Chapitre 20 : Pour des mots que tu as gardés pour toi
- Bon Senku essaye de te concentrer parce que sinon je sens qu'on y sera encore demain.
Ce n'est pas dans les habitudes de Chrome de perdre patience. Mais depuis ce matin, Senku n'est pas concentré, il est complètement ailleurs. Et c'est bien la dernière chose dont ils ont besoin. Nous sommes presque à la mi-février et les examens approchent à grands pas. D'autant plus que ce sont les derniers examens pour valider leur année. Ensuite, ils passeront en troisième année, du moins si tout se passe bien.
D'ordinaire, c'est plutôt Senku qui a tendance à aider Chrome dans ses révisions. Étant donné qu'il a toujours un train d'avance sur tout le monde dans la promo, il est une sorte de "professeur particulier" que Chrome est ravie d'avoir. Surtout en ce qui concerne la physique, c'est-à-dire son plus gros point faible. Mais aujourd'hui, Senku est totalement ailleurs, forçant Chrome à lui-même le corriger dans ses explications. Et pour que ce soit lui qui doive mettre le doigt sur ses erreurs, c'est bien qu'il y a un problème.
Senku passe une main sur son visage, comme si cela allait suffire pour balayer toute la fatigue qu'il a accumulée. Il essaye de se concentrer, mais c'est plus fort que lui. Ses pensées ne sont clairement pas du côté de la physique.
- Donc, on reprend. Si on doit baser ça sur la vitesse de la lumière dont la formule est la suivante...
Chrome s'empresse de griffonner la formule sous le regard de Senku. Les bras croisés sur la poitrine, il regarde d'un œil distrait ce qu'il est en train de faire.
- Nan tu te trompes, ajoute le vert en regardant la feuille. La formule pour calculer la vitesse c'est V = D/T. T'es en train de calculer la distance là.
Chrome s'arrête sur sa feuille, regardant son calcul qui, il le conçoit, n'est pas le bon.
- T'abuses Chrome, souffle le vert, cette formule c'est du niveau seconde.
- Ça va, je n'ai juste pas fait attention.
Il raye ce qu'il était en train d'écrire, remplaçant la formule par la bonne.
- Donc, si V = D/T, alors...
Il vient frotter son front avec son stylo, signe qu'il réfléchit.
- N'oublie pas de rajouter c dans la formule. On se base sur la vitesse de la lumière dans le vide.
- Non, ce n'est pas ce qui est dit dans l'énoncé.
Chrome glisse la feuille jusqu'à Senku. Il pose les yeux dessus pendant quelques secondes, juste ce qu'il faut pour se rendre compte de son erreur.
- Ah, en effet.
- Bon c'est bon j'en ai marre.
Il met la feuille de côté, agacé par ce problème qu'il ne parvient pas à résoudre. Et ce n'est pas avec un Senku aussi distrait qu'il va réussir à faire quoi que ce soit.
- Déjà que je suis nul en physique, si tu continues à me dire autant de conneries, tu vas juste m'embrouiller.
Il ne répond pas, ne trouvant rien pour rétorquer. En même temps, il n'a pas vraiment tort. Son cerveau n'est pas concentré sur la physique actuellement.
- Maintenant tu me dis ce qui ne va pas.
Chrome vient planter son regard dans celui du vert. Surpris, Senku écarquille légèrement les yeux. C'est assez rare que Chrome demande à ce qu'il se confie à lui. D'ordinaire, il le comprend directement, sans même lui demander ce qui ne va pas. Mais aujourd'hui, il est perdu, alors il a besoin que le vert éclaire sa lanterne.
Senku laisse un léger silence planer. Il n'a pas vraiment envie d'en parler. Après tout, ce genre de problème ne regarde pas son ami scientifique. Mais en même temps, peut-être que ça lui fera du bien de se confier, juste quelques instants.
- Je m'inquiète pour Gen.
Chrome vient se caler dans le fond de sa chaise tout en croisant les bras. Il se doutait bien que la source de ses ennuis serait une certaine tête bicolore. Il reste ainsi, le laissant vider son sac.
- Il ne va pas bien dernièrement et je ne sais pas pourquoi.
En parlant, Senku s'est rapproché de la table. Il a croisé les bras pour y déposer sa tête dessus, le regard tourné vers la fenêtre à sa droite.
- Et il ne te dit rien, je présume ?
- Si, mais je suis sûr qu'il me ment.
Alors ça, il ne s'y attendait pas. Depuis que Senku et Gen sont ensembles, Chrome a eu l'occasion de voir qu'ils filaient le parfait amour. Et d'après ce que Ruri lui a dit, c'est également le cas pour Gen. Alors que Senku se sent à ce point abattu, c'est qu'il a dû se passer quelque chose.
- Ça a commencé quand ?
- En Janvier. Il est ailleurs, les yeux constamment rivés sur son téléphone, tendu comme un arc.
Ce qu'il lui dit lui fait penser à ce que Ruri lui avait dit un jour. En parlant avec lui, elle lui avait dit que plusieurs fois dans la journée, Gen s'était éclipsé de cours pour répondre au téléphone. Elle avait ajouté qu'il semblait tendu lorsqu'il revenait en cours. Elle avait cherché à creuser, mais Gen avait évité le sujet. Ce jour-là, Chrome lui avait dit de ne pas s'en faire, tout en ajoutant que parfois, on a des problèmes personnels qu'on ne veut pas partager.
Mais ça semble bien plus compliqué que ça.
Il n'imaginait pas que Senku était lui aussi inquiet à ce point.
- Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il te ment ?
- Parce que son histoire ne tient pas debout.
Senku hésite avant de continuer. Pour que Chrome comprenne de quoi il parle, il va falloir qu'il en dévoile un peu plus sur le passé du bicolore. Mais est-ce qu'il a le droit de lui faire ça ?
Si je reste évasif, ça devrait aller.
Ses yeux carmins se posent sur Chrome qui, comme il l'a deviné, ne semble rien comprendre.
- Pour la faire courte, Gen a coupé les ponts avec son père. Et la dernière fois, il m'a sorti qu'il était revenu et qu'il voulait le revoir.
- Ok, et ?
- Eh bien quand on en a reparlé, la version qu'il m'avait donnée avait quelque peu changé. Un jour, sa mère est au courant, le lendemain elle l'ignore. Puis le lendemain il me dit lui avoir parlé et le soir il me dit qu'il ne lui a pas parlé de la journée malgré ses relances.
Chrome fronce les sourcils à son tour. Il n'est pas très doué pour remarquer le mal être des gens, mais il faut avouer que là, ça semble flagrant. Gen, qui a pourtant si bien manipulé Senku pour qu'il ne capte rien à son anniversaire surprise, se retrouve à mentir comme un arracheur de dents, qui plus est, en mentant mal.
- Y'a pas longtemps, son téléphone a sonné quand j'étais là. Dès qu'il a compris que j'avais vu, il s'est empressé de raccrocher. Et quand je lui ai demandé pourquoi il ne répondait pas, il s'est braqué.
- T'as pensé à regarder dans son téléphone pour voir ce qui se passait ?
Senku tourne la tête vers Chrome, une étrange grimace sur le visage. Chrome comprend qu'il vient de dire quelque chose qui ne fallait pas.
- Bah quoi ?
- Fouiller dans son téléphone ? Et la vie privée, ça te parle ?
- Bah j'en sais rien. Ruri et moi on connaît le code de chacun et ça ne nous dérange pas que chacun aille regarder dans le téléphone de l'autre.
- Ouais bah on n'est pas comme vous.
Pour lui, c'est impensable de regarder dans le téléphone de l'autre. Aujourd'hui, même si on ne s'en rend pas compte, un téléphone renferme une bonne partie de notre vie privée. Regarder dedans sans l'accord de l'autre reviendrait à pénétrer un endroit que l'on ne veut pas montrer. Ce n'est pas parce qu'on est en couple qu'aucun des deux n'a le droit d'avoir son jardin secret.
- Je comprends ton point de vue, ajoute Chrome. Mais tu ne crois pas que vu les circonstances ça serait un mal pour un bien ?
Chrome n'a pas forcément tort. Mais une partie de lui ne peut pas se résoudre à le faire. Quand il a surpris Gen en train de fouiller dans son téléphone, ça l'a profondément agacé. Il ne se voit pas renouveler cela avec Gen tout en sachant qu'ils se sont disputés à ce sujet. Mais pourtant, il se dit que s'il faisait ça, il pourrait sans doute en savoir un peu plus sur ce qui tracasse Gen à ce point.
- Ça reviendrait à trahir sa confiance, répond Senku. Et je crois qu'il n'a pas besoin de ça en ce moment.
- Mais pourtant il te ment, non ?
Encore une fois, son regard vient se poser sur son ami.
- Qu'est-ce que tu sous-entends ?
- S'il te ment, la confiance est déjà brisée.
Il lui faut quelques secondes pour assimiler ce qu'il vient de lui dire. Une part de lui ne veut pas admettre ce qu'il est en train de lui dire mais, la deuxième partie, elle, est plutôt lucide.
Il a raison.
- Chrome, je n'arrive pas à savoir si tu es de bon conseil ou tout l'inverse.
- Je ne fais que t'apporter mon point de vue, c'est tout.
Mais cela ne le fait pas avancer davantage, bien au contraire. Il s'avachit sur sa chaise, laissant son visage tomber en arrière. Décidément, il ne parvient pas à s'extirper de cette situation. Et plus le temps passe, moins il sait comment il doit agir avec Gen.
- Je ne sais pas quoi faire, avoue-t-il enfin.
- Va lui parler. Et cette fois, met le devant le fait accompli. Dis-lui que tu sais qu'il te ment et que tu veux des explications.
- Mais s'il me ment, peut-être que c'est parce que c'est quelque chose dont il ne veut pas me parler. Qui te dit que ça résoudra le problème si je le force à tout m'avouer ?
Ce qui l'inquiète, c'est surtout l'idée de devoir forcer Gen à parler. Depuis qu'ils se connaissent, Senku ne l'a jamais obligé à quoi que ce soit. Il l'a toujours laissé venir vers lui pour lui parler, il ne l'a jamais obligé à se confier.
- Peut-être que ça ne résoudra pas le problème, et peut-être que ça le résoudra, répond Chrome en haussant les épaules.
- Super, je vais aller loin avec une rhétorique pareille, ne peut s'empêcher d'ajouter le vert.
Il savait qu'il n'aurait pas dû lui demander des conseils. Chrome est bien la dernière personne - avec Taiju - à savoir comment s'y prendre avec les autres. Il aurait plutôt dû en parler à Ruri ou Yuzuriha. Peut-être qu'elles auraient eu de meilleurs conseils.
- Tu sais Senku, parfois il y a des gens qui ne disent rien non pas parce qu'ils ne veulent pas, mais parce qu'ils ne s'en sentent pas capables, reprend le brun. Concernant Gen, je ne sais pas ce qu'il en est mais considère que le brusquer pour qu'il se confie, ce n'est pas forcément aller à l'encontre de son bien-être. Peut-être que c'est même la meilleure chose que tu puisses faire pour l'aider.
Senku reste abasourdi. S'il s'attendait à ce que Chrome lui sorte un truc pareil.
- C'est bien la première fois que je t'entends dire un truc intelligent.
- Je t'emmerde Senku, tu le sais ça ?
Et Senku ne peut s'empêcher de ricaner. C'est plus fort que lui, il ne peut pas s'empêcher de taquiner son ami. Mais au moins, ses conseils ne sont pas si mauvais que ça. Plus il y pense, plus il se dit que c'est là la seule solution. D'autant plus qu'aujourd'hui, il sait que Gen a prévu de réviser toute la journée chez lui. Donc s'il passe chez lui, il sera sûr de le trouver.
C'est décidé. Après leurs révisions, il ira lui parler.
***
Il aurait aimé ne pas avoir à en arriver là. Mais il ne peut pas supporter cette situation plus longtemps. Parce qu'à force de venir il connaît le chemin par cœur, il monte les trois étages qui le séparent de l'appartement du bicolore. Il a la boule au ventre mais il sait qu'il doit le faire. C'est pour son bien, il n'a pas d'autres alternatives.
Avant de sonner, il inspire profondément. Senku n'est pas du genre à stresser. Mais tout de suite, il aimerait tellement ne pas avoir à faire ce qu'il est sur le point de faire. Si Gen lui avait parlé de lui-même, s'il avait su déceler les signes, s'il s'y était mieux pris avec le bicolore, alors peut-être qu'ils ne seraient pas dans cette situation. Mais voilà, les choses sont comme elles sont. Et pour le coup, elles sont plutôt mal faites.
Il appuie sur la sonnette, faisant résonner son tintement aux alentours. Il attend sur le palier, impatient que Gen ouvre la porte. Il sait qu'il est là, alors il va lui ouvrir, d'un instant à l'autre. Et très vite, il voit la poignée tourner. La porte s'ouvre, dévoilant le visage de Gen.
- Oh, salut Senku.
Peut-être qu'il a rêvé, mais il ne semble pas ravi de le voir. Pour autant, il s'empresse de l'embrasser pour lui dire bonjour.
- Gen, on peut parler ?
Bien sûr, Gen a très vite compris ce qui se passe. Il l'a vu à son visage, dès que ses yeux se sont posés sur Senku. Sa mine renfrognée, ses sourcils froncés, son corps entier parlait pour lui.
- Heu... vas-y entre.
Il s'écarte pour le laisser entrer. Aussitôt, l'odeur de l'appartement de Gen vient envahir ses narines. Une odeur qu'il a pris l'habitude de considérer comme une de ses préférées. Mais à cet instant, rien ne peut calmer l'angoisse qui naît au fond de son ventre. Il ne voulait pas en arriver là, il aurait préféré qu'il n'en vienne jamais à faire ça. Mais Chrome a raison : il ne peut pas le laisser s'enfoncer sans rien faire.
Gen referme la porte derrière lui. Aussitôt, Senku enchaîne.
- Gen je ne vais pas y aller par quatre chemins. Tu ne vas pas bien, et je veux des explications.
Il n'aime pas le ton qu'il emploie. Mais il ne peut pas faire autrement. Aussitôt, il voit le corps de Gen se tendre à l'extrême tandis qu'il passe devant lui, rejoignant le salon.
- Tu sais déjà tout, je t'ai dit pourquoi ça n'allait pas, répond-il lascivement.
Cette réaction ne fait que le froisser davantage. Il y a quelque chose qui cloche et Senku le sait. Mais le voir lui mentir comme ça, ça le met en rogne.
- Gen, arrête de me mentir. Mens à qui tu veux, mais pas à moi.
Il laisse son sac tomber sur le sol, s'avançant à son tour. Les mains dans les poches, il s'approche de lui, cherchant à capter ce regard qui le fuit depuis des semaines.
- Qu'est-ce que tu sous-entends ? demande Gen, choqué.
- Je ne sous-entends rien du tout. Tu me mens, et tu le sais très bien.
Gen se sent perdre constance. Il ne s'attendait pas à ce que Senku débarque chez lui pour lui dire tout ça. Et maintenant qu'il se retrouve devant le fait accompli, il ne sait pas comment réagir.
- Je ne te mens pas, se contente-il de répondre. Mon père est revenu et...
- Mais arrête avec ton père ! On sait très bien tous les deux qu'il ne t'a pas du tout contacté !
C'est la deuxième fois de sa vie qu'il voit Senku en colère contre lui. Comme un vieux réflexe, son corps se contracte, se recroquevillant lentement sur lui-même.
- Et comment tu peux le savoir ? T'as fouillé dans mon téléphone ?
- Contrairement à toi je n'ai pas besoin de fouiller dans tes affaires pour m'en rendre compte.
Senku se rend compte que cette phrase est un coup bas. Mais il ne savait pas comment répondre à cette question.
Le corps de Gen se tend encore davantage. Senku ne sait pas s'il emploie la bonne méthode, mais il ne voit pas d'autres moyens. Il sent qu'il est en train de le pousser dans ses retranchements. Et même si ça lui arrache le cœur de le faire, c'est ce qu'il cherche. Il faut qu'il le pousse à avouer.
- Je te dis la vérité, reprend Gen.
Sa main droite se met à trembler. Et pour le cacher, il se hâte de croiser ses bras sur sa poitrine. Senku ne doit pas voir qu'il est en train de toucher une corde sensible. Il ne doit pas perdre la face devant ses accusations.
- Donc tu continues de me mentir ? Les yeux dans les yeux ?
- Parce que c'est la vérité !
Il n'aurait pas dû crier. Cela ne fait que donner davantage de crédit aux doutes du vert.
Soudain, Senku se rapproche de lui. Il pose ses mains sur ses épaules, le forçant à plonger son regard ébène dans le sien.
- Gen, regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu ne me mens pas.
Il lui faut quelques secondes pour rassembler son courage et relever la tête. Il faut que son regard soit convaincant, il n'a pas le choix. Ses yeux viennent se plonger dans le regard de Senku, sans toutefois oser s'y perdre. Il doit garder contenance, coûte que coûte.
Il cherche ses mots, mais ils ne viennent pas. Alors que ce regard cherche à l'absorber, il ne trouve pas le moyen de le convaincre. Rien ne pourra persuader ces yeux convaincus de sa propre vérité. Et avec du recul, Gen n'arrivera même pas à se convaincre lui-même. Tout ça n'est que mensonges qu'il enchaîne tous les jours. Tout le temps, à toute heure, dès que le vert lui pose la moindre question.
- Je te dis la vérité.
Et ces mots sont criants de mensonges. Il s'en est rendu compte quand il les a prononcés. Ils sonnent tellement faux que ça en devient comique. Gen ne croyait pas en ses mots, et Senku encore moins.
Ses mains viennent lâcher ses épaules, retombant mollement le long de son corps. Aussitôt, ses yeux ébènes le fuient. Il ne veut pas voir toute la déception dans son regard. Parce qu'il a osé lui mentir, les yeux dans les yeux. Malgré tout ce que Senku lui a apporté, malgré tout ce qu'il a fait pour lui, Gen est incapable de lui rendre la pareille.
- Comment en est-on arrivés là ?
Sa voix, il ne peut plus le supporter. Il ne peut plus supporter cette déception, cette tristesse. Il ne veut plus que ses proches soient déçus de lui, il ne peut plus le supporter.
- Je pensais qu'on avait construit quelque chose, toi et moi.
Ça ne fait que quelques mois, mais malgré ça, Senku pensait avancer avec lui. Et voilà qu'aujourd'hui, le garçon qui se tient en face de lui lui semble n'être plus qu'un parfait inconnu.
Gen ne le regarde pas. Il n'a même pas la force de pleurer, il n'a plus la force de rien. Tout ce qu'il veut, c'est que toute cette histoire se termine. Il n'y arrive plus, il n'a plus de force.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
- La vérité, pour commencer.
Il se tourne lentement vers lui. De haut en bas, il regarde ce garçon à la tignasse folle qui se tient devant lui. Ce garçon qu'il s'évertue à protéger, ce garçon qu'il aime plus que tout et qui, malgré tout, ne voit pas les efforts qu'il fournit pour garder un semblant de normalité.
- Je veux juste comprendre, Gen. Je veux juste savoir pourquoi tu es comme ça.
- Il n'y a rien d'anormal.
C'en est trop pour Senku, il ne peut plus supporter cette mascarade plus longtemps.
- Bon sang mais Gen tu me prends pour qui ?!
Il crie, il ne le veut pas. Il a envie de pleurer mais, parce qu'il en a l'habitude, il se retient. Senku ne veut pas s'écrouler devant lui, pas comme ça.
- Je te vois tous les jours t'enfoncer sans que tu ne me regardes ! Tu crois que je ne t'entends pas te lever la nuit quand on dort ensemble ? Tu crois que je ne vois pas que toutes les nuits, tu mets un temps fou à t'endormir ? Tu crois que personne ne voit les cernes que tu te tapes depuis plus d'un mois ?
- C'est bientôt les partiels, tente-il de se défendre.
- Non, ça n'a rien à voir ! Là, il y a un gros problème dont tu ne me parles pas. Il t'arrive quelque chose de grave et pour une raison qui m'échappe, tu ne veux pas m'en parler !
S'il te plaît Gen, parle-moi.
Ses yeux rouges le supplient. Tout ce qu'il veut, c'est qu'il accepte de se livrer à lui, qu'il accepte de partager ce fardeau qu'il garde pour lui. Tout ce qu'il veut, c'est le libérer de ce poids trop lourd pour lui.
Gen est paralysé. Il ne sait pas quoi dire, il ne sait pas quoi penser. Une part de lui veut céder, se ruer dans ses bras et tout déballer. Il veut se libérer de ces démons qui s'accrochent à lui pour le faire sombrer. Il veut vivre une vie normale, à ses côtés. Il veut juste aimer et être aimé sans que rien ne vienne l'empêcher de vivre. Et tout ce qu'il a à faire, c'est faire un pas vers lui, et attraper sa main.
- Tu m'as dit une fois qu'il y avait des choses que tu ne me disais pas parce que c'était trop douloureux, reprend Senku. Mais je pense plutôt qu'elles te font mal parce que tu les gardes pour toi.
Non Senku, ne me force pas à faire ça.
Ses mains tremblent, il ne parvient plus à se contrôler. Lentement, il sent toutes les murailles qu'il a construites entre lui et le monde s'écrouler. Une à une, elles cèdent, laissant place à sa plus profonde nature. Il a peur, il est terrifié.
- Je veux que tu me parles, Gen. J'ai besoin de savoir pour t'aider, c'est tout ce que je veux !
Il approche sa main pour attraper la sienne. Mais avant qu'il n'ait le temps de s'en rendre compte, Gen a un mouvement de recul.
Non, ce n'est pas ce que je voulais faire.
Son corps a réagi tout seul, reproduisant les gestes qu'il a pris l'habitude de faire. Parce que c'est la seule chose qu'il connaît : la fuite.
Attrape ma main Senku, ne me laisse pas m'enfuir !
- Tu ne comprends rien, rien du tout.
Ses poings se resserrent. Tout ce qu'il veut, c'est calmer les tremblements qui l'handicapent. Tout ce qu'il veut, c'est reprendre le contrôle sur ses émotions.
S'il te plaît Senku, insiste, ne me laisse pas comme ça.
- Je n'ai rien à t'expliquer, ça ne concerne que moi.
Non, non ce n'est pas ce que je veux...
- Il n'y a rien à savoir.
Son visage se tourne, quittant définitivement des yeux le regard carmin qui le supplie. Il ne veut pas s'imposer ce spectacle plus longtemps.
- Gen... tu rigoles là ?
- J'ai l'air de rigoler ?
Sa voix est sèche, il ne l'avait jamais entendu lui parler comme ça. Ce n'est pas Gen qu'il a devant lui, c'est une toute autre personne.
- Peu importe ce que je dirai, tu ne pourras jamais rien comprendre.
- Je peux essayer ! Si tu me laisses essayer, je pourrais t'aider.
- Mais je n'ai pas besoin d'aide !
Si, j'ai besoin d'aide. Je veux que tu me sortes de là.
Ses yeux viennent à nouveau se poser sur lui. Cette fois-ci, son regard ébène est noir de colère.
- Je n'ai rien à te dire, Senku. Et tu perds ton temps si tu t'imagines que ton petit numéro de pitié me fera quelque chose.
À l'aide, je t'en prie. Ne me laisse pas tout seul, je ne veux plus être tout seul.
Senku ne sait pas quoi répondre. Ses bras restent le long de son corps, il est incapable de bouger. C'est la première fois qu'il entend de telles paroles sortir de la bouche de Gen. Hier encore, il n'y avait que des mots doux. Aujourd'hui, il n'y a plus que de la rancœur. Mais derrière cette barrière dressée entre eux, au plus profond de son corps, le cœur de Gen pleure à chaudes larmes.
- Gen...
Non, ce n'est pas Gen qu'il a devant les yeux. Ça ne peut pas être lui, Gen ne lui aurait jamais dit ça. Ou alors...
Ou alors, depuis le début, tu n'as jamais connu le véritable Gen.
Ce garçon dont le corps ne laisse rien transparaître à part la méfiance. Ce garçon dont les yeux semblent vouloir avaler son interlocuteur pour mieux l'éloigner de lui. C'est ça, le vrai Gen ?
- Alors si tu ne veux pas de moi... qu'est-ce qu'on fait ensemble ?
Cette phrase lui arrache le cœur. Jamais il n'avait pensé qu'il la prononcerait un jour, pas avec tous les bons moments qu'ils ont passés ensemble. Mais toutes ces caresses, tous ces baisers, tous ces mots doux, toutes ces attentions, ça ne voulait donc rien dire pour Gen ? Est-ce que depuis le début, il ne fait que jouer un rôle ?
- En fait, je ne te connais pas, Gen.
Il cherche une réponse dans ses yeux, un indice. Il cherche à savoir ce que ses mots lui font, même s'ils sont tranchants comme des lames. Et tandis que le monde entier semble vouloir l'engloutir, il s'accroche à son regard ébène, sa dernière bouée, son seul remède.
Dans ses yeux, il ne voit rien.
- C'est peut-être mieux comme ça, répond le bicolore.
Non, je ne veux pas que tu t'éloignes ! Je t'en supplie Senku, ne pars pas !
Il ne peut pas pleurer, il a perdu ses larmes. Elles sont parties, le laissant seul avec cette boule dans la gorge qui ne pourra jamais sortir.
Son poing est tellement serré que ses jointures en blanchissent. Il a envie de hurler, de tout lui dire, de fondre dans ses bras. Il veut qu'il l'emmène loin, qu'il le protège, qu'il l'embrasse et qu'il lui susurre que tout ira bien. Il veut qu'il l'aide, il veut qu'il le sauve.
Mais il ne peut pas, parce que s'il fait ça, il le mettra en danger.
- Alors quoi, c'est tout ? On arrête tout ?
Senku ne peut pas y croire. Ça ne devait pas se passer comme ça. Il voulait juste lui parler, il voulait juste comprendre pourquoi il se fait tant de mal alors qu'il lui tend la main depuis si longtemps. Il ne veut pas que ça se termine comme ça, c'est impossible.
Gen non plus ne veut pas. Il veut vivre avec lui, continuer d'embrasser ses lèvres, continuer de l'aimer dans ses draps. Il ne veut pas qu'il s'éloigne, il ne veut pas qu'il s'en aille.
Senku, par pitié, ne t'en va pas.
- Peut-être que ça vaudrait mieux.
Non non non ! Senku je t'en prie, comprends que je ne le pense pas, rends-toi compte que je veux juste te protéger ! S'il te plaît Senku, reste ici, force-moi à parler !
Mais la bouche de Senku se referme. À quelques mètres de lui, il n'ose plus s'approcher. Ce garçon qui se tient devant lui, ce Gen qu'il chérit et qu'il embrasse n'est plus qu'une froide statue de pierre. À travers lui, il ne voit plus rien, sinon un vide infini.
Senku se sent serrer les poings. Il ne veut pas que ça se passe comme ça, ça ne peut pas se terminer comme ça. Il doit forcément y avoir un truc, une raison, une explication. Mais en face de lui, il n'y a qu'un mur, un mur infranchissable.
Il aimerait s'avancer mais, déjà, son corps recule.
Non Senku, par pitié reste avec moi ! Je ne veux pas que tu partes, ne me laisse pas seul !
Il aimerait le hurler. Il aimerait que le monde entier sache qu'il est la seule personne qui pourra lui venir en aide. Il aimerait qu'il comprenne, qu'il puisse lire à travers lui. Il veut juste qu'il reste à ses côtés.
Je t'aime... je t'aime alors par pitié, reste avec moi...
À l'intérieur de lui, son cœur pleure leur séparation. Il crie son désespoir tandis qu'il voit sa silhouette tourner les talons. Il hurle sa peine tandis que la porte se referme, le laissant seul dans un appartement devenu glacial.
Sur le pavillon, Senku sent sa tête bourdonner. Il n'entend rien, il ne voit pas grand-chose non plus. Tout ce qui résonne dans sa tête, c'est la voix de Gen qui se brise tandis qu'il met fin à cette relation magique. C'est la seule chose qu'il entend au milieu de cette ville bruyante.
Perturbé, anéanti par ce qu'il vient de vivre, Senku n'a pas fait attention à ce garçon passant juste à côté de lui, ni même où il se rendait. Il n'a pas vu sa démarche nonchalante, ni son sourire sûr de lui. Parce qu'à cet instant, la seule chose qu'il voulait, c'est rentrer chez lui, bien au chaud, et se réconforter dans l'épaisseur de ses draps.
***
Ça ne peut pas être possible, Kohaku doit rêver. Et pourtant, à chaque fois que ses yeux se posent sur le scientifique, elle se rappelle que c'est une réalité. À chaque fois qu'elle voit son air abattu, dépourvu du moindre sourire, elle se rappelle que c'est arrivé. Elle ne veut pas y croire et pourtant, c'est la dure réalité.
- Tu penses que ça va le faire ? glisse-t-elle à Chrome, assis à côté d'elle.
De loin, ils regardent Senku s'affairer sur sa paillasse en train de réviser ses protocoles. Depuis que c'est arrivé, Senku a à peine parlé, se contentant de se concentrer sur ses révisions. Parce qu'il n'a trouvé que ça pour oublier ce qui, chaque jour, lui déchire le cœur.
- Je pense que tant que les examens ne sont pas passés, il va juste se raccrocher aux cours. Mais quand ça sera terminé, je ne sais pas ce qui arrivera.
Lorsqu'il n'y aura plus rien pour lui faire oublier ce qui s'est passé, que se passera-t-il ? Est-ce qu'il se sentira le courage de passer à autre chose ? Ou est-ce qu'au contraire, il s'effondrera ? Chrome et Kohaku sont incapables de le dire, et c'est bien ce qui les inquiète.
- Je vous entends je vous signale.
Senku est tellement discret qu'ils en oublient qu'ils sont effectivement à une distance qui permet au vert de tout entendre. Ils sursautent, comme pris sur le fait, avant de se sentir quelque peu idiots.
Mais Senku ne peut pas leur en vouloir. Il faut dire que la nouvelle les a surpris. Le lendemain de sa discussion avec Gen, il est allé en cours, les yeux bouffis. Puis, il a juste dit à Chrome qu'entre Gen et lui, c'était fini. Naturellement, il en a parlé aux autres, et la nouvelle s'est diffusée dans leur cercle. Et depuis ce jour, Gen n'est pas revenu en cours, et il n'a répondu à absolument personne.
Senku a l'impression que sa tête pèse une tonne. Depuis leur séparation, il ne cesse d'avoir des migraines. Ça pulse dans ses tempes, lui rappelant tous les jours à quel point il tire sur la corde.
Dans son coin, Kohaku ne peut pas y croire. Elle n'est peut-être pas la plus calée en amour, mais elle a vu ce qu'il y avait entre eux. C'était trop fort pour que ça puisse se terminer ainsi, sans la moindre explication.
- Désolée mais toute cette histoire me dépasse. C'est pas possible que ça se termine comme ça.
Chrome jette un regard noir à la jeune fille, lui intimant de se taire. Il s'agirait de ne pas remuer le couteau dans la plaie, par respect pour leur ami. Mais c'en est trop pour elle, elle ne peut pas garder le silence indéfiniment.
- Enfin ça saute aux yeux qu'il ne voulait pas vraiment rompre ! Il y a quelque chose qui l'a poussé à lui dire ça, j'en suis persuadée.
- Kohaku ! tente de la reprendre Chrome.
- Quoi ? Non désolée mais je ne peux pas rester silencieuse comme ça. Il y a un truc vraiment pas clair dans cette histoire, je suis désolée !
Dans son coin, Senku ne donne pas davantage de crédit que ça à ce qu'elle dit. Il a ressassé les mêmes pensées toutes les nuits. Mais désormais, il doit se faire une raison. Pour passer à autre chose, et avancer.
- Tiens, par exemple. S'il était toujours sur son téléphone, c'est que quelque chose le préoccupait ! Il aurait pu... recevoir des messages étranges, vous ne pensez pas ?
- Kohaku on n'est pas dans un polar, reprend Chrome, lassé.
- Dans tous les cas ça reste trop suspect. Sans compter que Senku n'a pas regardé ce qu'il y avait dans son téléphone. Donc en fin de compte, on ne sait absolument pas ce qui s'est passé.
Oui, Senku aurait sans doute dû regarder dans son téléphone, histoire d'en savoir plus sur ce qui se passait. Mais parce que ce n'est pas dans ses principes, il ne l'a jamais fait.
- Senku, retourne le voir. Va lui parler ! Vous ne pouvez pas rester comme ça !
- Kohaku arrête.
- Et toi arrête de me demander de me taire ! Senku, tu ne peux pas juste accepter ça sans réagir. Il y a un truc c'est sûr !
- Kohaku ! Si tu ne te tais pas maintenant je te vire du labo de force !
Senku, de son côté, ne réagit pas. Il regarde lascivement les feuilles étalées sur la paillasse, incapable de comprendre ce qu'il lit. Parce que ses pensées ne sont pas concentrées sur ce qu'il révise, mais bien sur ce que dit la jeune blonde.
- Rah va te faire Chrome !
- Arrêtez tous les deux.
Les deux visages se tournent vers Senku. Il ne s'est pas tourné vers eux en parlant, mais le simple fait d'entendre sa voix a suffi à calmer les deux amis.
- Je pense effectivement qu'il se passait quelque chose et qu'il ne m'a rien dit, reprend Senku.
Il repose la feuille qu'il tenait dans les mains sur la paillasse. Puis, il les attrape toutes, s'affairant à les ranger.
- Mais s'il ne m'a rien dit, c'est parce qu'il ne me fait pas assez confiance pour le faire. Et dans ce cas, je pense qu'on n'a plus rien à faire ensemble.
Kohaku sent son cœur se serrer. Senku a beau dire ça, elle sait qu'il ne le pense pas. C'est juste un moyen pour lui de garder la tête hors de l'eau.
- Non Senku tu n'y es pas du tout.
Cette fois, elle se rapproche de lui. Elle a besoin de lui parler, les yeux dans les yeux.
- Gen te vouait une confiance aveugle. S'il ne t'a rien dit, c'est forcément pour autre chose. Mais ne remets pas en cause la confiance qu'il avait envers toi.
Elle veut provoquer quelque chose chez lui, le faire revenir sur sa décision. Il ne peut pas juste laisser tomber parce que Gen a décidé de fuir. Il doit forcément y avoir quelque chose qui explique son comportement.
- Senku, il faut que tu retournes le voir. Si tu l'aimes, tu ne peux pas le laisser fuir comme ça.
- Il a pris sa décision.
- Une décision qui t'échappe ! Senku, peut-être qu'il se passe un truc bien plus grave que tu ne le penses. J'ai vu comment il te regardait lors de ta soirée d'anniversaire. Il t'aime, et il ne te laisserait pas tomber !
Senku sent la migraine revenir au galop. Il a envie que Kohaku se taise, mais il n'a pas la force de l'envoyer bouler comme il en a l'habitude. Quant à elle, le voir aussi passif ne fait que l'agacer davantage.
- Bordel Senku tu ne t'es jamais dit qu'il s'est peut-être volontairement éloigné de toi pour te protéger ?
Senku s'arrête net dans son mouvement. Les fiches dans les mains, il ne bouge plus.
- Il se passait quelque chose, quelque chose qu'il a toujours refusé de t'expliquer. Et tandis que tu viens lui demander des explications, il te quitte. Ça ne ressemble pas à une stratégie d'évitement tout ça ?
Ça le tue de l'avouer, mais Kohaku a sans doute raison. Et maintenant qu'elle le dit, il se rend compte qu'il n'avait jamais regardé les choses sous cet angle.
- Et contre quoi pourrait-il me protéger au juste ?
- C'est justement pour ça qu'il faut que tu ailles lui parler. Il y a encore trop de zones d'ombres dans cette histoire. Et tu ne pourras pas passer à autre chose tant que tu n'auras pas toutes ces explications.
Chrome ne cherche même plus à intervenir. Car plus il l'écoute, plus son discours lui paraît censé. Si c'est vraiment le cas, ça pourrait expliquer pas mal de choses.
- Pour moi, cette séparation, c'est un appel à l'aide, Senku. Il a besoin de toi, là, maintenant.
- Je pense que Kohaku a raison, ajoute Chrome. C'est trop bizarre pour que ça soit normal. Il y a forcément une explication derrière tout ça. Une explication qu'on n'a pas encore.
- Il faut que tu ailles lui parler, Senku. Et même s'il s'avérait que je me trompe et qu'en réalité Gen n'ait rien à voir avec ce qu'on pensait de lui, au moins, tu seras fixé.
Le cerveau de Senku tourne à mille à l'heure. Une part de lui se souvient comment il a été accueilli il y a une semaine et ne veut pas retourner dans cet appartement. Mais l'autre partie de lui veut comprendre ce qui s'est passé et confronter Gen à tout ça. Leur histoire ne peut pas se finir comme ça, ça serait trop bête.
- D'accord, j'irai le voir.
- Fais-le vite. Vous avez suffisamment perdu de temps tous les deux, tu ne crois pas ?
Senku ne peut qu'acquiescer. Ça le terrifie, mais il doit le faire. Après les cours, il ira parler à Gen pour mettre toute cette histoire au clair, une bonne fois pour toute.
***
Comme la semaine dernière, Senku monte les marches de l'immeuble pour arriver jusqu'à son appartement. Comme la semaine dernière, il sent une boule dans son estomac grossir à mesure qu'il s'approche de la porte. Il a confirmé à Chrome et Kohaku qu'il allait se rendre chez lui, mais il ne sait pas ce qu'il lui dira. Que peut-il dire après une séparation aussi brutale et après une semaine entière de silence ? Dans tous les cas, il ne peut pas rester dans l'ignorance, surtout si le comportement de Gen est en réalité un appel à l'aide.
J'aurais dû le remarquer.
Toute la semaine, il a ressassé inlassablement la scène dans sa tête. Tous les jours, il a tenté de comprendre par lui-même ce que tout ça voulait dire. Mais depuis ce que lui a dit Kohaku ce matin, il ne voit plus la scène de la même manière. Maintenant qu'il y pense, tout son corps semblait crier de peur. Son regard ne transmettait qu'un grand vide qui, quand il l'a vu, l'a terrifié. Mais en réalité, peut-être que son regard n'était pas si vide que ça et que, ce jour-là, Gen s'est montré volontairement distant pour l'éloigner de lui.
Tu ne t'es jamais dit qu'il s'est peut-être volontairement éloigné de toi pour te protéger ?
Cette possibilité lui paraît plausible et, en même temps, il ne comprend rien. Ils filaient le parfait amour, tous les deux. Contre quoi voulait-il le protéger ?
Tu le sauras lorsque tu lui auras demandé.
Le voilà qui arrive devant la porte. Il sait qu'il doit frapper, se confronter à lui. Mais la vérité, c'est qu'il a envie de fuir pour rentrer chez lui. Jamais il ne s'est senti aussi stressé de toute sa vie.
Il se confronte à sa porte, essayant de rassembler son courage pour sonner. Il hésite puis, la seconde d'après, il met toutes ses peurs de côté pour sonner. Il attend, les bras ballants, que Gen vienne lui ouvrir.
Il attend de longues minutes, et personne ne vient lui ouvrir. La porte reste close, lui interdisant l'accès. Il réessaye, ne pouvant se résoudre à partir après une simple sonnerie.
Je dois parler avec lui, coûte que coûte.
Il ne peut pas partir, c'est impossible. Mais encore une fois, il n'y a aucune réponse. C'est le silence total.
Est-ce qu'il aurait deviné qui est devant la porte ? Peut-être l'a-t-il vu dans l'œillet de la porte et qu'il cherche juste à l'éviter. En soi, il ne peut pas le blâmer. Peut-être qu'il aurait réagi pareil, de son côté.
- Gen, s'il te plaît ouvre-moi.
Il ne partira pas, pas comme ça. S'il décidait de partir sans obtenir la moindre explication, cela reviendrait à faire une croix sur ce qu'ils ont construit tous les deux. C'était jeune, certes, mais il aurait envie d'avoir le temps de construire quelque chose de plus solide avec lui.
- Gen... je veux juste qu'on discute...
Il n'y a pas la moindre réponse derrière la porte, seulement le silence. Senku se met à danser d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Si un voisin le voyait, il est certain qu'il le prendrait pour un harceleur.
Que doit-il faire ? Partir ? Non, il ne veut pas. Il a besoin d'avoir des explications. Sinon, il ne pourra jamais passer à autre chose.
- Gen, s'il te plaît.
Cette fois-ci, il frappe directement à la porte. Mais comme il s'y attendait, il ne répond pas. Il jette un coup d'œil sur les vitres autour de la porte, mais il ne peut rien voir. Les rideaux ont été tirés, ne lui permettant pas de vérifier sa présence. Il se risque tout de même à s'en approcher, essayant de trouver une brèche qui lui permettrait de vérifier si le bicolore est effectivement à l'intérieur. À la jointure des rideaux, il peut voir un petit bout de l'intérieur de l'appartement, mais rien qui ne lui permettrait de valider ou non sa présence.
Il est forcément là, il n'est pas venu à la fac depuis une semaine.
À nouveau, il frappe à la porte. Son cœur pulse dans sa poitrine tandis qu'il voit ses derniers espoirs partir en fumée. Tout ce qu'il voulait, c'est lui parler pour comprendre et pour avancer. Mais on dirait que même ça, Gen ne lui offrira pas.
C'est terminé, il doit se faire une raison. Et en même temps, peut-être que cette relation était vouée à l'échec depuis le début. Il est tombé amoureux d'un garçon agréable mais au sourire étrangement mélancolique. C'est cette dualité qui l'a attiré, c'est aspect insaisissable que lui offrait son comportement. Mais maintenant qu'il y pense, cette dualité voulait surtout dire qu'il était brisé. Senku s'est entiché d'un garçon au regard enjôleur mais qui a vécu trop de trahisons pour offrir sa confiance. Et personne, pas même lui, ne pouvait réparer cette part de lui. Personne ne peut réparer cela, et ce serait égoïste de prétendre le contraire.
C'est tout, il n'y a pas à chercher plus loin.
C'est comme ça que ça devait finir, et ce depuis le début. Mais Senku était trop aveuglé pour s'en rendre compte. Désormais, le voilà qui devra repartir dans son quotidien avant lui, un trou béant dans le cœur.
Il se retourne, prêt à partir. Mais avant ça, il a senti comme un vertige. Il doit juste se reprendre, accepter cette dure réalité, tirer un trait sur eux. Pour cela, il s'est laissé aller en arrière sur la porte, juste le temps de respirer un peu. Et quand il a fait ça, il a senti la porte s'ouvrir dans son dos.
Pris au dépourvu par cette porte qui se dérobe sous son poids, il s'est senti partir en arrière. Et ce n'est que lorsque ses fesses ont durement atteint le sol qu'il s'est rendu compte que la porte venait de s'ouvrir. Il lui a fallu quelques secondes pour comprendre, et une seconde à peine pour se relever. Aussitôt, il fait volte-face, faisant face à cet appartement. Dès que ses yeux se posent sur le salon, il sent son coeur se serrer. Un atroce pressentiment lui dévore les entrailles.
Sa porte n'était ni verrouillée ni enclenchée.
- Gen, tu es là ?
Il s'est toujours senti chez lui dans cet appartement qu'il connaît par cœur. Il connaît son mobilier, son odeur, les habitudes du bicolore. Mais en cette après-midi, il sent que quelque chose n'est pas normal. Alors il s'enfonce dans cet appartement, à la recherche du bicolore.
- Gen ? C'est moi. J'entre.
Son cœur pulse tellement dans sa poitrine qu'il résonne dans ses oreilles. Il n'entend rien mise à part son cœur qui hurle dans ses tympans. Il s'avance encore, laissant ses yeux se poser partout.
C'est alors que ses yeux se posent sur la table du salon. C'est ce détail qui lui fait perdre constance. Soudain, tout ce qu'il y a autour de lui disparaît. Tout ce qu'il voit, c'est cette table, et rien d'autre. Sa respiration s'accélère tandis qu'une peur sourde se répand dans tous ses membres.
Sans perdre un instant, il se rue vers la chambre. Il ouvre la porte à la volée, dévoilant son lit quelque peu défait. Les draps sont froissés, comme si quelqu'un se tenait là il y a encore quelques minutes. Et pourtant, il n'y a personne, absolument personne.
Il sort de la chambre, revenant dans le salon. Tous ses sens sont en émois tandis que la panique commence peu à peu à le gagner. Il voudrait se faire des idées, mais il se dit que c'est impossible. Et puis, ses yeux carmins se posent sur le canapé. À nouveau, son sang se glace. Parce que sur le canapé, il y a son téléphone. Et sur la table, il y a deux verres d'eau, dont un renversé. L'eau a déjà fait une tâche sur le bois du meuble à force d'être restée là tout ce temps sans être essuyée.
L'évidence vient le prendre à la gorge. S'il se sent si mal à l'aise dans cet appartement, c'est qu'il donne l'impression d'avoir été déserté. Il y avait du monde dans cet appartement et, d'un coup, il a disparu.
Parce qu'il n'est pas dans cet appartement. Aucune trace de lui nulle part.
Gen s'est volatilisé.
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Bon j'espère que vous n'avez pas trop pleuré et si c'est le cas, je m'en excuse platement. Mais il me semble que je vous avais prévenus 👀. J'espère quand même que ce chapitre vous aura plu ! Petit à petit, l'intrigue se déroule. Qu'a-t-il donc bien pu se passer ?
Pour le prochain chapitre, je vous promets quelques révélations. Patience mes amis, et rendez-vous jeudi !
À plus mes chers lecteurs (qui doivent être très très très impatients à l'heure qu'il est 😂).
Bye~
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