Chapitre 24: Stress
Le jour J approchait à grand pas, l'angoisse que les choses tournent mal montait en chacun de nous. Je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer les pires scénarios possibles, mon esprit avait tendance à faire preuve d'une imagination un peu trop débordante dans ces moments-là.
Les derniers jours avaient été très stressants, nous n'avions pas une seconde pour nous. J'avais beaucoup de mal à dormir, j'étais sur les nerfs. La preuve de mes nombreuses insomnies était d'ailleurs bien visible sur mon visage. Je m'efforçais de rester calme mais plus le jour fatidique approchait, moins c'était facile.
— Eh, Sam ! m'appela Kléa. Tu es sûr que tu ne veux pas aller te reposer ?
Je levai la tête dans sa direction. La jeune fille était en train de relire des cours de biologie, ce qui allait être assez utile pendant la mission. Je regrettais amèrement de ne pas avoir écouté mon professeur pendant que j'étais encore au lycée, ça m'aurait épargné ces heures de rattrapage.
— Non, c'est bon. Je n'arriverai pas à m'endormir de toute façon.
La première fois que j'avais vu Kléa, elle ne m'avait laissé une très bonne impression. Mais elle semblait avoir retrouvé un semblant de sérieux depuis. Je soupçonnais Charlotte d'y être pour quelque chose... à moins que ce ne soit Kaede, elle-même.
Dans tous les cas, elle s'était calmée, même si elle ne pouvait pas s'empêcher d'envoyer des piques à Eliott à chaque fois qu'elle le voyait. Question d'habitude, je suppose.
— Il y a des somnifères à l'infirmerie, tu peux en prendre, tu sais ? Ça sert à ça.
— J'aurais tout le temps de rattraper mon sommeil en retard une fois cette mission terminée.
Elle soupira et leva les yeux au ciel, avant de les reporter sur ses résumés de cours.
— Sauf si tu tombes de fatigue pendant l'opération, souffla-t-elle.
Je ne répondis pas et repris ma lecture sur « les molécules constitutives des êtres vivants ». Je posai ma joue sur ma main et parcourus rapidement les lignes, sans rien retenir. Quand je m'en rendis compte, je laissai tomber ma tête sur mon livre de façon excessivement théâtrale en poussant un grognement de découragement. Je restai un instant immobile, les bras ballants et le front collé sur les pages froides du manuel.
C'est le moment que choisit Eliott pour faire son entrée dans la pièce. Il avait désormais le droit de se déplacer dans la base, plutôt que de rester enfermer dans une cellule à longueur de journée. Quand il m'aperçut, il laissa échapper un ricanement.
— Je ne savais pas que les élémentaires pouvaient apprendre une leçon sans la lire, ironisa-t-il. C'est pratique comme don, je comprends mieux comment tu faisais pour avoir de si bonnes notes pendant les tests.
Le seuls cours où je réussissais à avoir des notes supérieures à la moyenne, c'était la musique. Et c'était entièrement dû à mon don, je n'entendais pas la même chose que les autres, ma perception des sons étaient beaucoup plus précise que mes camarades de classe. Je n'avais jamais eu aucun mal à reconnaître les différents instruments d'un orchestre.
— Ça me saoule, me plaignis-je.
Mon grognement ressemblait davantage à un « ça me saouuuuuuuule » rempli de désespoir.
— Abuse pas, Sam, lâcha Kléa en riant. C'est pas si dur que ça.
Je relevai vivement la tête et désignai le manuel d'une main.
— Sérieusement, tu penses vraiment que c'est utile que je connaisse ça sur le bout des doigts ? On ne va pas non plus m'interroger là-bas ! Je suis persuadé que les autres stagiaires qui seront là ne connaitront pas les constituants des êtres vivants.
La jeune fille reposa son tas de feuille sur la table et me jeta un regard un coin.
— Tu ne vas pas me dire que tu n'arrives pas à retenir quatre pauvres mots ? Même l'humain y est arrivé ! me provoqua-t-elle.
— Je vous rappelle que le seul de nous trois à ne pas être en train de relire les cours de lycée, c'est aussi le seul humain ! s'offensa Eliott
— Peut-être que si on nous laissait terminer le lycée en paix on aurait de meilleurs résultats ! se défendit-elle.
— Eh ! Calme ta joie, princesse des neiges ! J'y suis pour rien si tu as gelé ton prof de maths.
La température chuta soudainement comme une menace silencieuse. Je fermai les yeux et passai mes mains sur mon visage, attendant qu'ils aient fini leur confrontation. Je ne m'inquiétais pas pour Eliott, je savais que Kléa n'oserait jamais lui faire de mal. Elle ne le haïssait pas au point de mettre en danger sa position au sein de l'Association.
Charlotte pensait même qu'ils commençaient à s'apprécier. Si je ne connaissais pas l'étendue de ses pouvoirs, je lui aurais probablement ri au nez. Mais la sachant capable de lire en n'importe qui comme dans un livre ouvert, je n'avais émis aucune remarque.
Je commençais à frissonner, Kléa ne semblait pas enclin à arrêter son influence sur la météo. N'étant pas d'humeur à patienter plus longtemps, je me levai et quittai la pièce, le livre de cours sous le bras.
Alors que je m'apprêtais à rentrer dans ma chambre, j'entendis Charlotte m'apostropher. Je fis volte-face avec la rapidité d'un zombie. La jeune élémentaire traversa la galerie jusqu'à arriver à ma hauteur.
— Oh mon dieu, s'exclama-t-elle en m'apercevant. T'as une de ces têtes ! C'est quand la dernière fois que tu t'es reposé?
— Je n'arrive pas à m'endormir, répétai-je pour la deuxième fois de la journée. Est-ce que tu aurais, par hasard, la capacité de me rajouter des souvenirs ?
Elle fronça les sourcils.
— Tu penses à quoi exactement ?
Je levai le manuel de biologie en soupirant.
— À quelques résumés de cours que j'aimerais bien graver dans ma mémoire.
Charlotte partit dans un fou rire incontrôlable. Quelques élémentaires passant près de nous tournèrent tous la tête dans notre direction. Après un court moment, ils détournèrent le regard et continuèrent leur route. La jeune fille continua de rire, jusqu'à ce qu'elle se rende compte que j'étais sérieux.
— Oh, ce n'était pas une blague ? se risqua-t-elle. Je n'ai encore jamais essayé de faire une telle chose, mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
Je me doutai qu'elle allait répondre ça, mais ça ne me coutait rien d'essayer (enfin presque). Je m'adossai contre le mur et pris une grande inspiration. Il fallait que j'arrête d'angoisser comme ça pour cette opération. Oui, je risquai ma vie, mais j'avais beaucoup plus de chance de tout faire foirer si je ne parvenais pas à garder mon calme. Le problème, c'était que si je faisais un faux pas, j'emporterais mes deux partenaires dans ma chute.
— Tu sais que le stress est contagieux ? me questionna Charlotte.
— Je ne suis pas stressé, je suis fatigué, mentis-je.
Elle leva les yeux au ciel.
— Arrête, j'ai ressenti ton angoisse avant même de te voir. Il faut que tu penses à autre chose.
— Ouais, facile à dire, grommelai-je.
Elle m'arracha le livre des mains.
— OK. Il faut faire quelque chose parce-que là, ça ne va plus. On va aller te changer les idées sinon tu vas mourir d'angoisse.
***
Je contemplais les humains présents depuis ma table. Ils s'affairaient autour d'un bar en marbre derrière lequel une légion de serveurs servait des rivières de bières et de cocktails. L'endroit manquait de charme, probablement parce que nous n'étions pas dans une de ces villes riches et touristiques. Néanmoins, l'affaire était rentable grâce aux différents gangs établis dans la région.
J'étais déjà venu ici, une seule fois, avec un groupe de garçon du lycée, après un pari stupide. Mais la soirée c'était terminé en bagarre et je n'y avais jamais remis les pieds.
Charlotte semblait bien connaître l'endroit, elle avait échangé quelques mots avec le serveur. Je doutai que ce dernier la traite de la même manière s'il savait qu'elle était une élémentaire. Je survolai la pièce du regard avant de me tourner vers elle.
— Bon, tu veux parler de quoi ? demandai-je.
— Je ne sais pas, dit-elle en haussant les épaules. On peut parler de la météo, du sport ou encore, pourquoi pas, de la raison qui t'empêche de dormir.
— Je crois qu'il va faire beau demain, répondis-je sur un ton sarcastique.
Elle laissa échapper un léger rire.
Je jetai un coup d'œil à deux hommes installés à l'autre bout de la pièce. Attablés devant une bouteille de whisky, ils n'avaient pas l'air très commode. Tous deux étaient bruns, mais le plus âgé avait les cheveux longs, attachés en queue-de-cheval. J'étais prêt à parier que ce dernier était là le jour où la bagarre avait éclaté, je pouvais même jurer que c'était lui qui en était le responsable.
Il m'accorda à peine un regard et reporta son attention sur son acolyte. Il ne m'avait pas reconnu, heureusement ! En même temps, notre rencontre remontait à plusieurs mois et je n'avais pas fait de remarques ou de gestes particuliers ce jour-là. J'étais resté enfermé dans ma solitude, à boire un alcool dont je ne connaissais même pas le nom mais qui m'avait arraché la gorge.
— Tu te sens responsable d'eux, devina Charlotte. Tu as peur que, s'ils leur arrivent quelque chose, tu te sentes coupable.
Je me retournai dans sa direction, elle sirotait son cocktail en me fixant de ses grands yeux hypnotiques.
— C'est normal que je me sente coupable s'ils se font prendre par ma faute.
— Vous ne vous ferez pas prendre, Samuel. Vos fausses identités sont parfaites, personne n'aura de raison de vous soupçonner de quoi que ce soit.
C'était ce que j'essayais de me convaincre depuis des jours, mais j'avais un mauvais pressentiment concernant cette mission. Quelque chose me dérangeait, sauf que je n'arrivais pas à savoir ce que c'était. Mais peut-être n'était-ce rien d'autre qu'une peur sans fondement. Après tout, mon instinct n'était pas infaillible.
Pendant une bonne demi-heure, on discuta de tout et de rien. Charlotte arrêta de me parler de la mission pour évoquer des sujets banals dont l'unique but était de me faire penser à autre chose. Et elle n'était pas loin d'y parvenir, même si je n'oubliais pas totalement l'endroit où j'allais me retrouver en tant que stagiaire-espion dans moins de deux jours.
J'entendis le grésillement familier des ondes téléphoniques avant même que le portable de l'élémentaire ne sonne. Elle jeta un coup d'œil à l'écran et releva la tête vers moi.
— Il faut qu'on rentre, annonça-t-elle.
Je n'avais pas particulièrement envie de me replonger dans l'atmosphère stressante de l'Association, mais je n'avais pas tellement le choix. Je me levai de table et la suivis sans protester.
On sortit dans la nuit noire, Charlotte commença à se diriger vers la voiture mais se figea brusquement après avoir fait deux pas.
— Merde ! siffla-t-elle.
Je fronçai les sourcils.
— Qu'est-ce qui se p...
Elle ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase, elle fit volte-face, passa les bras autour de mon cou et m'embrassa. Ses lèvres étaient froides, mais douces, elles avaient un léger goût d'abricot. Je failli la repousser, dans un sursaut d'étonnement, mais en entendant des gens approcher, je crus comprendre son geste.
Après une hésitation d'une fraction de seconde, je la pris dans mes bras. Je passai mes mains au creux de sa taille puis remontai doucement le long de son dos en la faisant pivoter de sorte à ce qu'elle soit dos aux nouveaux arrivants.
Je les entendis rire.
— Il y en a qui s'amusent ici ! ricana l'un d'eux.
Ils nous dépassèrent et pénétrèrent dans le bar. Charlotte se recula quand la porte se referma derrière eux. Je croisai son regard, même avec l'obscurité, je distinguai ses joues rougies et ses lèvres pincées. Je me retins d'arquer un sourcil, c'était bien la première fois qu'elle semblait embarrassée depuis que je l'avais rencontré.
Elle me saisit la main avant que je n'ai le temps de placer un mot et m'entraîna jusqu'à la voiture garée un peu plus loin. Ce ne fut qu'à cet instant que je remarquai que mon cœur battait bien trop vite dans ma poitrine, (le sien aussi, d'ailleurs). Elle ne prononça pas une parole avant d'être sur l'autoroute. Je respectai son silence, même si j'avais hâte de savoir ce qui l'avait poussé à m'embrasser si soudainement.
— Désolée, lâcha-t-elle finalement, au bout de plusieurs minutes.
Je la regardai du coin de l'œil, elle serrait fort le volant, à tel point que ses jointures blanchissaient. Le paysage urbain défilait rapidement derrière les vitres.
— Ne le prends pas mal, mais ton permis, tu l'as eu légalement ?
Les coins de ses lèvres se tordirent en un léger sourire. Elle leva légèrement le pied de l'accélérateur, réduisant ainsi l'allure du véhicule et augmentant par le même biais nos chances de survie.
— C'était qui alors ? continuai-je face à son silence.
— Mon cousin, avoua-t-elle.
J'eus un hoquet de surprise. Son cousin ? Elle avait un cousin ?
— Il est humain, embraya-t-elle. Tout comme mon oncle.
— Comment c'est possible ? Ta mère était une élémentaire... non ?
Elle soupira, sans lâcher la route des yeux.
— Ma grand-mère était une élémentaire, mais mon grand-père était humain.
Elle n'eut pas besoin d'en dire plus pour que je comprenne. Quand un enfant naissait d'un mariage tel que celui-ci, il avait autant de chance d'être humain qu'élémentaire. C'était le hasard qui décidait, de la même façon qu'il choisissait si le nouveau-né serait un garçon ou une fille.
Sa mère devait être élémentaire, mais son oncle, humain.
— Vu ta réaction, je suppose que ta relation avec ton cousin n'est pas très fusionnelle, je me trompe ?
Un rire sans joie franchit ses lèvres
— Mon oncle est responsable de la mort de mes parents. Et je suis responsable de la mort de mon oncle. Donc non, on ne peut pas dire que je m'entends bien avec mon cousin. Il veut me tuer pour venger son père.
Et moi qui pensais avoir une famille compliquée...
— Donc la soif de vengeance c'est un trait familial, remarquai-je. C'est bon à savoir.
Je n'avais rien trouvé de mieux à dire. Probablement parce-que mes neurones était encore un peu trop enivrés par ce baiser. D'ailleurs, pendant quelques minutes, j'avais totalement arrêté de penser à la mission.
Finalement, elle avait réussi à me changer les idées, même si c'était pour un court moment.
Deux jours. C'est tout ce qui me restait avant le début de l'opération. Mon instinct continuait de me crier que quelque chose ne tournait pas rond là-bas, mais je l'ignorai.
Pourtant, il avait raison.
Merci d'avoir lu !
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