Chapitre 23: Accrochages
Kaede était en colère, c'était une certitude, mais elle me laissa le temps de terminer l'explication de mon plan.
Ma gorge était serrée par l'émotion. J'appréhendais la suite des évènements, je savais que je risquais gros.
Son visage était fermé, comme d'habitude, mais la lueur qui brillait dans son œil ne trompait personne. On dit qu'un regard ne peut pas tuer mais, à cet instant, j'eus peur que ce ne soit pas vrai.
Quoique, après réflexion, j'avais déjà vu Charlotte assassiner un policier rien qu'en le regardant droit dans les yeux. J'espérais de tout cœur que Kaede n'avait pas un pouvoir similaire...
— Ça peut marcher, assura Charlotte à l'attention de Kaede.
C'était à elle que j'avais parlé en premier de mon idée, sûrement parce-qu'elle était au courant de mon amitié envers Eliott. Son intervention pour effacer une partie de mes souvenirs n'avait pas durée très longtemps. Elle disait que c'était sûrement lié au fait que j'étais un élémentaire de deuxième génération.
J'avais l'intention de parler à Kaede seule à seul mais elle avait insisté pour venir, se servant de l'argument qu'elle pourrait me soutenir devant la chef de base, et aussi que si celle-ci essayait de m'égorger, elle serait capable de la calmer. Je ne savais pas lequel de ses arguments m'avait convaincu, sûrement le deuxième...
— J'ai confiance en Eliott, insistai-je.
Je croisai virtuellement mes doigts, mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je tentai de deviner les pensées de Kaede, mais n'y parvins évidemment pas. Elle restait silencieuse, assise derrière son bureau. Elle me fixait en faisant tourner un stylo dans une main. Ça faisait plus d'une demi-heure que j'essayais de lui faire approuver mon plan, je commençais à être à court d'arguments.
— La vie de son frère est en jeu, ajoutai-je. Il ne tentera rien de stupide.
Elle arrêta de jouer avec le stylo et croisa les bras. Après un long moment de silence, elle prit la parole :
— D'accord.
Vraiment ?
— Mais Kléa viendra aussi, ajouta-t-elle.
Charlotte faillit s'étouffer avec sa salive. Je lui jetai un regard en coin, qui était Kléa ? Je commençais à connaître un bon nombre des élémentaires de la base, mais je n'avais jamais entendu parler d'elle, ou alors je ne m'en rappelais pas.
— Kléa ? répéta Charlotte. Comme dans Kléa Regneri ?
— Exactement, confirma Kaede. Elle se fera passer pour une stagiaire au même titre que vous. Et ce n'est pas une proposition, c'est un ordre.
— Mais elle déteste les humains encore plus que moi ! Ce n'est pas une bonne idée qu'elle travaille avec Eliott.
Génial ! Comme si j'avais besoin de ça. Avec la chance que j'avais, j'étais prêt à parier qu'elle allait tenter de l'étouffer pendant son sommeil.
— Elle a le même âge que vous, continua la chef de base en se tournant vers moi et, surtout, elle a de l'expérience. Ce sera elle la directrice de l'opération quand vous serez là-bas. Charlotte, tu veilleras à ce qu'elle suive les règles et qu'elle comprenne qu'Eliott est son allié sur ce coup.
— Pourquoi moi ? protesta la concernée.
— Parce-que c'est toi que j'ai choisi. Maintenant, sortez de mon bureau.
Charlotte grogna en levant les yeux au ciel, elle fit brusquement volte-face, puis sortit de la pièce d'un pas vif. Je lui emboitai le pas et refermai la porte derrière moi.
On se dirigea vers les cellules pour y sortir Eliott et lui expliquer le plan en détail.
L'élémentaire de l'Esprit demanda les clés aux gardiens qui les lui donnèrent sans rechigner. Elle faisait partie de l'Association depuis des années, tout le monde avait confiance en elle ici.
En traversant le couloir, je jetai un bref coup d'œil au frère d'Eliott, toujours enfermé. Il ne leva pas la tête pour voir qui était là, il avait l'habitude que des gens viennent ici.
Je le dépassai et me plaçai devant la cellule numéro sept. Charlotte enfonça la clé dans la serrure et la tourna promptement, la porte émit un cliquetis et se déverrouilla.
— Samuel ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda Eliott en se relevant précipitamment.
— Je t'expliquerais plus tard, répondis-je. Viens.
Il sortit de sa prison en jetant un regard méfiant à Charlotte qui le fixait sans dire un mot. Elle referma la porte en la claquant et passa devant pour nous guider.
Elle nous emmena jusqu'à une grande salle que je devinai être une ancienne boutique de vêtements. Dans un coin de la pièce se trouvait une grande table ronde entourée de chaise en bois. A droite, sur un comptoir, reposaient des blocs de feuilles blanches et un pot de stylos. Contre le mur du fond, je repérai plusieurs bureaux sur lesquels étaient posés des ordinateurs haut-de-gamme.
J'étais déjà venu ici quand je visitais la base, c'était dans ce genre de salle qu'on mettait en place les plans compliqués et à hauts risques. Apparemment cette mission d'infiltration en faisait partie.
Rassurant.
A vrai dire, je n'étais pas totalement convaincu que mon plan soit un bon plan. Mais si Charlotte et Kaede l'avait approuvé, ça voulait bien dire qu'il avait une chance de fonctionner... non ?
Eliott s'arrêta au centre de la pièce et se tourna vers moi, m'interrogeant du regard. J'ouvris la bouche pour répondre, mais Charlotte me prit de court.
— Félicitation, tu viens d'être sélectionné pour participer à une mission d'infiltration. Histoire que les choses soient bien claires entre nous, on va établir quelques règles.
Elle s'approcha jusqu'à se trouver à quelques centimètres de lui.
— Règle numéro une : interdiction de parler de l'Association à qui que ce soit. C'est évident, mais je préfère le préciser. Règle numéro deux : Tu suis les ordres qu'on te donne sans poser de questions. Ça aussi c'est évident étant donné que tu es toujours notre prisonnier. Règles numéro trois : Tu as le droit de t'enfuir et de libérer ton frère, mais si tu le fais, on vous tuera tous les deux.
Il déglutit difficilement, pas très rassuré. Charlotte leva la main et lui montra trois doigts.
— Il y a trois règles, reprit-elle. C'est facile à retenir alors si tu enfreints l'une d'entre elles, inutile de prétendre avoir oublié. C'est clair ?
— Comme de l'eau de roche, dit-il dans un souffle.
— Bien, sourit-elle. Parfait. Je crois qu'on va bien s'entendre toi et moi.
Elle s'éloigna de quelques pas. Un sourire amusé fendit mon visage quand je vis Eliott aspirer une grande bouffée d'air.
Les souvenirs de ma première rencontre avec l'élémentaire de l'Esprit me revirent en mémoire, alors qu'elle s'apprêtait à me tirer une balle dans le cœur. En vérité, je ne rigolais pas vraiment ce jour-là mais quand j'y repensais, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire.
La porte s'ouvrit à la volée, laissant apparaître une jeune fille énervée que j'identifiai immédiatement comme étant Kléa.
Elle marchait d'un pas vif, ses yeux noisette brillaient de colère. Son visage était fermé et ses lèvres pincées. Apparemment elle était déjà au courant qu'elle allait devoir travailler avec un humain. Au moins, je n'aurais pas à le lui dire, c'était déjà une bonne chose.
Elle passa devant nous et se laissa tomber sur l'une des chaises de la table sans prononcer un mot. J'imaginais bien la conversation qu'elle avait dû avoir avec Kaede. Elle avait dû batailler longtemps contre la chef de base et avait fini par accepter à contrecœur.
Charlotte s'assis à son tour, je la suivis. Eliott hésita un instant, puis finis par obtempérer. Kléa lui jeta un regard assassin. A mon grand étonnement, il ne détourna pas les yeux. Il se contenta de serrer la mâchoire, un air déterminé inscrit sur le visage.
Je soupirai de découragement devant cette bataille de regards. On était mal parti si ces deux-là continuaient comme ça. Soudain, Charlotte claqua sa main sur la table en bois, ils tournèrent brusquement leurs tête dans sa direction.
— C'est bon, on peut commencer maintenant ? fit-elle d'un ton sec. A moins que vous souhaitiez vous entretuer. Personnellement, ça ne me pose aucun problème à condition que vous alliez faire ça ailleurs.
Le silence tomba dans la salle. L'élémentaire de l'Esprit les toisa tour à tour de ses yeux d'un vert pétrifiant. Je sentis les vibrations de son don m'effleurer avant de se rétracter et de repartir vers sa propriétaire.
Kléa semblait elle aussi avoir senti cette vague de pouvoir, étant donné qu'elle sursauta. Elle détourna vivement les yeux et les posa sur un stylo qui trainait sur la table. Ses cheveux blonds coupés en carré tombèrent de chaque côté de ses épaules dénudés.
Eliott jeta un regard autour de lui, ne comprenant pas ce qui se passait. Charlotte cligna des paupières et s'adossa à sa chaise.
— Kléa, l'interpella-t-elle. Qu'est-ce que t'a expliqué Kaede à propos de la nouvelle mission ?
— Pas grand-chose, grommela cette dernière. Simplement que c'était une mission d'infiltration et que je devrais être aux commandes d'un groupe composé d'un élémentaire et d'un humain.
— Vous allez vous faire passer pour des stagiaires dans un centre de recherches. On a peu de temps pour tout mettre en place et vous créer de nouvelles identités, donc il faut se dépêcher.
Mon ami arqua un sourcil.
— Moi aussi j'aurais une nouvelle identité ? s'informa-t-il.
— Oui, au cas où les choses tourneraient mal.
Kléa releva la tête, un sourire carnassier inscrit sur son visage.
— Au pire, s'il se faire prendre, ce n'est pas dramatique, ricana-t-elle.
Le concerné se tourna vers elle et la regarda avec incompréhension.
— OK, pause, fit-il. Pourquoi elle me déteste en fait ?
— Parce-que tu es humain, rétorqua-t-elle.
— Et pourquoi tu détestes les humains ?
— Pour plein de raisons.
—Génial, tu sais quoi ? Moi aussi j'ai quelques raisons qui devraient me faire détester les élémentaires, à commencer par le fait que vous avez kidnappé mon frère !
La jeune fille lui servit un large sourire éblouissant et une lueur sournoise traversa son visage.
— Tu veux parler du policier que ton ami a failli descendre il y a quelques semaines ?
Je dus me faire violence pour ne pas lui sauter à la gorge et lui faire ravaler ses paroles. Je me raidis sur ma chaise, mes poings se serrèrent si fort que les jointures blanchirent.
— Quoi ? s'écria Eliott en me jetant un regard affolé.
J'étais sûr que ça aller finir par me retomber dessus ! Sauf que je pensais que j'allais me trahir moi-même, et non pas que je serais balancé par quelqu'un que je ne connaissais même pas. Néanmoins, je sentis clairement la rage monter en moi.
— Oups ! lâcha-t-elle avec un air faussement désolé.
Mon sang bouillonnait dans mes veines. Autour de nous, l'air devint lourd, je ressentais les vibrations crépiter et bourdonner, de plus en plus fort.
— Samuel, arrête, m'ordonna Charlotte.
Face à moi, Kléa me fixait toujours, un sourire amusé flottait sur son visage et une lueur de défi brillait dans ses yeux clairs.
— Vas-y, Samuel. Essaye un peu, me tenta-t-elle. On verra lequel de nous deux gagnera.
Je baissai les yeux sur sa main, désormais posée à plat sur la table. J'aperçus du gel recouvrirent peu à peu le bois et s'étendre dans ma direction.
Une élémentaire des glaces.
Je me tournai vers Charlotte, elle se massait le front d'une main, l'air exaspéré. Ses paroles me revinrent en mémoire « On a très peu de temps ».
J'aspirai une grande bouffée d'air pour extirper la tension de mon corps. Peu à peu, je retrouvai mon calme et l'air relâcha sa pression.
— Le prochain qui fait la moindre remarque sur quelqu'un d'autre, je vous jure que je l'assomme, fulmina Charlotte. Je m'en fous de savoir si c'est un élémentaire ou un humain, d'accord ?
Elle marqua une pause, le temps de reprendre sa respiration, puis repris d'une voix plus basse, mais toujours aussi terrifiante :
— On n'a pas le temps pour ce genre de conneries, vous risquez votre vie pendant cette mission. Si l'un de vous fait le moindre faux pas, vous êtes tous les trois morts.
On baissa tous deux la têtes, comme deux enfants pris en train de faire une bêtise. Le silence s'installa dans la salle pour la deuxième fois depuis qu'on était arrivé. Il dura quelques secondes, puis fut brisé par Charlotte qui s'adressa une nouvelle fois à nous, d'une voix plus enjouée cette fois.
— Et si vous voulez savoir lequel est le plus fort, souvenez-vous qui dans cette pièce est une élémentaire de première génération.
Etonnement, elle parvint à détendre l'atmosphère avec ces quelques mots. J'étais obligé d'admettre que cette fille avait un charisme hors du commun et une prestance qui imposait le respect à tout le monde.
J'étais sous le charme, c'était le moins qu'on puisse dire.
Merci d'avoir lu ! <3
Je voulais aussi je vous dire que j'ai bientôt rattrapé mon avance sur ce livre, donc il est possible que le rythme de publication ne soit plus aussi régulier à partir de maintenant ^^
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro