Chapitre 40. Battre le fer
Chapitre 40. Battre le fer
Eythan
Je ferme une porte derrière moi. Presque au même moment, mon téléphone se met à sonner.
« Yo Léa. Qu'est-ce que tu racontes de beau ?
– Et toi ? Parlons de toi pour une fois !
– Rien de space. J'ai passé les derniers jours à regarder des séries et à jouer à des jeux vidéos avec Joseph.
Étonnamment, je me suis retrouvé à lui parler d'elle. Selon lui, il est clair qu'elle m'aime. En vérité, peu m'importe. Ce n'est pas comme si elle était importante à mes yeux.
– Et alors, c'était bien ?
– Ouais. L'important, c'est pas tant l'activité, mais avec qui. Honnêtement, il est le meilleur dans son domaine. Mais on n'appartient pas au même monde lui et moi. Je ne pense pas qu'on se reverra. Enfin, ceci est une autre histoire. T'as réussi à gérer l'affaire auprès des flics, je suis pas recherché ?
– Quoi, t'es même pas au courant ?
– Bah non. J'ai pas rallumé mon téléphone depuis qu'on s'est quitté. J'aurais pas profité d'être avec lui si on n'était pas coupé du monde extérieur.
– Eh ben... Comme tu l'as prédit, les flics n'ont pas tardé à se pointer. J'avoue que j'avais pas trouvé de solution miracle. Honnêtement, j'aurais pu inventer n'importe quoi, face à la pression de l'uniforme, j'aurais fini par tout déballer. Au final, l'un d'eux a éclaté de rire et m'a confié que tu ne risquais pas grand chose, puisque ton faux cocktail molotov n'aurait pas blessé une mouche.
– Tant mieux. Et pour la réaction de l'opinion publique, ça s'est passé comment ?
– Alors là... Tu as eu énormément de chances. Évidemment, les journalistes qui t'ont confronté racontaient à qui voulait l'entendre ta dangerosité et ta cruauté. Mais la chanteuse américaine Julie Jones a commencé à vanter ton génie stratégique, et beaucoup d'autres stars des quatre coins du globe se sont rangés de son côté. Forcément, quand les plus grands influenceurs de la planète défendent ton geste, l'avis de quelques anonymes ne pèsent rien. Un acteur à la retraite a même lancé un hashtag poussant les autres célébrités à raconter leurs pires expériences causées par des paparazzies. Après avoir fait machine arrière sur leur ancienne déclaration, Tigre Style a même annoncé être en rupture de stock pour le sweat fait en partenariat avec toi.
Ça n'est pas de la chance. Certes, quand je me préparais à brûler vifs des êtres humains pour avoir la paix, je ne pensais pas que mon geste améliorerait ma réputation. Mais ça n'est pas de la chance. Cette règle du jeu n'avait pas encore été écrite, voilà tout.
– Tant mieux. On va pouvoir passer le nouvel an ensemble finalement. Ça se passe quand et où ?
– Ce soir à 21 heures, chez ma pote Lucie. Ses parents lui laissent la maison pour la nuit, on va se déchirer la gueule ! crie-t-elle d'excitation.
– On sera combien ?
– Y aura Lucie, moi, toi évidemment, Julien, Manon, Dorian et Hélèna, une amie de Lucie. Ça va être le bordel, c'est moi qui te le dit !
Je n'ai aucune idée de qui sont tous ces gens. Elle a dû me parler d'eux, mais bon. N'en avoir rien à foutre ne doit pas aider à la mémorisation. Je pourrais lui redemander, ce n'est pas la peur de la blesser qui m'en empêche.
Mais à vrai dire, je n'en ai toujours rien à foutre. Et puis, si j'ai prévu de ne plus remettre un pied en cours jusqu'à la fin de ma vie, ce n'est pas pour faire de la géopolitique.
***
Battre le fer tant qu'il est encore chaud. Je suis souvent d'accord avec cette expression. Ne pas lâcher son plus beau sourire quand on est en retard serait un manquement à la règle. Toute l'attention est déjà sur soi, alors autant en profiter.
Dans les mois à venir, le retard va même devenir la norme pour moi. Juste comme cette soirée. J'ai plus d'une heure de retard. Pourquoi choisir de ne pas arriver à l'heure ? La police n'est mobilisée qu'après un crime et il est normal que les super-héros se pointent au dernier moment. Le retard est la Justice.
Toc toc toc. La porte s'ouvre fébrilement. Je tombe sur une blonde à l'air anxieux. De manière surprenante, elle paraît soulagée.
Je plante mes deux pieds à l'intérieur de la maison. La porte se referme derrière moi à l'instant où mon sac de sport heurte le sol. Bienvenue en Enfer.
Seul un pilier sépare l'entrée du salon. En rejoignant ce dernier, je remarque deux choses. D'abord, un escalier présent au fond à gauche. Ensuite, qu'ils ne m'ont pas attendu pour commencer la fête.
Un fragile château de bières occupe un coin de la pièce. Le sol est jonché de confettis, parsemé d'une ou deux flaques de liquide. Pourtant, ils sont plutôt calmes. Enceinte éteinte, en cercle comme pour le rituel d'une secte.
Les regards se lèvent vers moi. Tel un Moïse rappeur, je me créé une place dans le cercle.
« Yosh, ça dit quoi ? »
Immédiatement, les yeux s'écarquillent. Deux téléphones se dressent devant moi. Rien d'étonnant. Malgré mon ennui profond, je fais semblant de jouer le jeu. Je prends la pose, un sourire factice et les doigts en V, parce qu'il n'y a rien de plus important que la victoire.
Je m'emmerde dans l'euphorie générale. Seul un mec roux a l'air d'avoir peur de moi. Léa porte la fierté sur son visage en admirant la réaction de ses amis. Une coréenne me regarde avec un sourire plus énigmatique que celui de Mona Lisa. Intéressant.
Après quelques photos, l'adrénaline se raréfie dans leurs veines. Jusqu'à ce qu'un mec dont je ne connaîtrai jamais le prénom prenne la parole :
« En t'attendant, on a commencé un Action ou Vérité. Tu veux nous rejoindre ?
Je jette un œil à la bouteille au milieu du cercle. Ils ont sûrement planifié d'y jouer à l'instant où ils ont su que je viendrais. Vu le peu de personnes qui m'entoure, je doute qu'il y ait une contre-soirée à rejoindre.
– Pourquoi pas. À qui le tour ?
Je n'ai d'autre choix si je veux passer le nouvel an avec Léa. Ils font chier. Je veux bien comprendre qu'avoir des exclusivités d'un héros national est alléchant. Mais un action ou vérité, sérieusement ? On est où là ? Dans une fiction pour adolescents sans avenir ? Je ne crois pas.
Ce jeu pue la merde. Évidemment que tout le monde ment. On ne brise pas un rôle construit pendant des années pour combler quelques heures. Ce jeu n'a aucun enjeu. Donc aucun intérêt.
***
Quelle bande de bâtards. Ils croient que je n'ai pas compris qu'ils essayent de me viser avec la bouteille ? Enfin, ce qui devait arriver arriva.
« Eythan ! Action ou vérité ?
– Action.
Je n'ai pas de rôle à maintenir. Si je parle, je suis sincère. Donc mieux vaut que je ne parle pas.
– Ooh...
Je souris face à cette déception générale. Ils font mine de réfléchir, comme s'ils ne s'étaient pas déjà mis d'accord sur une action à me faire faire.
Je ne redoute pas ce qu'ils vont me demander. Ils savent que je rejetterai leur demande si elle me déplaît.
– Envoie un « Il va t'arriver des bricoles » à l'un de tes contacts au hasard !
Celui qui vient de parler se fait très mal regarder. Ils devaient avoir prévu de me demander un autographe. Il cherche à se faire remarquer. Bah, je m'en fous.
Je déverrouille mon téléphone et le fait glisser vers Léa.
– Tiens, j'te fais confiance. Il faut que j'aille aux chiottes, elles sont où ?
J'observe leurs airs médusés. Avec une pointe de satisfaction pour celui de Léa.
– Premier étage, au fond du couloir à droite.
Même s'ils tombent sur les messages échangés avec L4cky, ils ne risquent pas de comprendre. Je me lève et je me taille.
***
Un bruit monstre éclate en bas. Apparemment, quelqu'un vient d'arriver. Peu importe qui il est, il s'est cru malin d'arriver encore plus en retard que moi. Cette soirée ne se terminera pas en douceur.
Soudain, j'entends des pas furieux marteler l'escalier. Lui aussi va mal finir. La personne qui vient de le rejoindre également. Ils me soûlent à faire du bruit.
« Calme-toi...
– Que je me calme ?! Chaque fois qu'il se pointe c'est pareil : je dois m'écraser pendant qu'il te drague ouvertement. Putain ça me dégoûte. Tu réalises qu'on ment à tous nos amis sur notre relation pour pas qu'il l'apprenne ?
– Tu comprends pas... Il est ultra possessif, même si c'est fini entre nous. S'il apprend qu'on est ensemble, tu vas te prendre ses huit ans de boxe dans la tronche. Et la dernière chose que je veux, c'est que tu finisses à l'hôpital...
Je ne crois pas que cette fille, Manon si je me souviens bien, soit hypocrite. Elle aime sincèrement ce Julien mais est trop faible pour faire face à son ex. Quant à Julien... Je comprends sa souffrance.
Quant à cet ex toxique... Putain de bad boys. Ces merdes se croient forts juste parce qu'ils savent frapper fort. Ils ne sont pas un millième de ce que je suis.
Je réglerai le problème de ce couple d'un claquement de doigt si l'envie m'en prenait. Pour l'instant, j'ai la flemme.
Je me lève et me barre sans tirer la chasse d'eau. S'ils se rendent compte de ma présence et que je décide de régler leur problème, ils penseront que je les ai aidés. Je n'aide personne, je ne fais que ce qui est juste.
Soudain, une odeur de cookie chaud me traverse les narines. La cuisine a beau être en bas, ce parfum irrésistible vient de l'étage. Attiré comme je ne l'avais jamais été, je me mets à marcher vers elle. J'espère que, pendant que je serai dans cette faille spatio-temporelle, personne n'aura l'idée d'ouvrir mon sac de sport.
Quoique, c'est en mettant de l'argent et des armes dans les mains d'un homme qu'on découvre sa vraie nature.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro