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Jour III

Troisième jour ! On allait atteindre Budapest le lendemain. Il n'avait pas été possible de rattraper le retard de Vienne.

Le réveil fut donné à sept heures mais Mlle Grey refusa de se lever aussi tôt. Cette fois, elle n'avait pas étreint le détective dans la nuit mais elle voulait le garder encore un peu avec elle et tentait de le circonvenir.

« Restez au lit M. Poirot ! Je suis fatiguée !

- Je croyais que vous vouliez profiter de chaque instant de ce voyage ?!, fit Poirot, un peu moqueur.

- M. Poirot ! Je veux profiter de vous. Restez et bavardons !

- De quoi voulez-vous parler ?

- De ce que vous voulez. Tant que j'entends votre voix, je suis bien.

- Bref, vous voulez que je vous endorme par mon bavardage !, rétorqua le petit Belge, piqué.

- J'ai envie de rester avec vous... S'il-vous-plaît...

- Mlle Grey... »

Mais Hercule Poirot se plia aux ordres de la jeune femme et resta étendu près de cette dernière. Seulement, l'homme était crispé et mal à l'aise. Cela surprit Mlle Grey, habituée à voir un Hercule Poirot, sûr de lui et de sa place.

« Vous n'avez jamais eu de fiancée ?, » demanda Mlle Grey, curieuse.

Cette question était un nouveau pas en avant. Et quel pas ! Poirot en eut le souffle coupé. Mordant, il renvoya la question à son envoyeur.

« Et vous ? Aucun fiancé ?

- Aucun. Une demoiselle de compagnie n'attire pas les maris.

- Vous n'avez jamais eu...d'aventure ?

- Une seule ! Un jour, ma patronne a eu un malaise assez sérieux. Nous avons appelé son médecin mais il était absent. C'est son remplaçant qui est venu. Un beau jeune homme.

- Il vous a plu ?

- Cela aurait été difficile qu'il ne me plaise pas. Il plaisait à tout le monde. Je ne fus qu'une parmi tant d'autres. Au moins, il a été clair avec moi dés le départ, aucun mariage, aucun enfant. Il a tenu sa parole.

- Il vous a rendu heureuse au moins ?

- Pendant quelques semaines, il a été très attentionné. Puis il a rencontré une autre femme et a changé de ville. De toute façon, le médecin attitré de ma patronne est revenu. Je n'avais plus de raison de rencontrer le charmant docteur Preston.

- Il vous a blessé ? »

Doux Poirot, gentil Poirot. Une telle compassion résonnait dans sa voix que la jeune femme en fut troublée.

« Un peu, reconnut-elle. Disons que ma vie est devenue encore plus insipide après son départ. »

Poirot comprenait. Il avait furieusement envie de jouer la même scène que la jeune femme, glisser sa main sur la sienne et l'apaiser par une touche amicale. Mais il savait se tenir. Il préféra parler à son tour.

Dans trois jours, ils étaient à Istanbul et toute cette histoire allait prendre un tournant radical. Par la force des choses !

« Je n'ai jamais eu de fiancée, affirma posément Poirot. Une fois, je suis tombé amoureux. Une jeune femme à Bruxelles qui voulait que j'enquête pour prouver qu'un de ses amis avait été assassiné.

- Elle avait raison ?

- Elle avait raison. On l'avait tué avec du chocolat.

- Du chocolat ? Sérieusement ?

- Du chocolat empoisonné ! »

Ils ne purent s'en empêcher, ils se mirent à rire, un long fou-rire, toute cette scène était tellement absurde...et il leur restait si peu de temps, comme si l'arrivée à Istanbul était un final... Mais un final à quoi ?

« Que s'est-il passé ? »

Hercule Poirot aurait pu comprendre qu'elle parlait de l'enquête, il aurait pu jouer le jeu et raconter cette affaire, la jeune femme aurait joué la comédie de l'amie attentive. Mais voilà, il y avait Istanbul et il fallait aplanir les choses.

« Je suis tombé amoureux, admit Poirot, pour la première fois de sa vie. Pas elle... Elle a préféré un de mes amis.

- Dieu ! Je suis tellement désolée !

- C'est peut-être pour cela que je n'ai jamais voulu revenir en Belgique. La revoir me ferait trop de mal.

- Elle ne sait pas ce qu'elle a perdu ! Vous êtes un homme si bon et si doux, M. Poirot. »

Poirot ne savait plus quoi dire, une fois de plus. La jeune femme le déroutait. Il essaya de se préparer à la caresse, mais il n'arriva plus à respirer lorsque la main de Mlle Grey se posa sur la sienne. Il faisait jour, on pouvait se voir maintenant. Elle se redressa et regarda Poirot dans les yeux. Avec un doux sourire.

« Un homme si gentil.

- C'est normal. Je suis un vieil homme. Il ne me reste plus qu'à être doux.

- Un vieil homme ! Wassili a raison ! Vous ne faites que vous vieillir M. Poirot ! »

En entendant ce prénom, la magie s'était envolée et l'instant était brisé. Poirot se redressa, forçant la jeune femme à se reculer. Un peu surprise par ce changement d'humeur.

Mais malgré tout, même un homme diminué comme Hercule Poirot pouvait avoir encore un soupçon d'orgueil de mâle !

« J'ai faim !, » annonça-t-il, un peu abruptement.

Et ne laissant pas le temps à Mlle Grey de riposter, M. Poirot saisit quelques vêtements et se faufila dans la salle d'eau. Au tour de la jeune femme de rester étendue sur la couchette, à rougir et à essayer de ne pas écouter...

Mais elle n'était pas Poirot !

Elle se permit de regarder et de détailler la silhouette du détective.

On ne pouvait pas dire de M. Poirot qu'il était beau ! Il avait une taille petite, son ventre bien rond ressortait et ses jambes étaient petites. Nerveuses. Un drôle de bonhomme ! Mais il avait des gestes gracieux, il marchait à petits pas et cela lui donnait de l'allure. Et il avait des costumes magnifiques qui le mettaient en valeur.

Un dandy !

Elle le regardait sans vergogne enfiler son pantalon. Et elle blêmit en apercevant la cicatrice de sa blessure de guerre à une de ses jambes. Laide. Elle était handicapante et montait si haut dans la cuisse. Mlle Grey rougit, encore, elle ne pouvait pas suivre la blessure jusqu'au bout...

Enfin, M. Poirot refermait ses boutons de manchette avant de faire son nœud papillon. Mlle Grey eut follement envie de le faire pour lui mais elle se tut. Ne devait-elle pas être sourde et aveugle ? Et puis, elle était sa nièce, non ?

Enfin, Poirot sortit, lui laissant la place.

Elle n'avait même pas vu ses yeux si beaux, ses émeraudes étincelantes.

La jeune femme apparut quelques minutes plus tard dans le wagon-restaurant. Elle repéra aussitôt Poirot, il était assis face à Mme Renaud. Aujourd'hui, on prenait le petit-déjeuner ensemble. Dés qu'elle se fut assise à table, Mme Renaud lui lança en guise d'accueil :

« Alors M. Poirot est votre oncle, mademoiselle ?

- Oui, madame.

- Il dit qu'il doit vous trouver un mari !

- C'est un de ses projets, en effet.

- Je peux vous présenter à des collègues de mon Antoine ! Ils sont tous jeunes et célibataires ! Il n'y a que lui pour être marié et déjà âgé.

- Merci, madame Renaud, rit la jeune femme. Je saurais me débrouiller seule. »

Cyril entra à cet instant, en compagnie de Wassili. Les deux hommes saluèrent les voyageurs d'un hochement de tête rapide, avant de s'asseoir à une table pour commencer à manger.

Mme Renaud se pencha vers Mlle Grey et lui souffla, complice :

« A moins que vous ne préfériez ce cher Wassili ? »

Mlle Grey en fut soufflée. Ainsi, on croyait qu'elle... Dieu ! Que les gens avaient de mauvaises langues et un déplorable sens de la déduction... Puis elle vit Hercule Poirot. Ses yeux fixés sur elle et elle comprit enfin la tristesse qui y régnait. En fait, les détectives aussi pouvaient faire de mauvaises déductions !

Cela lui donna juste envie de sourire et Poirot répondit malgré lui à son sourire par le sien, éblouissant. Jaloux M. Poirot ?

Le voyage fut tranquille. On arriverait avec du retard à Bucarest le lendemain, dans la journée. On ne pouvait pas rattraper l'escapade de Vienne.

Après le petit-déjeuner, Wassili prit les choses en main pour apporter un peu de festif dans le voyage. Il demanda à Raymond de repousser les tables dans un coin du wagon-restaurant, puis il apporta un mange-disque qu'il avait conservé dans son compartiment et bientôt la musique régna en maître dans l'Orient-Express. Du jazz !

Les passagers en rirent, surtout lorsque Wassili vint saisir la main de Mlle Grey pour la faire danser. Poirot observa cela d'un visage impassible. Illisible !

Mme Renaud fut choisie par un homme, célibataire, parmi les passagers, un aechéologue de renom, de retour au pays de sable. Il y eut bientôt quatre couples dansant avec entrain...

Cyril vint s'asseoir aux côtés de Hercule Poirot, un verre de cognac à la main.

« Combien de temps pensez-vous que la vieille folle va les laisser s'amuser ainsi ?

- Elle ne devrait pas tarder...ou alors son fils, » reconnut Poirot, en souriant.

Mlle Grey riait, ses joues rougissaient, tandis que Wassili la faisait tourner le plus vite possible, sans respecter les pas de la danse.

Et Poirot essayait de ne pas sentir la douleur qui montait dans sa poitrine. Il la reconnaissait bien et en était atterré. Il l'avait déjà ressentie. Il y avait des années, à Bruxelles...

« Vous dansez, M. Poirot ?

- Oui.

- Le fox-trot ?

- Même le tango. Mais ma jambe est un handicap.

- WASSILI ! Un tango pour M. Poirot !

- Non, Cyril. Non, » se surprit à crier Poirot, appelant sans le vouloir son compagnon de tablée par son prénom. Lui qui n'arrivait même pas à appeler son cher Hastings, Arthur.

Wassili cessa de faire tournoyer sa partenaire et regarda Cyril avec stupeur avant d'acquiescer. Aucun des deux hommes ne prenait en compte les dénégations du petit Belge.

« Pas de problème, cher oncle ! Veuillez me pardonner, mademoiselle Grey ! Un cas de force majeure !

- Je vous en prie !, » rit la jeune femme.

Wassili s'approcha de son mange-disque et fouilla dans ses disques. Quelques minutes et un tango enlevé se fit entendre.

Cyril se tourna vers Poirot et leva son verre en souriant d'un air moqueur.

« A vous M. Poirot !

- Mais je...

- Je suis désolé, Mlle Grey, mais je ne sais pas danser le tango, lança Wassili. Vous allez devoir changer de partenaire.

- Ce n'est pas grave, je vais m'asseoir.

- M. Poirot sait le danser !, reprit Cyril.

- C'est vrai M. Poirot ?, demanda Mlle Grey, les yeux étincelants de joie.

- Oui. Mais...

- Alors tout est dit ! A vous la piste !, » conclut Wassili.

Il était bien obligé d'obéir mais ses yeux étaient illuminés de colère. Il était bien obligé d'obéir car Mlle Grey le regardait avec espoir. Et il ne pouvait pas résister.

Hercule Poirot se leva donc et saisit les mains de la jeune femme. Mlle Grey retrouva son sourire si beau et Poirot répondit comme à son habitude.

« Je vous préviens, M. Poirot, je ne sais pas danser le tango.

- Alors laissez-moi vous guider...

- Avec plaisir... »

Et le détective commença par des passes très lentes, glissant sa jambe entre celles de la jeune femme, l'obligeant à se pencher en arrière, à suivre ses mouvements. Mlle Grey ne riait plus mais elle ne quittait pas les yeux de son partenaire. Le tango était une danse un peu scandaleuse, beaucoup de clubs honorables refusaient de la diffuser. Les danseurs se frôlaient, se touchaient. On se caressait plus qu'on ne dansait. Et Poirot connaissait très bien le tango. Il l'avait appris en Argentine.

En rendant visite au capitaine Hastings.

Une vie privée dont personne ne connaissait les détails.

Donc le détective faisait glisser, pencher et le rythme s'accélérait. Sa bouche se trouvait si proche de la courbe du cou de la jeune femme.

Une gorge appelant le baiser de l'amant.

Poirot dut résister.

C'était cela le piège que lui avait tendu ce Cyril ? Une manière de se venger ? Mais Poirot n'arrivait pas à se fâcher. Pas quand les mains de la jeune femme se posaient sur ses épaules et les serraient avec force. Pas quand elle riait en se laissant entraîner dans la danse.

Quelqu'un a dit un jour que danser un tango équivalait à faire l'amour. Ce jour-là, Poirot eut envie que cela soit une réalité tant la jeune femme qu'il tenait dans ses bras était désirable...

On observait le couple évoluer avec stupeur.

Ils étaient les seuls danseurs.

On avait pensé se moquer, encore, même si c'était gentiment, de ce drôle de petit Belge si ridicule... On n'avait plus envie du tout. Hercule Poirot était impressionnant par sa technique et sa partenaire jouait si bien le jeu.

Cyril souriait dans son coin. Wassili vint s'asseoir à ses côtés et murmura :

« On peut savoir à quoi tu t'amuses ?

- A jouer les entremetteurs.

- Ce Belge et cette Anglaise ? A quel fin ?

- Remporter un pari !

- Cyril... Un jour tu vas te brûler les doigts. Ce Poirot est dangereux pour nous ! »

La danse arriva à son terme. Poirot voulut relâcher sa nièce mais Mlle Grey refusa de le laisser partir. Elle cria à Wassili :

« Maintenant, je veux une danse rapide ! Un truc que je connais !

- Du fox-trot ?, demanda Wassili, se levant pour retourner à son mange-disque, cherchant un nouveau disque.

- Ho oui !

- Mlle Grey..., » commença Poirot, consterné.

Le retour de Papa Poirot ! Mais le regard appuyé de Mlle Grey le fit taire. Ils avaient dépassé ce stade manifestement. Poirot acquiesça et on attendit la musique. Wassili retourna sur la piste improvisé avec une jeune femme, nouvellement fiancée. Mlle Jackson.

D'autres couples les rejoignirent. On ne connaissait pas le tango mais on savait les pas du fox-trot.

Et on dansa !

Poirot savait également danser le fox-trot. Avec brio là aussi. Et cette fois Mlle Grey participa vraiment à la danse comme une vraie partenaire et non une poupée dirigée de main de maître par un marionnettiste de talent.

On ne se quittait toujours pas des yeux.

Cela aurait pu durer des heures encore. Le déjeuner était encore loin mais une voix criarde vint briser cette belle ambiance.

« Mais ma parole c'est un bastringue ce train ?! Je croyais que c'était bien tenu ! »

On ne cessa pas de danser pour autant mais le fils de Mme la baronne Héloïse de la Tour-Mirepoix s'approcha, le visage sombre, de Raymond, le chef de train... Et ce dernier demanda à Wassili de faire cesser la musique.

Il était question d'une plainte possible à son encontre auprès de ses supérieurs. On ne pouvait pas faire cela à Raymond ou au personnel attentionné de l'Orient-Express. On cessa donc de danser.

On aida les serveurs à remettre les tables et Mme Héloïse de la Tour-Mirepoix put prendre enfin son petit-déjeuner... Seule... Car on fuit le wagon-restaurant...

Retour dans son compartiment.

Mlle Grey se retrouva étendue sur sa couchette, furieusement déçue.

« Il faudrait que quelqu'un nous en débarrasse !, jeta-t-elle avec colère.

- Mlle Grey, fit Poirot, apaisant et un peu fâché aussi. Ne dites pas cela ! La mort n'est jamais un plaisir et un meurtre est la pire des choses.

- Mais c'est une horrible femme ! Elle nous empêche de profiter de notre voyage !

- Elle vous oblige à rester quelques heures en tête-à-tête avec Papa Poirot ! C'est vrai que c'est terrible !

- Je ne dis pas cela pour ça M. Poirot ! Vous le savez bien ! Cela me fait très plaisir de rester avec vous ! Mais vous devez admettre que c'est sympathique de voyager en compagnie, non ?

- La vôtre me suffit, » lança Poirot.

Il y eut un blanc et Poirot craignit d'en avoir trop dit. Il devait trouver un chevalier-servant ! Il n'était que l'oncle ! Il sentit ses joues rougir et se tourna vers la fenêtre de leur compartiment pour se donner une contenance.

Une fois reprise, la jeune femme murmura :

« Moi aussi, j'aime beaucoup votre compagnie. Venez vous étendre près de moi, M. Poirot. Après nos danses, votre jambe doit être douloureuse. »

Charmeuse, elle le troublait encore. Le faisait-elle volontairement ou n'était-ce que de la gentillesse ? Même Poirot n'arrivait pas à trancher.

Néanmoins, il se coucha près d'elle. Sa jambe le faisait en effet souffrir et il était content de se reposer quelques minutes..., laissant l'Orient-Express poursuivre son voyage... En attendant le déjeuner...

« Vous savez danser d'une façon merveilleuse M. Poirot !

- Merci, Mlle Grey, fit Poirot, indulgent.

