2_ Et la sentence, est irrévocable
[ L a z a r u s ]
S'il y a bien un système que j'abhorre davantage que les forces de l'ordre, c'est bien la justice. Parce que contrairement aux policiers, les juges ne font jamais d'erreur. Infaillibles, incorruptibles, incontestables et impartiaux, ils sont tout ce qu'un humain est incapable d'être.
Putain d'IA.
L'avatar flotte dans les airs, au-dessus de la plate-forme holographique. Les contours de sa silhouette sont nets, définis par une lueur bleuâtre pulsante. Une écharpe d'un rouge profond drape ses épaules, symbole de sa position de juge. Elle me fixe avec une expression neutre. Ni méprisante, ni froide, ni haineuse. Juste neutre. Les mâchoires serrées, je soutiens son regard numérique, comme si j'avais quelque chose à prouver à un foutu algorithme.
Ou peut-être que je cherche juste une raison pour ne pas affronter les visages méprisants, froids et haineux du public qui s'installe dans le tribunal.
C'est le bruit de chaînes qui m'arrache finalement à ma confrontation visuelle, perdue depuis déjà dix minutes.
Circé fait son entrée, flanquée d'un garde dont la carrure massive contraste avec sa faiblesse flagrante. Sa démarche est laborieuse. Aidée d'une béquille, elle remonte l'allée en boitant, chaque pas lui arrachant une grimace. Son visage est strié d'ecchymoses et des points de sutures traversent sa tempe. Ses tresses ont été défaites, et une partie de son crâne a été rasée, laissant sa coiffure bicolore, moitié noire moitié rose, dans un état désastreux.
La culpabilité m'écrase la poitrine, plus fort encore que la ceinture de sécurité qui m'a brisé deux côtes, avant-hier. Je déglutis avec difficulté.
— Me regarde pas comme ça, t'as pas meilleure allure, siffle-t-elle en arrivant à ma hauteur.
— Silence, ordonne le garde.
Elle se place à mes côtés et s'accoude à la balustrade avec un soupir résigné, les épaules voutées. Le policier fronce les sourcils.
— Tiens-toi correctement.
— J'ai mal au dos.
Irrité, l'homme lui empoigne le bras et la force à se redresser. Elle roule des yeux, mais maintient sa posture lorsqu'il la relâche, appuyant son poids sur sa béquille.
— Mesdames et Messieurs du public, entame la juge, de sa voix synthétique. Nous sommes ici pour juger les actes des prévenus, accusés des crimes suivants : intrusion informatique, vol de données, destruction de biens, vol qualifié, et homicide volontaire.
» Il est à noter que ces individus ont déjà été appréhendés et jugés il y a trois ans pour escroquerie et hybridation génétique non autorisée. S'étant évadés avant la fin de leur peine, cette dernière s'additionnera à la sentence. Les conséquences de leur évasion seront également examinées lors de cette séance.
Hybridation génétique non autorisée... Nous sommes coupables de bien des choses, mais certainement pas de ça. Ni Circé ni moi n'avons pas choisi d'avoir notre génome mêlé à celui d'une araignée. Malheureusement, notre mutisme n'a pas joué pas en notre faveur, lors de notre dernier procès. Nous avons refusé de donner la moindre information aux enquêteurs sur les circonstances de notre mutation. Ni nom, ni lieu, ni date. Pas un seul détail. Car s'il y a bien une personne dont on ne veut pas attirer l'attention, c'est bien celui a fait de nous des Araknides.
— Nous allons analyser les preuves présentées par le bureau du procureur, puis les témoignages des parties impliquées seront entendus. Vous pouvez vous assoir.
Circé se laisse tomber sur le banc. Je me place à ses côtés, effleurant volontairement son genou. Avec hésitation, ses yeux remontent jusqu'aux miens. Ses pupilles, instables, dansent et se mêlent dans ses iris roses, révélant son agitation intérieure. Elle est inquiète. Pas en colère, seulement inquiète. Une tension sourde agite l'air, autour d'elle.
Je glisse doucement ma main vers elle, frôle le dos de la sienne. Elle enroule ses doigts autour des miens et les serre. Je lui rends son étreinte.
Ça va bien se passer. On s'en sortira. On s'en sort toujours.
C'est ce que j'aimerais lui dire, mais je m'abstiens. Elle ne me croirait pas.
Elle a toujours su déceler quand je mentais.
Je serre les paupières. Putain, j'ai merdé.
Je rentre la tête dans mes épaules alors que la séance suit son cours. Le murmure des avocats, les coups de marteau virtuels, les témoignages des clients du casino, tout se mêle en brouhaha indiscernable dans mon esprit. J'ignore les regards accusateurs. J'ignore les insultes. J'ignore les questions de la juge digitalisée concernant l'homme que j'ai abattu lors du braquage. J'ignore mon avocat qui me donne des coups de genou discrets pour que je réponde.
Quel intérêt que je m'exprime ? Aucune vérité ne peut alléger ma peine, et mentir est trop risqué. Un technicien m'a collé tout un tas de dispositifs au corps avant le début de la séance : moniteur cardiaque, capteurs de température corporelle, dispositifs de surveillance de tension artérielle, de rythme respiratoire, et j'en passe. L'IA a accès à tous mes signaux biologiques, en plus d'être capable d'analyser mes gestes et les variations de ma voix en temps réel. Il m'est impossible de la tromper.
Et puis, 20 ans de taule ou 40 ans... Qu'est-ce que ça change ? Ce n'est pas comme si j'avais l'intention de m'attarder. Quoi qu'il arrive, je quitterai cette prison bien avant la fin de ma sentence, reste juste à savoir si ce sera avec Circé, ou avec les pompes funèbres.
— Votre Honneur, mon client souhaite à nouveau exercer son droit au silence, déclare finalement mon avocat, résigné.
Si le procès dure une éternité, la délibération, elle, ne traîne pas. Il ne faut pas plus de deux secondes à l'IA pour analyser les preuves, et toutes les vérités qui ont été prononcées lors de la session. Ni les plaidoyers émotionnels, ni les préjugés, ni une quelconque pression extérieure ne peuvent influencer ses décisions. Seule importe la réalité des faits et les lois en vigueur.
Un système impeccable, si on met de côté que ce sont des humains qui font les lois.
Elle se tourne vers moi pour m'annoncer ma sentence.
— En raison des preuves accablantes qui ont été présentées lors de ce procès, ainsi que de la gravité des crimes dont vous êtes accusé, vous êtes condamné à une peine de trente-cinq ans de réclusion dans le centre pénitentiaire de Webgrid, sans possibilité de libération conditionnelle.
La main de Circé tressaille dans ma paume, à l'entente du complexe carcéral où on nous envoie.
Webgrid. Le cauchemar de tout criminel.
On s'imagine souvent à tort qu'une prison qui n'a jamais connu d'évasion représente le summum de la sécurité. En vérité, la prison qu'elle deviendra après sa première évasion représentera un défi plus grand encore. Alors, il vaut mieux passer en premier, pour découvrir ses failles avant qu'elles ne soient colmatées... n'est-ce pas ?
Circé prend huit ans de moins, dans la même prison. Le soulagement dénoue mes épaules. Ils nous laissent ensemble. Même les IA ont du mal à retenir certaines leçons, on dirait.
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Merci d'avoir lu !
Dans ce projet, j'ai choisi de privilégier des chapitres plus courts, car c'est un format qui me plaît davantage en tant que lectrice sur Wattpad. J'espère que ça vous convient aussi ! (Bon, je ne promets pas que ça ne s'allonge pas au fil du temps xD)
Chapitre 2, et les personnages sont déjà dans un bien piteux état. Ça promet pour la suite ! J'ai hâte de vous présenter Webgrid... :)
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