32 ‣ Des fioles de folies
(Désolée du retard, je vous publie ce chapitre entre deux partiels ahah.)
Lori
Sur le dos de Furtive, Lori glissait entre les nuages duveteux. Les vents la propulsaient à une vitesse vertigineuse, faisant claquer son manteau dans le sillage de l'imposante créature. Des gouttes de pluie s'écrasaient sur ses lunettes de vol.
En dessous d'elle, le train interarchipélial filait à pleine allure sous les rails suspendus en célcium. La voie ferrée prenait régulièrement appui sur des minuscules fragments d'îles n'appartenant à aucun archipel. Tel un serpent, le véhicule se faufilait entre les formes irrégulières.
Un magnifique spectacle où nature et technologie s'accordaient une danse à l'occasion d'un ballet céleste.
Dommage que Lori ne soit pas en mesure de l'apprécier.
La fatigue l'assaillait. Elle n'avait pas fermé l'œil depuis trois jours et la guérison accélérée de ses multiples blessures lui avait coûté tout ce qui lui restait d'énergie. Elle ne pourrait pas repousser les limites de sa condition beaucoup plus longtemps.
Mais juste encore un peu.
La gare d'Elmstone se profilait à l'horizon. Petit point brillant dans une mer de nuages sombres. Furtive plana paisiblement jusqu'à l'île et entama sa descente. Le train pénétra dans la gare et ses roues métalliques furent happées par les engrenages de traction.
Dans la station endormie, seul un employé se tenait sur les quais pour accueillir les deux uniques passagers du wagon. Georgina et Marco. Vêtues de longs manteaux de cuir noirs et de chapeaux à large bords, les silhouettes se mêlaient aux ombres.
Ils traversèrent la gare avec l'employé et rejoignirent la voiture qui les attendait dans la rue. Lori suivit le véhicule à travers les rues de Brasswick, îlot nord de l'archipel.
Avec un ronronnement paisible, la voiture traversa les quartiers d'habitations assoupis. Les lampadaires à gaz ne brillaient pas à cette heure de la nuit, par souci d'économie.
Après une quinzaine de minutes de trajet, les trois insomniaques atteignirent un grand manoir en pierre sombre. Ses hautes tours coiffées de toits en ardoise s'élevaient dans la nuit comme des phares. Derrière les fenêtres à guillotine, Lori ne perçut aucun mouvement.
À l'abri sous leur parapluie, les deux passagers du train se dépêchèrent de gravir l'allée de gravier qui menait à l'entrée d'un manoir.
— Tu as pris la bonne décision, déclara Georgina.
Mais, à côté, le leader des hérétiques avait les épaules voûtées et le regard sombre.
— J'en suis pas fier.
— C'était le bon choix.
— L'avenir nous le dira, je suppose.
Le silence dans lequel il se mura plongea Lori dans une mer de questions et d'interrogations. La dragonnière ne parvenait pas à assembler les informations qu'elle détenait.
Depuis qu'ils avaient quitté le laboratoire, elle ne les quittait pas des yeux. Elle comptait bien découvrir ce qu'ils cachaient.
Pourquoi se rendaient-ils à l'archipel d'Elmstone en pleine nuit ?
L'instrument que Georgina avait tenté de dérober au temple, à quoi servait-il ? La dragonnière avait passé la nuit entière à le manipuler, sans succès. L'antiquité n'avait pas servi depuis des lustres. Était-ce Marco qui lui avait confié cette mission secrète ? Pourquoi Lori avait-elle l'impression qu'il n'en savait rien ?
Marco était une toute autre personne lorsqu'il se retrouvait seul avec Georgina. Loin du leader charismatique et confiant que Lori avait vu ses derniers jours, il semblait désormais désemparé, écrasé par le poids d'un fardeau invisible. Naufragé de sa propre tempête.
À côté, Georgina ressemblait à un roc que rien n'ébranlait. Elle savait parfaitement où elle allait et rien ne pourrait la faire flancher ou dévier de sa voie.
Alors, qui maniait la barre ? À cet instant, Lori n'en était plus si sûre, mais elle aurait bientôt des réponses à ces questions.
— Il aurait pu atteindre le matin, tout de même, grommela Georgina en saisissant le heurtoir.
Elle frappa trois coups à la porte massive en bois. Quelques secondes plus tard, la poignée tourna.
— Vous êtes enfin là. Rentrez vite.
Lori n'eut pas le temps d'apercevoir le visage de leur hôte. Elle se pencha en avant et Furtive piqua vers le sol et atterrit dans les jardins du domaine.
Traverse.
Sa dragonne bondit contre le mur de pierre. Lori fut prise de nausée quand elle traversa la surface solide, mais son estomac n'avait rien à offrir. Elle se retrouva dans un salon richement décoré de meubles en bois sombre, de tapis en soie et de rideaux en velours. Une cheminée crépitait dans le coin de la pièce, projetant des éclats rougeoyants sur les trois complices venant du vestibule.
Marco. Georgina. Et...
Lori plaqua sa main sur sa bouche en reconnaissant le propriétaire du manoir. Philander Wickham. Inventeur de génie. Dirigeant du réseau de trains interachipéliaux. Personnalité puissante et influente de l'Empire Suspendu. Et surtout, père de Rafel, son compagnon dragonnier.
