Histoires Vraies {1}
Des histoires vraies qui sont tirées des livres de Pierre Bellemare et Jacques Antoine, j'espère que cela vous plaira.
Oui, madame. C'était elle.
Dans la foule triste qui traverse le village, il y a soudain un grand cri. Les voitures couvertes de poussière, les charrettes encombrées, les brouettes grinçantes, les bicyclettes croulant sous les valises boursouflées, tout s'arrête. Pas longtemps, tout juste ce qu'il faut pour sur s'extraie de la longue cohorte de réfugiés un petit groupe échevelé portant le corps d'une jeune fille.
Est-ce un obus, est-ce une bombe ? D'où venait le projectile meurtrier ? On ne le saura jamais. A quoi bon d'ailleurs. Ce qui importe, c'est le résultat : cette jeune fille, allongée dans son sang sur le bord de la route.
Sur elle se penche une famille abandonnée de tous.
"- Et les Allemands qui arrivent ! Crie une voix.
- Portez-la jusqu'à l'église ! " Suggère une vieille femme, passant sans s'arrêter.
Pendant ce temps, là-haut, sur la colline, surgit un grand animal verdâtre. Formidable, tapi, comme accroupi, le char tourne la tête à droite et à gauche et contemple le spectacle. Il a gagné : se bousculant dans la vallée, la foule grouillante et méprisable s'enfuit en débandade.
Ne craignant plus rien ni personne, le grand animal doit rire dans son ventre blindé : partout le long de la frontière franco-belge c'est le même spectacle, le même triomphe, la même gloire. Alors le blindé recule dans le grincement de ses chenilles et rejoint sur la route la meute des chars victorieux et le 1er bataillon de marche des Strosstruppen.
Blond, les yeux bleus et la nuque rasée, maigre et pâle sous le casque d'acier, le soldat Hermann Ropp est heureux de frôler ces tôles brûlantes. La veille il a écrit à sa mère : "Ma chère maman, mes bien chers tous. Soyez fiers, demain nous montons en ligne, nous accompagnons les chars : je vais enfin recevoir mon baptême du feu."
Dans le vacarme, Hermann Ropp, dix-neuf ans, descend avec enthousiasme vers ce village presque anonyme où l'attend dans une humble église tout autre chose que la gloire.
Cela se passe en juin 1940 au nord de Béthune.
Jadis, c'est-à-dire, naguère, garçons et filles allaient danser sur la place à l'ombre des tilleuls en fleur. Mais ce matin le tocsin a fait taire les oiseaux qui se sont envolés devant le déferlement des réfugiés. Maintenant, la place est déserte. Une maison brûle et les flammes n'en finissent pas de lécher le mur de la mairie où, hier encore, un communiqué annonçait :"Sur l'ensemble du front, rien à signaler."
L'orage s'est déchaîné si vite que c'est à peine si les villageois ont eu le temps de se mettre à l'abri. Et puis le silence est revenu. Un silence de mort. De-ci de-là quelques villageois têtus qui ont décidé de s'accrocher à leurs biens se cachent derrière leurs rideaux.
A l'orée du village, les chars allemands sont arrêtés : ils attendent la piétaille.
Dans une maison, un petit garçon qui guettait à la fenêtre d'un grenier se met à crier :
"-Les voilà !"
C'est vrai, ils arrivet dans un nuage de poussière. Le premier bataillon de marche des Strosstruppen débouche sur la place avec d'étranges regards. Comme Hermann Ropp, qui croit vérifier autour de lui combien ses maîtres avaient raison lorsqu'ils affirmaient que le courage et la vertu donnent la victoire. Tous ces gens que la facilité a pourris, à demi dissimulés dans l'encoignure des portes, ont désormais peur d'Hermann Ropp.
"Vorwärts für Hitler und Reich !" ("En avant pour Hitler et le Reich !") a écrit Hermann sur la première page de son journal de campagne dans lequel il s'apprête à raconter une chevauchée fantastique. Ce journal, il l'a commencé il y a trois jours. Il doit aujourd'hui en écrire la quatrième page.
Des ordres sont lancé à tue-tête. Des side-cars vont et viennent en détapant sur le gravier. Une voiture s'arrête devant la mairie. Les nouveaux arrivants casqués portent sur la poitrine comme une décoration de légende, comme une sorte de mystérieuse Toison d'Or, l'énorme plaque qui distingue les Feld-gendarm. Ils brandissent des panneaux indicateurs qu'ils vont planter aux carrefours. C'est beau à voir, cette conquête qui déjà s'organise. Les guides de la Hitlerjugend dans laquelle s'est engagé Hermann ropp après des études bâclées à Berlin avaient raison : il n'y a que dans le travail et l'organisation que pourra se bâtir la société nouvelle.
Mais la Wehrmacht ne va pas en rester là. Elle ne va pas moisir ici. Son destin l'attend beaucoup plus loin. "Beaucoup plus au sud", pensent tous ces hommes, bien loin d'imaginer que la plupart d'entre eux se retrouveront, après cette gloire fugitive, prisonniers de la boue et de la glace en Russie. Par petits groupes, tandis qu'un officier discute avec un notable local, les soldats un peu partout s'affairent. Il faut mettre de l'ordre dans tout ça, assurer ses arrières. Le père d'Hermann, le docteur Ropp, qui fait partie de cette génération d'hommes qui croit au père Noël-Hitler, avait raison : le voici, ce miracle allemand.
Aucune mission ne lui incombant, le jeune soldat Hermann Ropp décide alors de visiter l'église.
Les deux mains crispées sur sa mitraillette, il a poussé d'un coup de pied le vieux portail. Celui-ci avec les siècles a perdu la souplesse de ses gonds. Hermann doit s'aider de l'épaule pour se glisser dans l'église.
Ce n'est pas un vrai silence qui règne dans cette pénombre. Il croit avoir entendu quelques murmures, et même une respiration...
Son regard court sur les dalles disjointes de l'allée centrale jusqu'à l'autel et, là, découvre, rassemblé au milieu du chœur, un groupe étrange : un homme, en bras de chemise maculée de sang ; une femme pâle dont les cheveux sont défaits ; deux garçons de dix et treize ans à genoux. Tous quatre, surpris par son irruption, ont le visage tourné vers lui. Un corps sanglant est allongé sur une civière au pied de leur petit groupe, rassemblé comme s'il cherchait à le protéger.
Interdit, Hermann Ropp reste debout, sa mitraillette à la main. Ce tableau lui a causé un choc. Il a l'impression de commettre une profanation. Peut-être même est-il angoissé, parce qu'il ne sait pas vraiment ce que font ces gens et ce qu'ils vont faire, ce que lui doit faire. Ses maîtres ne lui ont pas appris. Peut-être aussi parce que son inconscient le prévient :
"Attention, Hermann Ropp. C'est ici le tournant de ta vie."
Le corps allongé sur la civière a de longs cheveux noirs. C'est une femme, sans doute. Est-elle blessée ? Est-elle morte ? Pour le savoir, sans bien réaliser ce qu'il fait, il s'approche.
C'est une jeune fille.
Sans s'occuper de lui, l'homme, qui doit être le père, s'est à nouveau penché sur elle. Il s'efforce de fixer une attelle au bras droit de sa fille. La mère lui prépare des bandelettes de tissu en déchirant une chemise. L'un des garçons éponge le sang qui suinte d'une blessure au front.
Le jeune soldat, du regard, interroge l'homme et la demme qui comprennent qu'il ne parle pas français et, ne parlant pas allemand, haussent les épaules.
Trottinant depuis le presbytère, apparaît un vieux et laid petit curé, portant une trousse à pharmacie. On lui donnerait bien cent ans. Mais ce vieux curé connaît quelques mots d'allemand :
"-Elle va mourir si on ne s'en occupe pas, lui dit le vieux curé.
-Mais qui lui a fait ça ?"
Le vieux curé, pendant une, deux ou trois secondes, car il y a dans la vie des instants qu'on ne peut mesurer, regarde Hermann Ropp. Sous ses sourcils grisâtres, dans le fouillis des rides, ses yeux le fixent avec étonnement :
"-Vous demandez qui lui a fait ça ? ... Mais c'est vous."
Comme un écolier indigné par l'injustice d'un professeur, Hermann Ropp s'est redressé, prêt à nier. Mais il ne dit rien. Il a compris : évidemment que c'est lui. C'est bien lui qui a écrit hier : "Ma chère maman, mes bien chers tous. Soyez fiers, demain nous montons en ligne, nous accompagnons les chars : je vais enfin recevoir mon baptême du feu."
Seulement voilà, il ne s'attendait pas à ça. Depuis hier il n'a vu que des chars gronder sur la route ; ses camarades avancer en chantant les manches retroussées ; des gens qui s'enfuyaient ; des maisons qui brûlaient ; les mitraillettes qui crépitaient ; des avions qui hurlaient ; des canons qui tonnaient. Pas un seul mort, un seul blessé... Et le premier sang qu'ils voit couler c'est celui d'une jeune fille brune, au cœur d'une église. Il ne s'attendait pas à ça.
"-Elle était sur la route, explique tout bas le vieux curé. Son bras est presque arraché. Elle a reçu un éclat au front. Je crains qu'elle ne soit devenue aveugle. Et il y a deux heures qu'elle est là. Elle a déjà perdu beaucoup de sang Pas un docteur, aucune voiture dans le village. Il faut prévenir un de vos officiers."
Comme un petit garçon ému et que la soutane impressionne, Hermann répond :
"-Oui, monsieur.
-Il faut qu'on la transporte dans un hôpital, sinon elle va mourir.
-Oui, monsieur.
-Vous vous en occupez ?
-Oui, monsieur.
-Je compte sur vous ?
-Oui, monsieur."
Après avoir reculé de trois pas, Hermann Ropp fait demi-tour, se glisse dans l'entrebâillement de la lourde porte et se retrouve sur les marches de l'église, en plein soleil.
Elle est là, la belle Wehrmacht. Par petits groupes les soldats cassent la croûte gaiement ; les conducteurs de chars - qui ont garé leurs engins à l'ombre des tilleuls, si près du tronc qu'ils en ont arraché l'écorce - inspectent les chenilles. Dans une sorte de command-car des officier consultent la carte. Un radio, casque d'écoute aux oreilles, note les instructions de l'Etat-Major. La belle Wehrmacht graisse ses rouages avant de reprendre le route.
Hermann Ropp court chercher le major. Celui-ci, en officier consciencieux, apparemment humain, n'ignorant rien de ce qu'on doit aux civils sans défense, et à une jeune fille qui plus est, très respectueux des conventions de Genève, le suit en soufflant jusqu'à l'église. Le jeune soldat, pressé, lui répète plusieurs fois :
"-Vite ! Sinon elle va mourir."
Une piqûre, un garrot, l'hémorragie est arrêtée. Hermann Ropp court partout. Il est en même temps aux quatre coins du village et se démène tant et si bien qu'on hisse la civière de la jeune fille dans une ambulance qui l'emmène vers l'hôpital de Béthune.
Empilés, le père, la mère et les deux gamins se sont serrés contre elle. Le père tient sa main valide. La mère sanglote. Hermann Ropp ne les a pas quittés.
"-Tu m'attends... Hein, tu m'attends ? Je redescends..." dit-il au chauffeur de l'ambulance.
Une heure, le jeune soldat reste au chevet de la jeune fille. Le temps de découvrir qu'elle est jolie et, lorsqu'un infirmier soulève ses paupières, qu'elle a des yeux noisette, le temps de découvrir, aussi que le nerf optique a peut-être été sanctionné, et que son bras est probablement perdu. Le temps d'apprendre enfin, tant bien que mal, qu'elle s'appelle Rose, qu'elle est née à Courtrai en Belgique et qu'elle a été blessée au moment où la colonne de réfugiés traversait le village.
Quand Rose reprend connaissance, Hermann Ropp se lève déjà, prêt à partir. Là-bas dans le village, le premier bataillon de Strosstruppen va bientôt se remettre en marche. En bas, l'ambulance klaxonne et s'impatiente.
Hermann Ropp n'a qu'une minute pour dire à cette jeune aveugle qui revient doucement à elle... pour dire... mais pour dire quoi ? Comme si on pouvait résumer en un mot tout ce qu'il vient de comprendre. Alors il lui prend la main, la serre très fort :
"-Verzeihung... dit-il. Verzeihung..."
"Verzeihung." Cela veut dire "Pardon".
La mère ne le voit pas s'en aller. Mais le père presque sanglotant, se cramponne à son bras et le remercie.
Quelques jours plus tard, devant Dunkerque, le soldat Hermann Ropp, dégoûté de la guerre, se constitue prisonnier.
Depuis son camp de prisonniers en Angleterre, Hermann Ropp voit la victoire changer de camp. Les chars plus gros qu'au début de la guerre, repartent dans l'autre sens. les avions, plus nombreux, plus rapides et plus lourds, lâchent par myriades des bombes énormes qui tuent désormais des jeunes filles allemandes. Les canons tonnent sous d'autres cieux. Manches retroussées, les soldats alliés - avec dans les yeux la fierté de la victoire - entrent en Allemagne. Mais pour Hermann Ropp la guerre n'a fait qu'une victime : la jeune blessée dans l'église de Béthune. Il ne l'a pas oubliée. A-t-elle survécu ? Qu'est-elle devenue ? Où est-elle ?
En 1945, libéré, il retourne dans son pays à Bichfield, sur le Lutterbach en Westphalie. De la maison, il ne reste plus grand-chose.. Et de la famille moins que rien : un de ses frères est mort avec la belle Wehrmacht dans la plaine russe. L'autre est prisonnier dans l'Oural. Le docteur Ropp, l'ancien nazi qui croyait au miracle allemand, terré dans ses ruines, n'est que l'ombre de lui-même.
Hermann Ropp décide alors de quitter l'Allemagne pour réaliser le projet qu'ils avait formé dans le camp où il était prisonnier : retrouver la jeune Belge. D'elle il ne sait rien, sinon qu'elle s'appelle Rose et qu'elle vivait à Courtrai.
Muni de faux papier, il franchit la frontière et gagne Courtrai où il vivote pendant trois semaines. Un jour, il finit par apprendre que Rose n'est jamais revenue en Belgique, mais qu'elle est vivante et réside quelque part en France avec sa famille.
Hermann Ropp franchit le soir même la frontière franco-belge.
"-Connaîtriez-vous dans la région une jeune fille brune, aveugle avec un bras en moins ?
-Non... Ma foi non..."
Pendant trois mois, il va la chercher ainsi, errant de village en village, faisant n'importe quel travail pour vivre, jusqu'au jour où il retrouve la trace de la jeune fille à Neufchâtel. Cette fois, l'espoir l'accompagne dans un petit bourg du Calvados où il pense trouver Rose. Hélas ! Il ne rencontre que les gendarmes. Arrêté, il n'en tire tant bien que mal et reprend la route.
Pendant ce temps, une jeune fille brune aveugle avec un bras en moins est allongée sur une chaise longue dans le jardin d'un petit hôtel à Beaulieu-sur-Mer, près de Nice, dans les Alpes-Maritimes. Près d'elle, son père lui raconte pour la dixième fois, comment elle a été sauvée, cinq années plus tôt, lors de l'exode de 1940 :
"-Nous t'avions transportée dans l'église, raconte le père. Tu étais couverte de sang. Il n'y avait ni docteur, ni voiture dans le village. Je voyais bien que ton bras était presque arraché mais je ne me rendais pas encore compte que tu allais perdre la vue. Pendant que j'essayais de te donner quelques soins, les Allemands sont arrivés. Tout d'abord nous n'avons vu personne qu'un pauvre curé qui est allé chercher une trousse à pharmacie. C'est alors que ce jeune Allemand est entré. Il nous a fait peur. Il était casqué. Il tenait sa mitraillette à la main. Il avait l'air terrible. Mais quand il a vu que nous soignions un blessé et que ce blessé était une jeune fille, il a paru décontenancé. Plus tard, il a expliqué au curé qu'il venait de recevoir le baptême du feu et qu'il n'avait pas encore vu le sang couler. Lorsque le curé lui a dit que tu perdais ton sang depuis deux heures, ce terrible soldat n'était plus qu'un pauvre gosse affolé."
La jeune aveugle, sans doute pour la dixième fois, demande :
"-Comment était-il ?
-Eh bien, je te l'ai déjà décrit, tout à fait le jeune Fitz, blond, la nuque rasée, les yeux bleus, plutôt maigre. Je me souviens encore que sa tunique faisait des plis. Il devait être fatigué, car il traînait ses bottes en entrant dans l'église."
Après quelques secondes de silence, pour aider la jeune fille à mieux imaginer, le père conclut son portrait :
"-En fait, un gosse, quoi ! Sans son casque et son uniforme, il a certainement l'air d'un très gentil garçon. Pour lui, que ce premier sang soit celui d'une jeune fille ç'a été un choc. Quand le curé lui a dit qu'il fallait qu'il prévienne un de ses officiers, il est parti comme un fou. Il s'est mis en quatre. Il a réussi à faire venir un major et à te faire conduire à l'hôpital. Là il ne nous a pas quittés pendant une heure. Malheureusement, quand tu as repris connaissance, il était obligé de partir. Comme il ne parlait pas un mot e français, il ne savait pas quoi te dire. Alors, en allemand, il t'a demandé pardon.
-Je me souviens, dit la jeune aveugle. Ce sont les premiers mots que j'ai entendu en sortant du coma. J'aurais bien aimé le connaître...
-Je comprends... dit le père. Malheureusement, s'il nous a dit son nom - et il a dû nous le dire - je ne l'ai pas compris. En tout cas je ne m'en souviens pas. Moi aussi j'aurais bien aimé le revoir. D'ailleurs, longtemps j'ai pensé qu'on le reverrait. Je ne sais pas pourquoi. Il avait l'air tellement ému que j'ai cru qu'après la guerre, il essaierait de te revoir. Mais peut-être est-il mort, le pauvre gosse."
Le temps passe, il fait un bond de trente-trois ans dans la vie de la jeune fille aveugle. Nous somme en 1978. Non pas dans le jardin du petit hôtel de Beaulieu, mais sur une terrasse d'un immeuble qu'on a construit non loin de là, à l'entrée du cap Ferrat, au pied des collines de Villefranche. Sur cette terrasse un vieillard encore alerte a chaussé ses lunettes pour lire Nice-Matin. Le vieillard vient de laisser tomber Nice-Matin sur ses genoux.
"-Yvonne, dit-il à sa femme, tu m'entends ?
-Oui.
-Ecoute ce que je viens de lire : "Nous déplorons la mort d'Hermann Ropp, survenue le 18 février, des suites d'un accident cardiaque. Il était dans sa cinquante-deuxième année. A Villefranche, où il résidait depuis vingt ans et à l'aéroport de Nice où il dirigeait le bureau de la compagnie aérienne Lufthansa, Hermann Ropp ne comptait que des amis. A sa famille et à ses proches, nous adressons nos sincères condoléances."
La femme et son vieux mari se sont compris.
"-Quoi ? Tu crois que c'est lui ?"
Bien que trente ans se soient écoulés, ils n'ont pas oublié les détails de cet instant qui fut le tournant de leur vie.
"-Je ne sais pas, mais ce nom : Hermann Ropp, ça me dit quelque chose. C'est probablement idiot, mais j'ai envie de téléphoner."
Et le vieil homme se lève pour appeler Nice-Matin.
Quelques minutes plus tard, au numéro qui lui a été communiqué, une voix de vieille femme - s'exprimant avec un fort accent allemand - lui répond :
"-Allô ?
-Suis-je bien chez M. Hermann Ropp ?
-Oui, je suis sa mère, mais mon fils est décédé avant-hier.
-Toutes mes condoléances, madame. Je l'ai lu dans le journal. Excusez-moi de vous importuner. Voilà... Je voulais vous demander : est-ce que votre fils a fait la guerre ?
-Oui, monsieur...
-Est-ce qu'ai moment de l'offensive allemande en juin 1940, il serait passé par Béthune ?
-Il est passé par Béthune, oui, monsieur.
-Et il vous a raconté cette période ?
-Oui. Pourquoi ?
-Parce que j'étais aussi à Béthune avec ma fille. Or, ma fille a été blessée et..."
La vieille Allemande l'interrompt :
"-Rose ? Votre fille s'appelle Rose ?
-Elle s'appelait Rose... Elle est morte il y a trois mois."
Il y a un long silence.
"-Allô ? Demanda le père de Rose. Nous sommes coupés?
-Non, non", reprend la vieille Allemande. Mais sa voix était cassée. Elle doit pleurer.
"-Il a beaucoup cherché votre fille, monsieur, longtemps, si longtemps. D'où m'appelez-vous ?
-De Beaulieu-sur-Mer.
-Mais moi je suis à Villefranche ! Mon fils et moi nous habitons Villefranche depuis plus de vingt ans !
-Et où êtes-vous ?
-Au-dessus de la Corne d'Or. Le grand immeuble au bord de la route. Et vous ?
-En bas, à l'entrée du cap Ferrat, l'immeuble qui est juste à l'entrée.
-Mais alors, je vois votre maison !"
En bas, le vieillard - son téléphone à la main - sort sur la terrasse, lève les yeux, aperçoit là-haut sur la colline le grand immeuble au bord de la route.
"-Moi aussi, madame. Je vois votre maison. Je la vois depuis vingt ans.
-Je suis sûre que mon fils voyait vos fenêtres.
-La terrasse, madame. Nous c'est l'appartement du premier avec une terrasse. Où ma fille était très souvent allongée, elle y écoutait de la musique.
-Sur un canapé en osier ?
-Oui, madame. C'était elle."
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J'espère que vous aimez le concept des histoires vraies.
Helllia
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