Chapitre 11 : Pour un verre qui s'échappe de ta main
Depuis leur discussion, la relation de Gen et Senku n'a fait que se débrider. En public toutefois, ils continuent à ne pas se donner de signe d'affection. Mais en y réfléchissant bien, cette situation plaît à Gen. Il a l'impression d'une sorte d'exclusivité, offerte seulement lors de leurs moments à deux. Et puis, petit à petit, ils ont fini par se retrouver régulièrement dans l'appartement de l'autre. Mais dès que vient le soir, chacun retourne chez lui, non sans un pincement au cœur chez les deux garçons.
C'est pour cela que Gen a fini par demander à Senku de venir passer un week-end entier chez lui. Il en avait assez de voir Senku rentrer chez lui quand ce dernier venait passer la soirée dans son appartement sous prétexte qu'il devait se lever tôt le lendemain pour les cours. L'inviter un week-end, cela impliquait de passer la soirée ensemble sans se quitter, et ce pour deux jours consécutifs. Quoi de mieux finalement pour les deux amoureux ?
Quand Gen lui a fait cette proposition, Senku a accepté sans trop d'hésitation. Mais maintenant qu'il est entré dans l'appartement du bicolore, ce n'est plus vraiment la même chose. Passer un week-end avec lui signifie, par extension, dormir avec lui. Et ils n'ont jamais dormi ensemble, ni même été jusque dans une telle intimité. C'est une toute première pour eux.
En ce samedi, le temps ne laisse aucune hésitation sur leur occupation pendant toute la journée. Ils sont désormais en plein mois de novembre et, déjà, il pleut des cordes dehors. Le froid commence à bien se faire sentir et, pour s'aventurer à l'extérieur, il faut déjà s'envelopper dans des vêtements plus épais pour ne pas attraper la mort.
Gen attrape la hanse du sac de Senku, se hâtant de le déposer dans sa chambre.
— Tu as prévu quelque chose pour aujourd'hui ? demande tout de même Senku, resté dans le salon.
— Vu le temps dehors, je pense qu'on va rester à l'intérieur.
Pour appuyer ses mots, une rafale de vent fait siffler les fenêtres, résonnant dans tout son appartement. En effet, ce temps ne donne vraiment pas envie de s'engouffrer dehors pour la moindre sortie.
Après tout, il n'est pas forcément nécessaire de prévoir tout un tas d'activités quand on se retrouve chez l'autre. Partager son quotidien, passer un moment ensemble sans bouger en restant dans la même pièce, c'est déjà amplement suffisant. Dormir chez l'autre, c'est déjà lui ouvrir la porte de son intimité, laissant sa moitié s'immiscer dans une vie qu'il ne connaît pas encore. Ce petit week-end entre eux, c'est aussi un moyen pour chacun de découvrir des choses chez l'autre, des habitudes ou des manies qu'ils ne se connaissent pas.
C'est pour cela que, rapidement, chacun trouve ses marques dans cet environnement nouveau pour eux. Pendant toute la journée, Gen savoure le fait d'avoir le vert à ses côtés. Il savoure également le fait que, ce soir, il ne sera pas pressé par le temps qui défile. Car ce soir, il restera ici, avec lui. Donc, le temps défile, peut être un peu trop vite à leur goût. Déjà, la fin de l'après-midi pointe son nez, assombrissant les rues du quartier ainsi que les coins de l'appartement. Bientôt, il faut allumer les lumières pour y voir clair dans cet appartement devenu trop sombre. Et alors que la soirée a commencé, Senku a décidé de se mettre à la cuisine. Gen n'a pu s'empêcher de sourire. Du plus loin qu'il se souvienne, il n'a entendu que des reproches faits à Senku sur son alimentation. Apparemment, et bien que le scientifique soit parfaitement conscient de ce qu'il mange, il ne jure que par des plats pré-préparés, au grand dam de Kohaku. Mais de ce qu'il voit, Senku semble tout de même doté de la capacité de cuisiner.
— Comment ça tu mets du miel dans le curry ?
Le bicolore ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel en entendant son dédain.
