Chapitre 4: Doutes
Ma peau, déjà pâle, devint livide. Qu'est-ce que ce policier faisait là ? Que voulait-il ? J'étais persuadé que personne ne m'avait vu cette nuit, je m'en étais assuré, alors pourquoi était-il ici ?
Je franchis le portail et m'approchai avec méfiance. Il était en train de parler à ma mère et ma sœur qui se tenaient sur le seuil de la porte.
— Ah, le voilà ! annonça ma mère en m'apercevant.
Elle me fit signe d'approcher, ce que je fis. L'homme avait l'air ennuyé, il tenait un petit carnet et un stylo dans sa main. J'interrogeai ma mère du regard mais elle détourna la tête.
— Deux policiers ont été assassinés dans le quartier d'à côté, déclara l'homme. Nous interrogeons tout le monde dans un rayon de trois kilomètres.
Je sentis une vague de soulagement me traverser en entendant cela. Pendant un moment, j'avais cru qu'ils avaient trouvé des empreintes digitales sur la scène de crime.
— Nous n'avons rien vu ou entendu de suspect, assura ma mère.
— Ou étiez-vous entre deux heures et trois heures du matin ?
— Nous étions tous ici, en train de dormir.
Je captai le regard effrayé que ma sœur posa sur moi. Je compris instantanément ce qu'elle venait d'imaginer. Ce doute qui la traversa me fit plus de mal que ce que je ne voulus bien l'admettre. Comment pouvait-elle me croire capable d'une telle chose ? Nous n'avions jamais été réellement proches, mais je pensais tout de même qu'elle me connaissait mieux que ça. Je n'étais pas un meurtrier !
— Ouais, comme tout le monde... marmonna l'homme pour lui-même.
Il nota trois mots sur son carnet, et releva la tête vers nous.
— Désolé du dérangement.
Il accrocha son stylo à sa poche de chemise et fit demi-tour. Dès qu'il disparut à l'angle de la rue, ma sœur m'attrapa le bras et me tira à l'arrière de la maison. Je manquai de trébucher en descendant les marches de notre porche.
Notre jardin était assez petit et mal entretenu. Il était délimité par une palissade en bois qui nous offrait un minimum d'intimité. L'herbe était haute, un peu jaunie par endroit. Les arbres et les buissons envahissaient le fond du terrain mais personne n'avait le courage et l'énergie de les tailler.
Ma soeur se tourna vers moi, sans me lâcher le bras. Ses cheveux sombres étaient ramenés en chignon sur le haut de sa tête, plusieurs mèches s'en échappaient pour lui donner un air faussement désinvolte.
— Dis-moi que ce n'est pas toi Samuel, me supplia-t-elle une fois assurée que personne ne nous entendait.
— Bien sûr que non ce n'est pas moi ! m'écriai-je.
Elle frémit quand j'haussai le ton. Elle détourna les yeux en se mordant nerveusement la lèvre inférieure, elle n'était toujours pas convaincue de mon innocence.
— L'horaire correspond, commença-t-elle. Le lieu aussi et puis tu hais les humains depuis...
— Clara ! la coupai-je brutalement.
Elle se tut et plongea son regard dans le mien. Je repris la parole avec une voix plus posée.
— Ce n'était pas moi, je te le promets. Je n'ai rien à voir avec la mort de ces deux policiers.
Elle ne répondit rien et continua de me fixer. Je ne me faisais pas trop de souci ; elle était intelligente, elle allait bien finir par comprendre que, même si je le voulais, je n'aurais jamais réussis à venir à bout de deux hommes entraînés et armés.
Sans que je m'y attende, elle se jeta dans mes bras.
— J'ai peur, Samuel...
Je la serrai maladroitement contre moi, je n'étais pas habitué aux signes d'affection.
— Peur ? répétai-je.
Je percevais désormais son souffle irrégulier et la tension nichée dans ses muscles. J'oubliai souvent qu'elle n'avait que treize ans. Elle essayait de se montrer forte, courageuse et sûre d'elle, mais ce n'était qu'une gamine, tout comme moi.
En guise de réponse, elle enfouit son visage dans mon cou. Je sentis ma propre respiration s'accélérer.
— Moi aussi j'ai peur, avouai-je, autant pour elle que pour moi.
— On ne dirait pas, murmura-t-elle sans relever la tête.
— Tant mieux, répondis-je simplement.
On resta immobile pendant un certain moment, je ne savais pas combien de temps exactement mais quand elle se détacha de moi, elle semblait avoir retrouvé son assurance habituelle. Elle m'adressa un sourire. Ça faisait longtemps que je n'en avais pas vu un illuminer visage, elle était bien plus jolie ainsi.
Elle me contourna pour rentrer dans la maison. Je m'apprêtai à lui emboîter le pas quand je me souvins subitement de ce que j'avais dit à Axel la veille : il m'avait proposé d'aller m'entraîner à l'entrepôt aujourd'hui et je lui avais promis que j'essaierais de venir.
Je jetai un rapide coup d'œil à ma montre, il restait encore presque deux heures avant le couvre-feu. Je rentrai pour déposer mon sac de cours à l'entrée et repartis presque immédiatement.
Alors que je commençai à marcher, je laissai mon esprit divaguer, j'avais besoin de faire le tri dans mes pensées, à commencer par ce que j'avais vu pendant la nuit. Pour une raison qui m'était inconnue, j'avais gardé le secret. Je n'avais rien avoué au policier qui était venu un peu plus tôt, ni même à ma mère ou ma sœur. Pourtant, je savais que je pouvais leur faire confiance à elles, malgré tous nos accrochages. J'avais assisté à un meurtre, j'avais vu deux personnes en tuer deux autres de sang-froid, mon cerveau avait encore du mal à le réaliser.
