Chapitre 37 : Mise au point
Clara ne resta pas longtemps dans mes bras. Rapidement, elle se détacha de moi, les yeux luisant de larmes et de colère.
— Comment t'as pu laisser faire ça ? m'accusa-t-elle en hoquetant. Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?
Je ne savais même pas quoi dire pour lui expliquer mon attitude. Je n'arrivais pas à la comprendre moi-même.
— Clara... commençai-je.
Elle me toisa longuement, attendant la suite, attendant que je me justifie, que je lui donne une raison de ne pas me haïr.
Je ne la trouvai pas.
Elle secoua la tête, passa ses mains dans ses cheveux et les agrippa, tentant de ravaler ses sanglots. Puis brusquement, elle fit volte-face et s'éloigna d'un pas décidé.
— Attends, s'il-te-plait.
Elle ne m'écouta pas et accéléra l'allure. Je la rattrapai en quelques enjambées et la retins par le bras.
— Lâche-moi ! s'exclama-t-elle.
— Tu ne peux pas partir. Pas maintenant que la Figeation s'est achevée, c'est trop dangereux.
— J'en ai rien à foutre de ta Figeation ! Laisse-moi partir, je ne veux plus jamais te voir !
Ses mots me heurtèrent avec autant de violence qu'un tsunami. Je dus lutter pour ne pas me noyer, pour ne pas sombrer. La douleur que me causa ses paroles me submergea et me comprima la gorge, j'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer. Mes poumons me paraissaient remplis d'eau, j'étouffais.
— Maman avait raison, lâcha-t-elle. Mon frère est mort. Je ne sais pas qui tu es, mais tu n'es certainement pas Samuel.
Elle tenta de délivrer son bras, mais je le maintins fermement. Elle leva son autre poing, me frappa le torse avec rage et désespoir. Je la laissai m'affliger plusieurs coups avant de finalement lui attraper le poignet.
En levant la tête, j'aperçus Charlotte. Elle affichait un air coupable et désolé. Je lui répondis par un regard suppliant.
Elle sembla hésiter une seconde, puis se résigna à me venir en aide.
Clara essaya de reculer, terrifiée, en la voyant s'approcher. Elle tira sur ses poignets.
— Samuel, lâche-moi ! répéta-t-elle.
Son ton ressemblait presque à une supplique désormais.
— Shhh, souffla Charlotte. Calme-toi, tu n'as rien à craindre.
Les vibrations de son don effleurèrent Clara qui arrêta peu à peu d'essayer de s'enfuir. Elle était captivée par les yeux de l'élémentaire. Charlotte posa ses mains sur son visage.
Ma sœur s'affaissa brusquement. Je la tins pour qu'elle ne heurte pas le sol et jetai un regard autour de moi à la recherche d'un endroit où elle sera à l'abri de la pluie. Je la portai et la déposai sous un échafaudage, veillant à ce que sa tête ne cogne pas le mur.
— Je suis désolé que tu aies été mêlé à ça, s'excusa Charlotte.
Moi aussi, je l'étais. Terriblement.
— Et merci de m'avoir laissé faire ce qui était nécessaire.
— Tu te sens mieux maintenant que tu t'es vengée ?
Elle garda le silence. Je pivotai vers elle, un triste sourire soulevait le coin de ses lèvres.
— Oui.
Mentit-elle.
Je soupirai, n'ayant pas le courage de l'interroger davantage. Je recentrai mon attention sur ma sœur. Son visage tordu par la colère quelques instants auparavant, était désormais paisible.
La Figeation était terminée. Les humains s'étaient remis en mouvement. Un cadavre reposait à quelques mètres de nous. Les Caijis approchaient. Mon père était redevenu un enfant.
Tout me semblait futile à côté d'elle.
Seule Clara me préoccupait en ce moment. Je ne savais pas quelle attitude adopter, la seule chose que je semblais capable de faire était de lisser obstinément ses cheveux derrière ses oreilles. Comme si cela allait régler tous mes problèmes.
— Efface-lui la mémoire, dis-je soudainement.
— Quoi ?
Je me tournai vers Charlotte.
— Efface les dernières minutes qui se sont écoulées de sa mémoire. Fais en sorte qu'elle ne se souvienne pas de ce qui vient de se passer.
— Sam...
— C'est à cause de toi qu'elle me hait. C'est pour toi que je l'ai empêché de s'interposer. Tu me dois bien ça.
Elle me sonda pendant de longues secondes. Un voile de tristesse traversa son regard.
— Tu as changé.
Que répondre à cela ? Je fis mine de ne pas avoir entendu son affirmation. Peut-être qu'au fond, elle avait raison, et c'était pour cela que je ne voulais pas lui répondre. Parce-que je ne pouvais pas l'admettre.
J'aurais tout donné pour qu'elle ne cherche pas à approfondir ce constat, pour qu'elle se contente de me rendre ma sœur et que je puisse reprendre ma vie comme s'il ne c'était rien passé. Vivre en continuant de me mentir, en prétendant que tout allait bien et que je n'étais pas en train de perdre de vue ce qui importait le plus : mon humanité.
Mais elle ne me laissa pas m'en tirer aussi facilement.
— Qu'est-ce qui s'est passé au centre de recherches ?
— Rien.
Je fuyais son regard.
— Samuel.
— Ça sert à rien d'en parler, rétorquai-je.
Elle m'attrapa le bras et me força à lui faire face.
— Ce n'est pas parce-que j'ai pris un mauvais chemin que tu dois faire pareil. Tu es quelqu'un de bien, tu as une morale, des principes, des valeurs. Ne laisse pas la guerre changer qui tu es.
Je ris avec amertume.
— C'est facile pour toi de dire ça, l'accusai-je. Tu penses que vouloir me sauver permettra de te racheter pour tout ce que tu as fait ? Que tu peux m'empêcher de sombrer alors que tu t'es jeté à corps perdu dans cette guerre ? Que tu as le droit de tuer n'importe qui sans que personne ne te le reproche, parce que de toute façon ton cas est déjà foutu, mais moi je dois rester le gentil garçon ?
Charlotte eut un mouvement de recul.
— C'est facile de justifier tous tes actes en disant qu'un mort de plus ne changera rien, continuai-je. Je ne te juge pas, Charlotte. J'en ai rien à foutre de ce que tu fais, du moment que tu ne viens pas me faire des reproches comme si j'étais un gamin de cinq ans. Je suis capable de prendre des décisions, même si elles sont immorales. Ne crois pas que je suis si innocent que ça.
Lorsque j'achevai mon monologue, je me rendis compte à quel point mon cœur battait vite. Le sang me montait à la tête. J'avais besoin de déverser ma colère sur quelqu'un. Malheureusement pour moi, Charlotte ne se laissait pas déstabiliser aussi facilement.
— C'est qui que tu essaies de convaincre, moi ou toi ? Parce-que j'ai surtout l'impression que tu te cherches des excuses.
Elle avança d'un pas. Je maintins son regard, la mâchoire serrée.
— Tu te mens à toi-même Samuel. Tu aimerais que ce soit vrai, tu aimerais en avoir fini avec cette histoire de morale, tu aimerais que tes actes ne te pèsent plus sur la conscience. Mais c'est faux, et tu pourras me crier dessus tant que tu veux, ça n'y changera rien. Tu es loin d'être insensible. Si tu l'étais, t'en aurais rien à faire de ce que ta sœur pense de toi.
Instinctivement, ma tête se tourna vers Clara. Elle avait raison, je ne me sentais pas capable de vivre en sachant que ma sœur me haïssait. Je n'en avais pas la force.
— Et non, ce n'est pas pour me racheter que j'essaie de t'aider, Samuel. Si c'était ce que je voulais, j'aurais dû le faire il y a bien plus longtemps. C'est trop tard maintenant. Je veux t'éviter ça parce que je tiens à toi et que ça me fend le cœur de te voir devenir ce que tu haïssais il y a quelques semaines. Et...
Ses mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle leva les mains, puis les laissa tomber en détournant le regard. Elle baissa la garde, abandonna sa carapace. Elle resta silencieuse quelques instants. Moi aussi. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je n'arrivais pas à m'excuser, sûrement parce-que je n'avais pas totalement tort. Elle non plus d'ailleurs.
Soudain, elle pivota vers moi et m'embrassa. Je lui rendis son baiser sans réfléchir. Je glissai une main sur sa nuque pour l'approcher plus de moi. Ses lèvres avaient un goût de regret et de désespoir, mêlé à la tristesse de ses larmes. Ou peut-être des miennes, je n'aurais su dire. Charlotte me poussa contre le mur, ses baisers se faisant de plus en plus insistants, voraces. Ils étaient dépourvus de promesses, mon cœur se serra à cette idée.
Elle était réellement convaincue que sa fin approchait. Elle ne cherchait pas un futur, elle savait qu'elle n'en aurait pas. Tout ce qu'elle désirait, c'était ressentir quelque chose. Et c'était exactement ce dont j'avais besoin à ce moment. Je voulais oublier tout ce occupait mon esprit, m'empêchait de dormir, de me reposer. J'étais fatigué de cette vie, fatigué de me battre.
Charlotte finit par se détacher de moi. Elle appuya son dos contre le mur et se laissa glisser contre la cloison. Je fis de même.
On resta silencieux un long moment, collés l'un à l'autre, avec aucune envie de retourner au camp. Au bout d'un moment, je pris la parole.
— Ton cousin, commençai-je. Il m'a parlé de ta vision.
Elle détourna la tête.
— Pourquoi n'essaies-tu pas d'y échapper ?
Elle ne répondit pas immédiatement. Le regard perdu.
— Parce-que c'est impossible.
— Tu n'essaies même pas, comment tu peux en être si sûre ?
Elle ancra ses yeux dans les miens. J'y lisais la résignation, mais également la peur.
— Tu penses que j'ai envie de mourir ? . S'il y avait ne serait-ce qu'une minuscule chance que je puisse y échapper, je l'aurais prise. Mais ce n'est pas le cas. Tous les élémentaires de l'Esprit connaissent leur date de mort, c'est la première chose qu'on voit quand notre don se déclenche. Des centaines de personnes ont essayé de changer leur destin, mais aucun n'a réussi.
— Ça ne veut pas dire qu'il n'existe pas de solution. Juste que personne ne l'a trouvé encore, avançai-je.
Charlotte secoua la tête.
— J'aurais perdu mon temps à chercher. Crois-moi, il vaut mieux accepter son sort immédiatement. C'est plus facile de vivre en se disant que de toute façon on ne peut rien y faire, plutôt qu'en gardant un espoir de survivre. Parce que cet espoir s'estompe à mesure que les recherches avancent, et qu'il rend fou.
Peu importe ce qu'elle disait, je n'arrivais pas à l'accepter. Je ne pouvais pas concevoir qu'on puisse vivre sa vie en sachant quand elle s'achèverait. Peu importe qu'il n'existe pas de solution, j'aurais préféré passer mon existence à la chercher et à la fin, pouvoir me dire que j'aurais fait de mon mieux, que je me serais battu. Il n'était pas envisageable de rester les bras ballants, comme si de rien n'était.
— Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas terrifiée quand j'y pense, acheva-t-elle dans un souffle.
Je tournai la tête vers elle. Ses poings étaient serrés, tremblants. Je passais mon bras au-dessus d'elle et la serrai contre moi. Je n'avais pas les mots pour la réconforter. Je ne pouvais pas lui promettre de la sauver, même si c'était peut-être ce qu'elle avait besoin d'entendre à cet instant.
Finalement, je n'avais pas tellement changé.
Je ne savais toujours pas mentir.
Merci d'avoir lu !
Juste la fois où je promets pas de publier bientôt, et bien je publies plus rapidement XD Enfin maintenant je peux vous dire avec une certitude totale que la suite arrivera régulièrement et rapidement, et ce jusqu'à la fin du livre ;)
A bientôt :3
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