Chapitre 3 ****
Des nuits, je rêve encore de lui.
La plupart du temps, ce ne sont que de simples songes durant lesquels il ne se passe pas grand chose. Je profite juste d'un retour à notre vie, normale et si douce.
Pourtant, mon esprit sait qu'il n'est plus en vie, et j'ai conscience d'évoluer dans un rêve. J'aime voir ces moments comme un rendez-vous à la croisée de deux mondes.
À la fin, je me réveille légère, teintée du bonheur de l'avoir revu, espérant que cela soit sa façon de communiquer avec moi depuis l'au-delà, et priant pour me trouver exactement au même endroit la nuit suivante.
Il y a aussi des moments où, je n'arrive pas à comprendre pourquoi, où il ne fait qu'une apparition, il n'est qu'un figurant. Je me rends dans la cuisine, il y fait la vaisselle. Je cours dans la rue, il sort d'une boulangerie. Je le reconnais, je sais que c'est Fabien, mais n'interagis pas avec lui. Pourquoi ? Alors même que je donnerais tout pour passer encore un peu de temps avec lui.
Et puis, il y a ces fois où mon esprit me joue un sale tour. Je vis intensément le moment. Les émotions sont fortes. Je ne me rends compte de rien, mon esprit me persuade que c'est la réalité et quand le rêve s'achève, c'est comme si la force du choc brisait à nouveau mon âme. Je revis la séparation brutale qui réveille les douleurs atroces des premiers jours.
Ce matin, c'est dans cet état que je me trouve, réveillée en sursaut par un aboiement.
Tu fais chier, Stark !
Il était là, avec moi, dans ce lit. Je n'avais conscience de plus rien hormis lui et moi collés l'un à l'autre. J'étais tellement bien ! Nous faisions l'amour, entre passion et sauvagerie. J'ai ressenti toute l'extase que cela me procurait et tout m'a paru si réel que mon corps ressent encore le poids du sien.
À la fois essoufflée par les ardeurs de nos ébats et abattue de ce brusque retour dans ma vie, je ferme les yeux, essayant de me rendormir pour le retrouver un peu.
Encore une minute.
Encore un baiser.
Mon cœur bat fort et mes larmes brouillent ma vision. J'ai mal.
Aveuglée, je ne perçois l'arrivée de Stark que par sa démarche lourde et sa respiration ronflante. Sa seule présence m'agace : c'est sa faute si je me suis réveillée. De nerfs, je lui tourne le dos. Hors de ma vue, briseur de ma joie !
Yeux clos, je m'efforce à revenir à Fabien, et à nos ébats. Nous étions en harmonie. Qu'il prenne le temps ou qu'il soit avide, Fabien me faisait l'Amour. Il y avait toujours de la tendresse dans ses gestes.
Tout me revient. Son odeur, son goût. La volupté de ses caresses sur ma peau. Ces frottements lascifs de nos corps brûlants, cette alchimie, cette jouissance. Au détour de mon imagination, sa main glisse sur mon ventre. Effleurant, elle suit sa route, et attise des frissons en son sillage. Mon corps se tend et l'appelle, usant de ce langage que lui seul comprenait. Il sait ce qui fait du bien et il en joue... avec brio. J'accueille la sensualité et le plaisir qui m'envahissent. Ma respiration s'emballe d'extase.
Soudain, dans un soupir impudique, le charme se rompt.
Sa main ne serait en fait que la mienne ?
Surprise et interdite, je me redresse dans mon lit, essoufflée.
Cela faisait quelques jours que je ne m'étais plus réfugiée dans mes souvenirs et tout a dérapé. Je ne sais pas quoi penser de tout cela. Je remarque une chose particulière qui me saute aux yeux parce que cela ne m'était pas arrivé en plus de deux ans.
Mon corps réagit enfin. J'en suis étonnée moi-même. Ces pensées ont fait pulser mon bas ventre. J'ai osé entrer en contact avec mon corps, enfin.
Depuis que les séances ont commencé, je l'ai ressentie. Cette force qui me donne le pouvoir de subir mon présent, toujours aussi pénible. Je n'arrive toujours pas à évoquer Fabien en souriant, pourtant, je sais qu'un jour cela sera possible et cette idée même est une avancée.
À tout cela s'ajoute donc aujourd'hui l'éveil de mes sens. Je ne m'y attendais pas.
Depuis que Fabien est mort, je n'ai voulu ressentir aucun plaisir sexuel. J'ai refusé de m'octroyer ces sensations pour une raison simple. Le dernier orgasme que j'ai eu, c'était avec lui. Cette impression de porter encore sa marque sur moi était un réconfort inattendu dont je ne voulais pas risquer de me priver.
Je rassemble tout mon courage pour enfin me lever et me préparer mentalement à la journée qui m'attend :
Un dimanche chez ma mère.
Cinq mots terrifiants.
Avec tout le stress qu'elle génère, il n'est pas rare que mes amis me demandent pourquoi je m'évertue encore à la voir. Je me suis posée la question plusieurs fois, à vrai dire. J'en suis venue à plusieurs réponses : les liens du sang, la tristesse que m'inspire sa mentalité sans filtre, et aussi possiblement le fait que mon père l'ai quittée du jour au lendemain il y a vingt ans, nous laissant seules toutes les trois.
Marina m'a presque autant élevé que ma propre mère. La dynamique familiale était spéciale, mais je n'ai presque connu que cela, alors je m'en suis accordée.
Avec l'âge et la sagesse, il m'est arrivé plusieurs fois de tenter de la comprendre et j'en viens toujours au même point.
À sa gestion discutable de ses émotions – et de celles des autres – s'ajoute une immaturité notable. Bien vite, c'est Marina, et ses dix ans de plus que moi, qui est devenue ma figure d'autorité.
Et ma mère, c'est ma mère.
Je m'attends donc presque toujours à tout avec elle. Comme le fait de m'inviter pour fêter mes trente ans avec presque dix jours d'avance. Maman croit me surprendre en anticipant alors qu'elle a déjà fait pareil l'année dernière.
Je prends ma voiture pour quitter Lyon et rejoindre la petite bourgade où réside ma mère. Dans le rétroviseur, je regarde mon pauvre Stark assis sur la banquette arrière et d'un coup, je regrette les pensées malheureuses qui me sont venues ce matin, même si ça n'était que par colère mal placée. Mon pauvre toutou, toi aussi t'as bien morflé. Tout ira bien, je te le promets.
En arrivant, je constate que le véhicule de ma sœur est déjà garé devant.
Je récupère le bouquet de Muguet, et la bouteille de vin avant de marcher jusqu'à la maison.
— Amélia ! Ma chérie ! accueille ma mère. Ah, t'as arrêté de maigrir, ça fait plaisir.
J'ignore ses paroles pour me réfugier auprès de Marina et sa famille. C'est avec mon neveu blotti dans mes bras que je salue mon beau-frère. Ma sœur récupère son fils avant de nous étreindre tous les deux.
— Respire ! me rassure-t-elle.
Autour de la table de mon enfance, j'essaye de profiter de ce moment en famille. La chaise destinée à Fabien est devenue celle de Martin, qui, à cinq ans, peut à présent manger comme un grand. Nous sommes de nouveau cinq à table. C'est une nouvelle étape.
J'admire ce petit homme souriant en face de moi. La bouille d'ange de ce gamin me fait fondre.
Avant, ce fut lui, à cette place.
Je regarde Martin plonger sa main dans le bol d'apéritifs après avoir demandé la permission à son père. Il est craquant cet enfant. Quand il s'aperçoit que je le fixe, c'est en silence qu'il ouvre sa main pour me proposer une de ses chips. Son adorable sourire cerclé de sauce et de gras m'incite à accepter
Polie, je croque dans cette offrande au goût plus que douteux.
— Ah, voilà ! Tu remanges un peu ma fille ! commente ma mère depuis le bout de la table.
Je hoche la tête et lui sourit, espérant qu'elle passe vite à autre chose.
— Non, parce que je sais pas si Marina vous l'a dit, persiste-t-elle s'adressant à Adrien, mais Amélia a cessé de s'alimenter pendant une longue période. J'avais si peur qu'elle tombe dans l'anorexie mentale !
— Je ... bredouille mon beau-frère.
—Mais là, je vois qu'il y a un mieux. Hein ? Amélia, ça va mieux ?
D'instinct, je me redresse, à deux doigts de quitter la table. Stark me rejoint, frétillant, prêt à s'en aller. Mon envie de hurler sur ma mère m'incite à fuir. Pourtant, cette fois-ci, une inspiration bruyante, signifiant mon agacement, suffit à me canaliser. Et pourquoi fuir ? Elle exprime mal son inquiétude, et peut être que pour la faire taire, il faudrait simplement que j'y réponde, pour une fois. Marielle, sort de ce corps !
Je me rassois prestement, me sert un grand verre de muscat que je bois d'une traite.
— Oui. J'ai enfin accepté qu'on m'aide un peu, annoncé-je avec fierté.
Le sourire de Marina et de son mari accompagnent mes mots.
— Je suis un programme au sein d'une association. Deux fois par semaine.
— Formidable !
— Et j'ai rencontré des personnes supers, continué-je J'arrive à comprendre certains mécanismes de mes pensées, et du coup, je vais arriver à mieux lutter.
— C'est bien, c'est bien.
— C'est l'association « Sans eux », tu te souviens quand tu me l'avais proposé l'année dernière ?
— Ho là ! Oui, je m'en souviens. C'était pas donné, c'tte histoire ! éructe-t-elle.
Sa réponse, à côté de la plaque, m'intrigue.
— Ce sont des bénévoles...
— Ah non, c'est certain que non ! Je me souviens bien qu'on avait parlé de partager les frais avec ta sœur et...
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