La fille brune avait parlé de ses deux parents morts, était-ce juste une question de vengeance ? J'avais du mal à le croire et encore une fois, je ne savais pas pourquoi. Je n'étais pas directement coupable, mais en cachant la vérité, j'étais devenu complice.
« Je suis complice d'un meurtre... pensais-je. »
C'était totalement irréaliste, moi, le jeune élémentaire qui cherchait uniquement à survivre en se faisant discret, j'avais inconsciement (et bien malgré moi) participer à un meurtre.
« Je suis complice d'un meurtre... »
Peut-être qu'à force de le répéter, j'allais finir par prendre conscience de ce que ça signifiait réellement. Qu'est-ce que j'étais sensé faire ? Si j'allais au commissariat, on me demanderait déjà ce que je faisais dehors à cette heure-ci et on découvrirait par le même biais ce que j'étais, je pouvais alors dire adieu à ma liberté et le reste de ma famille devrait une nouvelle fois déménager...
Je secouai ma tête pour chasser ses idées de mon esprit. Il était hors de question que je révèle quoi que ce soit, les conséquences seraient bien trop dévastatrices. Tout ce que je devais faire, c'était me taire et vivre avec ça sur la conscience jusqu'à la fin de mes jours. De toute façon, vu que j'étais un aimant à ennuis, il ne devait pas me rester beaucoup de temps à attendre avant que je me fasse à mon tour tuer.
Axel était déjà en train de s'entrainer avec Clément, un autre élémentaire âgé de quelques années de plus que moi. Je les observais un moment essayer d'allumer une bougie. La plupart d'entre nous ne pouvaient pas créer leur élément. Par exemple, les élémentaires du feu manipulaient les flammes, mais ne pouvaient pas en faire apparaître à partir de rien. Il fallait une énergie considérable et une grande maîtrise du don pour y parvenir.
— Samuel, m'interpella Axel en remarquant ma présence. Je me demandais justement si tu allais venir.
— Désolé pour le retard, tout le quartier a été interrogé à cause du meurtre des deux policiers la nuit dernière.
— Ah ouais, intervint Clément en s'approchant. J'en ai entendu parler. Il paraît que c'est un gang d'élémentaires qui a fait ça.
— Aucune idée, répliquai-je en haussant les épaules. Tant qu'il ne me le mette pas sur le dos, je n'en ai rien à faire.
Axel rigola et me tapota amicalement l'épaule.
— On a deux flics en moins dans la région, c'est toujours ça de gagné.
L'heure passa très vite, mes résultats furent médiocres à tous les exercices. J'avais beaucoup de mal à me concentrer, je pensais sans cesse à ce qui s'était passé. Malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à me le sortir de la tête. Finalement, je décidai de rentrer plus tôt que prévu, forcer mon don ne servait à rien de toute façon, j'avais simplement besoin de repos.
— Qu'est-ce qui t'arrives aujourd'hui ? s'enquit Clément en voyant que je m'apprêtais à partir.
— Rien, mentis-je. Je suis un peu malade je crois.
Il me fixa un instant, suspicieux, mais ne fit aucune remarque. Je savais qu'il ne croyait pas le piètre menteur que j'étais, mais je ne voulais pas en discuter. Pas maintenant en tout cas.
Dehors, le ciel était couvert et menaçant, mais je ne me pressais pas. Dans le pire des cas, je me prendrais la pluie, ce n'était pas un drame. Marcher me faisait un bien fou, ça me permettait de respirer un peu, c'était un des seuls moments où je me sentais normal. Pendant quelques minutes, je m'imaginai à quoi aurait ressemblé ma vie si je n'avais pas été un élémentaire, ou si les élémentaires n'avaient tout simplement jamais existé.
Un monde peuplé d'humains.
Ça semblait impossible... A qui le gouvernement s'en serait-il pris si on n'existait pas ?
Je marchais lentement, les mains dans mes poches, mon regard était fixé sur mes pieds. Je m'arrêtai brusquement en apercevant une paire de bottes noires à deux pas de moi. Je relevai la tête et écarquillai les yeux. Elle se tenait là, juste devant moi, la fille élémentaire de la veille et dont je ne connaissais pas le nom.
Elle ne sembla pas surprise de me voir, en vérité, on aurait dit qu'elle m'attendait. J'ouvris la bouche pour parler, mais elle me devança.
— Désolé pour la migraine, s'excusa-t-elle avec un sourire gêné.
— Quelle migraine ?
Elle ne me répondit pas et plaça ses deux mains sur mon visage. Tout disparut autour de moi, seuls restaient ses yeux. A cet instant, plus rien n'importait, je ne ressentais plus aucune sensation, que ce soit physique ou émotionnelle. Puis j'entendis un son, un chuchotement, un chant. Il se glissa en moi, insidieux comme un serpent, il se faufila à l'intérieur de ma tête.
Deux grands yeux verts, comme une pelouse en été. Ce fut la dernière image que je vis. Ensuite, tout devint noir.
Merci d'avoir lu!
J'espère que ça vous a plu, si c'est le cas, vous pouvez voter ou me laisser un commentaire pour me le dire, je réponds à tout le monde avec grand plaisir ;)
N'hésitez pas à me donner votre avis sur les personnages, sur leurs choix, leurs affinités,... Si vous avez des hypothèses pour la suite de l'histoire, dîtes-les moi! J'adore ça ^^
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro