Chapitre 26: Départ
Je me hissai dans la camionnette et m'assis à côté d'Eliott. Kléa monta à son tour pour se placer face à nous. Dehors, Charlotte attendait les bras croisés. C'était là que son rôle s'achevait, Kléa allait prendre les opérations en main à partir de maintenant.
L'élémentaire de l'Esprit nous toisait sans dire un mot. A première vue, on aurait pu croire que c'était parce-qu'elle avait confiance et qu'elle ne pouvait pas imaginer que ce plan tourne mal. Cependant, la lueur qui étincelait au fond de son regard alimentait mes doutes.
Je n'arrivai pas à l'identifier... Etait-ce de la peur ? Ou bien du regret ? Peut-être préférai-je ne pas le savoir. L'ignorer était beaucoup plus simple que de considérer la possibilité que la mission puisse tourner au cauchemar.
La portière se referma. Le véhicule démarra.
Durant plusieurs minutes, personne ne parla. Kléa avait posé sa joue sur la main et arborait un air ennuyé. Eliott, tout au contraire, ne cessait de bouger sa jambe droite, comme pour évacuer le stress. J'avais remarqué qu'il faisait tout le temps ça quand il était angoissé, avant les contrôles d'histoire par exemple. Enfin je n'étais pas sûr que c'était comparable.
- Quand cette mission sera terminée, vous me laisserez repartir avec mon frère ? lança-t-il.
Il se tourna vers Kléa qui leva la tête dans sa direction.
- Peu de chance, rétorqua-t-elle avec un sourire en coin. Tu en sais trop.
- Je suis sérieux Kléa. J'ai envie de rentrer chez moi.
- Et moi j'ai envie de quitter ce pays. Ça n'arrivera pas, l'humain. Accepte-le.
- Vous pouvez pas me garder toute la vie quand même !
Kléa laissa échapper un rire moqueur. Elle arqua un sourcil, l'air amusé.
- On peut te tuer si tu préfères.
Eliott afficha une moue fatiguée et se radossa à son siège, nullement effrayé par sa menace. Après tout, ce n'était pas la première fois que Kléa annonçait qu'elle allait le tuer, mais nous savions tous les trois que ça n'arriverait pas.
- Si ça peut m'épargner de te voir tous les jours, je crois que je choisirais cette option, rétorqua-t-il.
- Je serais ravie d'exaucer ton vœu dans ce cas.
- Parfait, on dirait bien qu'on est sur la même longueur d'onde.
Eliott me jeta un regard en coin, je ne pris même pas la peine de relever sa remarque. Je me contentai de lever les yeux au ciel.
- Ce fut un plaisir de faire affaire avec toi, l'humain. Hâte de mettre une balle dans le crâne.
Je ne pensais vraiment pas qu'ils auraient assez de salive pour parler tout le trajet, mais je les avais apparemment sous-estimés. Une demi-heure plus tard, ils étaient encore en train de s'envoyer des piques. Le bon côté, c'était qu'Eliott avait arrêté de penser à la mission.
En réalité, si jamais on se faisait prendre, il était celui qui avait le plus de chances de s'en tirer vivant. Il pourrait toujours sortir l'excuse de son frère emprisonné et dire qu'on le menaçait pour qu'il nous aide dans cette opération... ce qui n'était pas vraiment faux en fait. Voire pas du tout.
- Tes nouveaux amis sont vraiment étranges, Sam. Entre Kléa la princesse des neiges et Charlotte la psychopathe... Je vois pas ce que tu lui trouves d'ailleurs.
Je le tournai vivement la tête vers lui et le fusillai du regard.
- Je ne lui trouve rien du tout, répliquai-je.
- À d'autre ! s'exclama-t-il. Même si j'ignorai que tu étais un élémentaire, ça n'empêche pas que je te connais.
Kléa nous interrompit d'un rire jaune.
- Je ne sais pas ce tu ressens pour elle Samuel, mais je te déconseille de trop t'attacher à Charlotte. Tu te ferais du mal pour rien, me prévint-elle.
Je la regardai avec incompréhension. Kléa n'était pas particulièrement proche de Charlotte, mais de là à me recommander de rester loin d'elle...
- Pourquoi ? l'interrogeai-je.
Elle fronça les sourcils et inclina légèrement la tête sur le côté, le doute imprégna ses traits.
- Tu n'es pas au courant ? se risqua-t-elle.
- Au courant de quoi ?
Elle se pinça les lèvres, l'hésitation se lisait dans ses yeux. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle me cachait, mais son expression m'effrayait. Tout à coup, je n'étais plus si sûre de vouloir connaître la vérité.
- Je ne sais pas trop comment c'est possible, mais Charlotte connaît la date de sa mort.
J'écarquillai les yeux et la fixai, totalement abasourdi. Eliott aussi la regardait avec un air surpris.
- Elle refuse de nous dire quand c'est, mais vu son attitude ces derniers mois...
Elle laissa sa phrase en suspens. Inutile d'en dire plus, j'avais compris sa pensée. Elle croyait que Charlotte n'en avait plus pour longtemps. Mais était-ce seulement possible de pouvoir prédire sa date de mort ? Cela semblait tellement irréaliste... et angoissant.
Comment pouvait-on vivre en sachant que la fin approchait à grands pas ? Savait-elle aussi de quelle façon elle allait mourir ? Avait-elle vu la scène ? Si c'était le cas, allait-elle tenter d'échapper à son sort ? C'était probablement ce que j'essaierai de faire si j'étais à sa place.
Cette vision fataliste de la vie ne me plaisait pas, je préférais penser que j'étais le seul responsable de mes conneries. C'était trop simple de blâmer le destin, de se dire qu'on aurait rien pu faire de toute façon, que tout ce qui arrive est déjà écrit.
Pour certains, le futur était constamment en train de changer. Il y avait plusieurs chemins possibles qui évoluaient selon nos actions.
Moi, je ne croyais pas en la notion de futur. Seuls le présent et le passé étaient réels. Les actions effectuées et celle qu'on est en train de faire. Il n'y avait que ça qui entrait en jeu. Le destin, le karma, la providence... je ne croyais pas en tout ça. Même si j'avais parfois - souvent même - l'impression que le sort s'acharnait sur moi, je gardais l'intime conviction que tout était de ma faute, et pas celle d'une quelconque divinité.
Si Charlotte voulait croire que sa mort était prédéfinie, libre à elle ! Mais je n'en aurais la certitude que lorsqu'on me fournira une preuve irréfutable. Pas une seconde avant.
La camionnette s'arrêta, stoppant mes réflexions philosophiques. Kléa fut la première à descendre, suivie de près par Eliott. Je restai un instant immobile, avant d'à mon tour sauter à terre.
J'attrapai mon sac et le plaçai sur une épaule. Pendant une fraction de seconde, j'eus l'impression d'être de retour au lycée, comme si rien n'était arrivé. Mais l'illusion ne dura pas.
- Bon, c'est moi la chef maintenant, lança Kléa. Alors...
- On va avoir de sérieux ennuis si c'est toi le cerveau de l'opération, ricana Eliott.
Elle lui jeta l'un de ses regards noirs dont elle seule avait le secret.
- Tu te souviens quand je t'ai demandé ton avis ? Moi non plus. L'opinion d'un humain n'est jamais le bienvenu, surtout si c'est le tien. On y va.
Kléa et moi prîmes la direction du centre de recherche qui se situait à seulement une quinzaine de minutes à pied. Eliott jura entre ses dents avant de nous emboiter le pas.
En arrivant devant le grand bâtiment, on constata que nous étions loin d'être les seuls stagiaires. Une dizaine de lycéens discutaient entre eux en attendant que le portail s'ouvre.
Je parcourus rapidement le groupe des yeux, avant de pousser un soupir de soulagement en ne voyant aucun visage familier. Eliott eut apparemment le même reflexe, car cela aurait mis un terme à la mission avant même qu'elle n'ait commencée.
Après quelques minutes d'attente, une jeune femme vêtue d'une blouse blanche vint ouvrir le portail. Elle nous fit signe de la suivre et nous guida jusqu'à l'intérieur du centre de recherches.
C'était étrange d'être de retour ici. Les souvenirs de ma dernière visite me revinrent en mémoire, je dus prendre sur moi pour empêcher le sentiment de panique que j'avais ressenti à ce moment de refaire surface. Je me forçai à respirer calmement.
La femme commença à nous déballer tout un tas d'informations sur notre stage, comme quoi il fallait toujours porter une blouse pour se protéger, manier le matériel avec la plus grande précaution et aussi faire attention à ses affaires personnelles. Le centre de recherches ne dédommagerait pas la famille en cas de perte d'objet.
Je classai cette indication dans la case « inutile » de mon cerveau.
Elle nous répartit ensuite en plusieurs groupes de quatre. Je fus mis dans le premier groupe où je ne connaissais personne, tandis que Kléa et Eliott se retrouvèrent ensemble. Mon ami poussa un soupir de découragement, grommelant que c'était un complot qui visait à l'anéantir.
Je ne pus retenir le sourire moqueur qui étira le coin de mes lèvres.
- Le premier groupe, venez avec moi ! nous interpella un homme.
Mon sourire disparut immédiatement.
Cette voix m'était abominablement familière.
Je tournai lentement la tête pour découvrir un grand brun qui semblait avoir un peu moins de trente ans. Ses yeux verts brillaient comme des émeraudes. Un trait héréditaire apparemment.
- Samuel, ça va ? me demanda Eliott en se penchant vers moi. Tu fais exactement la même tête que la fois où tu m'as croisé dans la forêt.
Je ne lui répondis pas, toute mon attention était concentrée sur le scientifique. Je ne l'avais qu'entrevu lors de ma virée au bar deux jours plus tôt et j'étais quasiment persuadé que lui ne m'avait pas remarqué, ou du moins qu'il n'avait pas vu mon visage.
- Un problème ? s'enquit Kléa.
Je tournai la tête vers elle. Ses sourcils étaient froncés, mon expression devait l'inquiéter.
- Non, soufflai-je. Rien de grave.
Rien de grave, mais la présence de cet homme ici ne me plaisait pas. Comment pourrais-je me comporter normalement face à lui ? Comment pourrais-je le regarder dans les yeux alors que je savais qu'il avait déjà tué un élémentaire ? Peut-être même plusieurs, qui sait ?
Mon groupe se mit en marche, je fus forcé de suivre le mouvement. Je tentai de rester à l'arrière, sans trop me laisser distancer non plus.
Il ne te connaît pas. Il ne connaît pas, me répétai-je en boucle.
Il n'avait aucun moyen de savoir que j'étais un élémentaire, ni aucune raison de penser que je connaissais Charlotte, sa cousine bien-aimée.
En revanche, s'il venait à le découvrir... en fait je préférais ne pas considérer cette tournure. Je faisais partie de ces gens qui décidaient d'ignorer leurs problèmes, jusqu'à ce que ceux-ci se transforment en catastrophes. Ce n'était certes pas une stratégie brillante, mais ça permettait de gagner quelques jours de répit.
Le scientifique nous fit rentrer dans ascenseur et appuya sur le deuxième bouton. Sur le panneau de commandes, je repérai plusieurs étages inférieurs.
Je notai mentalement qu'il faudrait que j'y fasse un tour (en toute discrétion, bien-sûr) si mon guide ne m'y emmenait pas durant la visite. Peut-être étaient-ce juste des parkings ou bien des remises, mais nous avions ordre de tout vérifier.
Et puis, quoi de mieux qu'une base souterraine pour cacher un sombre secret ?
Merci d'avoir lu !
Et désolé pour le temps qu'à mis ce chapitre à arriver, je suis assez débordée ces temps-ci ^^
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