Chapitre 37. Bande de Victimes
Chapitre 37. Bande de Victimes
Eythan
Ce devait être l'homme en costume. Ou la grand-mère ? Elle a bien caché son jeu si c'est le cas. Ou alors, la caissière. Intriguée par ce garçon qui vient acheter un sandwich en billets de vingt sans quitter son sac de sport, elle s'est débrouillée pour trouver qui j'étais. Ou encore, n'importe quelle personne croisée dans ce train.
Peu importe qui m'a reconnu. Je me doutais que ça allait arriver. Mon quai était bondés de journalistes avant même que le train n'arrive en gare.
La sécurité a dû venir jouer les gardes du corps pour que les gens puissent sortir du train. J'aurais pu essayer de me fondre dans la foule. Mais ça fait treize jours depuis la prise d'otage. Si je ne leur donne pas d'autres actualités que mes posts Instagram, les médias vont finir par arrêter de parler de moi.
« Regardez là-bas ! C'est lui ! C'est Eythan ! »
Eh ben, ce n'est pas trop tôt. J'ai posé mon sac de sport à terre depuis presque une minute. Enfin, c'était plutôt drôle d'admirer ce troupeau courir dans tous les sens à ma recherche.
Rectification : ce n'est pas un troupeau, c'est une mer ! Ils doivent être trente... Non, quarante... Ou trop pour être comptés.
Dans un premier temps, c'est tant mieux. Ça montre que je n'ai pas sombré dans l'oubli et que je suscite toujours autant d'intérêt. Dans un deuxième temps... Ça me les brise sévère de les sentir s'agglutiner autour de moi.
Ils me collent tellement que je n'ai même pas la place d'ouvrir mon sac. Il serait injuste de brutaliser un journaliste alors que c'est leur nombre qui me gêne. J'abandonne, malgré moi, les idées d'en poignarder un et celle de tirer en l'air.
« Eythan, que répondez-vous à l'évêque qui vous accuse d'être un démon envoyé par Satan ?
– Est-ce vrai que vous n'éprouvez aucun remord à avoir commis ce massacre ?
– N'auriez-vous pas pu appeler la police au lieu de laisser parler vos pulsions animales ?
Je baille face à leurs retards étonnés. On dirait qu'ils font tout pour m'énerver. Dommage pour eux, il suffit de le comprendre pour y être insensible.
– N'avez-vous pas honte d'avoir entraîné une innocente fille dans votre folie meurtrière ?
Ou peut-être que ce n'est pas si simple. Je le détaille du regard : un costume probablement plus cher qu'une maison, un air vicieux sur le visage et une soif intemporelle d'histoires croustillantes. On dirait la version adulte d'Axel.
– De un, vos questions me cassent les couilles. De deux, je n'ai aucune raison d'y répondre. »
Je soupire. Comme je le prévoyais, ils n'ont pas cessé de tendre des micros vers moi. Hors de question qu'ils laissent partir une star nationale aussi facilement. Très bien.
« On va faire un petit jeu. Vous allez vous faire passer une feuille de papier entre vous et la signer. Ensuite j'écrirai dessus une valeur exacte de Pi, et je garderai le papier. Le premier à trouver ce que j'ai écrit gagne une interview avec moi.
Pour qu'un prédateur cesse de suivre sa proie, il doit croire qu'il l'a attrapée. Sans surprise, l'un d'entre eux sort une feuille et la pose contre le dos de son voisin. Comme ils sont mignons à se bousculer pour un simple bout de papier. Seule une journaliste a gardé son micro et ses yeux pointés sur moi. Sûrement pour vérifier que je n'en profite pas pour fuir.
Je ne suis pas si mesquin.
– Répondez juste à cette question : pourquoi nous faire signer ce papier ?
– Pour que vous soyez sûrs que, le jour où quelqu'un trouve la réponse, je ne l'ai pas changé entre temps.
– C'est très ingénieux. Mais qui nous dit que vous ne faites pas tout ça juste pour vous débarrasser de nous ?
– Je pourrais. Et jusqu'à ce que quelqu'un trouve la réponse, c'est ce que vous penserez. Mais je ne suis pas stupide au point de faire une promesse à la télévision tout en sachant que je vais la briser. Je ne suis pas un homme politique. Et puis ça m'amuse de voir comment les gens se comportent pour remporter la victoire. Ce serait moins drôle si le but du jeu n'était qu'une blague. »
Je ne voulais pas répondre à leurs questions, j'ai fini par exprimer mon goût du jeu à cette journaliste. Elle est forte, je respecte ça. Tant pis, je n'annulerais pas le jeu en sa faveur.
La troupe finit par revenir vers moi. Elle me tend un papier rempli de signatures. Vient le problème d'y inscrire la réponse sans que ces parasites ne la lisent. Ils seront sûrement promus s'ils réussissent, je ne pourrais pas les empêcher d'essayer de tricher.
Cela ne servirait à rien de leur demander de reculer. Il y a même des chances pour qu'ils se mettent à avancer. Génial. La journaliste me fait un signe de la tête. Je n'ai aucune garantie qu'elle la jouera à la loyale si je me sers d'elle pour écrire en toute sécurité.
Pourtant, je pose la feuille contre son ventre. Le quai étant trop fin, ils ne peuvent venir derrière moi sans marcher sur les voies ferrées. Heureusement pour moi, ils sont bien élevés. S'ils s'organisaient, ils pourraient facilement pousser la journaliste pour venir voir ce que j'écris.
Leur égoïsme primaire les poussent à se gêner les uns les autres sans jamais menacer mon jeu. La journaliste a fermé les yeux. Elle seule a vraiment compris toutes les règles : un avis favorable de ma part vaut bien plus qu'une interview. Je lui demanderais bien son nom, si seulement j'en avais quelque chose à faire.
13 divisé par 12, multiplié par 12 divisé par 13, multiplié par pi. Voilà la réponse. Je leur souhaite bien de la patience pour la trouver. Enfin, j'ai quelques semaines devant moi avant d'être à nouveau embêté. Je fourre le papier dans ma poche et relève la tête.
La journaliste fend la foule pour aller annoncer la nouvelle à son patron au plus vite. Loin d'être aussi intelligent, l'homme au costume luxueux s'approche de moi.
« La valeur exacte de pi c'est pi ! Haha, alors on va commencer l'interview : pourquoi gâcher la vie d'Hélène et pas une autre ? »
Ce serait drôle s'il faisait exprès de me casser les burnes. Je ne suis pas médecin, mais je sais que le corps obéit à une certaine logique. Le sang circule dans des tubes, le cœur n'est qu'une pompe, les membres ne se plient que dans un certain sens...
Essayer de casser un de ces mécanismes pourrait être destructeur. Sans prévenir, je laisse tout le poids de mon corps à mon pied gauche. Il regarde ma jambe droite s'élever sans comprendre. Dommage pour lui.
Elle vient s'écraser à toute vitesse sur sa cuisse. J'appuie dessus de toutes mes forces. Inévitablement, sa jambe se plie dans le mauvais sens et part en arrière. Ne s'étant pas préparé à tenir sur un pied, sa jambe gauche rejoint sa jumelle.
Il s'éclate misérablement contre le sol. Avant qu'il ne se relève et balaie la poussière de son pauvre costume, je pose un pied au milieu de son dos. La vie est un jeu violent. Surtout quand on joue avec moi.
« Mauvaise réponse. Si quelqu'un essaie de m'interviewer sans que je ne lui ai donné mon accord, il subira le même sort. D'ailleurs, je n'accepte plus les propositions pour aujourd'hui. Alors vous feriez mieux d'aller y réfléchir loin d'ici. »
Ils restent là, les yeux perdus. Il me suffit d'enfoncer encore davantage mon pied pour que cette mauviette pousse un gémissement de douleur. Ce bruit atroce les sort de leur rêverie en un éclair. Ils se mettent à cavaler comme si leur vie en dépendait.
Honnêtement, je ne comprends pas les autres célébrités. Pourquoi se plaignent-ils des journalistes ? D'accord, ils n'ont pas d'armes. Mais je n'ai même pas eu besoin de sortir Châtiment ou de tirer sur quelqu'un. Quelle bande de victimes. Je n'attendais rien des autres humains, et je suis quand même déçu.
***
Lorsque les journalistes auront diffusé leur témoignage sur ma dangerosité, le risque d'être assailli par des gens ou des appareils photos devrait fortement diminuer. Cela ne devrait pas prendre plus de quelques heures. En attendant, je marche capuché, le visage plongé dans le GPS de mon téléphone.
J'espère que Léa n'a pas pris ma déclaration comme une blague. J'arrive chez elle d'ici cinq minutes. Je relève vite fait la tête pour vérifier ma position. C'est bon, je suis bien juste à côté d'un parc pour enfants.
J'y aperçois deux gosses de moins de dix ans. Ils sont assis de chaque côté d'un tape-cul. Qu'est-ce que mon frère a pu m'harceler pour y jouer... Le principe est simple : une planche de bois est fixée à quelques centimètres du sol et deux personnes s'installent à chaque extrémité. Avec la gravité, un enfant s'élève pendant que l'autre vient s'éclater le coccyx contre le sol. Puis les rôles sont échangés, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller dormir.
Le risque d'être à nouveau confronté à des gêneurs devrait me faire presser le pas. Mais cette vision me pousse à le ralentir. Et puis, Léa ne m'a donné aucune heure à laquelle me pointer. Je n'ai aucune raison de me dépêcher : si des gens veulent venir goûter à Châtiment, qu'ils viennent.
Je marche en direction d'un banc du parc dans l'espoir de les prendre discrètement en photo pour l'envoyer à Maxime. Il n'y a personne d'autre dans les environs, je n'ai rien à craindre. Malheureusement, la petite fille se lève de la planche avant mon entrée dans le parc.
« Pff, on s'ennuie ici...
– Ç-ça te dit qu'on joue à action ou vérité ? propose le garçon.
Sérieusement ? Il ne pouvait pas faire plus cliché ? Si j'étais un vieux con, je dirais que de mon temps on n'était pas des abrutis. Mais puisque je suis juste moi, je trouve ce jeu peu intéressant.
– S'tu veux. Vas-y commence.
Le visage du garçon se liquéfie lorsqu'il m'entend entrer dans le parc. J'hausse les épaules et fais quelques pas pour m'éloigner d'eux. Je me pose sur un banc, faisant mine de regarder autre part.
Il se tourne vers son amie. Ses jambes tremblent à croire qu'il a Parkinson. Ce petit garçon est à la limite entre une crise de larmes, un évanouissement et un arrêt cardiaque.
Pourtant, il porte son courage à deux mains.
– Est... Est-ce que tu veux bien devenir ma copine ?
Elle lui tire la langue d'un air moqueur. Je réajuste la bretelle de mon sac sur mon épaule avant de me lever. Je crois que c'est à moi d'intervenir.
– Bah non ! »
Elle élève sa main gauche vers le ciel. Le cœur du petit garçon s'arrête de battre. Son monde vient de s'écrouler sous ses pieds. Eh ben.
Sa main redescend. Elle se prépare à gifler sa joue. Tel son pire cauchemar, je m'installe dans son dos sans qu'elle ne s'en rende compte. Je me contente d'arrêter la course de sa main avec la mienne.
« Je peux savoir ce que tu fais ?
– Ben quoi ? »
Elle ne voit pas le problème. Elle trouve juste le fait de le frapper parce qu'il a perdu. Parce qu'il s'est trompé dans ses sentiments. Son ton aussi me rappelle fortement Axel.
Plein d'une supériorité illusoire, dégoulinant de suffisance. J'ai presque autant la haine contre ce fils de gigolo que contre elle.
Je n'ai pas la force d'Hélène. Mais j'en ai suffisamment pour briser le poignet d'une petite fille.
« Aïe !
Eh ben. Il lui aura fallu autant de temps pour vouloir le frapper que pour souffrir. Malheureusement pour elle, je ne suis pas un abruti de pacifiste. Cette histoire ne se terminera pas bien.
– Lâche-la ! Espèce de méchant ! » m'ordonne-t-il en me donnant des coups de pied dans la jambe.
Elle vient de lui briser le cœur. Pourtant, il la défend, quitte à y laisser sa vie.
Il n'y a plus personne pour me gêner. Mon sac m'est accessible. Je pourrai lui coller une balle entre les deux yeux.
Finalement, je lâche le poignet de la petite et m'en vais sans me retourner.
J'espère que tu me vois d'où tu es, Hélène. C'est la dernière fois que je fais une concession en ton nom.
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