous n'avions pas été là ; continuai-je mes mots chargés d'émotion. Réalisez-vous à quel point je me sens misérable et impuissant de devoir vous protéger vous alors que je ne peux même pas protéger et sauver mon propre peuple ?
— Mais moi je n'ai rien fait, me dit-il, les larmes commençant à perler au coin de ses yeux.
Malgré sa détresse, ma colère ne faiblissait pas. Je le poussai brusquement, le faisant chuter au sol. Alden s'empressa de l'aider, ce qui ne fit qu'attiser ma colère et ma frustration.
— Si vous devez mourir, faites-le sur votre propre terre, dans votre propre empire de Drevania. Je ne permettrai pas que votre sang impur souille et fasse encore du mal à notre pays, dis-je durement. Comprenez-vous ?
— Je comprends, répondit-il, les larmes coulant désormais librement sur ses joues.
En quittant sa chambre, je l'entendis éclater en sanglots.
— Où êtes-vous tous passés ? Maître Varro ? Léo ? Maman ? Papa ? Général Dravell ? Alexandre ? Pourquoi m'avez-vous tous abandonné ?
Sa peine me toucha malgré moi, mais cela n'apaisa en rien ma colère. Je ne pouvais m'empêcher de penser à mon peuple. Leurs souffrances, leurs cris, la faim, la peur, et la douleur insupportable qu'ils avaient endurées. Je les avaient vu ramper à même le sol afin d'empêcher les Drevaniens de leur prendre leurs familles envoyées en tribut. Je les avait vue mourir sous les flèches et les armes Drevaniennes. Leur détresse et leurs cris de désolation et de désespoir hantaient mes jours et mes nuits. La douleur de devoir protéger un prince étranger, tandis que mon propre peuple souffrait, était un fardeau que je portais lourdement. Mon peuple méritait bien plus ma protection et mon dévouement, mais j'en étais réduit à cela, et ça me brisait le cœur.
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