Chapitre 9. Après la Tempête

Hélène

Me revoilà dans ma chambre. Après m'y avoir ramené, Eythan et l'infirmière sont très vite repartis. J'imagine que mon camarade va batailler pour ne pas être hospitalisé. Je verrais bien demain au petit-déjeuner si l'infirmière aura réussi l'exploit de le convaincre. J'espère que oui.

Quelques secondes à peine après leur départ, ma mère a débarqué en trombe dans ma chambre. Son visage exalté et sa bouche prête à prononcer de gentilles moqueries ont rapidement laissé place à une grande empathie. Après quelques secondes d'hésitations, elle vient de me prendre dans ses bras.

Le nombre de fois où ma maman m'a câliné se compte sur les doigts de ma main gauche. Je ne l'ai jamais vu faire un câlin à qui que ce soit d'autre, pas même à Tonton, pas même à leurs parents. Peut-être que chaque câlin lui rappelle mon père, qui a disparu la veille de ma naissance. Je crois à cette explication depuis toute petite, alors je ne lui en veux pas. Je profite seulement de chacun de ces moments de tendresse physique pour lui dire combien c'est mon héroïne.

Elle m'a porté pendant neuf mois, a soigné chacun de mes bobos, m'a toujours aidé à chaque fois que j'en avais besoin et m'a toujours chéri comme si j'étais le plus grand trésor au monde. Mon tonton l'a toujours soutenu autant qu'il pouvait et s'est même installé avec nous quelques années après ma naissance. Mais ce n'est pas la même chose. Je n'appelle pas ma maman « mon Astre » uniquement parce qu'elle se nomme Astrid. Mon Astre est ma lumière jusque dans les ténèbres.

« Je viens de croiser ton rendez-vous urgent dans le couloir. Est-ce que c'est à cause de lui que...

Elle m'aurait sûrement posée une toute autre question si mes yeux n'étaient pas bouffis par les larmes. Pourtant, cette situation me va très bien. Il m'a apaisé, elle me câline et ne m'a pas encore fait de blagues gênantes. J'ai l'impression de lui avoir escroqué ce câlin.

– Non. Au contraire maman. J'avais besoin de libérer mon amertume et mes larmes et il...

Il m'a aidé avec moins de bisous que j'espérais. Tant pis, lorsque ce sera son tour de se confier, je ne me gênerais pas !

– Quand tu iras mieux, il faudra tout me raconter dans les moindres détails !

Un sourire pervers apparaît sur son visage. Je la connais assez bien pour savoir que je n'échapperais pas aux miliers de questions qu'elle se pose depuis qu'elle a compris que c'était lui, mon « rendez-vous urgent ». Mais même si l'interrogatoire gênant qui m'attend me donnera des frissons de dégoût, je suis satisfaite. Plutôt vivre son interrogatoire démoniaque que de la voir inquiète pour moi !

– Je vais déjà beaucoup mieux. Mais je ne raconterais rien tant que je n'aurais pas pris une douche et eu des vêtements propres !

– Ton oncle se réchauffe déjà dans la voiture alors je vais lui demander de passer à la maison prendre tes culottes les plus sexys pour ton cop–

Voilà déjà le début des embrouilles. Dire que j'avais peur de me faire toucher par une munition ! L'humour de ma maman me cause bien plus de torts...

– Maman !

– Je rigole ! En plus, on sait toutes les deux comment il va réagir quand il apprendra que tu as quelqu'un en vu. Ça va être un vrai carnage, alors si je rajoute ta culotte dans l'équation... »

Un carnage, c'est exactement ce qu'Eythan et moi avons commis ce matin. Tant pis, je ne peux pas m'arrêter de m'amuser à chaque mot qui me rappelle cette expérience extrêmement perturbante. Je dois vivre !

Mon Astre sera sur le cul lorsqu'elle apprendra que ce garçon qu'elle a croisé dans un couloir désert a libéré tous les otages. Sa surprise sera encore plus belle à admirer quand elle saura que je l'ai aidé. Comme on dit, après la tempête vient le soleil.

Cette femme m'a vu nue un nombre incalculable de fois lors de mon enfance. De plus, nos récents camping sauvages avec le strict nécessaire et les simulacres de stages commandos ont réduit toute forme de pudeur entre elle et moi. Voilà pourquoi elle ne bronche absolument pas alors que je retire mon pantalon devant elle. L'appel de l'eau chaude et l'envie de fuir les commentaires gênants de ma maman me poussent à me précipiter sur la douche de ma chambre.

« Hélène, Hélène... J'ai passé les deux premières années de ma vie à t'allaiter. Ensuite j'ai couru derrière toi pour nettoyer tes bêtises et que tu ranges tes posters de dessins animés. Mais il faut croire que je dois désormais abandonner ton éducation militaire pour t'apprendre la vie de fille en capacité de tomber enceinte... Leçon numéro une : prendre sa douche avant de voir son amoureux, pas après... »

Sans surprise, sa bouche se retrouve couverte par mon tee-shirt, et mes joues complètement rouges, avant même que je fasse couler l'eau. Gênée par le fait que ma mère parle de ma vie amoureuse, vexée par l'idée qu'Eythan ait pu me trouver sale, bouleversée par la probabilité de me voir enceinte un jour, je cours me réfugier dans la salle de bain avant de claquer la porte derrière moi.

J'esquive le lavabo de peu et l'énergie cinétique me pousse jusque dans la douche. Mon pied droit glisse sur le carellage mouillé et se prépare à atteindre la hauteur de ma tête, ce qui entraînerait mon pied gauche à suivre le mouvement. Mes jambes en l'air, ma tête ou mon coccyx frapperait le sol de plein fouet.

Pour m'éviter une telle chute, je m'accroche au mitigeur et déclenche ainsi une pluie presque glaciale. Ces gouttes fraîches déferlent le long de mon torse. Les battements de mon cœur s'apaisent et le sang qu'il contient se refroidit à mesure que ma respiration ralentisse.

Je me demande ce que devient Eythan. J'espère qu'il déjeunera avec moi demain matin. À vrai dire... Je suis impatiente de le revoir. La seule chose au monde qui est encore plus incroyable que cette journée c'est... Cette... Cette manière qu'il a de me manquer. J'aimerais qu'il soit là. Maintenant, avec moi. Sous la douche. Nous deux.

Après mon cœur, c'est au tour de mon corps de devenir brûlant.