Chapitre 22 : On rentrera ensemble
Depuis le début du trajet, il n'a pas quitté la route des yeux. Le coude posé sur la portière, le visage reposant sur sa main, ses iris carmins regardent la route défiler à l'allure de la voiture. Depuis qu'ils sont partis, une boule l'étouffe. Depuis qu'ils sont partis, l'angoisse le ronge, mais il fait en sorte de ne rien montrer. Il doit garder la tête froide, répéter encore et toujours le scénario qu'ils ont mis en place pour revenir avec lui. Sa main droite se referme autour de son écharpe qu'il a posée sur ses genoux. En faisant ça, il a l'impression de pouvoir évacuer ne serait-ce qu'un peu de stress.
Dans le rétroviseur intérieur, les yeux de Taiju se posent sur son meilleur ami. Car oui, après réflexion, Senku a décidé de tout lui raconter. Avec ce qu'ils s'apprêtent à faire, ils vont avoir besoin de toute l'aide disponible. Et vu la carrure de ce dernier, le vert s'est tout de suite dit que l'avoir à leurs côtés n'était pas une si mauvaise idée. Et bien évidemment, il a accepté tout de suite.
Assis à la place du conducteur, il conduit la voiture qui les emmène tous dans la région où Gen est maintenu prisonnier. Ses yeux s'attardent juste quelques secondes sur le rétroviseur, décrivant d'un regard inquiet l'expression de Senku. Jamais avant aujourd'hui il n'avait vu son meilleur ami dans cet état. D'ordinaire, le stress, l'angoisse et la pression ont toujours été un carburant pour lui. Mais aujourd'hui, il a l'air au bord du gouffre, comme si ses peurs étaient en train de l'avaler tout entier.
Et puis, c'est au tour de Kohaku de se tourner vers lui. Ses yeux océan se posent sur ses épaules, devinant toute la tension qui l'habite. De là où elle est, elle peut voir les grosses cernes qui déforment le dessous de ses yeux. Il n'a rien dit, mais elle devine qu'il n'a pas beaucoup dormi. Il leur a fallu deux jours pour préparer leur voyage, deux jours durant lesquels ils ont dû affronter leurs amis inquiets, et aussi une Yuzuriha paniquée à l'idée de voir Taiju et Senku s'enfoncer dans de tels ennuis. Deux jours durant lesquels ils ont dû élaborer un plan à partir des photos qu'ils ont pu trouver de la maison. Deux jours durant lesquels rien ne pouvait être laissé au hasard. Deux jours durant lesquels ils se sont tous rongés les sangs, et aussi durant lesquels Senku a à peine fermé l'œil.
C'était plus fort que lui. À chaque fois que le sommeil semblait vouloir l'emporter, une tonne d'images défilaient sur ses rétines. Il revoyait Gen et sa mine déconfite, Gen et ses pleurs, Gen et ses cris. Et à chaque fois, Senku se réveillait en sursaut tandis qu'un profond sentiment de culpabilité lui écrasait la poitrine. À chaque fois qu'il était sur le point de s'endormir, l'univers lui rappelait qu'il n'avait pas réussi à protéger Gen qui avait pourtant tant besoin de son aide.
Depuis le début du trajet, les pensées de Senku sont toujours les mêmes. Il pense à lui, il pense à l'état dans lequel ils vont le retrouver. Il essaye de rester digne, déterminé. Mais une part de lui ne peut s'empêcher de se dire la même chose.
Même quand on aura récupéré Gen, Mozu aura gagné.
Car il lui aura montré que même en fuyant, il sera toujours là pour lui pourrir la vie. Il lui aura montré qu'il ne suffit pas de refaire sa vie pour que son passé ne vienne pas le hanter.
De là où elle est, Kohaku devine toutes ses pensées. D'habitude, elle n'est pas douée pour lire dans les gens. Ruri, plus délicate qu'elle, a toujours excellé dans ce domaine. Mais aujourd'hui, les yeux de Senku semblent porter le cri qu'il se refuse de pousser. Elle n'est pas douée pour consoler les gens, mais elle essaye tout de même. Elle vient poser sa main sur la sienne, l'obligeant à quitter la route des yeux.
Ses yeux carmins se posent sur elle, interloqués. Elle lui adresse un sourire qu'elle espère convainquant. Elle a plus l'habitude de charrier continuellement Senku mais, aujourd'hui, il a besoin qu'on soit là pour lui.
- Ça va aller, j'en suis sûre.
Elle ne parle pas bien fort, juste ce qu'il faut pour qu'il puisse l'entendre. Au début, son visage traduit une certaine gêne. Puis, la seconde d'après, il semble accepter ses paroles. Elle sait que ça ne suffira pas à apaiser ses angoisses, mais c'est tout ce qu'elle peut faire.
Elle retire sa main et, aussitôt, l'attention de Senku est à nouveau portée vers le paysage. De son côté, la blonde le regarde quelques secondes avant de tourner elle aussi la tête. Le plus calmement possible, elle se repasse en boucle ce qu'elle va devoir faire une fois arrivée. Elle est aussi coupable dans cette affaire, coupable d'avoir offert à son bourreau le moyen de mettre la main sur lui. Alors elle va devoir se racheter. Et pour cela, elle doit le sortir des griffes de ce malade.
Dans cette voiture, chacun pense aux signes qu'ils n'ont pas vu. Chacun ressasse sa culpabilité tandis que leurs pensées sont toutes dirigées vers cette maison qu'ils vont rejoindre. Chacun veut aider cette âme en peine qu'ils ont abandonnée. Chacun veut le sauver, et lui prouver qu'il n'est pas seul.
La voiture file à une vitesse régulière. Déjà, le GPS décompte le temps qu'il leur reste à rouler. Taiju jette un rapide regard, fixant ces numéros qui s'affichent sur son écran.
"Arrivée dans 30 minutes".
***
- Très bien, on répète une dernière fois pour être sûr que tout soit au point.
Il y a dix minutes, la voiture s'est arrêtée à une vingtaine de mètres de leur destination. Depuis leur arrivée, les yeux de Senku sont rivés sur la bâtisse qui se dresse devant eux. Une maison petite, banale, entretenue. Elle a l'air normale à première vue, mais elle semble pourtant tout bonnement repoussante.
- Moi, je m'occupe d'aller sonner à la porte, reprend Tsukasa. Étant donné que ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, je prétexterai un voyage dans la région pour justifier ma venue.
- Nous, on fera le tour de la maison pour trouver une entrée, enchaîne la blonde.
- Hé Tsukasa.
Le concerné se retourne, croisant le regard dur de Senku. À le voir comme ça, il a bien compris qu'il a laissé la peur et l'angoisse de côté, ne laissant plus que la détermination de retrouver Gen.
- Y'a quand même 80% de chances qu'il fasse directement le lien entre ton arrivée et le fait qu'il ait enlevé Gen.
- Oui, c'est même complètement possible.
- Me dit pas que tu n'avais pas envisagé ça dans ton scénario quand même ?
- Bien sûr que si, répond le lutteur. J'ai prévu de prétexter une compétition de lutte dans le coin pour justifier ma visite. Mais le connaissant, il va se méfier tout de suite.
Senku essaye de respirer profondément. Il va être compliqué de berner ce Mozu qui, et il l'a montré, semble être un homme machiavélique.
- Mais il va aussi vouloir sauver les apparences, et il me laissera entrer. Car s'il refuse que j'entre ou qu'il ne m'ouvre pas, il se rendra suspect tout de suite. Donc il me laissera entrer, même s'il sait pourquoi je suis là.
C'est risqué, voire même totalement inconscient. Senku pose à nouveau les yeux sur la maison. Qui sait ce qui peut se trouver dans cette maison ? Peut-être possède-t-il des armes ? Quoiqu'au Japon, posséder des armes à feu est si compliqué qu'il en doute. Mais peut-être qu'il y aura autre chose, quelque chose qui pourrait blesser Tsukasa.
- Je vois très bien ce que tu es en train de te dire, Senku. Et ne t'en fais pas, tout ira bien pour moi.
Ses yeux se posent sur lui, regardant ce sourire apaisant qu'il essaye de lui offrir.
- Dois-je te rappeler que je sais me battre ?
- Il a raison Senku ! ajoute Taiju. Si y'a bien quelqu'un qui peut faire ça, c'est lui !
- Je comprends quand même l'inquiétude de Senku, reprend la blonde. T'as beau savoir te battre, t'es chez lui. Donc il va pas falloir qu'on traîne pour retrouver Gen.
Tsukasa acquiesce. Bien sûr, il sait que sa diversion ne fonctionnera pas indéfiniment. À un moment donné, sa patience atteindra ses limites. Et à ce moment précis, tout peut arriver.
- Bien, prenez vos téléphones, intervient le vert.
Chacun se munit de son cellulaire, ouvrant la conversation qu'ils se sont créée pour l'occasion. Chacun se munit d'un de leurs écouteurs qu'ils enfoncent dans leur oreille. Puis, Senku lance un appel de groupe. De cette manière, Taiju, Kohaku et Senku pourront entendre tout ce que dit Tsukasa. Et de son côté, le lutteur pourra suivre leur escapade en direct. Parce qu'ils vont devoir être rapides, et parfaitement coordonnés.
Tsukasa respire profondément et, aussitôt, il ouvre la portière.
- Dès que je serai dans la maison, à vous de jouer, ne peut-il s'empêcher d'ajouter.
Puis il claque la porte, s'empressant de se diriger vers la porte d'entrée de la maison. Il jette un dernier regard vers la voiture où il voit tous ses amis se glisser de manière à ne pas être visibles. Kohaku garde un œil sur le lutteur, s'assurant de tous ses faits et gestes. De là où elle est, elle le voit sonner à la porte, attendant qu'on vienne lui ouvrir. Et il reste sur le palier, pendant d'interminables secondes. Le temps défile, lentement, sans que personne ne vienne ouvrir. Pour se rassurer, les yeux de Tsukasa se posent sur la voiture garée devant le garage installé juste à côté de la maison. Il y a bien du monde dans cette maison, la présence de cette voiture le confirme.
Senku attend là, le corps plié dans une position inconfortable pour ne pas être vu. Il compte les secondes pour se rassurer, cherchant à s'accrocher à quelque chose pour ne pas sombrer.
Garde ton calme, fais-le pour Gen.
Il inspire à nouveau, laissant l'oxygène dénouer ses poumons. Ce n'est pas le moment de flancher, surtout pas.
- Il est là, déclare Kohaku.
Si Senku n'avait pas eu un minimum de self-contrôle, il se serait précipité sur la fenêtre pour le voir. Jusque là, il n'a vu Mozu qu'en photos, jamais en vrai. Et pourtant, l'homme qui lui a arraché son bonheur se tient là, à une poignée de mètres de lui. Et soudain, une colère sourde se met à bouillir dans ses veines.
Il referme son poing, essayant de faire passer cette émotion parasite. Il doit garder son calme, ne pas flancher, surtout pas.
- Qu'est-ce qu'ils font ? demande Taiju à la blonde.
Ses yeux sont posés sur les deux garçons. De là où elle est, elle ne perçoit pas bien son visage. Mais déjà, elle reconnaît cette carrure. La même qui l'a renversée à la fac tandis qu'elle partait s'entraîner. Ce même homme qui s'est fait passer pour un grand-frère venu dépanner son petit-frère. Un menteur, un homme dangereux.
- Ils... ils discutent sur le palier.
Qu'elle aimerait pouvoir entendre ce qu'ils sont en train de se dire. Mais Mozu est trop loin du micro du téléphone de Tsukasa pour comprendre ce qu'il est en train de dire. Elle devine que Mozu doit essayer de faire son possible pour ne pas laisser Tsukasa entrer. Elle le sait grâce à ses gestes. Il ne veut pas qu'il entre, elle en est certaine.
Une boule se forme dans sa poitrine. Tout repose sur les épaules de Tsukasa. La seconde étape de leur plan ne pourra prendre place uniquement lorsqu'il sera entré dans la maison.
Allez Tsukasa, on compte sur toi.
Et puis, soudain, elle voit les deux silhouettes disparaître dans la maison. Ça y est, il a réussi.
- C'est bon, on peut y aller.
Sans perdre une seconde, elle se rue sur la poignée de la portière. Et aussitôt, elle sent une poigne se refermer sur son poignet.
- Attends encore un peu.
Senku la regarde, lui intimant de ne pas bouger. Ils doivent être sûrs qu'aucun d'eux ne ressortira de la maison. Il ne faudrait pas que Mozu les voit tous sortir d'une voiture qui avait l'air complètement vide il y a quelques minutes encore.
Et heureusement que Senku était là. Elle voit Mozu ressortir, juste le temps de fermer la porte. Il jette un regard suspicieux sur la ruelle, juste avant de fermer la porte de la maison. À ce geste, ils comprennent tous que le temps est compté.
- Vite, ne perdons pas de temps.
Kohaku ouvre la portière et s'empresse de se hisser à l'extérieur. Senku la rejoint, suivi de près par Taiju. Aussitôt, le vert sent une bouffée d'adrénaline engourdir tous ses membres. Ses oreilles se mettent à bourdonner tandis qu'il s'empresse de se ruer vers la maison. Kohaku ouvre la marche, et Taiju la referme, comme convenu.
Dans son oreille, il peut vaguement entendre ce que Tsukasa et Mozu sont en train de se dire. De ce qu'il comprend, ils parlent surtout de banalités. Mais il n'y fait pas trop attention, trop concentré dans sa tâche.
Ils commencent à faire le tour de la maison en passant par le flanc gauche. De là, ils repèrent les fenêtres, autrement dit les possibles points d'accès. Sans perdre une seule seconde, Kohaku couvre toute la surface de recherche, laissant ses yeux aiguisés chercher une possible entrée. Puis, enfin, elle en trouve une.
- Senku, regarde par là.
La fenêtre est haute, complètement hors de portée, comme toutes les fenêtres de la maison. Mais loin de se laisser impressionner, elle pointe un arbre qui se trouve non loin de la fenêtre. La branche qu'elle pointe est assez épaisse. Autrement dit, suffisamment solide pour qu'on puisse grimper dessus.
- Tu vas monter dans cet arbre ?
- Pas le choix. Ça me permettra d'atteindre la fenêtre.
Ils n'ont pas le temps de trouver une autre idée. Déjà, Senku fait un signe à Taiju pour qu'il s'approche. Resté en retrait depuis le début, il s'occupe surtout de faire le guet.
Aussitôt, il comprend ce qu'il va devoir faire. Il se poste juste à côté de l'arbre, prêt à faire la courte échelle pour permettre à la blonde de monter. Sans aucune difficulté, elle grimpe dans l'arbre, rejoignant très rapidement la branche qu'elle voulait.
Pendant ce temps-là, Tsukasa s'efforce de garder Mozu près de lui. Dans l'oreillette, il a entendu Kohaku trouver quelque chose. Ses amis sont donc sur la bonne voie. Mais ce qui le dérange, c'est Mozu qui, depuis tout à l'heure, ne tient pas en place.
- Désolé pour le bazar. Je t'avoue que je ne m'attendais pas à recevoir du monde. Je suis en plein rangement dernièrement.
Il se contente d'acquiescer avec le sourire. Mais ses yeux ne peuvent s'empêcher de se poser un peu partout. Là, il cherche la preuve que Gen est bien dans cette maison. Un vêtement, un livre, n'importe quoi. Mais ce qu'il remarque surtout, c'est ce fameux "bazar" dont parle Mozu. Dans la pièce, on a l'impression que les meubles ont été déplacés, comme si on s'était amusé à les bouger volontairement pour les mettre de travers.
Des images qui ne l'enchantent pas naissent dans sa tête. Là, il voit la main de Mozu attraper le frêle corps de Gen. Il le voit le jeter par terre, ou contre une chaise, ou même une table. Il voit son corps s'écraser par terre tandis que le meuble qu'il a rencontré bouge légèrement de place. Il lui faut inspirer rapidement pour effacer toutes ces images de sa tête. Il doit parler avec lui, leur faire gagner du temps.
- Alors comme ça tu participes à une compétition de lutte ?
- Oui, elle est organisée dans la ville juste à côté.
- Je suis assez surpris que tu connaisses mon adresse. Ça fait un moment qu'on ne s'est pas parlé.
Il le teste, il essaye de retourner la situation à son avantage. Mais Tsukasa n'est pas du genre à se laisser berner.
- Gen et toi aviez parlé de cette maison juste avant votre emménagement, répond-il le plus calmement du monde. Gen m'avait donné l'adresse pour que je puisse venir vous rendre visite si je le voulais.
Bien évidemment, c'est totalement faux. Mais l'un comme l'autre le sait : Gen aurait pu faire ça.
Soudain, un bruit sourd les coupe dans leur conversation. À l'étage, il entend que quelque chose vient de tomber. Vu le bruit, il s'agissait de quelque chose en verre. En tout cas, il a entendu quelque chose se casser.
Il voit Mozu relever rapidement la tête vers l'étage tandis qu'un blanc règne dans la pièce. La tension est palpable et, bientôt, Mozu jette un regard étrange à Tsukasa.
- C'est rien, ajoute-t-il. C'est juste le chat.
- Oui, ça peut arriver.
Ce n'était pas un chat, il en est persuadé. Et à travers ce regard, Tsukasa voit que Mozu comprend lentement son petit jeu. Tous les deux, ils savent pertinemment ce qui a causé ce bruit. Et ce n'était pas un chat.
Dehors, Kohaku a réussi à s'approcher de la fenêtre. D'un geste habile, elle parvient à l'atteindre. Rapidement, elle pousse un peu dans tous les sens pour essayer de l'ouvrir. Mais rien à faire, la fenêtre ne cède pas. Elle est fermée de l'intérieur.
- Et merde, peste-elle.
Kohaku se tourne vers les deux garçons restés en bas. D'un geste de la tête, elle leur indique qu'elle ne parvient pas à ouvrir la fenêtre. Il y avait peu de chance pour qu'elle soit ouverte, mais ils devaient envisager cette possibilité. Mais les voilà à nouveau bloqués. Sans cette fenêtre, ils n'ont pas d'autre point d'entrée.
Du regard, elle semble demander à Senku ce qu'ils doivent faire. Il réfléchit à toute allure, envisageant toutes les possibilités. Tsukasa est au rez-de-chaussé avec Mozu et il serait trop risqué pour lui de se glisser à l'étage pour venir leur ouvrir. Ils ne peuvent pas passer par la porte d'entrée car ils se retrouveraient forcément face à Mozu.
On n'a pas d'autres options que cette fenêtre.
Les yeux carmins de Senku se relèvent vers Kohaku. En un regard, elle comprend qu'il n'y a pas d'autres solutions. Ils doivent passer par cette fenêtre, à tout prix.
À son tour, elle réfléchit à toute vitesse. La fenêtre juste devant elle, cette dernière semble la narguer. Elle est si proche d'entrer dans la maison et pourtant, il y a cette fenềtre. Cette maudite fenêtre.
Tant pis, elle va faire ce qu'elle sait mieux faire. Depuis toute petite, elle n'a jamais fait dans la dentelle.
- Tsukasa, je vais devoir casser une fenêtre de l'étage pour entrer. Mozu va forcément l'entendre donc il va falloir que tu le retiennes à tout prix. Désolée de t'imposer ça.
De l'autre côté du fil, Tsukasa a tout entendu, tout comme Senku et Taiju. En entendant ça, Senku s'est relevé. Elle ne doit surtout pas faire ça, ce serait la pire chose qu'elle puisse faire.
- Non Tsukasa ne fais rien !
Mais c'est trop tard. De son côté, Tsukasa a parfaitement compris qu'ils n'ont pas d'autre choix pour entrer dans la maison. Après tout, c'est pour cette raison qu'il est devant Mozu à cet instant. Pour faire diversion, pour le retenir un maximum, pour qu'ils puissent agir de leur côté. La confrontation devait arriver tôt ou tard, et tant pis si elle arrive plus tôt que prévu.
D'un geste rapide, Tsukasa attrape une bouteille de bière vide abandonnée sur la table. Son corps se déplace si soudainement que Mozu n'a pas eu le temps de réagir. Il a vu la bouteille s'approcher de son visage, mais il n'a pas eu le temps de se protéger. Déjà, la bouteille se fracasse sur son crâne, explosant cette dernière en de milliers de petits morceaux. Et de l'autre côté du fil, ils ont tous entendu ce qui se passe.
L'affrontement a commencé.
- Taiju, file moi une grosse pierre !
Sans perdre un instant, il attrape une pierre qu'il trouve sur le sol. Il la lance vers Kohaku qui, une fois réceptionnée, ne perd pas une seconde. D'un geste sec, elle vient casser la vitre, brisant le verre en plusieurs morceaux tous plus acérés les uns que les autres. Elle passe la pierre tout autour de la fenêtre, dégageant tous ces morceaux coupant.
- Vite ! Ramenez-vous !
Elle entre dans la pièce et, sans perdre un instant, Senku se risque à emprunter la même voie qu'elle. Parce qu'il n'a pas son agilité, il manque de tomber à plusieurs reprises. Mais il ne doit pas abandonner, ni même avoir la moindre once de peur. Déjà, il entend les cris de Tsukasa et de Mozu résonner en bas.
À son tour, il pénètre dans la pièce. Cette fenêtre donnait sur un bureau minuscule. Et en quelques instants, Taiju les rejoint. Ils sont au complet.
En bas, les coups pleuvent des deux côtés. Tsukasa fait tout ce qu'il peut pour les éviter mais, à cause des réflexes de Mozu, il lui arrive d'en prendre quelques-uns. Mais ce n'est plus Mozu qu'il a devant lui. Ce garçon n'est rien d'autre qu'une bête sauvage déchaînée, bien décidée à se battre pour garder le butin qu'elle a durement chassé. Il a beau être un lutteur entraîné, il ne pourra pas tenir bien longtemps face à ce déchaînement de violence incontrôlé.
- Faites vite ! crie-t-il en espérant être entendu.
Mozu se redresse, se mettant à nouveau en position pour lui sauter dessus.
- J'en étais sûr. T'es venu pour lui, pas vrai ?
- Parce que tu pensais qu'on allait rester dans notre coin sans rien faire ?
Il n'a jamais vu une telle folie dans ses yeux. S'il ne savait pas se battre, Mozu aurait sûrement cherché à le tuer, là, maintenant.
- Il est à moi, je ne te laisserai pas repartir avec lui !
Puis il se jette sur lui. Tsukasa parvient à l'éviter mais... pour combien de temps encore ?
À l'étage, les trois amis se sont rués hors du bureau. La maison n'est pas bien grande, ils le trouveront rapidement. Sans perdre un instant, ils cherchent à ouvrir toutes les portes qu'ils trouvent.
- Gen ! crient-ils.
Mais le bruit des garçons se battant au rez-de-chaussée couvrent leurs voix. Même si Gen venait à les appeler, ils ne sont pas sûrs qu'ils l'entendraient.
Et puis, soudain, une porte résiste. Senku réessaye, mais elle ne s'ouvre pas. Elle est fermée à clé.
Il est là, il est forcément là.
- Gen ! Gen tu es là ?!
Il tambourine à la porte tandis qu'il essaye d'entendre si on lui répond. Mais rien à faire, le boucan ne lui permet pas d'entendre. Il faut qu'il entre, maintenant.
- Taiju ! Ramène-toi vite !
Sans perdre un instant, il s'approche de la porte.
- Il faut la défoncer, vite !
- Je m'en charge !
- Gen, si tu es derrière la porte pousse toi ! Taiju va la défoncer, ajoute la blonde en s'approchant.
Puis, chacun recule, laissant Taiju faire. Une première fois, il se jette sur la porte, mais elle ne cède pas. Senku sent son cœur tambouriner comme un fou dans sa poitrine. L'adrénaline est telle qu'il a la tête qui tourne. Mais grâce à elle, il parvient à garder pied et à ne pas sombrer.
Vient le deuxième coup. Et cette fois-ci, la porte cède. Sans perdre un seul instant, Senku et Kohaku se précipitent dans la chambre. Et c'est alors qu'ils l'ont vu.
Il est là, sur le lit, dans un coin. Son corps entier est recroquevillé, cherchant à s'éloigner le plus possible de cette porte qui l'effraie. Sur son visage, il voit une terreur profonde qui déforme ses traits. Ses yeux noirs appellent à l'aide tandis que tout son corps ne demande qu'à fuir. Mais il ne peut pas, parce que ses mains sont attachées ensemble sur la tête de lit.
Il lui faut quelques secondes pour comprendre qui se tient devant lui. Avec tout ce bruit si soudain, la peur a pris le dessus. Par réflexe, il s'est reculé, cherchant à disparaître dans un coin pour échapper à toute cette violence. Mais voilà, il a croisé ses yeux carmins quand il est entré, et soudain, le monde a repris des couleurs.
Senku n'a pas le temps de réaliser qu'il se trouve juste devant lui. La première chose qui lui vient à l'esprit, c'est qu'il doit couper ses liens pour le libérer. Son corps bouge tout seul et le voilà qui attrape la première chose qui lui passe sous la main. À ses pieds, il voit une lampe, brisée. Tombée sur le sol, de gros morceaux de verre s'étalent par terre. Sans perdre une seconde, il en attrape un. Pris par la précipitation, il sent qu'il se coupe, mais il n'en a rien à faire. Tout ce qui compte, c'est de le sortir de là.
Il se rue sur le lit, se précipitant vers ces liens qui le maintiennent attachés. Grâce au tranchant du verre, il parvient à couper les liens. Aussitôt, le voilà libéré. Enfin, il peut bouger ses mains et ses bras. La première seconde, il regarde sa main libre. La deuxième, il sent son corps être emporté dans une étreinte qu'il a attendu depuis tout ce temps.
Les yeux exorbités, Senku n'arrive pas à réaliser qu'il est là, devant lui, dans ses bras. Par réflexe, sa main se pose sur son crâne tandis qu'il le serre contre lui. Ils ne disent rien, ils sont incapables de parler. Leurs corps parlent à leur place.
Mais l'heure n'est pas aux embrassades. Il faut qu'ils partent au plus vite, avec lui.
- Tu peux marcher ? lui demande le vert tandis que son regard vient se plonger dans le sien.
Il acquiesce d'un signe de tête, incapable de dire quoi que ce soit.
- Bien, on y va !
Sa main attrape la sienne et, sans perdre un instant, ils sortent tous de la pièce. Cette fois-ci, Kohaku et Taiju passent devant, protégeant leurs deux camarades.
- Tsukasa ! Il est avec nous !
Dans sa main, Senku le sent trembler de tout son soûl. Alors, il resserre son étreinte.
- T'inquiète pas, c'est fini, murmure-t-il tandis qu'il avance.
Il a parlé tellement bas qu'il n'est pas sûr que Gen l'ait entendu. Peut-être que ces paroles n'étaient pas pour Gen, mais plutôt pour lui. Parce qu'il a besoin lui aussi de se rassurer car la présence de la main de Gen dans la sienne ne suffit pas. Rien ne suffira tant qu'ils ne seront pas sortis de cette maison.
Ils descendent les escaliers et, aussitôt, leurs regards se posent sur la scène qui se déroule dans le salon. Tsukasa est là, essayant tant bien que mal de maintenir un Mozu enragé à une distance suffisante.
Ils descendent mais, dans son dos, Senku sent Gen s'accrocher à lui. Il cherche à se cacher de cette violence dans le salon, cette violence qu'il a trop longtemps endurée. Par réflexe, Senku le maintient derrière lui, cherchant à tout prix à lui épargner la vue de ce qui se passe dans le salon. Mais Mozu en a décidé autrement et, alors qu'il est encore aux prises de Tsukasa, son visage se tourne vers eux. Là, pour la première fois, ses yeux noisettes saisissent le regard carmin de Senku.
Cet échange n'aura duré qu'une brève seconde. Et pourtant, cela a suffi à Senku pour sentir un violent frisson lui parcourir l'échine. Pour la première fois, il a pu regarder dans les yeux cette personne qui a cherché à lui voler sa vie. À travers ses yeux, il a vu toute la folie qui possède son corps. Une folie si puissante qu'elle semblait vouloir se jeter à la gorge du vert. Mozu est impressionnant, mais Senku n'a pas ressenti de crainte ou de peur en le regardant. Tout ce qu'il a senti, c'est une puissante colère envers lui. Il ne sait pas se battre, il ne s'est même jamais battu de sa vie. Pourtant, l'envie de laisser son poing embrasser son visage s'est faite forte, invasive. Seule la main qu'il garde dans la sienne lui a permis de revenir sur Terre. L'heure n'est pas à la colère. La priorité, c'est de mettre Gen en sécurité, hors de cette maison.
Mais Mozu ne compte pas se laisser faire. Ses yeux se sont posés sur Senku et, juste après, il a vu le visage de Gen. Dissimulé derrière le vert, il a vu son expression. Pire que ça, il a vu sa main enroulée autour de celle de Senku. Et cette simple vue à suffi à le faire sortir de ses gonds.
- ENFOIRÉÉÉÉÉÉ !
Il s'est rué vers Gen, faisant fi de la poigne de Tsukasa qui s'efforçait de le maintenir. Plus rien ne peut retenir son corps de se jeter sur le bicolore. Car s'il ne le fait pas, il le perdra, encore une fois. Et après tout le mal qu'il s'est donné pour le retrouver, il ne peut pas le laisser partir.
Il se jette sur lui mais un nouvel obstacle se dresse devant lui. Une tignasse blonde ramenée en une queue de cheval, un corps chétif. En clair, un obstacle loin d'être insurmontable. Et c'est à cause de cette première impression qu'il ne s'est pas méfié de sa puissance.
Son premier réflexe a été de l'attraper par l'épaule pour la dégager du passage. Mais à peine sa main s'est-elle posée sur elle que Kohaku a attrapé son bras, le tordant dans un angle loin d'être naturel. Un cri atroce s'échappe de sa gorge tandis qu'il sent ses jambes faiblir. Pour parfaire sa prise, la blonde lui assène un coup dans les côtes avant d'enchaîner sur son visage. Il tombe en arrière, soudainement étourdi.
- Vite, allez-y ! hurle Kohaku en se tournant vers Gen et Senku.
Sans se poser la moindre question, Senku s'empresse de descendre les dernières marches. Là, au sol, il voit Taiju essayer de maintenir Mozu qui, malgré les coups de Kohaku, se débat comme un forcené. Très vite, Tsukasa le rejoint. Mais même à deux, ils ne parviennent pas à retenir cette bête féroce au sol. Il jette sa tête en arrière, frappant de plein fouet le nez de Tsukasa. Pendant quelques secondes, des tâches noires viennent voiler sa vision tandis qu'il se sent basculer sur le côté. Quant à Taiju, il a beau être musclé, il n'est pas un bon bagarreur. Il essaye de maintenir Mozu, mais ce dernier réussit facilement à se débarrasser de lui.
Gen et Senku se sont rués vers la porte d'entrée. Ils ne sont plus qu'à quelques mètres mais, déjà, Gen voit Mozu se rapprocher d'eux. Il est là, debout, froid, prêt à leur sauter dessus au moindre mouvement. Gen aimerait crier mais sa voix se meure dans sa gorge. Une terreur sourde lui dévore les entrailles tandis que son corps entier tremble comme une feuille. Il aimerait disparaître, s'en aller loin de toute cette violence. Mais tout ce qu'il réussit à faire, c'est reculer, et s'accrocher de toutes ses forces au bras de Senku.
Cette pression attire son attention. Aussitôt, Senku se retourne, croisant le regard de Mozu. Par réflexe, il se place devant Gen, prenant soin de le garder derrière lui. Mozu s'avance, prêt à en découdre. Ses yeux terrifiants regardent ce garçon à la drôle de chevelure qui se tient devant lui. Il le détaille et, malgré lui, il ne peut retenir un sourire amusé. Alors c'est avec lui que Gen l'a remplacé ?
Senku s'empresse d'analyser tout son environnement. Il sait très bien qu'il ne fera pas le poids face à lui. Pourtant, il va devoir se défendre. Pour protéger Gen, il va devoir lui tenir tête, et certainement encaisser quelques coups. La seule chose qu'il parvient à attraper, c'est un parapluie qui traînait dans l'entrée. Cet acte ne fait qu'accentuer la moquerie de Mozu. Encore une fois, il s'avance. Et Senku dresse tant bien que mal cette arme de fortune face à lui, comme si cela allait lui permettre d'échapper à sa colère meurtrière.
Mais c'était sans compter sur le blonde qui, lentement, s'approche derrière Mozu. D'un pas léger, elle prend tout l'élan dont elle a besoin. Armée d'une chaise qu'elle a pris dans le salon, elle l'a soulève de toute sa hauteur. Pris par son irrépressible envie d'attraper Gen, Mozu ne l'a pas entendue. Alors, de toute sa force, elle abat la chaise sur lui. La force est telle que la chaise se brise en morceaux tandis qu'elle voit le corps de Mozu tomber en avant.
Pendant des secondes interminables, plus personne ne bouge, paralysé par la peur. Senku entend le souffle erratique de Gen dans son oreille et sent ses tremblements dans sa main. Et puis, soudain, il y a des grognements qui s'échappent de Mozu.
- C'est le moment ! crie Kohaku. Sortez tous les deux !
Senku parvient à recouvrer ses esprits, du moins ce qu'il faut pour se ruer avec Gen vers la porte d'entrée. Là, il pose sa main sur la poignée et s'empresse de la tourner. Mais malgré la force qu'il y met, la porte ne s'ouvre pas.
Il a fermé à clé.
Il lui faut quelques instants pour s'en rendre compte. Puis, il lui faut une seconde pour comprendre que personne ne pourra enfoncer la porte. Faite pour être résistante, même Tsukasa ne parviendra pas à ouvrir cette porte de force.
- La... la porte est fermée !
Il entend Kohaku jurer. Puis, la seconde d'après, ils sont rejoints par Tsukasa et Taiju, restés dans le séjour depuis tout à l'heure, assommés par la force de Mozu. Ils ont eux aussi entendu ce que Senku a dit. Et à cause de la situation, Tsukasa s'est senti perdre patience.
Sans perdre une seconde, il s'approche vers Mozu, étendu sur le sol. Il l'attrape et le retourne sans aucune douceur. Puis, il frappe. Une fois, deux fois, trois fois. Dans cette position, Mozu est complètement soumis à cette force qui le maîtrise.
- Où est-ce que t'as mis la putain de clé ?!
Personne n'avait jamais vu Tsukasa dans un état pareil. Senku, resté du côté de la porte avec Gen, sent une étrange gêne naître au fond de lui. Il savait que Tsukasa était un monstre, mais pas à ce point.
- Où est la clé ?!
- Tu penses vraiment que je vais te le dire ?
Malgré sa situation, Mozu sourit. Un sourire terrifiant, mais il sourit. Cette vision suffit à provoquer chez Tsukasa une colère noire. Mais l'instant d'après, cette colère s'évanouit. Pendant une seconde, il se rend compte de ce qu'il est en train de faire, mais surtout dans quelle situation il se trouve. Il est là, en train de passer à tabac un ami à lui, un ami qu'il a connu il y a des années et avec lequel il a passé d'incroyables moments en compagnie de Gen. Et voilà qu'il le regarde, le visage ensanglanté, un sourire fou scotché au visage.
- Comment t'as pu en arriver là ?
Le poing juste au-dessus de son visage, Tsukasa ne peut s'empêcher de lui parler. Il ne peut pas croire que, depuis le début, Mozu était ce genre de monstre. Il ne peut pas croire qu'il a laissé Gen quitter son quotidien infernal pour se retrouver piégé dans les bras d'un homme violent.
- Comment t'as pu faire une chose pareille, hein ?
Les mâchoires de Mozu se serrent, comme s'il empêchait tout le venin d'en sortir. Mais il ne peut s'empêcher de répondre. Parce qu'il est en colère, une colère que personne ne pourra jamais comprendre.
- Parce que je l'aime, putain.
Il n'y avait aucune tristesse dans sa voix, rien qu'une colère sourde. Tout son corps n'est que colère, une colère qu'il ne parvient pas à contenir.
- Et aussi parce qu'on s'aime. On a eu des hauts et des bas mais on peut passer au-dessus de ça !
- Il a refait sa vie bon sang !
Au fond de la pièce, Senku resserre son étreinte autour de la main de Gen. Il aimerait s'épargner toutes ces paroles éhontées de la part de Mozu. Et par-dessus tout, il aimerait que Gen n'ait pas à entendre ça. Mais aucun des deux ne peut échapper à ce flot de paroles corrosives. Elles ruissellent sur eux, déchiquetant leurs chairs et leurs vêtements tandis qu'un puissant sentiment de dégoût les dévore.
Senku ne peut s'empêcher de se tourner vers Gen. Là, il espère attraper son regard pour lui intimer que tout se passera bien. Et là, pour la première fois, il se rend compte dans quel état est son visage.
Sa pommette droite est gonflée, laissant les débuts d'un hématome se former. Sur ses lèvres fines, il voit une plaie en train de cicatriser. Quant à son oeil droit, un hématome noir s'étand sur sa paupière, dissimulé par sa mèche de cheveux blancs.
- Ce n'est pas de l'amour, ça.
Senku a pensé tout haut. Pour la première fois, il s'adresse directement à lui.
- Tu ne peux pas prétendre l'aimer alors que tu ne fais que passer ta colère sur lui.
- MAIS QU'EST-CE QUE TU SAIS DE NOUS PUTAIN ?
Il y a une poignée de minutes, il a vu en Mozu un homme puissant, capable de tout par la force de ses poings. Mais maintenant qu'il le voit dans cette position, il le trouve tout bonnement ridicule.
- Je ne sais rien de vos années de relation, reprend le vert. Mais tout ce que je sais, c'est que tu n'éprouves pas de l'amour pour lui.
Derrière lui, il sent la deuxième main de Gen se refermer autour de la sienne. Puis, il sent son front se poser sur son épaule. Avant aujourd'hui, jamais personne n'avait formulé ce qui lui arrivait de la sorte.
- Tu dis que de la merde, ajoute Mozu.
- Non, il a raison.
Cette fois, tous les visages se tournent vers le concerné. Resté en retrait depuis le début, il n'a pas dit un mot. Mais désormais, il ne peut plus se taire. Il ne peut pas garder le silence face à ce qui lui arrive. C'est impossible.
- Peut-être que tu m'as aimé au début, mais dès que nous avons emménagé ensemble, j'ai ressenti toute l'aversion que tu avais pour moi. Tu pensais m'aimer, mais en réalité, tu aimais juste l'idée de pouvoir contrôler quelqu'un.
Sa voix est si faible et, pourtant, Senku perçoit toute la force de ses paroles dans son discours. Des paroles qu'il a longtemps gardées pour lui, des paroles qu'il ne peut plus laisser ainsi.
- Et moi non plus, je ne t'ai jamais aimé. Depuis qu'on est ados... je t'ai juste vu comme une porte de sortie pour partir de chez moi. Mais en réalité... je n'étais pas amoureux de toi.
- Non tu dis n'importe quoi ! On a passé de bons moments toi et moi tu ne peux pas nous les retirer !
- Oui on a passé de bons moments, reprend-il, des bons moments que je n'oublierai pas. Mais il y a eu trop de mauvais moments pour qu'ils signifient quoi que ce soit pour moi.
Depuis qu'il a embrassé les lèvres de Senku pour la première fois, il a compris ce que voulait dire "être aimé". Il a compris que lorsqu'on aime quelqu'un, on fait son possible pour qu'il puisse vivre dans le meilleur environnement possible. On l'accompagne, on l'encourage, on est là pour lui. On fait attention à lui, on le chérit, on l'aime. Mais cela ne prend certainement pas la forme de toute cette violence qu'il a connue.
- Alors maintenant, je te demande juste de me laisser partir.
- Non... tu ne peux pas juste partir et...
- Si, je dois partir ! Laisse-moi partir et vivre ma vie ! Si tu prétends un temps soit peu m'aimer alors fais ça pour moi et laisse moi rentrer chez moi !
Un jour, il est venu et, avec sa main puissante, il l'a emmené avec lui. Sans lui demander son avis, il l'a tiré jusque dans sa voiture pour le ramener dans une région et une ville qu'il a fui. Sans même lui laisser le choix, il l'a ramené entre ces murs qu'il déteste. Dans cette maison, il a prétendu l'aimer. Et les seules fois où son amour se faisait sincère, c'est lorsque les coups pleuvaient sur son corps qu'il recroquevillait pour se protéger.
Gen a envie de pleurer mais, au milieu de cette pièce, il n'en a plus la force. Tout ce qu'il veut, c'est sortir d'ici, et retrouver sa vie. Il serre la main de Senku comme si cette dernière allait lui échapper, comme s'il allait se réveiller et se retrouver à nouveau dans le lit à l'étage, dans les bras d'un homme qui le répugne.
- Non... je ne peux pas...
- Mozu, reprend Tsukasa, laisse nous partir.
Ses yeux marrons se plongent dans le regard de Mozu. Là, au milieu de toute cette folie, il espère trouver un semblant de lucidité. Il espère qu'il se rendra compte de cette situation et qu'après tout ce qu'il a fait, il ne peut pas ordonner à Gen de rester à ses côtés. Pour son bonheur, il ne peut pas le garder enfermé dans cette maison.
Enfin, Tsukasa voit ses yeux briller d'une lueur nouvelle.
- Dans le buffet, tiroir à droite.
Sans perdre un instant, la blonde se rue sur ledit tiroir. Elle fouille comme une folle, craignant que Mozu ne change d'avis à tout instant. Malgré ce semblant de résignation, Tsukasa et Taiju restent sur leurs gardes. Il s'agirait de garder la situation sous contrôle, rien qu'un petit peu.
- Je l'ai !
Kohaku s'empresse de glisser la clé dans la serrure. Enfin, elle entend le cliquetis d'une serrure qui s'ouvre, les libérant enfin de cette maison. Elle ouvre la porte et, tout comme tous les autres, elle s'empresse de sortir d'ici. Sans même un regard en arrière, ils se dépêchent de rejoindre la voiture. Là, pendant les vingt mètres qui les séparent de la voiture, Gen a l'impression que Mozu pourrait revenir à tout instant. Pire, il a l'impression de le sentir dans son dos, s'attendant à ce que sa main se referme sur son poignet pour le tirer en arrière et le ramener dans cette maison qu'il déteste.
Mais il n'en est rien. Senku ouvre la portière et se décale pour le laisser entrer. Sans perdre une seconde, il s'engouffre dans la voiture, le cœur battant à toute allure. Puis, Senku entre à son tour, refermant la portière juste après. Son corps entier tremble tandis que l'adrénaline fait pulser son cœur dans sa tête. Pendant encore quelques secondes, il sent une terreur horrible le dévorer. Puis, Taiju démarre la voiture. Et en à peine quelques secondes, elle démarre en trombe, les emmenant tous loin de cette demeure maudite.
Quand la voiture a démarré, Gen n'a pas pu empêcher sa main d'attraper celle de Senku. Sans même le regarder, il a attrapé sa paume, la serrant de toutes ses forces. Et il n'a desserré sa poigne que lorsqu'un panneau lui a indiqué qu'ils venaient de quitter la ville.
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OMG trop de tension dans ce chapitre. Ça faisait hyper longtemps que je n'avais pas écrit une scène de baston. Il faut dire qu'avec ce genre d'histoire, la baston se fait plutôt rare 😂.
J'espère que ce chapitre vous aura plu ! Senku a enfin récupéré Gen ça y est ! Mais dans quel état va-t-il le retrouver ? Va-t-il réussir à revivre normalement après ce qu'il vient de vivre ? Réponse dans le prochain chapitre. En attendant, vous devrez vous contenter de ça et de savoir que Gen est sain et sauf (ou presque). Je vous retrouve donc jeudi pour la suite !
A bientôt~
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