Chapitre 2. Court mais intense
Chapitre 2. Court mais intense
Eythan
Un bruit sourd survient à quelques mètres de moi. Il me faut plusieurs longues secondes pour émerger. Quelqu'un frappe la porte de ma chambre. Le pas chancelant et les vêtements noyés dans la transpiration, j'attrape mon manteau à la volée. Je l'enfile en quatrième vitesse sans échapper à cette sensation de baigner dans une chaleur aussi collante que désagréable.
Ma main attrape la poignée à la volée et éclate son principal intérêt contre le mur. Réveillé de force, mon cerveau hésite encore entre le cauchemar et la réalité. Pour l'instant, je ne distingue qu'une forme aussi noire que floue descendre une à une les marches d'un escalier. Mon escalier, tant que la présence de papa ne dirige pas...
Qu'est-ce que je raconte ? Moi, attribuer un surnom suant d'affection à mon père ? Mon père, diriger quelque chose ? De tels cas ne se sont plus présentés depuis au moins sept ans. Tant pis. Ces souvenirs ne valent pas de perdre cet intrus de vue. Ceux du collège m'ont présenté de moindres surprises. Celui-là me...
Il manipule bien les apparences le bougre ! Son pas, aussi tranquille paraît-il, l'a déjà mené à la dernière des cinquante-quatre marches. Hors de question qu'il m'échappe. Je dévale toutes ces étapes en deux grands sauts et moins de sept secondes. Pourtant, je ne l'ai toujours pas rattrapé. Cette ombre contrôle-t-elle l'espace ? Je ne vais pas tarder à le savoir.
À peine arrivé à la hauteur de l'entrée, la transition entre monde extérieur et intérieur de ma maison repose contre un mur. Toujours aussi détendue, la silhouette avance en maître imperfectible dans mon jardin, en parfaite maîtrise de la marche à suivre pour se défaire de mon territoire.
Une vague de colère envahit ma poitrine. Je ne crois pas mériter de l'irrespect de quiconque. Mes crimes n'importent pas ici. Selon la loi de talion, une punition se doit de ressembler à la faute. Le cas échéant, il s'agit purement et simplement de tourment gratuit. Fléau que je n'oserai jamais excuser. Cet homme, visiblement en pleine possession de ses moyens, n'était menacé d'aucune manière lors de sa fouille discrète. Il doit être puni. Je m'arme d'un Glock AA en conséquence.
Telle l'ironie du sort, je m'approche de lui en détaillant chacun de mes pas. Rien ne presse. Ma cible ne fait face qu'à une longue route vide d'ambiguïté. S'il tente de se cacher, je le trouve. S'il court, je tire. S'il ose rester devant moi, il meurt. S'il ose m'abandonner, il meurt. S'il m'adresse la parole, il meurt. S'il ne se justifie pas, il meurt. S'il laisse sa respiration s'exprimer, il meurt. S'il la censure, il meurt. Et il meurt, et il meurt et il meurt.
Quel dommage. Son aptitude à se télé-transporter vient de partir en fumée. Ma vision a enfin recouvert sa notoriété d'antan. Désormais, il aura quelques explications à m'accorder s'il recommence à dépasser la vitesse de la lumière.
Changement de programme. Mon instinct me dicte de ne pas mettre un terme à sa vie. L'utopique loi de talion possède un aspect véridique, devant son fondement pire que naïf. Le viol sur domicile étant qualifié comme un simple délit mineur, mieux vaut profaner son intimité plutôt que sa cervelle. Le suivre maintenant pour découvrir son repaire et ainsi respecter la loi de talion me paraît une excellente idée, à un détail près. La fatigue me gagne, mieux vaut que je reste tranquille pour l'instant. Pour ma réputation, pour ma conscience... Pour moi.
Quelle vaste blague. Se mentir à soi-même apporte un bonheur illusoire en de rares occasions. Bien souvent, il ne sème que des graines de désespoir. Un pari dangereux, plus abordable pour les victimes de traumatismes. Dans mon histoire, seul mon dos et un enfant à l'agonie mérite de passer à autre chose. Je n'accorde encore aucune importance à ma réputation. Cette matinée est encore trop proche dans le temps de la prise d'otage pour qu'aucun de mes actes n'ait un quelconque impact sur l'opinion publique.
Je me mens à moi-même. Ma conscience n'existe pas ou plus. Par définition, la Justice repose sur mes actes. Je ne souhaite pas tirer. Il serait dommage de salir un aussi beau sweat. L'orange du trou noir, bercé en son centre, ne se marierait pas très bien avec du rouge sang. L'« Autre » n'apprécierait pas que je salisse notre unique point commun. Je préfère ne pas faire ce qu'il n'apprécie pas.
Las, je respire fort avant de tourner les talons. Cette deuxième intrusion a pris fin avec plus de rapidité et moins de morts que sa prédécesseure. Je n'ai plus qu'à aller me recoucher. Je n'en ai rien à faire du pourquoi ou du comment mon double s'est retrouvé à frapper ma porte. Visiblement, personne n'a ordonné mon élimination. Au mieux, je suis intrigué. Quelle est l'utilité de me réveiller si personne ne me transmet de message ? Et ce n'est pas comme si ma maison contenait quelques secrets utiles. Personne n'a jamais étudié de titans ici. Référence sur vingt.
Il me semble que l'ambiance se soit réchauffée depuis mon retour dans ce bâtiment. Normal puisque je passe actuellement près de la cheminée. Anormal puisque personne ne l'a allumé depuis des lustres. Je ne sais pas à quelles pratiques s'est adonné ce « nouvel » intrus. Je ne m'y intéresse pas le moins du monde en réalité. Seules quelques heures supplémentaires de repos me permettront de m'amuser à nouveau. Loin de moi l'idée de critiquer l'« Autre » ou ceux qui le commandent mais cette seconde intrusion n'a rien de drôle.
Me revoilà débarquant en sueur dans ma chambre, habillé de mon lourd manteau noir et n'ayant d'yeux que pour mon lit... Sept heures plus tard ! J'ose espérer que le porteur de ce sweat si original a pu emporter ou détruire ce qu'il cherchait. J'étais bien parti pour reconstruire la totalité de mes réserves d'énergie avant son intervention. Je ne tolérerai pas d'être réveillé à nouveau parce que « Môsieur » a oublié de tirer la chasse d'eau.
***
Malchance, celui qui a déclenché cette sonnerie passera le restant de son existence à regretter la tienne. Ou alors, je demeure sous ma chaude couette avec mon doux doudou. Je ris. Je ne me suis jamais soucié d'aucune peluche ; je ne me soucie d'aucune peluche en ce jour et je ne pense pas avoir de progéniture un jour. Continuer de profiter de ce matelas est certainement bien plus agréable que décrocher ce coup de fil.
Malheureusement pour mon futur interlocuteur, la Justice est la seule pour laquelle je détruirais un innocent. L'agréable n'est pas la Justice. Hors de question d'oublier un tel manque de respect. Je me charge de traiter ce manquement. Une fois que j'aurais compris comment cela a pu se produire.
Qu'une personne provoque un même bruit sourd des minutes durant et réussisse à me réveiller passe encore. Toquer à une porte pendant des heures n'a rien de difficile. L'incapacité de mon ouïe se compense par un cerveau sur-attentif et un sens de l'urgence surexcité. En revanche, qu'une sonnerie de téléphone sache m'extirper de mon sommeil me trouble bien plus. Certes je n'ai pas sombré dans un sommeil très profond. Certes les vibrations émises par mon téléphone sont réglées à leur apogée.
Mais ces éléments ne contrebalancent pas avec un instinct de survie rassuré à chaque fin d'appel. Parce qu'il y a du en avoir un certain nombre. Un bruit discontinu ne saurait me réveiller en moins de dix minutes, même avec une montre dans la main de Marko.
« S.O.S harcèlement, j'écoute.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Eythan je t'ai pas appelé tant de fois que ça...
En effet. Après consultation de mon journal d'appel, il s'agit d'un autre numéro qui n'a cessé de me contacter. Un certain 07. Un certain « L4cky ». Cet homme me doit des explications.
- Juste deux... Trois... Vingt-sept fois.
- Oh et puis zut ! Je m'inquiétais pour toi moi ! »
Court mais intense. J'espère que cette simili-dispute ne poussera pas ma blonde préférée à tout balancer aux autorités. Certains détails pourraient me mettre dans la merde jusqu'au cou.
Je ne vais pas tarder à la rejoindre. Histoire de ne pas tomber trop vite dans la case prison. Je préfère de loin planer au dessus de celle d'« héros national » jusqu'à la Mort de cette nation.
Que faire ? Punir Hélène de mort ne me paraît plus si approprié. Ne pas la punir non plus. Les injustices se cachent autant derrière les excès que les absences. Il faut trouver un juste équilibre. Un équilibre auquel définir toutes les subtilités requiert une force dont je dispose mais une envie à laquelle je peine à accéder. En clair, j'ai la flemme. Tout comme me rendormir pour être réveillé par une dizaine d'hommes anonymes surarmés qui ne se gêneront pas pour défoncer la grande porte avant de me mettre en joue. Je ne veux pas être surpris de cette manière. Cette pseudo-surprise ne serait pas assez originale à mon goût.
Alors quoi ? Si je ne peux sombrer à nouveau, si je ne peux me rendre à la police, que me reste-t-il ? M'ennuyer jusqu'à mourir ? Non merci. J'ai déjà trop mangé de ce pain-là. Puis ce n'est pas la première réaction qu'on attend d'un criminel national. La population s'attend à une terreur dévorante dûe à une réprobation de la morale et des forces de l'ordre menaçantes et intransigeantes.
Dans la vraie vie, j'estime avoir causé le minimum de dégâts possible sur les otages, un traitement inapproprié mais nécessaire sur les intrus et une expérience plus que divertissante pour l'alliance principale de cette prise d'otage. Malgré tous mes crimes, véritables trous noirs dans la balance, je pense avoir produit plus d'amusement que de détresse.
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