Chapitre 1. Il était une fois
Chapitre 1. Il était une fois
Eythan
Il était une fois la réaction de Seven. La légende raconte qu'ils seraient restés garés devant le pas de ma porte jusqu'à la fin du monde si « Evaristo » n'avait pas repris le contrôle du véhicule. Enfin, ceci est une autre histoire.
Douze heures et treize minutes se sont écoulées depuis que la cloche d'Occianth a sonné les douze coups de minuit. Une sacrée femme celle-là. Moins de trois heures depuis qu'un cauchemar a démarré pour certains. Ils mettront des années à s'en remettre c'est sûr. Avoir une arme pointée vers soi a tout d'une épreuve traumatisante. Seul un groupe de soutien compréhensif réunissant les anciens otages permettront à ces victimes de pouvoir reprendre une vie normale. Seulement, je doute que beaucoup d'entre eux s'y rendent.
J'insère une clé dans une serrure et, quelques secondes plus tard, je claque la porte derrière moi. Nos professeurs, nos parents et autres adultes hauts en couleur commençaient à briser leurs chaînes lors de leur adolescence. Mes comparses ont été éduqués avec cette flamme. Notre génération se débrouille toujours toute seule. À tort ou à raison, nous avons choisi la liberté de commettre des erreurs.
Mes pas m'amènent à la cuisine où j'y pioche une pomme de toutes les couleurs. Ma vision repose avec lassitude sur mon jardin. Ce dernier a accueilli de nombreuses parties de cache cache, comptant chacune plus d'une vingtaine de joueurs sans que les cachettes ne manquent. Cet espace vert aurait même pu remplacer le petit bois collant mon dortoir, du temps de la colonie passée avec Axel. Marko ne m'aurait jamais trouvé si je m'étais caché ici.
Mon père et moi gâchons son potentiel en ne l'empruntant que pour sortir ou rentrer dans la maison. Un soupir de nostalgie me brûle les lèvres en repensant à mon ancien moniteur. Je me demande ce qu'il devient. Mon souvenir de son visage a beau être flou, je suis persuadé de pouvoir le reconnaître si jamais je viens à le croiser par hasard.
Cet homme possède une aura bien différente de toutes celles du milier d'humains que j'ai fréquenté. Mélange d'une bonté timide, d'un sens de l'éthique exceptionnel ainsi que d'une grande sagesse. Il m'a inspiré à me créer ma propre définition de la Justice.
La mienne et la seule qui compte. Celui-là me l'a enseigné. Qu'il soit piégé entre quatre murs ou dans un pays sud-américain, il désapprouverait que je me réfugie ainsi dans le passé. Assez de pensées à son égard. Il est temps de se concentrer sur le présent.
Je grimpe les marches de mon escalier deux par trois avant d'atterrir face à ma chambre. Même en imaginant que tous les enseignants aient craqué et refusé de se pointer au collège ce matin, je n'aurais pas cru regagner mon lit si tôt. L'apercevant du coin de l'œil, je me faufile dans sa direction tel un prédateur chassant sa proie. Une fois suffisamment proche, je lui bondis dessus.
Un battement de cil plus tard, mon matelas est expulsé du sommier. Le choc, trop violent pour cet être mort et sans défense, envoie valser le trognon de l'autre côté de mon lit. Je le regarde pendant de longues secondes, l'air indifférent, avant d'extraire mon téléphone de mon manteau.
Je ne crois pas que Léa soit disponible à cette heure-ci. Si je me réfère à mes souvenirs, elle déjeune au self puisqu'un devoir commun de mathématiques l'attend à quatorze heures pile. Quelle idée d'être en première. Il est également peu probable qu'elle puisse y échapper. De un, le caractère rigoureux de son père la dissuade de sécher les cours sous peine de lourds regrets. De deux, « Evaristo » n'a pas l'air d'avoir prévue une prise d'otage à Lyon pour cet après-midi. Tant pis pour elle, rien ne pourra la sauver.
J'ouvre mon unique réseau social avec peu d'espoir et le visage distrait. Je ne m'attends pas à grand chose de nouveau, comme à chaque fois que ma « meilleure amie » quitte la douceur de son lit pour rejoindre la sévérité de son établissement. Autrement dit, notre communication ne s'émancipe que deux jours sur sept. Non pas qu'elle me manque. Ce serait une belle ironie. Néanmoins, rien de ce qu'elle peut trouver au lycée n'améliorera notre relation. Dommage pour elle.
