Chapitre 25: Passé
Je m'avançai dans la salle d'entraînement. Il n'y avait personne, sûrement à cause de l'heure très matinale.
Je ne savais pas vraiment ce que je faisais ici. J'avais essayé de m'endormir durant des heures, mais impossible de trouver le sommeil. Quand le soleil se lèvera, je serais déjà dans la camionnette chargée de m'emmener jusqu'au centre de recherches en compagnie d'Eliott et de Kléa.
Plus l'heure avançait, plus je me disais que c'était de la folie. Nous n'étions que des gamins, ça n'allait jamais marcher. Qui avait décrété que mon plan était un bon plan ?
Mon regard se porta sur les armes accrochées au mur et posées sur les étagères. Je ne savais pas m'en servir, je ne connaissais rien à tout ça. J'avais l'impression de me retrouver au milieu d'un champ de bataille, au milieu d'une guerre dont je ne savais rien.
Ma main frôla la lame d'un poignard. Le métal était froid et lisse. Mon pouce caressa le tranchant de l'arme.
Qu'est-ce que je faisais ? Quel était mon but ? J'avais l'impression de le perdre de vue à mesure que le temps passait. Mais il ne fallait surtout pas que j'oublie ce pour quoi je me battais. Ce n'était pas la vengeance que je cherchais, uniquement la justice. Rien de plus, je ne pouvais pas vouloir plus. Sinon, je me perdrais.
J'entendis quelqu'un approcher, mais je ne me bougeai pas. Je savais déjà que c'était Yoann. Depuis qu'il m'entrainait, j'avais l'impression qu'un lien s'était créé entre nous. C'était étrange, presque mystique.
La porte s'ouvrit, l'élémentaire fit quelques pas dans ma direction. Ma présence ne le surprit pas, lui aussi savait que j'étais ici avant d'entrer.
— Tu n'arrives pas à dormir.
Ce n'était pas une question, aussi ne pris-je pas la peine de répondre. J'inclinai légèrement la tête sur le côté pour regarder à travers la fenêtre. La nuit commençait à s'éclaircir, les étoiles s'effaçaient une à une, comme si elle jouait le rôle d'un compte à rebours.
— Si tu ne te sens pas prêt, il est encore temps de te rétracter.
— C'est trop dangereux... soufflai-je.
— Quoi ? Annoncer à Kaede que tu renonces ou bien aller dans ce centre de recherches ?
Je me tournai vers lui en roulant des yeux. Un sourire moqueur étirait le coin de ses lèvres. Il semblait être confiant, facile quand ce n'était pas lui qui partait en mission !
— Tu sais très bien de quoi je parle, lâchai-je.
La lueur amusée dans son regard disparut. Il me fixait désormais avec tout le sérieux dont il était capable.
— Vivre c'est se mettre en danger, Sam. Si tu veux quelque chose, tu dois prendre des risques. C'est comme ça que ça marche. C'est comme ça que la vie évalue si tu es digne d'obtenir ce que tu souhaites.
Yoann saisit trois couteaux sur l'étagère et pivota en direction d'une cible tracée sur une planche en bois.
— Et si on ne sait pas ce qu'on souhaite ? demandai-je.
La lame termina la courbe dessinée par son bras et vint se ficher dans la cible.
— Retourner à ta famille et vivre en paix, sans aucune loi pour restreindre tes libertés. Voilà ce que tu souhaites.
Yoann était la personne qui me comprenait le mieux ici. J'ignore si c'était en raison de notre élément commun ou juste parce-qu'il était doué pour déchiffrer les souhaits des gens.
Depuis la découverte de mon don, je rêvais de pouvoir parler à quelqu'un comme moi. Quelqu'un qui ressente ce que je ressentais, qui entende ce que j'entendais. Quelqu'un qui pourrait enfin m'expliquer comment fonctionnait cet élément.
J'avais déjà rencontré un élémentaire des vibrations, mais à l'époque je n'avais pas encore de pouvoirs. Si j'avais su que j'allais avoir la chance de tomber sur cet élément, j'aurais sans doute était un peu plus bavard ce jour-là.
Un autre couteau entailla le bois de la cible.
Je voyais Yoann comme le grand frère que je n'avais jamais eu. Celui que j'aurais voulu avoir à chaque fois que je perdais le contrôle sur les ondes. Pendant longtemps, j'avais haïs ce don que je voyais plutôt comme une malédiction. Désormais, je ne l'échangerai pour rien au monde. Ce pouvoir était bien trop ancré en moi pour que je puisse m'en séparer. L'enlever aurait été comme m'amputer un bras. Yoann comprenait ça.
L'élémentaire se mit en position pour lancer le dernier couteau. Sur son bras, il s'était fait tatouer des prénoms. Lui et Charlotte n'étaient pas les seuls à faire cela, beaucoup de membres de l'Association respectaient cette tradition.
En plissant les yeux, je remarquai qu'il avait le nom Christophe sur le côté de son coude. Etait-ce mon père ou un autre Christophe que je ne connaissais pas ? J'avais appris récemment que Yoann avait déjà passé du temps avec mon paternel, mais je n'avais jamais pris le temps de l'interroger à ce propos. Cette occasion était peut-être ma dernière, alors je la saisis.
— Comment as-tu rencontré mon père ?
Il arrêta brusquement son geste. Je vis ses doigts se serrer autour du manche du couteau.
- Longue histoire.
Je lui jetai un regard insistant, presque suppliant. Kaede m'avait avoué que mon père avait tué pour l'Association, mais elle ne m'avait rien dit de plus. Je ne pouvais pas continuer à avancer avec seulement une partie de l'histoire, comment était-ce censé le juger sans avoir tous les éléments en main ?
Yoann passa une main dans ses cheveux. Il resta silencieux un instant, cherchant ses mots.
— Ton père n'était pas quelqu'un de mauvais, Sam.
Je me laissai tomber sur le banc accolé au mur et me pris la tête entre les mains.
— Je ne sais plus qu'il est, avouai-je dans un souffle. Il m'a mentit pendant des années...
— Il l'a fait pour te protéger.
Je lâchai un rire sans joie.
— Il aurait pu trouver plus original comme excuse.
— Tu n'avais que treize ans quand il est mort. Tu étais encore bien trop jeune pour qu'il te mêle à tout ça.
— Tu m'as dit que Charlotte avait déjà tué à cet âge.
Il balaya ma remarque d'un geste de la main.
— Laisse Charlotte en dehors de ça. Elle n'a rien à voir avec ton père.
Mes doigts se joignirent derrière ma nuque. Je relevai la tête vers lui, la gorge serrée.
— Cite moi une bonne action qu'il ait faite. Une seule.
« Dis-moi qu'il n'était pas qu'un meurtrier », faillis-je rajouter.
J'avais juste besoin qu'il me prouve que toutes ses années à défendre mon père n'avait pas été totalement inutiles, qu'il le méritait malgré ses crimes.
— Eh bien... il m'a sauvé. Si on peut considérer ça comme une bonne action.
J'arquai un sourcil, l'incitant à poursuivre. Il poussa un soupir de découragement et détourna les yeux en se pinçant les lèvres.
— Je n'aime pas parler de ça, avoua-t-il.
Je ne répondis rien et attendis qu'il se lance.
Je savais qu'il allait finir par le faire malgré ses réticences. Yoann connaissais mon père, bien plus que je ne le pensais. Ça se voyait à son attitude, à sa façon de l'évoquer. Il ne me laisserait pas avec une image de mon père aussi ternie.
— Disons que... commença-t-il.
Il marqua une nouvelle pause, souffla, puis inclina la tête dans ma direction.
— Quand j'étais enfant, j'ai traversé une mauvaise passe après la découverte de mon don. Tu sais à quel point cet élément est dur à maitriser et... mes parents étaient tous deux des élémentaires de l'air, alors ils ne pouvaient pas vraiment m'aider. Il n'avait pas conscience à quel point les ondes me rendaient fou, elles me faisaient perdre la tête et me donnaient envie de me crever les tympans.
Je voyais parfaitement de quelle sensation il parlait. D'un côté, c'était rassurant de savoir que je n'étais pas le seul à avoir connu cela.
— Un soir, j'en eu marre. Alors j'ai fugué sur un coup de tête. Je ne savais pas où aller, je voulais juste m'éloigner de ses foutues ondes. Je m'imaginais déjà vivre dans une forêt, ou même dans le désert. Je devais avoir... quoi, dix piges ? En tout cas, la réalité m'a vite rattrapée.
Il avait les yeux dans le vide, comme s'il revoyait la scène.
— Je ne sais pas trop comment s'est arrivé, mais je me suis retrouvé seul, dans une ville que je ne connaissais pas du tout. J'étais totalement perdu, il faisait nuit, la température commençait à chuter. Et il y avait ces ondes qui continuaient de cogner l'intérieur du crâne. J'ai dû m'endormir au coin d'une ruelle... Je ne m'en souviens pas très bien, je sais juste que j'avais froid et que j'étais à bout de forces. En tout cas, à mon réveil on m'avait transporté jusqu'ici. C'est ton père qui m'avait trouvé. Et il ne s'était pas demandé si j'étais humain ou élémentaire, il avait seulement vu un enfant paumé.
Je restai silencieux, lui laissant le temps de terminer son récit, même s'il m'avait déjà donné ce que je souhaitais. Une raison de ne pas haïr mon père.
— Quand il a finalement appris que j'étais un élémentaire, il m'a proposé de rester ici. Il s'est occupé de moi pendant longtemps. Il me parlait souvent de toi et de ta sœur. Il avait peur de vous mettre en danger à cause de son appartenance à l'Association, il voulait que vous le rejoigniez quand vous seriez prêt. Je suppose que ce n'est pas un hasard si tu as fini par nous rencontrer.
Il plongea son regard dans le mien.
— Christophe n'était pas un tueur, Sam. C'était quelqu'un de bien. Ton père était quelqu'un de bien.
Il se redressa et lança le dernier couteau qui termina son vol au centre de la cible.
— Tu n'as jamais revu tes parents ? lui demandai-je.
— Non, et c'est mieux ainsi.
Je n'insistai pas, même si je savais qu'il ne m'avait pas tout dit. Il m'avait raconté la partie de l'histoire où mon père intervenait, mais avait omis de me parler du reste. Cependant, s'il ne voulait pas aborder le sujet, je n'avais pas le droit de le forcer.
Je n'appréciai pas quand Eliott m'harcelait de questions sur ma famille, c'était la même chose pour Yoann.
Je respectai son silence et jetai plutôt un coup d'œil dehors. Les premiers rayons de soleil commençaient à repousser la nuit, les étoiles n'étaient plus que des points pales amenés à disparaître bientôt. L'heure de partir approchait.
Etonnement, mon cœur ne battait plus aussi vite dans ma poitrine et l'angoisse qui me tordait l'estomac quelques minutes plus tôt s'était dissipée.
Mon père avait toujours songé à ce que je rejoigne l'Association. Il s'était battu pour elle, c'était à mon tour désormais.
Je me relevai et pris la direction de la porte. Yoann m'interpella juste avant que je ne passe le seuil. Je n'aimais pas les adieux, je préférais partir sans un mot et regretter ensuite. Je me figeai mais rester dos à lui.
— Si tu meurs, je prends ta veste ! lança-t-il.
Un demi-sourire barra mon visage. Il ne le vit pas.
— Cours toujours, répliquai-je dans un souffle.
Merci d'avoir lu !
On en apprend un peu plus sur l'histoire de Yoann (mais pas trop quand même, faut garder un peu de mystère ^^)
J'espère que ça vous a plu !
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