11.1 ‣ Le sang coule à flots à la Rivière d'Or
Rohan
Le gang des Siffleurs possédait, à la connaissance de Rohan, une bonne vingtaine d'établissements dans les quartiers sud de Lillport, principalement des bars et clubs. À chaque fois que Zed demandait à voir Rohan pour lui remettre le salaire de ses livraisons, il lui donnait rendez-vous dans l'un de ces instituts. Et cette fois-ci, c'était tombé sur la Rivière d'Or.
«Là où l'argent coule à flots», clamait une inscription sur la façade.
Même s'il n'y avait jamais mis les pieds, Rohan connaissait ce lieu de réputation. Les Siffleurs n'avaient pas lésiné sur les moyens lors de la construction de ce club. Derrière les immenses portes à battants noirs se cachait l'une des plus grandes salles de jeu d'argent de Lillport.
Entre les murs aux moulures rouges de la première salle, les employés du club faisaient tourbillonner des roulettes de casino au rythme des hurlements d'un gramophone. Les exclamations des joueurs fusaient et se répercutaient jusqu'au haut plafond où pendait un immense lustre.
Des canapés en velours rouge entouraient les tables de jeux. Affalés dessus, des hommes et femmes habillés avec extravagance discutaient, verre à la main.
— Aléus est de mon côté ce soir ! s'écria un homme en levant les bras au ciel.
Et juste après, un employé vêtu de rouge et de noir activa la roulette de jeu et l'homme s'effondra à genoux en constatant le résultat. Visiblement, le dieu du hasard s'était désintéressé de lui assez vite.
Rohan se faufila entre les tables, esquivant de son mieux les joueurs et les serveurs qui se déplaçaient avec des plateaux où des verres remplis à ras bords manquaient de se renverser à chaque instant.
Dans la deuxième salle, un gigantesque bar s'étendait sur toute la longueur du mur. L'odeur brute de d'alcool empestait l'endroit. Entre les esclaffements et les voix fortes, on entendait à peine la musique du lieu. Tant bien que mal, Rohan parvint à atteindre le comptoir.
— Qu'est-ce que je te sers, garçon ? l'interrogea le serveur en l'apercevant.
— Je viens voir Zed.
Le serveur termina d'essuyer le verre qu'il tenait, puis jeta son torchon sur son épaule. D'un signe de tête, il indiqua à Rohan la porte rouge à droite du bar.
Le garçon se présenta devant les deux vigiles. D'habitude, Zed lui donnait rendez-vous dans des endroits bien plus petits et intimes, où il pouvait facilement le repérer, souvent assis à une table. Ce soir-là, sans doute à cause de la somme qu'il comptait donner à Rohan, il ne prenait aucun risque.
L'un des vigiles quitta son poste et disparut derrière la porte. Il réapparut quelques instants plus tard et indiqua à Rohan qu'il pouvait entrer.
Le battant claqua dans son dos, le coupant du boucan du casino. Une dizaine de membres du gang des Siffleurs se tenaient là. Sous le faible éclairage de la pièce, Rohan repéra Zed sur un fauteuil en train d'embrasser à pleine bouche Saraphine, assise sur ses genoux.
Rohan plissa le nez. Saraphine avait eu une panoplie de copains et copines ces dernières années et Rohan avait l'habitude de voir défiler ses conquêtes, mais il n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'elle soit avec Zed. Même si c'était totalement le style de Saraphine, il continuait à craindre les ennuis que le jeune homme pourrait lui attirer à travers son affiliation avec un gang de Lillport.
Rohan s'éclaircit la gorge. Zed se détacha de Saraphine et la repoussa pour s'approcher de Rohan. Il passa son bras autour des épaules du garçon et l'attira contre lui.
— Je suis content de te voir, Rohan.
Il se comportait toujours comme ça avec lui, comme s'ils étaient des frères de sang. Malgré toute l'aversion qu'il éprouvait pour les gangs, Rohan ressentait une pointe de fierté à être traité de la sorte par le gangster. Il restait admiratif du cran de Zed. Il n'avait que dix-huit ans, mais s'était déjà forgé une forte réputation dans les quartiers de Lillport.
Rohan ignorait le rang exact de Zed au sein de l'organisation, mais il suspectait que celui-ci soit bien plus élevé qu'il l'avait imaginé au début. Il semblait gravir les échelons à une vitesse astronomique pour pouvoir lui donner rendez-vous dans cette salle surveillée de la Rivière d'Or.
— Pour être franc avec toi, au début je n'étais pas sûr que ce soit une bonne idée de t'engager pour les livraisons, lui confia Zed. Mais Sara' m'a assuré que tu saurais faire le job comme il convient, et jusque-là tu ne m'as pas déçu.
— Merci, Zed, répondit Rohan, mal à l'aise face à la sincérité du gangster. Ce job compte beaucoup pour moi.
— Je sais, mon gars. Je respecte ce que tu fais pour aider ta famille, et c'est pour ça que je veux t'avancer sur ton salaire des prochaines livraisons. Enfin, c'était encore une idée de Sara', tu t'en doutes.
Il glissa son bras sous les tresses de la jeune fille. Saraphine posa sa tête sur son torse. Zed tendit la main vers un de ses acolytes qui lui remit une épaisse enveloppe.
— Mille deux cents shillings, pour tes deux dernières livraisons et pour les quatre à venir.
Rohan glissa le sachet dans la poche intérieure de sa veste et remercia Zed d'une inclinaison de la tête.
— Après celles-là, il n'y aura plus de livraisons à effectuer. Sara' m'a fait comprendre que tu ne souhaitais pas t'impliquer plus que nécessaire chez les Siffleurs, mais si jamais tu venais à changer d'avis un jour, viens me voir. J'ai toujours du travail à proposer aux gars comme toi.
Rohan acquiesça, priant intérieurement pour ne pas avoir à nouveau besoin d'offrir ses services à un gang. Les livraisons s'étaient déroulées sans encombre jusque-là, mais il ne souhaitait pas pousser davantage sa chance en acceptant d'autres missions des Siffleurs.
Aléus était un dieu à deux facettes, il n'en avait fait que trop de fois l'expérience. S'il avait eu de la chance à la première manche, il tirerait peut-être la malchance à la suivante. Et Rohan ne comptait pas miser sa liberté sur le bon vouloir du dieu du hasard. D'autant plus que récemment, il n'avait pas l'impression d'avoir été dans ses bons papiers.
— J'y penserais, promit-il.
Il salua les deux tourtereaux et s'éclipsa, désireux de ne pas assister à davantage d'embrassades entre les deux. Rohan se sentit tout de suite plus en danger, avec cette somme d'argent sur lui. Il eut la sensation que tous les regards étaient sur lui, que tout le monde au casino savait qu'il cachait mille deux cents shillings derrière sa veste.
Le regard d'une dame capta celui de Rohan. Un fin sourire étira ses lèvres rouges juste avant qu'elle n'y porte l'embout en argent de son fume-cigarette, sans détourner ses yeux. Ses cheveux artificiellement frisés étaient retenus par un bandeau doré. Elle replaça sur ses épaules sa longue écharpe blanche, les plumes caressèrent ses épaules dénudées. La fumée qui s'échappa de sa bouche maquillée se mêla au nuage qui flottait dans la salle.
Rohan secoua sa tête pour se reconcentrer. Les poings serrés dans ses poches et la tête baissée, il traversa la salle du bar.
Un éclat de verre, suivi d'un braillement aigu, attira son attention. Dans la troisième salle, délimitée par une haute arche creusée dans la cloison, un homme venait d'éclater sa bouteille sur une table de jeu.
Debout sur son tabouret, il jeta sa main de cartes sur le tapis avec rage.
— Il a triché !
Son doigt accusa un autre joueur de la table. Le cœur de Rohan rata un battement lorsque l'accusé releva la tête et que la lumière du bec de gaz chassa l'ombre de son chapeau melon.
Qu'est-ce son père faisait ici ?!
Merci d'avoir lu !
Petit sondage :
Ici j'ai découpé mon chapitre en deux car sur wattpad j'ai l'impression que les gens préfèrent les chapitres plus courts. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Est-ce que vous préférez des chapitres de cette taille (mais incomplets du coup car découpés), ou bien des longs chapitres complets ?
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