De mon côté, tout va pour le mieux. Hélène ne traîne plus dans mes pattes à la manière d'un amateur ou d'un de ces ennuyeux otages. Vivement ma majorité. Personne ne pourra plus m'obliger à rien selon aucune loi explicite. J'aspire à une liberté totale. Même si je n'exploiterai pas son potentiel au maximum puisque rien ne me motivera à le faire. L'ennui m'a maudit et guette tous mes amusements afin de les inverser et me les rendre au centuple.
Mon seul dieu si j'en priais un. Pour l'instant, je ne suis ni assez mégalomane ni trop malheureux pour croire qu'une divinité me protège. Le malheur, le bonheur, quels étranges termes. Je connais leurs significations mais ne les ressent jamais. Qu'Hélène se rassure, je ne parcours pas non plus mon corps et mon esprit avec de mauvais regards. Une sorte d'auto-indifférence.
Un miroir tient tête à mon lit et, que j'en sorte ou que j'y plonge, lorsque je me noie dedans, la seule chose à dévisager apparaît comme mon ombre. Un deuxième individu toujours flou, jamais loin de moi. Chacun vivant ses propres expériences et, pour le meilleur c'est sûr, ne sollicitant jamais l'autre, peu importe la détresse.
On se ressemble comme deux jumeaux et on se comporte comme deux inconnus. Rien ne nous différencie mais en aucune occasion on ne s'est adressé la parole. Ce n'est pas pour me déplaire. Très peu pour moi les monologues.
Parmi toutes mes préoccupations de la journée, éliminer avant de se faire éliminer m'a valu tant de doses d'adrénaline que ma réserve mettra plus d'un jour à se reconstituer. À cause de ce défaut technique, impossible de m'exciter à l'idée de la suite. Le meilleur reste à venir pourtant je suis plongé dans l'ennui le plus total. Seul un programme informatique pourrait ignorer à ce point ses propres émotions. Un cyborg pourrait t-il viser aussi mal ? J'en doute fort.
Avec le recul, cette matinée m'a apporté cent fois plus que toutes mes heures de cours depuis ma naissance. En terme d'armes ou d'excitation. En terme d'alliances ou de moyens pour m'assurer un avenir radieux. Trois années scolaires m'attendent officiellement et je sais que mon absence d'envie de choisir un domaine d'études proposé par l'éducation nationale ne disparaîtra jamais. Je sens que certaines possibilités cachées vont s'ouvrir à moi, dûes à certains de mes gestes.
En temps normal, massacrer une dizaine de personnes sans se trouver en position de légitime défense est passible d'une sévère peine de prison. Grâce à quelques conditions perçues comme atténuantes aux yeux du peuple, je peux jusqu'à succomber à une reconnaissance nationale. Un atout non négligeable, même s'il me venait à l'esprit de partir pour l'autre bout du monde.
D'accord, c'est génial d'imaginer se faire baiser les pieds par des adultes imbus d'eux-mêmes. Mais en attendant que mon visage se pavane en première page de toutes les journaux papiers, virtuels et télévisés, de quoi suis-je censé me congratuler ? Aucune trace excitante de cette aventure ne demeure dans ma chambre. Peut-être une, dans mon manteau. Mais conserver des munitions pour briller en société me tente trop pour les dépenser avec mon reflet pour seul spectateur.
Alors que faire pour le moment ? Il me semble que, jusqu'à ce que la presse s'empare de la prise d'otage de ce matin, rien ne puisse me divertir. Je ne vois rien d'amusant dans un rayon de cent mètres. Je peux bien traîner sur des groupes de rencontres virtuelles, mais rien ne positif ne m'y attend. Seulement encore plus de drogués, de mutilés, de brisés et de suicidaires. Rencontrer de nouvelles personnes, positives ou lucides, ne m'intéresse plus.
Des jours et des jours se sont écoulées depuis que « Internet's Life » a clos les fenêtres virtuelles par lesquelles on entrait tous. Une multitude de successeurs spirituelles ont sûrement repris le flambeau et ouverts leurs portes depuis. Je pourrais y accéder. Facilement.
Je me suis lassé de toujours me connecter tous les soirs pour toujours tomber sur les mêmes cas de figure. Entre des administrateurs qui font trop les stars, les misérables qui préfèrent se plaindre de leurs conditions plutôt que les transformer, des collégiens un peu trop différents, des lycéens aux cauchemars éveillés, des âmes naïves et des observateurs venus s'enrichir en tout anonymat, une personne aux moqueries légères n'a que l'embarras du choix pour l'empêcher d'écrire ses funestes critiques. Tout cela me laisse de marbre aujourd'hui.
Certains harcèlements me font même horreur tant ils manquent d'originalité et ressemblent à d'autres. Innover dans ce domaine me paraît bien moins sage que choisir un autre domaine vide de concurrence. Je baille à m'en décrocher la mâchoire avant de m'allonger sur le côté gauche de mon corps.
Tandis que mon regard se perd dans les courbes de mon réveil, mes bras se balancent au hasard, espérant attraper un trognon à l'aveugle. Malheureusement, tout comme sur une machine à sous, je ne produis aucun miracle.
Quelques uns peut-être aux yeux des autres, mais rien de véritablement magique. Rien qui ne saurait transcender les lois de la physique. La Justice elle-même obéit à la logique. Ne pas détrousser le voleur de ses biens, alors qu'il s'offre à nous, représente une hérésie pour tous ceux n'ayant pas bénéficiés de cette chance.
Je crois que je vais piquer un petit somme. Une personne sensée sortant à peine d'une fusillade ne transformerait jamais sa première pause en paisible sieste. Un comportement ridicule, même à mes yeux. Pas le choix. Mon corps a besoin de repos.
Avec de la chance, ni rien ni personne d'important ne frappera à ma porte durant mon sommeil. Ni rien ni personne ne mérite mes prières. Aucun univers existant ne saurait contenir un Eythan suppliant pour sa vie. Aucun univers existant ne saurait contenir un Eythan suppliant.
En revanche, je remercierais grassement mon corps s'il réussit à puiser dans ses réserves pour me remettre sur pied avant mon réveil. Par chance, ce dernier ne devrait pas survenir tout de suite. Je tiens à me faire rembourser les heures de sommeil volés par ces intrus à dormir debout.
Selon ma théorie, personne n'a adressé de cartons d'invitation, ni à l'« Inhumain », ni à l'« Autre ». Donc ils ont commis une intrusion comme tous les autres. Seulement, le danger causé par leurs présences distance de plusieurs années-lumière celui provoqué par les amateurs.
Quelques corps et un seul bâtiment partis en fumée. Leurs propres vies parties rejoindre un monde meilleur et la destruction d'un collège qui ne me manquera pas. Voilà la limite de leur puissance. Seule une enceinte est à déplorer. Mon enceinte. Étant la plus grande victime de ce traumatisme, j'exige des réparations digne de ce...
Je ferai mieux de dormir. Ni la quatrième ni les nombreux otages innocents n'ont encore assez de recul pour recevoir des moqueries sur leurs statuts de victime sans fondre en larmes. Les normes pourront juger mes châtiments aussi violents qu'ils veulent ; même moi je n'ose avancer que la méchanceté gratuite doit être pratiquée.
Quand mon corps en a besoin, je sombre dans plusieurs heures de sommeil sans tergiverser. Seule une conversation avec Léa peut me maintenir éveillé plus tard qu'il ne faudrait. Je ne suis pas comme elle, à lutter contre les besoins naturels de son corps pour indiquer l'heure de son coucher à son crush. Dieu sait quelles conclusions il est censé en tirer. La qualité de l'endurance de Léa ?
Peu de personnes savent comment il se prénomme. Sa mère peut-être ; pas son meilleur ami, bien qu'il soit la principale source de bonheur de ma « meilleure amie ». Ce dernier ressemble étrangement à mon reflet dans le conseiller des grâces.
Plus je lutte, plus mes propos sonnent incohérents. Je ferai mieux de m'endormir, histoire de pouvoir ressentir encore plus de plaisir à mon réveil. J'ai vraiment hâte de devenir un héros national. Presque plus que de revoir... Ok, je me la ferme. Je ne trouverai pas le sommeil si j'y pense maintenant.
Mes yeux se ferment ; mes expirations sont toutes aussi longues et profondes que mes inspirations. Mes coudes caressent toute la douceur du matelas ; mes mains entendent les réguliers battements de mon cœur.
Bonne nuit à tous les gens que je n'aime pas. Ils disent que s'amuser sans gagner c'est la honte. Je m'assurerai qu'ils ne se réveillent pas demain.
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