Que faisait-il avec les deux hérétiques ?
— C'est fait ? s'enquit-il.
Marco ne répondit pas tout de suite. Il sortit un cigare de sa poche et l'alluma dans la cheminée. Dans son dos, Philander Wickham fit un signe de tête à Georgina pour qu'elle les laisse seuls. La femme disparut dans le vestibule.
Le scientifique s'approcha de l'hérétique et posa une main sur son épaule.
— Marco...
— C'est sombre. Même venant de toi.
— Si ça fonctionne, ça nous donnera un atout indéniable.
Un rire jaune jaillit de ses lèvres en même temps qu'un nuage de fumée. Il baissa la tête.
— C'est ça d'être un génie, alors ? Tu ne vois que les résultats, mais tu oublies que derrière les chiffres, il y a des êtres humains.
Du bout de l'index, Philander releva le menton de Marco et planta son regard dans le sien.
— Je n'oublie pas. Je connais le prix d'un sacrifice mieux que personne.
Marco se dégagea d'un mouvement sec. Il lui tourna le dos et effectua quelques pas dans le salon, embaumant l'air de ses expirations.
— Ça va te tuer, tes cigares, tu sais ?
— Je vivrai jamais assez longtemps pour ça.
— J'espère bien que si.
Le leader des Arrachés leva son visage vers le plafond. Les éclats de l'ampoule chassèrent les ombres de ses traits soucieux.
— Je hais le monde tel qu'il est. Mais qu'est-ce que j'ai à offrir de mieux si je m'abaisse au même niveau que le Culte ?
— Bousculer tes principes ne veut pas dire que tu les renies.
— T'es sûr de ça ?
Philander soupira. Il contourna Marco et saisit son visage entre ses mains.
— Arrête de te flageller et fais-moi confiance.
Un sourire dépité étira les lèvres de l'Arraché. La fumée s'échappa de sa bouche entrouverte pour venir s'écraser contre le visage du scientifique.
— C'est trop tard pour faire machine arrière de toute façon, non ?
Philander garda le silence. Les deux hommes se fixèrent un long moment. Malgré la résignation apparente de Marco, Lori percevait l'agitation de son cœur dans sa poitrine.
Comme une toile peinte de contrastes, son calme extérieur rivalisait avec le chaos intérieur de son âme tourmentée.
Il tira à nouveau sur son cigare et Philander se détourna pour échapper au nuage toxique.
— À moins que tu nous aies inventé un moyen de remonter le temps ?
— Tu le saurais si c'était le cas, s'amusa Philander.
Loin d'être sincère, son rire trahissait une profonde tristesse qui ne tarda pas à peindre son visage entier.
— Je suis désolé de te mettre dans cette situation.
— Tu ne m'as forcé à rien.
— Je sais, mais...
— Arrête, Phil. J'ai pas besoin de tes excuses ou de ton réconfort. C'est bon, c'est fait. C'est quoi la prochaine étape ?
— J'ai quelque chose à te montrer dans l'établi. Je vais chercher Georgina, passe devant on te rejoint.
Marco éteignit son cigare sur la table basse et s'enfonça dans les escaliers. Au même moment, Georgina rentra dans le salon.
— Tu as tout entendu, je suppose ? soupira Philander.
— Il nous glisse entre les doigts.
— Non, il ne se défilera pas.
— C'est décevant de constater à quel point tes sentiments obscurcissent ton jugement. Je ne m'attendais pas à...
— Je sais ce que je fais, la coupa-t-il.
Il s'accroupit pour balayer les cendres de la surface en bois.
— Marco est mon souci, embraya-t-il. T'en as déjà assez à gérer de ton côté. Tu as des nouvelles concernant ton admiratrice secrète ?
Georgina décrocha ses yeux du scientifique et les leva en direction de Lori. La dragonnière se tendit sur sa selle. L'Arrachée ne pouvait pas la voir, c'était impossible. Et pourtant, le léger sourire qui s'épanouit sur ses lèvres lui assura le contraire.
— Elle ne posera aucun problème. Elle pourrait même se révéler utile pour la suite.
Philander la considéra avec curiosité.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? Tu sais qui elle est ?
— Je sais qu'elle ne fera rien qui puisse nuire à sa famille.
Loin d'être menaçant, son ton paraissait amusé, ce qui perturba encore plus Lori. Elle fixait Georgina sans savoir que faire. Sans savoir à qui elle avait affaire.
Bon sang, pourquoi était-elle incapable de réfléchir ? Le choc pétrifiait son corps et enlisait les méninges de son cerveau. Ses pensées volaient en cercle, cherchant désespérément une issue à ce piège qui se refermait sur elle.
En vain.
Dans le marécage de son esprit, une certitude s'imposa à elle : Georgina était bien trop confiante pour que ce soit du bluff. Et avec ces simples mots, elle venait de clouer les ailes de la dragonnière au mur.
Elle devait parler à sa mère.
Merci d'avoir lu !
Des révélations très importantes dans ce chapitre ! Philander Wickham, le père du Cavalier Rafel, semble impliqué dans les affaires des Arrachés... Ou seraient-ce les Arrachés qui sont impliqués dans ses affaires ? :))
Que va faire Lori de cette information ? Et qu'est-ce que Georgina sait sur la famille de Cristo ?
(Sur ce, je retourne réviser)
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