Chapitre 20: Veux-tu sortir avec moi?
Les feuilles mortes craquaient sous les pattes des Gallytrots et leurs hurlements stridents résonnaient dans la forêt comme l'appel de la mort elle-même, venue chercher sa prochaine victime.
Misty avait trouvé refuge sous les branches recourbées d'un buisson touffu, près d'un terrier de renard dont l'odeur de l'occupant masquait la sienne. La jeune fille, malgré sa course effrénée de plusieurs kilomètres, s'efforçait de rester aussi silencieuse qu'un lynx. Elle n'osait même pas respirer, de peur de faire bruisser les feuilles et trahir sa présence.
Malgré tous ses efforts, elle savait que sa cachette n'allait pas la protéger bien longtemps, et que ses poursuivants n'allaient pas tarder à invoquer des monstres bien plus puissants... Elle devait trouver une solution, et vite. Malheureusement, elle n'était pas le genre de personne à pouvoir prendre des décisions dans l'urgence et la panique commençait à l'envahir à mesure qu'elle entendait les pas se rapprocher.
— Rends-toi gamine, et je te promets qu'aucun mal ne te sera fait ! s'exclama un homme au loin. Si tu refuses, je serai dans l'obligation de ramener tes restes à ton père et cette perspective ne m'enchante pas du tout ! Alors, sois raisonnable, et remets-nous l'amulette ! Si tu le fais, peut-être que le boss passera outre ta trahison !
L'adolescente sortit un pendentif de sa poche en jurant intérieurement. Il était hors de question de céder aux menaces de ses assaillants. Elle préférait plutôt mourir ici que retourner parmi les siens. Enfin, non. Si elle pouvait éviter la mort, c'était bien aussi.
Après avoir inspiré longuement, Misty se releva pour faire face à son destin. Dès qu'ils l'aperçurent, les cinq familiers se jetèrent sur elle comme une meute de chiens enragés... ou plutôt une meute de Gallytrots contrôlés par un invocateur corrompu. Mais, alors que leurs gueules dégoulinantes d'acide fumant n'étaient plus qu'à quelques centimètres des bras de la jeune fille, la pierre incrustée dans son bijou scintilla d'un vif éclat. Sortant du sol, des racines arrêtèrent net l'avancée des molosses en les prenant au piège, tels de gigantesques serpents de bois.
— Merci pour la proposition, mais je vais décliner. Dites à mon père que vous m'avez carbonisée si vous ne voulez pas passer pour des incompétents ! s'exclama-t-elle en essayant de paraître assurée malgré la boule qui lui nouait l'estomac.
— C'est une excellente idée, ça ! répliqua un homme vêtu de l'uniforme de Savior Genetics. Apparais, Lindorm !
La terre trembla. Dans la forêt, tous les oiseaux s'envolèrent en piaillant tandis que les animaux apeurés, pressentant une menace, s'extirpèrent de leurs terriers et s'enfuirent sans demander leur reste. La température monta en flèche et, déjà, les feuilles les plus sèches commençaient à émettre une fumée noire ne laissant présager rien de bon.
Misty prit ses jambes à son cou et courut aussi vite que les limites de son corps le lui permettaient. Lorsqu'elle jeta un coup d'œil furtif derrière elle, son cœur rata un battement. Au milieu de la végétation, dans un tourbillon de feu bleuté se dressait la silhouette d'une créature aux allures de dragon.
Le Lindorm. Le monstre que Saint-Georges avait terrassé. Si Misty engageait le combat, elle ne tiendrait pas plus d'une fraction de seconde. Alors elle accéléra encore, dans l'espoir d'atteindre une zone habitée. Et la chance semblait lui sourire, car elle distingua au milieu des talus de feuille un toit d'ardoises et une cheminée.
Sans réfléchir une seconde de plus, elle sauta par-dessus une barrière de sécurité, roula sur plusieurs mètres, et se retrouva allongée sur une herbe coupée court, sous un soleil ardent qui lui brûla la rétine. Maladroitement, la jeune fille se releva. Son regard se porta immédiatement sur l'orée de la forêt, mais il n'y avait plus une trace de ses poursuivants. Comme prévu, ils n'avaient pas osé se montrer au grand jour et briser le pacte de non-agression des humains.
Peinant encore à croire qu'elle était parvenue à échapper aux meilleurs chasseurs de Savior, Misty regarda autour d'elle, désorientée. Les forces d'ESP l'avaient relâchée au beau milieu de nulle part et ce type avec ses chiens lui était tombé dessus presque aussitôt.
À première vue, elle se trouvait dans un grand parc, peu fréquenté au beau milieu de l'après-midi. Au loin, elle pouvait apercevoir de hautes montagnes, surplombant la mer. Ce qui signifiait qu'elle devait avoir atterri dans le sud. C'était déjà une information intéressante. En suivant le chemin de sable menant jusqu'à l'entrée, elle put également apprendre le nom de cette commune : Parc municipal d'Honchin. En franchissant le portail, elle ne s'imaginait cependant pas qu'elle mettait le pied dans la ville qui allait être sa nouvelle maison.
**
Arthus attendait devant la porte de la salle de classe de Misty, tendu. Une semaine s'était écoulée depuis que Yuki lui avait exposé son plan stupide, irréaliste, suicidaire. Les chances de succès étaient de zéro. Il avait tenté de repousser au maximum l'échéance, mais un appel incendiaire de l'Esper le matin même lui avait rappelé que sa vie ne tenait qu'au bon vouloir de son « amie ».
« Invite-là à faire une balade en forêt. Les invocateurs ont tendance à sortir plus facilement de leur cachette quand ils sont loin des regards indiscrets. Donc, si mes calculs sont justes, on devrait pouvoir régler défensivement leur compte aux clébards. On a juste à attirer leur maître à l'aide de Misty, puisqu'ils ont l'air d'en avoir après elle. »
Le garçon grommela en repensant aux paroles de la rouquine. Vraiment, il aurait dû refuser immédiatement. Utiliser leur cadette comme appât ne l'enchantait pas du tout. Yuki prétendait être en mesure de la protéger si les choses tournaient mal, ou même si elle n'était en définitive qu'une civile ordinaire très malchanceuse. Mais, pour Arthus, rien ne valait la peine de mettre en danger la vie de son amie, même si cela leur permettait d'éliminer une menace telle que les Gallytrots. C'est pourquoi l'adolescent espérait de toute son âme se prendre un râteau et rentrer au plus vite au dortoir pour cacher sa future honte.
La sonnerie de la cloche fit sursauter Arthus, qui déglutit en voyant la porte s'ouvrir. Tous les élèves se dépêchèrent de ranger leurs affaires pour partir en week-end après une longue semaine de préparation d'examens. Cependant, Misty ne faisait pas partie du troupeau. Cette dernière était restée dans la salle de classe, et regardait à travers les baies vitrées, la mine préoccupée.
Lorsque le Familier la salua, elle tourna légèrement la tête dans sa direction et lui adressa un « salut » bien moins enthousiaste qu'à l'accoutumée.
— Ça va bien ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette,
— Si. J'ai juste... J'ai juste quelques problèmes familiaux, lui répondit Misty sans oser croiser le regard de son ami. Tu voulais quelque chose ?
Arthus déglutit. Non. Il ne pouvait vraiment pas demander ça. Il n'y avait aucune chance qu'elle accepte, et encore moins si son esprit était focalisé sur autre chose. Mais, s'il ne le faisait pas, Yuki était très capable de le tailler en pièce dans un accès de colère... Tant pis. Mieux valait se ridiculiser plutôt que de finir en morceaux.
L'adolescent inspira longuement, puis se jeta à l'eau sans réfléchir.
— Est-ce que... est-ce que ça te dirait de... de faire une balade en forêt dimanche avec moi ?
Silence. Arthus sentait le sang lui monter à la tête et de grosses gouttes de sueur perlaient le long de son front. Il était déjà prêt à s'excuser mille fois et prendre ses jambes à son cou. Non pas parce qu'il avait peur de se faire rejeter, mais parce qu'il avait vraiment honte de jouer avec les sentiments de la jeune fille pour le simple plaisir de Yuki.
Après plusieurs secondes qui lui parurent durer des heures, Misty lui répondit timidement :
— OK, pourquoi pas. Ça me changera les idées.
Arthus ne pouvait pas en croire ses oreilles. Interdit, il remarqua avec stupeur qu'un léger sourire fendait les lèvres de la blonde. Jamais il n'avait envisagé qu'elle dise oui ! Dans un moment de panique, il reprit en bégayant :
— Ne... N'imagine pas que c'est un rancard ou quoi, hein ! Je... J'ai juste entendu dire qu'il y avait de l'activité paranormale, et j'ai pensé que... enfin, pour le journal de l'école, ça pourrait être bien que...
— Rendez-vous à quinze heures ? Ça te va ?
Sans comprendre l'enchainement d'événements, l'adolescent acquiesça. Puis Misty quitta la salle de classe sans ajouter un mot, laissant son ami si déboussolé qu'il s'effondra sur une chaise, le visage livide.
— Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? murmura-t-il, encore sous le choc.
Ainsi, le soir même, Arthus prévint Yuki de la réussite de la première étape de son plan, dont elle n'avait pas douté une seconde. Cette dernière expliqua de longues heures durant les détails de la suite à son partenaire, qui ne l'écoutait plus que d'une seule oreille. Il n'avait plus qu'une envie : résoudre au plus vite cette enquête pour mettre fin à son alliance délirante avec l'Esper et retrouver enfin une vie ordinaire.
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