Les mois se sont écoulés, depuis la rentrée. L'été est bel et bien terminé. Septembre, avec ses rayons de soleil encore dorés, a laissé place à octobre, avec la pluie, la brise. Novembre est arrivé, pour rendre hommage aux morts, et décembre lui a succédé, avec les magasins tout illuminés. Dans deux semaines, c'est Noël, et à l'intérieur des centres commerciaux, les cadeaux ont pris toute la place, colorés sous les sapins, éclairés aux néons. Mais ce n'est pas ce que Lily et Emma viennent admirer, un samedi après-midi, main dans la main.

Toutes deux portent un pull long, d'un joli bleu turquoise pour la cadette qui mène la danse, d'un gris perle pour l'aînée, ainsi que des leggings et des bottines, les cheveux de Lily flottant derrière elle comme une bannière tandis qu'elle entraîne sa soeur avec elle. Cette dernière la suit sans tenter de se rebeller à nouveau comme elle l'a fait une heure plus tôt quand la jeune fille aux yeux noisette a fait irruption dans sa chambre, choisissant sagement de conserver sur sa tête ses mèches désormais teintes en indigo profond. Sa cadette n'aura pas besoin de tirer dessus pour qu'Emma suive...

Cependant, quand la plus grande des deux adolescentes aperçoit leur destination, elle se fige, sans faire un pas de plus, tendant à l'extrême le bras fin de son amie, qui tourne vers elle un visage souriant, innocent. Un peu trop innocent pour être honnête, un peu trop angélique pour qu'elle n'aie pas tout prévu. La jeune fille aux cheveux indigo soupire, passe une main dans ses mèches désordonnées et sans volume pour les ébouriffer, avant de demander à celle qui ne cesse de sourire, le regard clair pétillant :

« Lily, qu'est-ce qu'on fait là exactement ? »
« Bah, on profite de la patinoire qu'ils ont installée pour les Fêtes. » répond l'intéressée, rieuse, comme une évidence.
« Tu sais que je ne sais pas patiner, je sais que tu le sais. »
« Tu vas apprendre. »

Emma soupire, retenant son envie de donner une petite claque à sa petite soeur, dont le sourire espiègle, sur ses lèvres roses, étincelle dans ses yeux, avant de remarquer une chose qui la fait sourire elle aussi, un sourire narquois et presque reconnaissant au ciel et aux étoiles de cet oubli, de ce "léger détail". Lily l'interroge du regard, lève un sourcil, et son aînée, alors, annonce, victorieuse :

« Tu as oublié les patins ! »

Silence.
Long silence.
Silence qui s'éternise.
Lily garde son sourire, un sourire parfait pour l'ange cornu aux ailes de tôle.
Un sourire qui tout compte fait, est davantage démoniaque qu'angélique.
Puis d'une voix très douce, l'adolescente prononce quelques mots qui anéantissent le dernier petit espoir de son amie.

« Non, je les ai pas oubliés, Em'. Pourquoi tu crois que je traîne un sac depuis tout à l'heure ? » rit-elle.

Et, profitant de l'ébahissement de son aînée, la plus jeune en profite pour la traîner jusqu'aux vestiaires de la patinoire qui s'étend à présent à l'étage du centre commercial. Lily tient toujours ses promesses. Elle a promis d'apprendre à Emma le patinage sur glace ? Elle le fera ! Elle a promis de lui offrir un arc-en-ciel ? Elle le fera, et décrochera au passage quelques étoiles pour elle. Ainsi, quelques minutes plus tard, une adolescente aux mèches indigo et au pull gris perle se retrouve assise sur un banc de bois clair, à nouer les lacets de patins qui lui vont parfaitement bien, sous le regard aussi amical que narquois de sa cadette, qui termine elle aussi d'enfiler les siens, savourant la sensation avant de reprendre son équilibre. Après tout, voilà des mois qu'elle n'est plus montée sur la glace...
Puis elle tend la main à Emma, l'aide à se relever, et pas à pas, toutes deux s'avancent vers la surface gelée.

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Lily laisse Emma s'accrocher aux barrières, tandis qu'elles montent toutes les deux sur la piste glacée, déserte à cette heure, dans un coin de l'étage, à l'écart des quelques garçons qui, au loin, ont improvisé une partie de hockey. La patinoire de Noël est toujours un évènement, dans ce pays sans hiver, et même si Lily préférerait patiner près de sa famille paternelle, au Canada, à des milliers de kilomètres, elle savoure chaque glissade sur la patinoire.
Elle laisse un instant son amie, qui ne lâche pas la bordure de métal froid, crispée, et s'élance, en quelques "pas", écoutant le petit bruit caractéristique des lames argentées sur l'eau gelée. Alterner les mouvements, un patin après l'autre, en se concentrant pour ne pas tomber le temps de reprendre équilibre et habitudes, lui vide la tête, et quand elle retourne vers son aînée, ses joues sont rosies par le froid et par son rire qui s'élève vers le ciel.

« Allez, Em', lâche, tu vas pas tomber, je te le promets ! » tente Lily, qui assure l'équilibre de son amie.
« Je vais tomber, Lils. C'est une question de temps. Je parie sur dix secondes. »
« Mais non, regarde ! Allez, lâche une main... » souffle l'intéressée, encourageante, détachant progressivement les doigts du métal sans lâcher son amie.
« Je te disais que c'était une mauvaise idée. » murmure Emma, qui ne contrôle pas encore ses patins.

Cependant, en dépit de ses paroles, elle prend l'autre main de Lily, et les voilà toutes les deux, près du bord mais sans le toucher. Pas à pas, toutes deux s'éloignent, et la cadette s'improvise professeur de patinage sur glace, avec une pensée émue pour son cousin, qui, lors de son dernier séjour au Canada en hiver, l'avait aidée, tout en se moquant gentiment quand elle tombait, venant la relever. Il lui manque. Elle aurait aimé qu'il l'aide encore... Mais elle n'en montre rien à Emma, qui devine malgré tout quand la distance lui pèse, et déclare :

« Glisse, ne lève pas les patins, Em'. Reste droite et ne regarde pas le sol, tu vas finir par l'embrasser, à ce rythme. Allez, essaie ! Lentement, un pied après l'autre. »
« Je te hais. » grogne celle-ci.
« Je t'aime aussi, soeurette. » répond Lily, amusée, lâchant une des deux mains de son aînée pour se retrouver à ses côtés et non face à elle.
« Jamais dit que je t'aimais. »
« On parle de moi, c'était entendu. » plaisante la jeune fille aux cheveux bruns et au pull turquoise.
« Ca va les chevilles ? »
« Assez bien, merci. »

Elles rient. Puis Emma essaie, teste, assure son équilibre, le bras de sa petite soeur venant parfois la redresser avant qu'elle ne tombe. Peu à peu, la pression des doigts de l'adolescente aux mèches indigo se fait plus légère sur ceux de son amie, ses pas plus assurés, et toutes deux glissent lentement de concert. Les murs de l'étage, d'un blanc pur, sont couverts ça et là de décorations, de guirlandes bleues, d'étoiles et de flocon turquoises ou translucides, répondant à la glace bleutée irisée. Le bleu, c'est joli, c'est lumineux. C'est sa couleur préférée, d'ailleurs. Lily sourit, dissimulant le bout de ses doigts dans la manche de son pull, puis relâche doucement son étreinte sur la main d'Emma qu'elle tient encore, la laissant patiner un peu seule.

Les courtes mèches indigo flottent dans les airs, entourant les joues pâles, semblables à de la porcelaine, de cette fille qui apprend à patiner et qui glisse pour la première fois seule, tandis que sa petite soeur l'observe, le sourire aux lèvres, en traçant elle aussi, de ses lames argentées qui reflètent les rayons du soleil, mille arabesques, tandis que le pull gris entoure le corps presque frêle. Soudain, cependant, Lily remarque une petite imperfection sur la glace, juste devant le patin de sa meilleure amie, et entrouvre les lèvres, tendant la main vers elle comme pour arrêter le temps, en un avertissement qui arrive trop tard.