— Parce que ça adoucit les épices, répond-il avec un sourire. Tu es scientifique et tu vas me dire que tu ne comprends pas pourquoi je mets du miel dans le curry ?
— J'avais compris. Mais ce n'est pas comme ça qu'on prépare du curry.
— Et comment prépare-t-on le curry monsieur le génie ?
Les lèvres du vert s'étirent en un sourire satisfait.
— Avec du chocolat noir !
Il faut quelques secondes à Gen pour comprendre ce qu'il vient de dire. Et juste après, il explose de rire.
— Et tu te moques du fait que je mette du miel alors que tu mets du chocolat ?
— Tu peux aussi mettre du café si tu n'aimes pas.
— Là n'est pas la question mon petit Senku. Mais du chocolat...
— Ce qui compte, c'est d'ajouter quelque chose d'amère. Ça permet de relever le goût des épices tout en adoucissant le côté piquant du curry.
Un sourire attendri apparaît sur le visage de Gen. Qui aurait cru que le vert saurait cuisiner ? Et surtout, qui aurait cru qu'il connaîtrait les différents secrets de la cuisine. Quoique, ça paraît plutôt logique. Après tout, la cuisine est une forme de science.
— Comme toujours, une réponse parfaitement scientifique, ajoute le bicolore en le regardant attraper une tablette de chocolat dans un placard juste à côté de lui.
— Tu verras, quand tu goûteras à ce curry, tu laisseras tomber l'idée de mettre du miel.
— Je ne suis pas scientifique mais... le miel a un goût plutôt doux. Ça permet également d'adoucir le curry.
— Oui, mais ajouter du chocolat noir ou du café, ça t'offre un goût bien différent ! Et surtout, un goût bien meilleur.
— D'accord je te crois monsieur le grand chef étoilé.
Cette remarque fait sourire le vert. S'il y a bien quelqu'un dans cette pièce qui ne mérite pas ce titre, c'est bien lui. Mis à part du curry, il n'est pas sûr de pouvoir cuisiner grand chose d'autre.
— À part le curry, je ne cuisine pas grand chose.
— C'est ce que j'ai cru comprendre en entendant Kohaku te sermonner à chaque fois.
Il le voit lever les yeux au ciel. Penser au nombre de fois où la blonde l'a repris sur son alimentation catastrophique lui donne la migraine.
— Et sinon, qui t'a appris cette fantastique recette de curry ?
— Mon père, répond-il du tac au tac. Il tient cette recette de sa mère, qui la tient elle-même de sa mère.
— Oh donc je fais face au trésor familial des Ishigami, répond-il en ajoutant un air théâtral.
Senku a un sourire amusé mais se contente de porter son attention sur les fourneaux. Il serait bête de faire brûler le curry et d'y ajouter un goût non désiré. Les minutes défilent et déjà, une odeur absolument exquise embaume tout l'appartement. En sentant cette délicieuse odeur, le ventre du bicolore se met à crier famine. Si bien qu'il ne peut s'empêcher de le rappeler toutes les cinq minutes.
— J'ai faaaaim, se lamente Gen dans les oreilles de Senku.
— Ça arrive, minute.
Comme à chaque fois, Gen se retourne en soupirant. Parfois, Gen a vraiment le comportement d'un enfant. À le voir à la fac, il a l'air tout à fait sérieux et très adulte. Et pourtant, il s'extasie devant des lapins en peluche et répète inlassablement qu'il meurt de faim comme le feraient les enfants. Mais ce côté ne dérange pas le vert, bien au contraire. Après tout, cet aspect de Gen est une de ses autres facettes. Une facette qu'il ne dévoile qu'aux personnes en qui il a pleinement confiance.
Le curry finit par être servi dans les assiettes, agrémenté d'un riz blanc parfaitement cuit. À peine servi, Gen engloutit sa portion. Ce curry là est bien différent de ceux qu'il a eu l'occasion de manger par le passé. Il y a quelque chose en plus, un goût différent, un peu étrange, mais tout bonnement délicieux.
— Ok, j'avoue que le chocolat ajoute quelque chose.
Senku ricane fièrement, mangeant calmement son curry sans se presser.
— Je t'avais bien dit que c'était bien meilleur qu'avec le miel.
— C'est différent, mais un curry avec du miel reste tout de même très bon.
Il entend Senku râler juste à côté de lui. Malgré ses efforts, il semble qu'il n'ait pas réussi à convaincre le bicolore.
— Je t'en ferai un avec du miel la prochaine fois et tu m'en diras des nouvelles !
En voyant avec quel entrain le bicolore lui a fait cette proposition, Senku ne peut qu'acquiescer. Et tandis qu'il n'a pas encore terminé son assiette, il lui tarde de goûter un jour ce curry qu'il lui a promis.
— Avec plaisir, ajoute-il tout de même.
Les yeux de Gen viennent se plonger dans les siens, juste quelques instants. Mais ces quelques instants suffisent à provoquer chez le bicolore quelques rougeurs au niveau des pommettes. Ses yeux se dégagent soudain, se rendant compte que son regard était toujours dans celui de son compagnon. Et pour calmer la légère gêne qu'il ne veut pas avouer, il enfourne une cuillère de riz agrémentée de sa délicieuse sauce dans sa bouche. Senku plisse les lèvres pour ne pas rire tandis que son regard se tourne vers la télé. Elle diffuse des images qu'il ne regarde pas vraiment, trop concentré à regarder Gen du coin de l'œil.
Gen essaye de rester droit, comme s'il ne remarquait pas ce regard qu'il pose sur lui. Mais c'est peine perdue. Plus il s'oblige à paraître normal, plus il a l'impression d'agir comme un idiot. Mais malgré ça, son regard se fait toujours aussi lourd. Une part de lui a envie de plonger ses yeux ébènes dans les siens, mais il se retient. S'il venait à se saisir de ses magnifiques iris, il ne sait pas ce qui pourrait se passer.
L'assiette du vert est déjà sur la table, finie. Pour échapper à ce regard, il se penche en avant pour déposer la sienne. Et la seconde d'après, il retrouve sa position. Malgré ses mouvements, les yeux de Senku ne l'ont toujours pas quitté. Et puis, soudainement, il sent les doigts du scientifique chercher à saisir les siens. Et quand il y parvient, une chaleur étrange se disperse dans sa main.
Gen essaye d'effacer cette impression de sa tête. Sans s'en rendre compte, pour revenir à la réalité, il s'est légèrement raclé la gorge. Cela a eu pour effet de sortir le vert de sa transe. Un frisson parcourt tout son corps à la vitesse de la lumière, le ramenant à la réalité. Aussitôt, il tourne la tête, se concentrant à nouveau sur la télévision. Il n'avait même pas remarqué que ses yeux étaient posés sur lui, ni que son regard se faisait aussi lourd. Et tandis que ses yeux ont quitté le bicolore, Senku se rend compte de ce qu'il était en train de regarder de cette manière. Son cou, il regardait son cou. Pour une raison qu'il n'explique pas, il mourrait d'envie de déposer ses lèvres dans son cou.
Bien sûr que si tu peux expliquer ce phénomène, se répond-il à lui même. Tu passes le week-end avec ton petit-ami qui est juste à côté de toi en ce moment même. Ce sont tes putains d'hormones qui se réveillent.
Pendant une longue seconde, Senku ferme les yeux. Il doit se reprendre et ne pas penser à ça. Il n'en a jamais parlé avec lui alors hors de question de lui sauter dessus comme ça.
Mais ce regard a suffi à semer le trouble dans la tête du bicolore. Parce que depuis que les yeux carmins juste à côté de lui l'ont quitté, il a l'impression de défaillir. Il a cru sentir quelque chose de... différent dans le regard de son compagnon. Et pourtant, il ne parvient pas à comprendre. Ou du moins, il ne veut pas comprendre. Car ce genre de regard, il les a déjà connus. Il a déjà senti la force de ces regards et surtout, leur signification. Et quand l'évidence s'est imposée à lui, il l'a refusée. Parce qu'il n'imagine pas Senku le regarder comme ça, parce qu'il est persuadé qu'il se fait des idées. Et pourtant, au fond de lui, une part de lui aimerait céder à cette impression. Une part de lui aimerait qu'il repose ce regard lourd sur lui, et que sa main bloquée dans la sienne ose s'aventurer autre part que dans sa paume.
Non non non tu ne peux pas penser ça ! se lamente le bicolore. Tu n'as pas demandé à Senku de passer le week-end chez toi pour qu'il se passe ce genre de choses ! Et puis, tu n'en as jamais parlé avec lui alors ça ne sert à rien d'y penser. Et d'ailleurs, peut-être qu'il...
Quand l'idée lui vient à l'esprit, Gen essaye de réprimer les rougeurs qui naissent sur ses joues. Parce que Senku n'est sorti qu'une seule fois avec une fille, parce que Senku n'est jamais sorti avec un garçon avant lui alors...
Peut-être qu'il est vierge.
À peine le mot s'est-il formé dans sa tête qu'il sent ses joues le brûler. Il doit s'éloigner d'ici, au plus vite. Sans crier gare, le voilà qui se lève brusquement, se jetant sur les assiettes posées sur la table.
— Je vais faire la vaisselle ! crie-t-il tandis qu'il s'éloigne à la hâte du salon, tout ça sous le regard médusé du vert.
Il a la chance que son coin cuisine le cache du salon. Comme ça, il peut respirer, et calmer ces pensées parasites qui lui polluent le cerveau.
Bon sang Gen ne pense pas à des trucs comme ça espèce de pervers !
Pour essayer de se calmer, il se hâte de commencer la vaisselle. Faire autre chose, ça lui permet de penser à autre chose. Mais malheureusement pour lui, son cerveau n'a pas décidé de coopérer. Alors qu'il s'acharne sur les assiettes et les plats, ses pensées ne font que se développer davantage.
Vous n'en avez jamais parlé alors il n'y a pas de raison que ça arrive ce week-end. Coucher avec quelqu'un, ça ne s'improvise pas ! Surtout quand c'est sa première fois. Donc arrête de penser à tout ça car il ne se passera rien entre vous ce week-end bon sang !
Ses pensées pullulent et, sans s'en rendre compte, il est littéralement en train de maltraiter sa vaisselle.
— Besoin d'aide ? demande le vert en entendant tout ce vacarme.
— Non pas besoin !
C'est pas possible Gen mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Et puis, qui te dit qu'il en aurait envie même ?
Il passe ce qu'il a lavé sous l'eau claire, laissant la mousse glisser sur la vaisselle avant de disparaître dans le siphon. Quand cette pensée lui est venue, il s'est senti calmé. Mais pour une raison qu'il ignore, cette pensée n'est pas venue seule. Avec sa conjointe, elle est venue déposer un voile noir sur son esprit.
Est-ce qu'il aurait même envie de toi ?
Ses yeux viennent se poser sur le verre qu'il tient entre les mains. L'eau glisse par gouttelettes le long de l'objet, s'écoulant ensuite sur ses doigts détrempés.
Comment tu peux penser qu'il puisse avoir envie de te toucher ?
Ses yeux ne regardent plus la vaisselle. Gen regarde droit devant lui, là où la fenêtre juste au-dessus de l'évier lui renvoie son reflet. Pendant quelques instants, il se regarde, détaillant ce que la fenêtre lui permet de voir. Et, juste après, cette image le repousse.
Tu sais très bien que personne ne voudra jamais de toi.
Quand il entend sa voix dans sa tête, le verre lui glisse des mains. Et alors, le bruit cinglant du verre se brisant sur le sol le sort de sa rêverie.
Il baisse la tête par terre, regardant le verre éparpillé sur le sol. Le verre qu'il tenait entre ses mains a glissé, et le voilà réduit en morceaux, juste à ses pieds.
Non...
Il ne peut pas avoir fait ça. Il doit nettoyer tout ça, vite. Il doit nettoyer avant qu'il n'arrive.
— Merde.
Aussitôt, il s'abaisse. Ses mains sont encore mouillées, ajoutant à la scène des gouttes d'eau savonneuse. Il doit ramasser tous les morceaux, vite. Il ne faut pas qu'il le voit, parce qu'il ne veut pas qu'il s'énerve.
— Merde, merde, merde...
Ses mains tremblent tellement qu'il n'arrive même pas à attraper le moindre morceau. Il doit agir mais, au lieu de ça, il reste paralysé.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Trop tard, il entend déjà sa voix. Il fait volte-face vers Senku qui le regarde les sourcils froncés.
Non, non non non non !
Il doit agir, faire quelque chose. Ils étaient si bien ce soir, il ne veut pas tout gâcher. Il ne veut pas le voir s'énerver.
— Je... le verre a glissé. Je suis vraiment désolé, pardon...
Du coin de l'œil, il le voit s'avancer. Ce mouvement agit sur lui comme un déclencheur. Aussitôt, le voilà qui se jette sur ce verre brisé au sol.
— N'approche pas je m'en occupe !
— Gen attention !
Mais pris par la panique, il n'a pas regardé où ses mains se jetaient. Soudain, il sent une vive douleur dans sa paume, irradiant dans tout son bras. Pris par la douleur, il s'entend lâcher un cri. Aussitôt, Senku se rue sur lui.
— Gen !
— Non n'approche pas !
L'espace entre eux a beau être petit, le bicolore s'est reculé dans un coin formé par les meubles. Déjà, il tend ses mains en avant, comme pour se protéger.
— Je vais nettoyer, je te jure.
— Gen...
Sa réaction le scie littéralement. Il agit comme s'il était sur le point de s'en prendre à lui.
— Gen, c'est juste un verre. Je veux juste voir ta coupure, c'est tout.
La tête du bicolore se relève. Il croise de la surprise dans ses iris, une surprise accompagnée d'une terreur sourde. Alors, Senku avance lentement, sans faire le moindre mouvement brusque.
— Je vais regarder ta main, ok ?
Gen hoche lentement la tête, sans bouger. Toujours sans le moindre mouvement de trop, Senku attrape sa main, dévoilant une coupure nette sur une partie de sa paume. La coupure n'est pas profonde mais plutôt impressionnante. En la voyant, il devine la douleur que doit ressentir le bicolore.
— C'est pas grand chose, on va aller nettoyer ça. Tu as une trousse de soin ?
— Dans... dans la salle de bain.
— D'accord, je vais la chercher.
Quand il a pris sa main entre ses doigts, il a senti ses tremblements. Mais il n'a fait aucune remarque, ne voulant pas le troubler davantage. Sans perdre un instant, Senku fouille dans les placards de la salle de bain, attrapant une petite trousse posée au fond. Il revient juste après, prenant toujours soin de ne pas faire de mouvements brusques.
— Je vais désinfecter.
Il attrape à nouveau sa main, prenant soin de ne pas lui faire mal. Et tout ça se passe sous les yeux médusés du bicolore qui, resté dans sa position, n'a pas bougé d'un pouce. Il pensait que Senku allait s'énerver, mais pas du tout.
Il sent le coton froid passer sur sa plaie, essuyant le sang qui a coulé. Un picotement désagréable se propage dans sa plaie mais, avant qu'il n'ait le temps de souffrir davantage, Senku a déjà recouvert la plaie d'une compresse de gaze, exerçant une pression dessus. Il fait ça pendant quelques secondes avant de tamponner la plaie. Et puis, il le voit en déballer une autre, la posant doucement sur sa plaie. Ensuite, il commence à envelopper sa main dans un bandage blanc. Il fait glisser le rouleau sur sa peau, sans aucun geste superflu.
Il est précis.
Ce fut la seule pensée qu'il lui est venue à l'esprit. Et aussitôt, il se rend compte de l'absurdité de l'accident. Quand son cerveau est enfin clair, il se souvient de sa réaction. Et alors, le voilà qui se confond en excuses.
— Senku je suis vraiment désolé ! Je...
— C'est rien, ça arrive de se couper, ce n'est pas grave.
— Non... je veux dire ma réaction... je... c'est...
— Gen, ce n'est rien. Ce n'est pas de ta faute.
Tu ne comprends pas que tout est toujours de ta faute ?
Cette voix revient et, aussitôt, elle est balayée par celle du vert. Ce qu'il entend désormais, ce sont ces nouvelles paroles. Des paroles qu'il n'entendait presque jamais, avant.
Ce n'est pas de ta faute.
— Va t'allonger un peu, je vais nettoyer le reste.
Il lui tend la main pour l'aider à se relever, aide que Gen accepte aussitôt. Quand il se relève, il se sent tout étourdi. L'air penaud, il se dirige vers la chambre, laissant Senku s'occuper de ramasser le verre brisé sur le sol et d'essuyer le sang qui a coulé sur le parquet.
***
Allongé sur son lit, Gen redoute le moment où Senku passera le pas de la porte. Il l'entend s'affairer dans la cuisine pour tout nettoyer. Il termine de ramasser tout le verre partout et, juste après, il l'entend terminer la vaisselle. Le temps s'écoule, laissant les secondes défiler sans qu'il ne puisse les empêcher de s'enfuir. À un moment, Senku passera le pas de la porte, et à ce moment-là, il devra lui expliquer ce qui lui est arrivé. Il devra lui dire pourquoi il a pris peur quand il l'a vu, et pourquoi le simple fait d'avoir cassé un verre l'a mis dans un tel état de panique.
Sa poigne se referme sur son tee-shirt tandis qu'il se recroqueville un peu plus sur lui-même. Est-il prêt à tout lui raconter ? Il se sent si bien avec lui, il n'a pas envie de tout gâcher avec ses histoires. Parce que quand il saura ce qu'il est, il a peur que ses yeux carmins ne le regardent plus comme avant.
Dehors, le vent vient se fracasser sur la fenêtre, accompagné d'une pluie incessante. Il n'a qu'une envie : disparaître sous la couette pour oublier ce qui s'est passé. Mais les picotements dans sa main lui rappellent qu'il ne pourra pas ignorer ce qui lui est arrivé. Il ne pourra pas ignorer le fait qu'il est revenu le hanter, et ce malgré son désir de le sortir de sa vie.
Soudain, il entend sa porte s'ouvrir. En entendant le bruit des gonds grincer, son corps s'est tendu. Dans quelques instants, Senku s'approchera de lui pour lui demander des explications, il le sait. Et tandis qu'il attend le moment fatidique, son cœur se met à battre la chamade. Il pulse si fort qu'il a l'impression qu'il pourrait devenir sourd.
Il l'entend marcher, s'approchant du lit où une frêle silhouette s'y repose. À le voir à ce point recroquevillé, on ne dirait pas qu'il mesure plus d'un mètre soixante-dix. En voyant son dos, Senku devine sa tension. Et malgré lui, le voir comme ça lui fait de la peine. Ils devaient profiter de ce week-end pour passer du temps tous les deux, pas se fuir pour un simple verre cassé sur le sol.
Non, il n'est pas seulement question d'un simple verre.
Le vert est arrivé devant le lit, Gen entend sa respiration. Il est debout, le surplombant de toute sa hauteur tandis que lui, il se morfond de toute son âme dans les draps. Et puis, il sent le matelas s'enfoncer légèrement. Il vient de s'asseoir. Après quelques secondes, il sent sa main se poser sur son épaule. Mais contrairement à ce qu'il pensait, elle ne lui intime pas de se retourner. Elle se contente de se poser sur lui pour le rassurer. Elle passe sur son épaule, descend le long de son bras avant de s'attarder sur sa peau. Tout ce que veut Senku, c'est que son corps se détende.
Et ses gestes semblent fonctionner. Après quelques minutes de pur silence, il finit par se retourner. Il hésite un instant et, juste après, il vient plonger ses yeux ébènes dans les iris carmins qui le surplombent.
— Je suis désolé, ne peut s'empêcher de dire le bicolore.
La main de Senku vient se poser sur ses cheveux, laissant ses doigts s'aventurer dans sa tignasse.
— Pourquoi tu t'excuses ? Tu n'as rien fait de mal.
— Si, j'ai gâché la soirée. On devait passer du bon temps ensemble et... j'ai tout gâché.
Tandis qu'il parle, Gen sent la main de Senku descendre dans sa nuque, imprégnant toute la peau de son cou de sa chaleur agréable.
— Tu n'as rien gâché du tout. Ça ne retire rien à la journée qu'on a passée ensemble, ni au dîner que l'on vient de manger.
Malgré ça, il sent la culpabilité le saisir. Ils auraient pu passer une bien meilleure soirée s'il n'avait pas laissé ce verre tomber sur le sol.
— Senku... si j'ai réagi comme ça c'est parce que...
Il doit lui dire, tout lui révéler. En faisant ça, peut-être qu'il pourra se racheter. Quand il aura tout dit, il le regardera sûrement de travers, mais tant pis. Il ne veut pas que cette soirée soit gâchée par ce qu'il a fait.
— C'est parce que...
Il essaye de parler, mais c'est plus fort que lui. Les mots restent bloqués dans sa gorge, incapables de sortir. Il ne sait pas comment leur donner forme, pour la simple et bonne raison qu'il ne l'a jamais fait avant.
— Parce que...
— Arrête, tu n'as pas à faire ça.
Le son de sa voix le sort de sa tentative. Dans le regard de Gen, il a lu toute la peur du monde de lui révéler ses angoisses. Et il ne voulait pas voir cette lueur plus longtemps dans ses yeux.
— Tu ne me dois rien, reprend le vert. Si tu ne veux pas m'en parler, alors ne le fais pas.
Un jour, tu sauras peut-être ce qui lui est arrivé. Mais tu ne l'apprendras pas de ma bouche. S'il veut que tu sois au courant, alors il t'en parlera.
Les paroles de Tsukasa lui reviennent en mémoire tandis qu'il laisse ses yeux se perdre dans les siens. Senku n'est pas idiot, il sait très bien ce que veut dire la réaction qu'il a eu. On ne part pas en crise de panique après avoir cassé un verre pour rien. Il y a forcément quelque chose derrière tout ça, quelque chose qu'il ne pourrait sans doute jamais imaginer. Mais il ne veut pas que Gen se sente obligé de tout lui dire. Il lui dira en temps voulu, quand il l'aura décidé.
La pulpe de ses doigts décrit de légers cercles à la base de sa nuque. De légers frissons envahissent son corps tandis que Gen sent ses muscles se détendre. Senku garde ses yeux sur lui et, soudain, à travers ses yeux noirs, il le voit le remercier. Le remercier de ne pas lui forcer la main, le remercier de le comprendre, le remercier de le laisser vivre les choses, à son rythme.
Après de longues minutes à se regarder sans parler, le vert finit par s'allonger à ses côtés. Cette fois-ci, ils sont à la même hauteur, se regardant sans la moindre différence. Parce qu'ils sont pareils, tous les deux. Deux êtres humains s'étant entichés l'un pour l'autre. Ce qui les différencie, c'est leur code génétique accordé à la naissance. Dans leur cellule et au plus profond de leur corps, ils sont différents, et rien ne pourra jamais faire d'eux deux êtres semblables. Mais mis à part cela, ils sont tous les deux pareils. Et ce soir, alors que la main de Senku est toujours dans sa nuque et que celle de Gen rejoint le creux de ses hanches, leurs cœurs battent à l'unisson.
Moi aussi j'ai le droit d'être ce que je suis.
Avec lui, Gen sait qu'il peut être ce qu'il est. Il peut rire, s'amuser, risquer de taquiner Senku sans que celui-ci ne lui en veuille. Il peut être triste, déprimer, pleurer, trembler sans que ses mains ne le traitent différemment. Il peut laisser un verre tomber sur le sol de la cuisine, trembler de tout son soûl sans que son regard ne change de direction. Et même maintenant, dans ce lit, sous ces draps, tout contre lui, il peut être qui il veut.
Avec lui, il a le droit d'être Gen Asagiri, et personne d'autre.
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Nouveau chapitre aujourd'hui ! Eh oui, on avance doucement mais sûrement dans leur relation. Si vous savez comme j'aime écrire cette relation ! Tout est sain, pas de red flag, juste de l'amour et des petites attentions toutes mimis. C'est une petite bouffée d'air frais à écrire et j'espère que c'est pareil pour vous !
La semaine prochaine, je vous garantis un peu plus de rapprochement entre nos deux personnages 👀.
Sur ce, à bientot~
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