Chapitre 34. Partie 3. Fête de Familles
Chapitre 34. Partie 3. Fête de Familles
Eythan
« Dis, si je devais être un animal, ce serait quoi ?
Hélène en a de drôles de questions. J'avoue que j'ai beau chercher, je ne vois pas où elle veut en venir. Peut-être s'attend elle à un catalogue de réincarnations après sa mort.
– Un dingo je dirais. C'est un chien sauvage plutôt proche du loup.
– Et pourquoi cet animal ?
Ah j'ai compris. Elle n'a que faire de se réincarner, ce n'était qu'un moyen détourné d'obtenir des compliments. Hélène est vraiment plus rusée qu'elle n'en a l'air.
– Il est courageux et loyal. Ça te représente plutôt bien.
Elle rougit à vue d'œil. Ces mots lui reviendront en tête lorsque ma présence à Paris la hantera.
– Alors toi... Tu es un lion ! Le souverain de son monde qui profite de son pouvoir pour réparer les injustices !
Elle connaît ma soif de pouvoir. Comment appliquer la justice à tous si tous ne sont pas sous mes ordres ? Mais elle se trompe. Je ne suis un lion qu'en apparence.
En réalité, je suis un Phœnix. Peu importe les blessures, je me relèverai toujours. Peu importe les morts, je vivrai toujours. Peu importe la fin de ce monde, je renaîtrai dans un autre.
– T'es pas si éloignée de la vérité. Bon, je vais dans la chambre d'amis. Je viens te voir dans vingt minutes, le temps que tout le monde soit parti se coucher ?
C'est drôle comment son visage est passé de tristesse à joie en une demi-seconde.
– Dix ?
– Vingt. Ce serait con de se presser pour être découverts et passer la nuit séparés.
Ses yeux deviennent ceux d'un chien battu, mais elle réalise vite que j'ai raison.
– À bientôt alors... »
***
La couette traîne sur le sol. Mais vu qu'elle fait deux fois ma taille, ce serait difficile d'éviter ce bruit. Je jette un œil autour de moi. Personne à l'horizon. Je ne doute pas qu'Anna ou Maxime me laisseraient tranquille, mais la réaction d'Astrid est plus imprévisible.
Avec une discrétion sans laquelle je n'aurais pas survécu, je pousse une porte. Je me glisse à l'intérieur de la chambre et pose la couette et mon sac de sport au sol. Hélène est accoudée à son balcon, la tête dans les nuages. Je m'approche d'elle à pas de loups. Elle semble ne m'avoir toujours pas remarqué.
J'enroule mes mains autour de son ventre. Elle se retourne en un éclair. Nos regards se croisent et ses lèvres viennent se coller aux miennes. Elles se détachent aussi vite qu'elles sont venues.
« Drôle de façon de dire bonsoir.
– Gnagnagna. dit-elle en souriant »
Sa tête se détourne de moi pour se diriger vers le ciel étoilé. Je pose mon menton sur son épaule, les mains toujours au-dessus de son nombril. Elle vient caresser mes cheveux et je ne sais pas quoi en penser.
Ses yeux semblent s'être perdus dans l'immensité de l'espace. Le ciel de ce soir a fait une overdose d'étoiles. J'aurais pu trouver une image plus poétique. Mais ce serait nier mon écœurement face à ces étoiles en trop.
« Quel spectacle magnifique...
– J'suis totalement d'accord. »
Elle jette un œil dans ma direction, surprise que je sois si sentimental face à un ciel étoilé. Elle a raison de se méfier, je ne trouve cette toile noire ni belle ni laide. Je ne peux que l'accepter. Alors de quoi est-ce que je parlais ? Elle le comprend quand elle réalise que je ne l'ai jamais quittée des yeux.
Je sens son envie de m'embrasser à l'instant où elle se retourne vers moi. Mes bras se retrouvent dans le creux de son dos et elle monte les siens autour de mon cou.
« Oh ! Alors toi aussi t'as changé de sweat...
En effet. J'ai profité des vingt minutes d'attente pour troquer mon pull violet contre le noir intitulé King qu'elle m'a acheté.
– Apparemment on a eu la même idée. »
Elle a enfilé son sweat Queen. On ne pourrait pas faire meilleure paire que nous deux. Son oncle aurait sûrement détruit la table en nous voyant ainsi. Mon frère n'aurait pas accepté sa réaction et il aurait passé un mauvais Noël. L'art de la victoire n'est en rien différent de l'art de comprendre les règles.
Hélène a changé d'expression. La pulsion passionnelle a laissé place à un ressenti plus durable. Son visage définit le bonheur lui-même. Est-ce ça, l'amour ? Ce qu'elle ressent en est, pour sûr.
« Eythan, j'ai un cadeau pour toi. »
Elle sort deux bracelets de sa poche. Le premier est d'un noir pur partout, à l'exception des fils blancs éclatants permettant de faire un nœud. Le second est majoritairement plus blanc que blanc, seuls les fils du nœud sont plus noirs que la nuit.
Je saisis le deuxième et le glisse sur mon bras droit sous mon sweat. Le bracelet noir car mon âme est pire que sombre ? Un bracelet blanc pour Hélène car, même face à la lumière, elle ne veut faire de l'ombre à personne ? C'est plus drôle si on inverse les rôles.
Elle sourit en regardant son bracelet noir qu'elle installe sur son bras. Je me demande à quoi elle pense. Peut-être à sa beauté. Deux couleurs unis, un nœud, zéro symbole.
– À vrai dire... Moi aussi j'ai un cadeau pour toi Hélène. Enfin, en plus du livre que je t'ai déjà offert.
– C'est quoi ? Eh dis c'est quoi ?
Une véritable enfant. Je pose un baiser sur son front pour la remercier de m'avoir fait sourire.
– Ferme les yeux, je vais le chercher. »
Mon index caresse sa joue et elle les clos. Une certaine tension commence à naître en elle. Je la comprends, mais je ne lui ôterai pas cette émotion négative. Son stress vient du fait que mon cadeau est important pour elle. Que je ne suis pas rien à ses yeux. Je n'ai pas envie de changer ça.
J'ouvre mon sac de sport en grand. Il y a deux raisons pour lesquelles je voulais qu'elle ferme les yeux. La première est que je veux la surprendre et enfiler le pendentif autour de son cou moi-même. Je ne sais pas si caresser des cheveux est un signe de domination, de protection ou d'affection. Mais j'aime bien l'idée de prendre soin d'elle.
La deuxième raison... Lui plairait moins. Ce sac contient un pistolet, un livre troué, du scotch et du papier cadeau. Si la question d'avoir pitié et de laisser des témoins en vie peut être débattue, je ne compte pas la laisser voir les seules preuves que j'ai échangé les paquets. Et que l'ancien contenait une arme.
Je pioche un des pendentifs fabriqués par Tigre Style. Je rejoins Hélène et elle a toujours les yeux fermés. Tant mieux si ce petit ange joue selon les règles. Mon souffle rebondit sur ses lèvres. Merde, moi aussi je commence à sentir une boule dans mon ventre.
La dernière fois que ça m'est arrivé, c'était quelques heures avant la prise d'otage. Si des hommes armés venaient s'en prendre à cette maison, je n'aurais pas autant de mal. À côté des traces de ma ruse, en-dessous de la couche de billets, un Glock 17C, six chargeurs, cent-deux munitions. Le principal problème est que je devrais mentir à Hélène sur leur provenance. Ce qui ne me plaît pas vraiment.
Peu importe, je verrai comment les choses se passent. Pour l'instant, plus rien ne comptent sinon Hélène et le pendentif. C'est censé être une tache aussi simple que boire de l'eau, pourquoi je tremble autant ? Sa pression m'a contaminé. Je respire un grand coup.
Oui c'est elle. Je ne sais pas si je l'aime et peu importe. Maxime m'a dit un jour que le secret en amour est de ne se mettre aucune pression. Si je faisais le tour du monde, je ne trouverais qu'Essaim pour lui arriver à la cheville. Jamais une fille ne me plaira autant qu'elle.
« Tu te souviens de la partie de loup-garou où on était amoureux ? J'aurais jamais cru que ça allait se réaliser pour de vrai.
Le terme amoureux me dérange. L'amour me dérange. Mais je comprends l'idée. Par contre, c'est dingue. Je n'arrive pas à déterminer si elle est plus belle les yeux ouverts ou fermés. On dirait un bébé endormi qui parle.
– Je me souviens. Mais honnêtement, on aurait pu être tous les deux des villageois qu'on aurait quand même gagné.
Un sourire espiègle est apparu sur son visage.
– Tu te surestimes pas un peu ?
– Même pas. »
La pression revient gagner son cœur. Un air anxieux efface son sourire.
« Je suis là, tu sais ?
– C'est vrai que tu pars à Paris dès demain matin ?
– Oui. J'ai entendu dire qu'Alice déménage demain matin aussi, alors on se fera pas d'adieux larmoyants à la gare. Mais pas grave, on a chacun notre vie. Profitons juste de cette soirée tous les deux.
– Oui ! »
Oups, elle a ouvert les yeux avant que je ne lui passe le pendentif autour du cou. Ses joues rougissent en le remarquant. Elle penche sa tête vers moi pour m'inviter à le lui mettre.
Je le glisse centimètre par centimètre. J'élève quelque peu ses cheveux pour que le pendentif puisse retomber sur sa nuque. Elle soulève le yin-yang pour mieux l'admirer. Le cercle blanc dans la partie noire a été remplacé par l'œil d'un corbeau. Les ailes de la colombe et du corbeau tracent la limite entre les deux zones. J'avoue que Tigre Style a vraiment fait du bon boulot pour le coup.
« Il est magnifique. Merci mon cœur. »
Ce surnom me donne un étrange goût en bouche. Je n'aurais jamais pensé devenir nécessaire à quelqu'un au point de le maintenir en vie. Mais je n'ai pas vraiment le temps d'y réfléchir. Hélène saisit mes mains et m'approche d'elle. Je peux sentir tout son corps contre le mien.
Ses lèvres viennent se coller aux miennes. Je ne dirais pas que ça me dérange. J'aime plutôt bien même. Je dirais simplement que la passion qu'elle y met m'impressionne. Tel un château fort assiégé, mes défenses finissent par tomber. Sa langue entre dans ma bouche.
Je lui laisse le contrôle. Si elle commence à tourner dans un sens et moi dans l'autre, ça va vite être embêtant. Je pose mes mains sur ses hanches. Je ressens son trouble dans notre baiser. Elle recule, semblant vouloir m'emmener vers son lit. La nature de son intention m'est étrangère. Peut-être est-elle épuisée de rester debout ?
Pour une fois, je devrais lâcher prise et laisser les choses devenir ce qu'elles doivent devenir. Je me concentre sur notre baiser. Elle ferme les yeux pour contempler son bonheur intérieur. Je connais beaucoup de gens dont la laideur de leur cœur n'égale que celle de leurs actes. Mais elle... Elle est magnifique.
Pourquoi dessiner des cœurs ? Pourquoi décider qu'un cœur est symbole d'amour ? Le cœur n'est pas le siège des sentiments. Le véritable amour se ressent dans les tripes.
De l'autre côté du globe, un gosse avec un Glock doit tuer un copain pour sauver sa maman. De l'autre côté du globe, une grand-mère gagne plusieurs millions au loto. Une famille sera sauvée solidaire, une famille se déchirera cupide. Un humain perd la vie, une autre la gagne au même moment. Je n'oublie rien, jamais.
Personne n'avait encore ressenti l'amour d'Hélène. Personne ne l'avait encore jamais embrassé. Personne n'avait été son cœur. Elle recule, jusqu'à s'asseoir sur son lit. Un doute me parcourt. Attend-elle que je m'allonge au-dessus d'elle ?
Vu ma condition physique, elle doit savoir que je ne pourrais pas maintenir cette position plus d'une dizaine de secondes. Ah oui, je devais arrêter de me prendre la tête histoire de profiter de mes dernières heures avec elle. Je détache mes lèvres des siennes pour m'assoir face à elle. Son lit couine un peu.
Nous voilà seuls, plongés dans le noir et le silence de la nuit. Je n'ai pas grand chose à ajouter. Je sais ce que je ressens pour elle, n'en déplaise à ma soif de forces. Je sais que de toute ma vie, il n'y aura jamais qu'elle. N'en déplaise peut-être à Léa, à des éventuels admiratrices et admirateurs secrets. Peu importe à qui cela pourrait déplaire, je n'en ai strictement rien à foutre. Rien ne saurait perturber mon choix.
Rien à rajouter.
« Tu me fais confiance ? »
Si elle se sent obligée de me le demander, c'est que je devrais répondre non. Mais bon. Jouer la sécurité ne me ressemble ni ne m'amuse. Adviendra ce qui adviendra.
J'hoche la tête. Elle m'intime de fermer les yeux. Je les clos, en attente de la suite. Elle saisit ma main droite. Elle l'amène sous son sweat Queen. Elle se sent enfin prête, elle a fait un choix et s'y tiendra pour l'éternité.
« Les rois ont leur royaume, toi tu as... Tu... Je t'offre... »
Elle pose ma main sur sa poitrine, côté droit. C'est la chose la plus douce que je n'ai jamais touché. Pour de vrai. Seulement...
« Je t'aime, Eythan. »
Je retire ma main. Sans un regard, je me lève et pars m'accouder sur son balcon. Ouais, il y a définitivement une ou deux étoiles de trop dans ce ciel de merde.
« Eythan... »
J'aurais pu répondre beaucoup de choses : « Merci, attends je réfléchis, on se voit samedi, où sont les toilettes ? ». Difficile de s'exprimer sans mentir ni blesser. Au final, j'ai peut-être fait le meilleur choix. Ou le pire.
Je suis la Justice qui règne partout sur ce monde. Partout, partout, partout, à une exception près. Son corps est la seule chose que je ne veux pas dominer. Je pourrais être cynique et justifier ce refus par le fait que, si je le fais mien, elle me ferait sien et je préfère garder ma liberté. Ce n'est même pas le cas.
Elle a sa propre barque à mener. Je n'ai pas à contrôler sa vie.
Oh, rien à voir avec son sexe ou son genre. Hélène est l'humain que j'apprécie le plus. Donc que je respecte le plus. Quelle est la liberté la plus importante ? Certains diront la liberté d'expression, d'autres la liberté de culte, ou une autre erreur du style. La réponse est : la liberté de faire des erreurs. On n'est pas vraiment libre sans elle.
Peu importe ses choix, leurs conséquences et ses souffrances, tant qu'Hélène est libre. C'est le plus beau cadeau que je puisse lui faire.
Elle s'installe à ma gauche.
« C'est notre dernière soirée ensemble, j'ai pas envie qu'on la gâche en étant en froid... »
Il est temps de s'attaquer au cœur du problème. Il n'y a personne que j'apprécie plus qu'elle. Je ne vis pas de pandémie, je ne fais pas de braquage, je ne suis pas une musulmane, inutile de me voiler la face. Suis-je en train de fuir face à des vérités préoccupantes ? Évidemment.
L'amour est la pire des faiblesses. Je ne le sais que trop bien. Mais Hélène est un ange. Certes. Mais ce n'est pas un hasard si j'ai soif de force. Et non, je ne suis pas un méchant de dessin animé pour enfants. À quoi bon conquérir le monde ?
Je suis la Justice, je règne déjà sur tous les mondes existants. Alors pourquoi est-ce que je souhaite le pouvoir ? Il y a une vérité à ne jamais oublier : sans pouvoir, tu ne peux rien transformer.
Une fourmi ne mettra jamais fin au capitalisme.
« Désolé, ça allait trop vite pour moi. »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro