Chapitre 18: Remords
Yuki regardait avec intérêt les smartphones exposés dans la vitrine, cherchant désespérément un téléphone au prix en dessous d'un SMIC. Ce n'était pas que l'argent lui manquait — bien au contraire, son salaire de chasseuse de prime lui permettait de s'offrir à peu près ce qu'elle voulait, —, mais elle ne comprenait pas comment des gens pouvaient mettre toutes leurs économies dans le dernier modèle alors qu'il rajoutait uniquement une fonction de zoom de nuit pour filmer les hiboux, ce que personne n'utiliserait jamais.
Tout en dévorant des yeux les étales, la jeune fille repensait à son combat contre les Gallytrots. Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas fait équipe avec quelqu'un. En temps normal, elle préférait décliner toute aide, de peur d'être gênée dans ses mouvements et de se retrouver à protéger ceux qui étaient censés la soutenir. Mais elle n'avait pas été paralysée par cette peur de voir un allié s'effondrer sous les coups de l'ennemi. Dans le feu de l'action, elle s'était naturellement dit que c'était parce qu'elle considérait toujours Arthus comme un monstre avant de le considérer comme un associé. Cependant, après avoir terrassé le chef de la meute, elle s'était surprise à être anormalement heureuse. Lorsque l'adolescent l'avait complimenté sur ses pouvoirs, elle avait immédiatement compris qu'il était sincère. Pire, elle avait ressenti une certaine fierté d'avoir réussi à repousser les chiens noirs grâce à sa « malédiction ».
Définitivement, quelque chose ne tournait pas rond chez elle depuis qu'elle avait posé le pied dans cette ville.
— Je peux vous aider, mademoiselle ? Vous fixez ce téléphone depuis cinq minutes. Est-ce que vous seriez intéressée ?
La voix de la vendeuse tira subitement la rouquine de ses pensées. Prise de court, elle ne put qu'acquiescer, avant de frôler la syncope lorsqu'elle réalisa en sortant du magasin qu'elle venait de dépenser pas moins de 1570 euros pour un iPhone 6 ! Et il n'était même pas pour elle, mais pour un membre de la fondation ESP !
— Mais c'est pas vrai ! C'était mes économies pour mes vacances ! s'écria-t-elle au beau milieu de la rue. Je vais te le faire rembourser, tu m'entends, Arthus !
**
Arthus sortit en trombe du dortoir pour partir à la recherche de Misty. Il n'eut cependant pas à aller bien loin, car il la repéra rapidement sur la plage, assise sur un tronc d'arbre mort. La blonde était recroquevillée sur elle-même et tremblait de tous ses membres tout en fixant le va-et-vient incessant des vagues sur le sable rougeoyant du crépuscule.
— Pourquoi est-ce que tu fais semblant de ne pas comprendre ? déclara-t-elle d'une voix terne, en entendant le pas d'Arthus.
— Ne pas comprendre quoi ? répéta ce dernier, surpris.
— Si tu t'es vraiment battu avec ces chiens, tu as bien dû voir qu'ils n'étaient pas normaux.
— Ah... Peut-être, oui. Je n'ai pas vraiment fait attention, en vrai. J'aurais dû remarquer quelque chose ?
Misty tourna la tête vers son camarade, les yeux ronds de surprise, presque effrayée.
— Tu... Pour toi, c'était juste des gros chiens ? bégaya-t-elle.
— Plus des loups, maintenant que j'y pense. Même si c'est bizarre d'avoir une meute de loups en pleine ville, et de jour...
— Euh... O... Oui, c'est bizarre, comme tu le dis...
— Tu n'as pas l'air convaincue ? Pour toi, c'est autre chose ? Genre, des créatures fantastiques comme les fées et les gnomes ?
L'adolescente détourna le regard.
— Quand j'ai fait mes interviews pour le journal de l'école, beaucoup d'élèves ont déclaré que les conclusions de l'enquête de police sur le fauve n'étaient pas crédibles... Mais, oublie tout ce que je t'ai dit. Je dois délirer, une fois de plus...
Arthus fronça les sourcils, de plus en plus sceptique. À quoi son amie jouait-elle ? Elle était sur le point de révéler son appartenance au monde des Espers et des Familiers, mais elle s'était finalement rétractée. Ne lui faisait-elle pas assez confiance ? Ou Yuki se trompait-elle sur toute la ligne ? Le garçon avait volontairement feint l'ignorance pour ne pas éveiller les soupçons, mais sa stratégie avait eu l'effet inverse de ce qu'il escomptait...
— C'était bien des créatures surnaturelles, déclara soudain une voix dans le dos des deux lycéens.
Arthus et Misty se retournèrent en sursaut. Assise sur un muret à quelques mètres d'eux, Yuki les observait d'un air amusé. Contrairement à son partenaire, elle avait eu le temps de se changer entièrement et avait revêtu une simple robe blanche d'été lui donnant une apparence de jeune femme étrangement banale.
— Co... Comment tu peux affirmer ça ? s'étrangla Misty, blême.
— Parce que je suis observatrice, contrairement à l'autre, là.
— Eh, je ne t'ai pas...
— Et aussi, je suis une grande amatrice de mythes et légendes. Les chiens noirs sont connus dans le folklore comme annonciateurs d'un mauvais présage. D'ailleurs, vous étiez au courant que les Sinistros étaient inspirés de ces bestioles ?
— Mais, alors, comment vous les avez vaincus ? reprit timidement la blonde.
— Arthus est un mytho. La police est arrivée et ils ont fui, c'est tout. Le sang sur sa chemise, c'est juste parce qu'il est tombé en courant.
L'intéressé fut pris d'un accès de colère soudain. Il bouillonnait de l'intérieur comme un volcan prêt à exploser en torrent d'insultes. Cependant, il se retint. Il ne pouvait pas démentir les propos de sa partenaire sans trahir ses pouvoirs. Et Yuki le savait très bien, ce qui ne faisait qu'accentuer la rage du Familier. Cette intervention eut néanmoins le mérite de tirer un sourire léger à Misty.
— Je vois. C'est logique, après tout. Mais donc, ça me confirme bien qu'il y a des créatures non identifiées en ville. Je vais avoir du boulot pour le journal... Je vais vous laisser, du coup. J'ai un article à rédiger. Encore désolée pour tout à l'heure.
La cadette s'inclina et fila au pas de course. Une fois qu'elle eut disparu au coin de la rue, Arthus se tourna vers Yuki et la foudroya du regard. À ce moment-là, il était presque déçu de ne pas être un vrai monstre, ce qui lui aurait au moins permis de passer ses nerfs.
Nullement déstabilisée, la chasseuse sortit d'un sac plastique une petite boite blanche qu'elle tendit à son associé. Ce geste éteignit instantanément toute la colère qui rongeait l'adolescent pour ne laisser place qu'à l'incompréhension la plus totale.
— Qu... Qu'est-ce que c'est que ça ?
— C'est toi qui voulais que je te repaie un portable, non ? Alors voilà, je te rembourse ta dette. Je ne te dois plus rien, maintenant !
— Mais... je croyais que tu étais fauchée !
— Oui, je le suis, mais, bon, ils n'avaient plus que ça au magasin donc je m'en suis contentée, mentit-elle.
— Tu sais... j'aurais pu attendre pour le téléphone, déclara Arthus, gêné par un tel cadeau. Mais merci beaucoup, j'en prendrai le plus grand soin... enfin, si tu ne viens pas le démolir encore une fois évidemment.
Alors qu'Arthus s'apprêtait à recevoir un coup de point dans la figure pour cette blague, il s'étonna d'entendre la rouquine rire de bon cœur.
— N'oublie pas que nous sommes associés. Je dois pouvoir te joindre à tout moment du jour et de la nuit. Donc c'est plutôt toi qui as intérêt à ne pas le casser, sinon je te promets que tu finiras dans le même état que ton ancien tel'.
— C'est une menace ?
— Une police d'assurance !
Arthus soupira.
— Et si tu m'expliquais en détail les termes du contrat, dans ce cas ? Parce que, au final, je ne sais toujours pas pour quoi, ni contre qui je me bats.
Le sourire sur le visage de Yuki disparut aussitôt. Elle regarda furtivement de tous les côtés pour s'assurer que personne ne se trouvait dans les parages, avant de reprendre en murmurant.
— Selon toi, qui est l'ennemi ?
— Je n'en ai aucune idée ! protesta vivement le Familier. Je te rappelle que, de base, c'est toi qui m'as traîné de force dans tes délires ! Ces gros chiens, là, ils doivent bien avoir un maître qui bosse pour un mec, qui, lui-même bosse pour un super dirigeant de l'ombre qui veut conquérir le monde, c'est ça ?
— Et Misty, dans tout ça ? J'imagine que, comme moi, tu as bien remarqué qu'elle joue un rôle depuis qu'on la connait.
Arthus déglutit.
— Tu... Tu ne démens même pas... Tu me fais peur, tu sais...
— Pourquoi démentirais-je la vérité ?
— Eh ! Je n'ai pas signé pour être recherché par le FBI, moi ! Si tu m'entraînes dans des histoires de complots et de nouvel ordre mondial, je te préviens, je ne marche plus dans tes délires !
— Je vais reformuler ma question, dans ce cas : pourquoi penses-tu que je traque les familiers ?
— Pour l'argent ? Pour ton plaisir, parce que tu aimes tuer ? Pour occuper tes journées ?
— Sérieusement, tu le fais exprès ou tu es réellement stupide, sourd et aveugle ?
— Et si tu arrêtais de tourner autour du pot, peut-être que je pourrai y voir plus clair ! Parce que pour l'instant, je...
— Le monde est au bord de la guerre, Arthus. Et le seul moyen d'éviter l'extermination de l'humanité est de détruire tous les familiers qui existent.
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