La lame glisse de biais, heurtant le petit morceau d'eau gelée, emmenant Emma au sol, sa jambe en leggings noirs frappant la surface tandis que la jeune fille se rattrape avec ses mains, heureusement sans dommages. Lily se mord la lèvre inférieure, la couleur rosée se renforçant au niveau d'une petite marque, et patine de son mieux, le plus vite possible, vers son aînée pour lui tendre une main, l'aider à se relever. Les garçons, au loin, ont arrêté de jouer, et l'un d'eux les observe, indécis, se demandant si la fine silhouette aux cheveux bruns, qu'il connaît et apprécie, son amie, aura besoin d'aide. Mais Emma n'a rien, par chance, et se relève sous le sourire de Lily, avant que toutes deux ne continuent à glisser sur la glace, comme si de rien était, main dans la main.

Le garçon hésite un instant, tourne la tête vers ses amis, puis capte le regard noisette pailleté d'or de la jeune fille qui lui sourit et l'invite à les rejoindre. Il parle souvent aux deux adolescentes par messages sur des groupes, les aime bien, et il ne les a pas vues depuis longtemps... Alors il se décide, et patine vers elle. Ses amis survivront.

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« Dis, Lils, pourquoi tu m'as emmenée patiner, exactement ? »
« Je t'avais promis de t'apprendre. » répond la plus jeune, songeuse, avant de prendre une gorgée de chocolat chaud.
« Je sais, mais pourquoi aujourd'hui précisément ? Et pourquoi tu es habillée en bleu ? » souffle Emma.
« Je t'ai promis un arc-en-ciel, aussi. » sourit Lily.
« Alors après le violet et l'indigo, tu m'offres le bleu. » déclare l'adolescente aux cheveux courts et colorés, passant une main dans sa tignasse avant de boire elle aussi un peu.
« Exactement ! » s'exclame sa cadette, avec enthousiasme. « Le bleu, c'est une jolie couleur... Une couleur noble, autrefois. Ma couleur préférée, aussi. Une couleur en mille nuances : le bleu glacé, poudré, turquoise, saphir, myosotis. Le bleu, c'est une couleur froide, comme l'activité que l'on vient de faire, mais les gens ont tort de dire que c'est une couleur triste. »
« C'est vrai, on a beaucoup ri. » approuve Emma, qui écoute patiemment, souriant légèrement, un sourire que Lily aimerait voir plus souvent.
« Mais la glace peut parfois te faire tomber, tu l'auras remarqué, Em'... »
« Non, tu crois ? » répond ironiquement l'intéressée.
« Ce que je veux que tu retiennes du bleu, c'est que peu importe de tomber ou de faire des erreurs. Peu importe les coups traîtres que nous porte le monde. Il faut juste que tu te relèves. Et je serai là pour t'aider. » murmure Lily.

Elle pose une main délicate et très douce sur celle d'Emma, entrelace leurs doigts, et sans un mot, toutes deux restent ainsi un instant, terminant leur chocolat et la gaufre entre elles, décorée de Nutella. Puis elles se relèvent, et la plus jeune reprend le sac contenant leurs patins, tandis que l'autre, silencieuse, rapporte leur plateau. Elles n'ont pas besoin de mots pour se comprendre. Mais dans la main de l'aînée, bien serrée, une petite breloque de turquoise en forme de patin repose, attendant de rejoindre la chaîne d'argent très fine qui entoure le cou de l'adolescente. Celle-ci la glisse près de l'améthyste et de la pierre bleue foncée, puis prend la main de Lily et toutes deux quittent le centre commercial, en discutant de choses et d'autres.

Tu sais, parfois le rayon de soleil que tu étais me manque. Tout le temps en fait.
Ca me laisse un goût amer dans la bouche, quand j'imagine tes larmes se mêler à la pluie.
Au début, près de toi, je me suis souvent sentie sombre, très sombre.
C'est sans doute ce mélange de blanc et de noir qui a permis que nous en soyons là aujourd'hui.
Sauf que nos places sont échangées, et que je donnerais n'importe quoi pour que tu redeviennes lumineuse toi aussi.
Je t'ai promis l'arc-en-ciel.