Chapitre 102.4 - Echec ou réussite?
ALTHEA
Un poids m'écrasait, lourd et brûlant. Le soleil. Ses rayons ardents traversaient mes paupières fermées, me tirant lentement d'un sommeil agité. J'avais refermé les yeux sous la lueur des étoiles, la nuit dernière, alors combien de temps avais-je dormi ? Toute la nuit, probablement. Mon corps était encore engourdi, mais je me sentais légèrement mieux. L'eau de l'oasis m'avait offert un répit, aussi éphémère soit-il. Ma gorge ne brûlait plus autant, et mes muscles, bien qu'affaiblis, me répondaient de nouveau.
Soudain, quelque chose me heurta doucement. Une pression contre mon épaule, insistante. Je forçai mes paupières à s'ouvrir, le sable craquant légèrement sous ma joue lorsque je bougeai.
Le dragon.
Sa tête massive, recouverte d'écailles lisses et d'un gris profond, me poussait avec une insistance presque tendre. Ses yeux, deux globes d'ambre perçants, m'observaient avec une intelligence silencieuse.
— Bonjour, joli dragon.
Ma voix était rauque, un murmure à peine audible. Je m'étirai maladroitement, puis me redressai en position assise. Je caressai doucement son museau, le remerciant pour sa patience.
— Je ne sais pas combien de temps je vais tenir encore, admis-je, avec un sourire triste.
Le dragon pencha légèrement la tête, comme s'il comprenait, avant de frotter son museau contre mon épaule. Puis, sans un bruit, il se redressa et se mit à marcher. Je savais que je devais le suivre. Il était mon guide, mon dernier espoir.
Je me levai, mes jambes vacillantes, et le rejoignis. Le sable chaud mordait mes pieds, mais je n'avais pas le luxe de m'arrêter pour me plaindre. Le dragon avançait lentement, mais soudain, il tourna la tête vers moi et donna un léger coup de museau sur mon bras, comme pour me presser.
— Je sais. Je sais, joli dragon. On est plus très loin, c'est ça ? murmurai-je, le suivant d'un pas plus rapide.
Le paysage autour de nous changeait subtilement. Les rochers épars devenaient plus nombreux, formant bientôt une sorte de labyrinthe naturel. Les ombres des pierres projetaient des formes menaçantes sur le sable, comme si le désert lui-même prenait vie. L'air devint plus lourd, presque étouffant, et un frisson glacé remonta le long de ma colonne vertébrale.
Je m'arrêtai net, le souffle court.
— Quelque chose ne va pas..., murmurai-je, posant une main sur ma poitrine. Je sens une aura. Une présence.
C'était une sensation sourde, un poids oppressant qui semblait émaner de l'air lui-même. Puis, soudain, un rugissement guttural déchira le silence. Les rochers devant nous tremblèrent sous l'effet de ce cri bestial, et un monstre colossal émergea de derrière les formations rocheuses.
Une abomination.
Son corps était massif, semblable à une araignée géante, mais mille fois plus terrifiant. Une carapace chitineuse d'un noir profond recouvrait son torse, chaque plaque ornée d'épines acérées. Il avait six pattes, longues et tranchantes comme des lames, qui s'enfonçaient dans le sable avec un bruit sinistre à chaque pas. Ses yeux, multiples et rouges, luisaient dans la lumière du jour comme des braises infernales. Un appendice semblable à une queue ondulait derrière lui, finissant par un aiguillon empoisonné.
Mon sang se glaça.
— Oh merde ! criai-je, reculant instinctivement.
Le monstre grogna, sa mâchoire s'ouvrant pour révéler deux rangées de crocs aussi longs que mes bras. Il se mit en position d'attaque, ses pattes se levant au-dessus de sa tête avant de retomber lourdement sur le sol.
Il chargea.
Je roulai sur le côté, évitant de justesse l'une de ses pattes tranchantes qui s'abattit là où je me tenais quelques secondes plus tôt. Le sable vola en éclats, et je me redressai maladroitement, mon souffle court.
— Tu es bien trop grand pour moi..., murmurai-je entre mes dents, mais mes jambes bougeaient d'elles-mêmes.
Courir. Esquiver. Survivre.
Il attaqua à nouveau, et je sautai sur un rocher pour éviter un coup horizontal de sa patte, mais le monstre était plus rapide que je ne l'avais prévu. Une autre patte surgit, et je n'eus d'autre choix que de sauter au sol, roulant dans le sable brûlant.
Soudain, le dragon s'interposa entre le monstre et moi, son rugissement résonnant dans tout le désert. Son corps massif fit face à l'abomination, ses griffes s'enfonçant dans le sol comme pour ancrer sa position. Le combat était inégal, même pour un dragon.
Le monstre attaqua d'un coup de patte, mais le dragon esquiva, ses ailes battant furieusement pour le stabiliser. Il mordit l'une des pattes de la créature, lui arrachant un cri de rage. Mais alors qu'il se jetait sur le torse de l'ennemi, une autre patte surgit, transperçant brutalement la partie inférieure de son corps.
— Non ! criai-je, horrifiée.
Le dragon recula, titubant, du sang coulant de sa blessure et formant une mare sombre sur le sable. Mais malgré sa douleur, il rugit de nouveau, refusant de reculer. Son regard se tourna vers moi, brûlant de détermination.
Je savais ce qu'il voulait. Je devais agir. Mais comment une simple mortelle pouvait-elle vaincre une telle créature ? Mes mains tremblaient alors que je cherchais une arme, une pierre, n'importe quoi. Le dragon était blessé, et je n'avais pas le droit de rester immobile. Pas cette fois. Je ne pouvais pas le laisser mourir. Il m'avait guidée, protégée. C'était à mon tour de faire quelque chose.
Le monstre tourna sa masse chitineuse vers moi, ses multiples yeux rouges fixant ma silhouette fragile. Un prédateur qui avait flairé une proie plus facile.
— Tu me veux moi, pas vrai ?! criai-je, la voix éraillée.
Je pris une grande inspiration, essayant de calmer mes tremblements. Mes mains fouillèrent frénétiquement le sol, cherchant n'importe quoi. Une arme, un outil, un miracle.
Mon regard se posa sur une pierre plate, légèrement anguleuse, à moitié enfouie dans le sable. Je l'agrippai et me redressai rapidement. C'était maigre, insignifiant face à un tel monstre, mais je n'avais rien d'autre.
— Approche, saleté !
La bête bondit en avant, ses pattes massives s'abattant lourdement là où je me tenais une seconde plus tôt. Je roulai sur le côté, ma respiration se coupant sous l'effort. Le sable volait dans tous les sens, et l'air était saturé de poussière et de l'odeur métallique du sang. Mes jambes me portaient à peine, mais je continuais de bouger, esquivant ses assauts désordonnés. Il me fallait un plan. Une ouverture.
Mon regard se porta sur l'une de ses pattes, une longue lame d'os recouverte de sable. Chaque coup qu'il portait semblait déséquilibrer légèrement son corps massif. Son propre poids était son point faible.
Je criai pour attirer son attention, levant la pierre dans ma main comme une arme dérisoire.
— C'est moi que tu veux, hein ? Alors viens !
Le monstre grogna, ses crocs cliquetant dans un bruit terrifiant, et il bondit à nouveau. Cette fois, je ne reculai pas. J'attendis, chaque seconde s'étirant comme une éternité. Quand sa patte s'abattit, je plongeai directement sous son torse, glissant sur le sable. Un coup de chance. Sous son abdomen chitineux, je remarquai une ouverture – une partie plus molle, vulnérable. Je n'hésitai pas. Je levai la pierre et frappai de toutes mes forces.
Le premier coup rebondit presque sans effet. Mais au deuxième, un liquide noir visqueux jaillit de la blessure. Un hurlement atroce résonna dans l'air, faisant vibrer les rochers autour de nous.
Je roulais sur le côté pour éviter une nouvelle patte tranchante.
— ALLEZ ! hurlai-je, presque pour moi-même, en me relevant.
Le dragon, bien que blessé, trouva la force de se redresser. Il battit des ailes, soulevant un nuage de sable qui aveugla temporairement la créature. J'en profitai pour frapper à nouveau, visant cette même ouverture. La pierre s'enfonça profondément cette fois, arrachant un cri de rage à l'abomination.
Mais elle n'abandonnait pas. D'un mouvement désespéré, le monstre balança sa queue massive dans ma direction. Je fus projetée en arrière, le souffle coupé alors que mon dos heurta violemment le sol.
— Althea, lève-toi... lève-toi..., murmurai-je à moi-même.
Alors que je reprenais mes esprits, mon regard se posa sur une large pierre pointue à proximité, bien plus tranchante que celle que je tenais auparavant. Avec un dernier sursaut de volonté, je me précipitai vers elle et l'agrippai.
Le dragon détourna à nouveau l'attention de la créature, mordant l'une de ses pattes avec férocité malgré le sang qui s'écoulait toujours de sa blessure. Son sacrifice me donnait une dernière chance. Je contournai la bête, grimpant sur un rocher pour gagner en hauteur. Je devais viser son point faible. Cette ouverture sous son abdomen était ma seule option. Je respirai profondément, ajustant ma prise sur la pierre.
— Que ce désert maudit te reprenne, sale bête !
Je sautai du rocher, la pierre dans les mains, et je l'abattis avec toute la force qu'il me restait directement sur son ventre. La lame improvisée perça profondément la chair, et un flot de liquide noir jaillit comme une rivière de mort. La créature émit un dernier hurlement strident, avant que son corps ne s'effondre dans un fracas assourdissant.
Je tombai à genoux, essoufflée, mes bras tremblant de fatigue. Le sable autour de moi était couvert de sang noir et poisseux. Le monstre était mort.
Je me tournai vers le dragon. Il était allongé sur le sol, respirant difficilement, mais vivant. Je me précipitai vers lui, posant une main tremblante sur son museau.
— On l'a fait, joli dragon... On l'a fait.
Ses yeux ambrés me fixèrent, une lueur de reconnaissance et de fierté brillait dans son regard. Mais il était gravement blessé. Son flanc saignait abondamment, et je savais qu'il ne survivrait pas longtemps sans aide.
Je cherchai frénétiquement autour de moi, mais il n'y avait rien d'autre que le silence et les rochers. Le désert m'observait, indifférent à notre souffrance.
— Tiens bon... Je vais te soigner. Mais même en disant ces mots, je ne savais pas comment.
Je restai là, à genoux, à caresser doucement le museau du dragon, priant intérieurement pour un miracle. C'était tout ce que je pouvais faire.
**********
Un son rauque et douloureux émanant du dragon, résonna dans l'air, brisant le silence oppressant du désert. Son souffle était irrégulier, sifflant par moments, et chaque mouvement semblait lui arracher une nouvelle vague de souffrance. Je m'agenouillai à ses côtés, posant une main tremblante sur son flanc chaud et écailleux.
— Petit dragon..., murmurai-je.
Sa tête bougea légèrement vers moi, ses yeux d'ambre ternis par la douleur. Un faible gémissement échappa de sa gorge. C'était un son si fragile pour une créature si majestueuse.
— Tu dois me laisser t'aider. Je t'en prie, mon ami, ne me laisse pas seule maintenant.
Il grogna doucement, son corps massif tressaillant sous la douleur. Le sang sombre et poisseux continuait de couler de sa blessure, se mêlant au sable qui l'entourait. La plaie, profonde et béante, avait pris une teinte inquiétante, un vert qui semblait s'étendre.
Je regardai autour de moi, désespérée. Il n'y avait rien, rien que du sable et des rochers. Pas de plantes médicinales, pas d'eau. Seulement ce que je portais sur moi. Je devais faire quelque chose, même si cela semblait dérisoire.
Je déchirai un morceau de mon foulard improvisé, mes mains tremblantes d'émotion et de fatigue. Le tissu râpeux était usé, taché de mon propre sang, mais c'était tout ce que j'avais.
— Tiens... Cela va peut-être te soulager.
Je tremblai en pressant doucement le tissu contre sa plaie, essayant d'endiguer le sang noirâtre qui s'échappait encore. Sa chair autour de la blessure avait gonflé, les écailles se soulevant légèrement comme si la chair pourrissait de l'intérieur. Un venin, sûrement, injecté par cette abomination qui l'avait blessé.
Le dragon bougea brusquement, un gémissement guttural s'échappant de sa gorge alors qu'il tressaillait sous ma tentative maladroite de le soigner.
— Chh... chut, chut. Je t'en prie, reste calme. Je suis là.
Il s'immobilisa légèrement, son souffle toujours court et douloureux. J'appuyai le tissu sur la plaie, mais je savais que ce n'était pas suffisant. Il avait besoin de plus.
— On doit se déplacer. Il faut qu'on trouve un abri, de l'eau... quelque chose. Si nous restons ici, nous ne survivrons pas. Ni toi, ni moi.
Je passai un bras sous son museau, comme pour le soutenir. Le dragon grogna faiblement, mais il comprit. Il se redressa péniblement, ses ailes battant légèrement pour trouver son équilibre. Chaque pas qu'il faisait semblait être un effort titanesque, mais il avançait, guidé par un instinct de survie qui dépassait la douleur.
Quelques instants plus tard nous marchions sous un soleil implacable, le sable brûlant s'infiltrant dans mes chaussures, mes vêtements. Chaque pas était un supplice. Le dragon avançait toujours, mais son souffle était devenu de plus en plus court, et ses mouvements plus lents. Enfin, il s'effondra à nouveau, son immense corps s'étalant sur le sol. Cette fois, il ne tenta même pas de se relever. Sa tête reposait lourdement sur le sable, son souffle haletant, presque saccadé.
— Petit dragon, ça va aller, d'accord ?, murmurai-je, m'agenouillant à côté de lui. Ça va aller, mon ami.
Il ouvrit un œil, mais c'était un regard fatigué, un regard qui semblait me dire qu'il n'en pouvait plus. Mon cœur se serra.
Je regardai autour de nous. Le soleil déclinait, et la nuit ne tarderait pas à tomber. Je rassemblai quelques morceaux de bois secs et de branches que j'avais ramassés en chemin. Avec une pierre, je parvins à allumer un petit feu, une maigre flamme qui crépitait faiblement dans le silence de la nuit naissante.
Mais je ne pouvais pas rester immobile. L'inquiétude me rongeait. Je faisais les cent pas autour du dragon, jetant sans cesse des regards vers lui. Sa blessure... Elle s'était agrandie, et la couleur verte s'était intensifiée, s'étendant dangereusement le long de son flanc. Le poison se répandait.
Je me penchai à nouveau vers lui, ma voix douce mais désespérée.
— Petit dragon... Laisse-moi jeter un coup d'œil, d'accord ? Je t'en prie.
Je posai une main sur son flanc, tentant de ne pas montrer ma propre peur. Le tissu que j'avais utilisé était imbibé de ce liquide noirâtre, et la chair autour de la plaie était désormais enflée, presque boursouflée. Une odeur âcre et nauséabonde s'en échappait.
— Ce poison..., murmurai-je. Il te ronge.
Le dragon gémissait faiblement, ses ailes frémissant par moments. Il semblait lutter contre lui-même, cherchant encore la force de se battre. Je ne pouvais pas le perdre.
**********
Je regardai la blessure du dragon, mon cœur se serrant d'impuissance. Je reculai, horrifiée. Je n'avais plus de solutions, plus d'idées.
Me levant d'un bond, je me mis à faire les cent pas, mes mains crispées dans mes cheveux.
— Putain ! Putain ! Putain !, criai-je, le désespoir me déchirant la gorge. Ce putain de trou à rat !
— Oh, c'est dur, hein ? lança une voix moqueuse derrière moi. C'est dur d'être une pauvre princesse impuissante...
Je me retournai brusquement. Elle était là. Encore elle.
— Je ne suis pas impuissante, crachai-je, mais il n'y a rien ici. Rien à puiser, rien pour l'aider. Que veux-tu que je fasse ?
Elle me regarda longuement, un sourire énigmatique se dessinant sur ses lèvres. Ses yeux scintillaient dans la lueur du feu, étranges et insondables.
— Et pourtant... la magie est partout, dit-elle en fixant les flammes dansantes.
Je secouai la tête, furieuse.
— Non. C'est interdit.
— Interdit ? Elle haussa un sourcil. Par qui, exactement ?
— Les anciens écrits. Les livres disent que c'est dangereux. Valthura l'a proscrite à cause des effets dévastateurs qu'elle provoque.
Elle se rapprocha, ses pas lents et mesurés. Sa voix se fit plus douce, presque persuasive.
— Les livres disent beaucoup de choses. Mais ils ne vivent pas. Moi, je vis. Et je te dis que tu pourrais faire quelque chose de bien avec ce pouvoir. Autrement... cette créature, ton ami, mourra si tu n'interviens pas.
Ses mots résonnèrent en moi comme une cloche de vérité cruelle. Elle avait raison. Je n'avais rien fait pour sauver le dragon, et chaque seconde qui passait l'amenait plus près de la mort.
— Je ne sais pas comment faire, murmurai-je, ma voix brisée. On ne me l'a jamais enseigné...
Elle esquissa un sourire.
— Fais couler ton sang et approche tes mains. Laisse le feu entrer en toi.
Je regardai les flammes, hésitante. Elles dansaient devant moi, hypnotiques, comme une promesse de puissance. Prenant une grande inspiration, je tendis lentement les mains vers elles. La chaleur m'atteignit d'abord, douce et réconfortante, mais elle devint rapidement intense, presque insupportable. Puis, soudain, les flammes bondirent vers mes paumes.
Une vague de chaleur envahit tout mon corps, une sensation enivrante, presque euphorique. C'était comme si une force dormante s'éveillait en moi, une énergie brute et incontrôlable. Mon esprit s'éclaircit, mes sens s'affûtèrent. Je ne ressentais plus la fatigue, ni la douleur, seulement une puissance infinie.
— C'est... incroyable, murmurai-je.
Les flammes jaillissaient de mes mains, virevoltant autour de moi comme des serpents ardents.
— Une sensation extraordinaire, n'est-ce pas ? dit-elle derrière moi, sa voix teintée de fierté. Dire que tu avais ce pouvoir en toi, toute ta vie durant.
Je me tournai vers le dragon, déterminée. Il gémit faiblement, mais ses yeux me fixèrent, pleins de confiance. Je m'approchai, posant une main enflammée sur sa blessure. Le contact des flammes le fit sursauter, mais je continuai, concentrée. Le feu sembla pénétrer sa chair, consumant le poison. Son corps tout entier trembla, un cri rauque s'échappant de sa gorge. Puis, lentement, la plaie commença à se refermer, les écailles reprenant leur teinte originelle. Quand je retirai ma main, le dragon se redressa, vacillant légèrement. Il battit des ailes avec force, avant de s'élancer dans le ciel, laissant une traînée de poussière derrière lui.
— Ceux qui ont peur de ce que tu es ne sont que des fardeaux, déclara-t-elle en me regardant. Laisse-les partir.
Je l'ignorai, fascinée par la chaleur qui émanait encore de mes paumes. Cette puissance. Cette liberté.
— C'est une sensation incroyable, dis-je, ma voix empreinte d'admiration. Tout semble facile... tellement facile.
Elle hocha la tête, ses yeux brillants d'un feu intérieur.
— En effet. Lorsque j'ai été mise sur le bûcher et que les flammes ont envahi mon corps, je n'ai pas crié. Elles m'ont donné une force nouvelle. Ils disaient que j'étais maudite, mais je savais que c'était un don. Le même don qui t'anime aujourd'hui.
Elle fit un pas vers moi, son regard brûlant d'intensité.
— Souviens-toi, Althea. Quand tu possèdes ce pouvoir, ils veulent soit te contrôler, soit te détruire. Ils m'ont brûlée vive à cause de cela. Ils ont massacré Elarae d'Etheria pour la même raison. Mais toi, Althea... toi, tu es différente. Toi, tu peux réussir.
Avant que je ne puisse répondre, elle me poussa brusquement. Mes pieds quittèrent le sol, et les flammes m'enveloppèrent tout entière. Le feu monta autour de moi, tourbillonnant jusqu'à toucher le ciel. Sa voix résonna au milieu des flammes, comme un écho lointain.
— Le temps du mépris prendra fin, et alors, tu reprendras ce qui t'appartient de droit. Ta colère est légitime. Ta vengeance ne sera que justice. Fais-les souffrir. Ceux que tu aimes te trahiront aussi, Althea. Ils l'ont déjà fait.
— Non ! hurlais-je, les larmes roulant sur mes joues. Je ne les abandonnerai jamais.
— Ils ne sont qu'un frein, murmura-t-elle. Tu vois l'étendue de ton pouvoir ? Voilà ta destinée.
— Je n'en veux pas ! sanglotai-je, je n'en veux pas.
— Alors, tu n'es pas encore prête, murmura-t-elle, sa voix tombant comme un jugement froid et définitif. Tu as échoué le test.
Je sentis mon souffle se bloquer un instant, comme si ses mots m'avaient transpercée. Échoué. Le poids de ce mot m'écrasa, lourd et implacable. Mais dans cette noirceur, quelque chose en moi se brisa. Un refus. Une colère brute, incontrôlable, jaillit de mon cœur. Echoué à quoi ?
Je relevai la tête, les larmes coulant encore sur mes joues, mais ma voix, elle, était claire.
— Je m'en fiche !
Les mots jaillirent de ma gorge, sans réflexion, sans retenue. Je les crachai comme un défi au monde entier. Je n'en avais plus rien à faire. Qu'ils me jugent, qu'ils me testent, qu'ils me condamnent ! Cela n'avait plus d'importance. Je n'étais pas une marionnette, pas leur pion, pas leur jouet. Les flammes vacillèrent autour de moi. Elles hésitèrent, se tordirent comme prises d'une vie propre, avant de se dissiper lentement. La chaleur s'évapora, remplacée par un silence étrangement solennel.
Je la vis alors sourire. Un sourire doux, presque satisfait. Pas moqueur, pas cruel. C'était le sourire de quelqu'un qui avait obtenu ce qu'il voulait.
— Ne t'inquiète pas, dit-elle, sa voix désormais calme, presque chaleureuse. Nous te retrouverons... très bientôt.
Je fronçai les sourcils, troublée. Qu'avait-elle voulu dire ? Pourquoi souriait-elle alors que je venais soi-disant d'échouer ?
— J'ai finalement réussie ?
— Si tel est le cas, nous te retrouverons bientôt... Retrouve tes camarades avant cela.
Avant que je ne puisse poser une question, tout disparut. Les flammes, la lumière brûlante, la présence oppressante... tout s'éteignit d'un seul coup, comme si le monde avait avalé sa propre voix.
L'obscurité m'enveloppa.
Je sentis mon corps s'abandonner, sombrant dans un néant froid et silencieux. Mais alors que je glissais dans cette noirceur, une pensée fugace me traversa l'esprit.
Et si, en rejetant leur épreuve, je l'avais en réalité réussie ?
**********
— C'est elle !
Une voix s'éleva, pressée, presque incrédule. Des pas lourds écrasaient le sol humide, se rapprochant rapidement.
— Pousse-toi ! Laisse-moi regarder.
— Mais je te dis que c'est elle !
— Comment peux-tu en être si sûre ?
Le brouhaha m'arracha doucement des ténèbres, comme un filet de lumière perçant un voile noir. Un murmure sourd tambourinait dans mes tempes, et mes paupières refusaient de s'ouvrir complètement. La seule chose que je distinguais était un enchevêtrement de feuilles vertes et de branches qui se tordaient au-dessus de moi comme un plafond vivant. Une forêt.
— Tu en as vu beaucoup, toi, des brunes aux yeux violets échouées sur une plage ?! râla une autre voix, plus grave et agacée. Merde alors, c'est bien la fille que recherche mère !
— Pas la peine d'être aussi grossier, répliqua une autre.
Je tentai de bouger, mais mes membres étaient lourds, comme prisonniers de plomb. La fatigue m'écrasait. Les voix résonnaient autour de moi, proches et lointaines à la fois. Des silhouettes se dessinaient dans mon champ de vision troublé : des femmes. Leur peau semblait étrange, veinée de lignes brunes qui couraient le long de leurs bras et de leurs visages, telles des racines d'arbres. Leurs cheveux, longs et entrelacés de feuilles et de mousse, se mêlaient presque au feuillage qui m'entourait.
Des femmes-arbres ?!
— Vous deux, ramassez-la, ordonna la voix autoritaire.
Je sentis des mains robustes mais étrangement douces saisir mes bras et mes épaules. Leur toucher était ferme, mais sans brutalité.
— Doucement... Elle est à moitié morte, souffla l'une d'elles, sa voix teintée d'inquiétude.
Qui étaient-elles ? Je voulais crier, me débattre, poser des questions... mais mes paupières étaient des voiles de plomb, et mes lèvres refusèrent de bouger. La fatigue m'emportait encore, sourde et insidieuse.
— Je ne peux pas..., tentai-je de murmurer, mais le son s'évanouit avant même de naître.
— Elle retombe. Dépêchez-vous. On ne traîne pas ici, s'impatienta la voix autoritaire.
Je fus soulevée, mes pieds traînant mollement sur le sol. Le bruissement des feuilles autour de moi devint un lointain murmure, et peu à peu, je sombrai à nouveau dans l'obscurité.
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