- Non, c'est vrai ! J'aimerais avoir un peu plus de temps et que vous me l'enseigniez ! »

Et voilà ! Encore le temps !

Mais ils avaient tout le temps, non ?

Après Istanbul, il faudra rentrer, reprendre le train pour un voyage de retour vers Paris, non ?

A moins que...

« Vous ne dansez pas si mal que ça, répondit poliment le petit Belge.

- Vous plaisantez ? »

Elle s'était redressée et rapprochée de lui. Sa tête apparut au-dessus de la sienne. Des yeux noisette observant des yeux émeraude et elle riait, amusée. Ignorait-elle vraiment le trouble qu'elle provoquait chez le petit homme ?

« Je ne dis que la vérité !, rétorqua Poirot.

- Je ne vous savais pas flatteur, M. Poirot !

- Poirot ne flatte jamais, il ne dit que la vérité !

- Mouais... Pas convaincue ! Lisez-moi un chapitre sur Budapest pour la peine. N'est-ce pas une ville avec un très beau pont ?

- Toutes les villes ont un très beau pont, répondit le détective en souriant.

- Lisez !, » ordonna Mlle Grey.

Et Poirot se soumit.

Essayant d'ignorer la tête de la jeune femme venue se poser sur son épaule. Ses cheveux au parfum de jasmin glissant sur son torse.

A midi, on frappa à leur compartiment. Cela les réveilla en sursaut. Ils devaient s'être endormis ensemble en lisant le chapitre peu passionnant sur les ponts de Budapest. Poirot l'avait choisi exprès et cette petite vengeance s'était retournée contre les deux. On frappa puis on leur demanda à-travers la porte s'ils voulaient déjeuner dans leur compartiment ou s'ils rejoignaient le wagon-restaurant. Comme ils hésitaient à répondre, l'homme ajouta, avec une pointe d'humour dans la voix :

« Mme Héloïse est partie se coucher. Elle ne se sentait pas bien. Il n'y a que son fils qui déjeune.

- Alors nous venons !, » répondit Mlle Grey.

Elle se redressa doucement, quittant la chaleur de Poirot. Une excellente bouillotte c'était vrai...mais peut-être un peu plus que cela...

Le wagon-restaurant était déjà rempli de monde. On dégustait des tournedos Rossini avec une sauce au foie gras que le restaurant de La Tour d'Argent n'aurait pas désavoué.

Poirot fut heureux de faire goûter un nouveau vin à sa jeune partenaire. Mlle Grey lui lança en riant :

« Vous voulez me saouler, M. Poirot ?

- Ce soir, peut-être, reconnut Poirot. Je ne vous ai pas encore fait découvrir le cognac !

- M. Poirot... »

Ils rirent, inconscients de tous, perdus dans leur monde. Tout le monde avait compris...sauf eux...

Le voyage se poursuivait. La fin du jour approchait. On avait passé encore une après-midi en discussion, en jeux et en rires.

Cette fois, le fils de Mme Héloïse de La Tour-Mirepoix participait à la liesse générale. C'était un homme timide et un peu empoté, ayant toujours vécu sous la férule de sa mère mais il était très intelligent et cultivé. Il se retrouva dans la compagnie de Mme Peguet, une femme dans la trentaine, encore très jolie, mariée à un alcoolique resté cloîtré dans leur appartement de Paris. Monsieur visitait ses maîtresses et se perdait dans la dive bouteille pendant que sa femme partait en voyage à bord de l'Orient-Express. Un échange de bon procédé. Mme Peguet accepta donc de devenir le vis-à-vis de M. le baron de La Tour-Mirepoix. Un peu gênés, les deux esseulés se trouvèrent bientôt des points communs et discutèrent à bâtons rompus.

Le dîner retrouva les mêmes personnes au même place.

On dégusta une sole meunière avec des pommes de terre en robe des champs...et une sauce Villeroi du tonnerre... En dessert, des profiteroles firent crier de joie Mlle Grey, comme une gamine de dix ans et sourire Poirot avec indulgence.

« Vous n'aimez pas M. Poirot ?, demanda-t-elle en engloutissant une grosse bouchée de son dessert glacé.

- J'aime beaucoup mais je sais me contenir !

- Pour la peine, M. Poirot ! Vous allez être obligé de me lire un chapitre ce soir !

- Sur les ponts de Budapest ? »

Ils rirent, encore. Quand avaient-ils commencé à être si familier l'un avec l'autre ? Poirot avait furieusement envie de poser sa main sur celle de la jeune femme. Mais il était l'oncle...pas autre chose...

Cyril vint sauver le malheureux petit Belge en lui proposant une nouvelle partie d'échecs. Poirot acquiesça et on laissa Mlle Grey jouer au backgammon avec Wassili.

Sans jalousie, n'est-ce-pas M. Poirot ?

« Même enjeu que la veille ?, lança le Russe en souriant.

- Je ne serai pas meilleur aujourd'hui !, rétorqua Poirot.

- A vous de vous y efforcer, M. Poirot. Il ne reste que trois jours de voyage ! »

Cela brisa la belle ambiance et disparaître le sourire du détective.

« Je ne le sais que trop !

- Ce bon vieil Orient-Express est redoutable pour cela, M. Poirot. Ces maudits six jours font tourner les têtes et prendre des décisions hâtives. J'ai rencontré Wassili à bord de ce train il y a cinq ans maintenant.

- Vous n'êtes pas son oncle ?, demanda Poirot, un peu moqueur.

- Je suis l'oncle de Wassili autant que vous êtes celui de Mlle Grey. Où avez-vous rencontré ce charmant petit chat ?

- A bord du Train Bleu. Elle s'est retrouvée suspectée d'un meurtre.

- Comme toujours avec vous, M. Poirot. Un meurtre, un crime, un vol... Je suis surpris qu'on soit encore tous présent et vivant !

- Vous avez rencontré Wassili il y a cinq ans ?

- Un jeune musicien prometteur.

- Et un espion qui l'était tout autant, je suppose. »

Cyril conserva son sourire mais ses yeux ne souriaient plus. Poirot s'amusait énormément. Il voulait moucher ce « Russe » qui lui jouait la comédie de l'homme désabusé qui avait tout vu, tout connu.

« Je ne connais pas ce colonel Race ! Une connaissance à vous ?

- Et à vous, sans nul doute. Mais jouons, très cher Cyril et voyons la vérité !

- Alors gagnez M. Poirot ! »

Mais Poirot ne gagna pas. Il était vraiment d'un niveau inférieur à celui du Russe et il était perturbé par Mlle Grey discutant avec animation avec Wassili. Ils se souriaient, se parlaient avec tant d'entrain, si proches l'un de l'autre. Poirot était déconcentré et jaloux. Jaloux !

« Une nouvelle partie M. Poirot ?, lança Cyril.

- La vérité m'importe peu, M. Cyril. J'ai déjà compris l'essentiel sur vous et M. Wassili.

- Vraiment ?

- Vraiment ! Il y a toujours des troubles dans les Balkans et je sais que Lord Seymour et M. de La Motte-Piquet, les ambassadeurs d'Angleterre et de France, sont toujours en quête d'informations précises sur les agissements des Turcs le long de la frontière russe. L'URSS est un allié à ménager mais aussi très instable.

- Je ne m'attendais pas à parler géopolitique avec vous, M. Poirot.

- Vous ne pouvez pas réellement espérer me tromper, monsieur ! On n'abuse pas Poirot avec un déguisement aussi ridicule ! »

Cette fois les deux hommes se regardaient durement. Oui, il pouvait se brûler les doigts et le petit Belge était dangereux. Cyril regretta d'avoir joué avec lui.

« Qu'allez-vous faire ? »

La question surprit tellement Hercule Poirot qu'il resta muet quelques secondes.

« Comment cela ?

- Vous pouvez nous dénoncer. Dés votre arrivée à Istanbul. Nous savons que vous êtes dans les meilleurs termes avec M. El Kalaï.

- Mais pourquoi diable ferais-je cela ? Je suis citoyen britannique, ou presque.

- Nous sommes des pédérastes ! »

Là, M. Poirot chercha bien ses mots et répondit soigneusement.

« Ça, je l'avais compris dés le premier jour mais cela m'importe peu.

- C'est hors-la-loi !

- Vous n'êtes pas assez discrets, sourit Poirot. Mais je ne verse pas dans cela. C'est votre vie privée. »

Un soulagement imperceptible fut visible dans les épaules du « Russe », le sourire revint et on commanda un cognac. Pour détendre l'atmosphère.

« D'accord, j'ai eu tort de jouer avec vous, M. Poirot mais avouez que c'était tentant. Surtout dans votre situation.

- Ma situation ?

- Vous et cette fille !

- Il n'y a rien entre Mlle Grey et moi.

- Alors il faudrait vraiment que vous me battiez aux échecs M. Poirot pour que je vous explique quelques petits secrets...

- Je ne suis pas bon aux échecs.

- Je l'avais remarqué. Mais ce n'est pas votre seul défaut.

- Pardon ?!

- Regardez mon Wassili ! Il joue très bien au backgammon et le voilà qui gagne face à Mlle Grey. Si mon petit musicien a bien obéi à mes instructions, je saurais tout cette nuit.

- Mais tout quoi ? Vous êtes pénible M. Cyril !

- Le colonel Race m'a parlé de vous, M. Poirot et des sables d'Égypte. Il sera content d'apprendre cette histoire sur vous ! »

Cyril se mit à rire mais Poirot était vexé. Il voyait bien que Mlle Grey s'entendait à merveille avec ce jeune Wassili. Il savait déjà que ce jeune homme était un homosexuel mais Mlle Grey était tellement heureuse en sa compagnie. Poirot n'avait pas voulu l'ennuyer avec ses révélations d'oiseau de mauvais augure.

Le détective préféra poser ses yeux sur d'autres tables.

Mme Renaud jouant au bridge avec un couple d'Anglais fortunés et un Français célibataire. Un archéologue manifestement, partant rejoindre son champ de fouille en Irak. On s'invectivait gentiment lorsqu'une erreur était faite.

Mme Peguet riait en compagnie de M. de La Tour-Mirepoix. Son rire était très agréable et faisait ressortir de mignonnes fossettes sur ses joues. On buvait et on bavardait, profitant d'un moment de liberté loin de la mère étouffante.

Et d'autres tables, entre lesquelles circulaient les servants de l'Orient-Express, avec à leur tête Raymond, le chef de train. Attentif et attentionné.

Une belle soirée.

« Essayez encore M. Poirot ! Je promets de ne pas vous assassiner tout de suite !

- Pourquoi pas ?, » admit le détective, vaincu.

Ce fut un nouvel échec puis Poirot se leva pour aller se coucher.

Plus tard, alors qu'il était étendu sur sa couchette, le cœur en déshérence et l'esprit en maraude, Mlle Grey entra dans le compartiment.

Il ne put s'empêcher d'entendre les bruits de la jeune femme se préparant pour la nuit. Le tissu des vêtements glissant le long de son corps, de ses jambes fuselées, le bruit de l'eau lorsqu'elle se lavait les dents puis enfin le matelas grinça lorsqu'elle se coucha à son côté.

Et, alors qu'il pensait qu'elle le croyait profondément endormi, la jeune femme se mit à parler :

« Wassili me propose de les accompagner à Istanbul, de suivre la saison puis d'aller en Crimée avec eux.

- Ce serait un beau voyage, c'est vrai. »

Le cœur se brisait. Une nouvelle fois, des années après Bruxelles. Poirot avait cru que cela ne lui arriverait jamais à nouveau.

« Vous me laisseriez partir ?

- Qui suis-je pour vous en empêcher ?

- Vous êtes impossible !, » lança la jeune femme, frustrée.

Et ce fut comme si la foudre l'avait frappé lorsque Poirot entendit sa compagne pleurer. Il ne sut quoi faire, affolé. Puis, comme la crise se poursuivait, Poirot se tourna vers la jeune femme, dans la nuit, et il la prit dans ses bras, la forçant à se décaler pour poser sa tête sur son épaule. Elle lutta un instant puis se laissa faire.

« Qu'espérez-vous de moi Mlle Grey ? Je suis vieux !

- ASSEZ !, cria-t-elle en se redressant. Assez avec cette excuse ! Vous êtes vieux, soit, je m'en fous moi ! »

Elle était si proche de son visage qu'il sentit son souffle sur ses lèvres. Son cœur s'affola encore davantage. Elle utilisait un dentifrice au menthol.

« Mlle Grey !, commença doucement Poirot, se voulant apaisant.

- Appelez-moi Catherine... S'il-vous-plaît...

- Catherine, répéta Poirot.

- Hercule..., » répondit Mlle Grey.

Et leurs lèvres se trouvèrent et ce fut un choc. Ils se reculèrent, douchés. Poirot se reprit le premier. Il repoussa gentiment la jeune femme sur le côté en murmurant :

« Nous avons trop bu ce soir. Nous sommes fatigués. Il nous faut dormir. Demain nous passerons Bucarest. Ensuite après Bucarest, il ne restera qu'Istanbul. Puis...

- M. Poirot !, fit sèchement la jeune femme.

- Oui ?, répondit Poirot d'une petite voix, incertaine.

- Embrassez-moi ! »

Et Poirot se soumit à un ordre aussi catégorique. Il fit glisser la jeune femme sous sa stature, la dominant de toute sa force de mâle. Elle se laissa faire, ravie de cette initiative.

Le baiser commença très tendre avant de devenir affamé et de s'approfondir. Poirot força la bouche de sa compagne à s'ouvrir pour lui et ce fut la première touche entre les langues. Un lent ballet sensuel. Une douce exploration qui les essouffla. Bientôt les bouches ne suffirent plus et les mains se mirent de la partie. Elles caressaient, découvrant des poitrines, des ventres, des hanches, des cuisses... Tout était vêtu mais c'était divin. Mlle Grey gémit lorsque la main de Poirot, ses doigts si doux, si précis, trouvèrent un sein à-travers le tissu de sa chemise de nuit et se mirent à le caresser.

Une bouche posée sur la sienne pour la faire basculer.

Elle murmurait le prénom du détective... Il en devenait fou...

Ce fut à son tour de gémir lorsque la bouche de la jeune femme découvrit un point situé sous son oreille. Un point qu'il suffisait d'embrasser et de mordiller pour le rendre incohérent.

Ils voulaient... Dieu ! Que voulaient-ils ?

Puis, on frappa avec vigueur à la porte de leur compartiment, les faisant sursauter.

« M. POIROT !, hurlait Raymond, le chef de train. Je vous en prie ! Ouvrez !

- J'arrive, » arriva à répondre Poirot.

Oui, il était maudit !

Et un meurtre avait eu lieu à bord du train.

Il fallut quelques minutes au détective pour se reprendre, attraper sa robe de chambre pour se donner une certaine contenance...et s'efforcer de ne pas voir la jeune femme alanguie sur son lit, les yeux brillants de désir et les lèvres mouillées de leurs baisers.

Le Belge ouvrit enfin la porte et se glissa aussitôt à l'extérieur dans le couloir du train. Pour ne rien laisser entrevoir de l'intérieur du compartiment. Puis il fut saisi. Tout le personnel était présent.

« Qui a été tué ?

- Comment le savez-vous ?, » demanda candidement Raymond.

C'était une question si naïve mais elle ne fit même pas sourire le détective.

« Disons que c'est la force de l'habitude.

- Ha ? Hé bien, ce n'est pas dans nos habitudes, rétorqua un peu froidement le chef de train.

- Qui a été tué ?, répéta Poirot, lassé.

- M. de La Tour-Mirepoix, » répondit le chef de train.

Cela eut le mérite de surprendre Poirot. Il ne s'était pas attendu à cet homme falot mais plutôt à sa mère acariâtre ou à un de nos deux Russes...

« Menez-moi à son compartiment.

- Bien M. Poirot. »

Le soulagement était perceptible dans la voix de M. Raymond. Un détective allait se charger de cette déplaisante affaire et personne n'en serait blâmé. Peut-être qu'il allait pouvoir conserver sa place au sein de la compagnie des Wagons-Lits ?

M. Raymond mena vivement Poirot jusqu'à un compartiment à la porte duquel il frappa doucement. On ouvrit aussitôt et le visage d'un des serveurs du train apparut dans l'encadrement. Lui aussi parut soulagé de voir le petit détective belge.

Prenait-on Hercule Poirot pour un magicien ?

Surtout que ce soir le fameux détective aurait bien aimé pouvoir penser un peu à lui...

« Puis-je entrer ?, demanda-t-il, un peu sèchement malgré lui...mais il était fatigué...

- Bien sûr, M. Poirot. »

On s'écarta pour le laisser entrer et Poirot découvrit un compartiment identique au sien. Sauf que sur le lit se trouvait un cadavre d'homme, la bouche ouverte et la langue pendante. Rien qu'à la vue des yeux révulsés et de la rigidité du corps, Poirot comprit qu'un empoisonnement eut lieu.

Cyanure ? Strychnine ? Une autopsie le dirait mais ils étaient perdus en pleine nuit sur la route entre Budapest et Bucarest...

« Y a-t-il un médecin à bord ?

- Oui, bien sûr, M. Poirot. »

Un des membres du personnel s'approcha et se présenta. Docteur Vernet.

« La mort est très récente, expliqua le médecin. Une heure à peine. Le corps commence à peine à se rigidifier.

- Et la cause ?

- Poison, répondit le médecin. Il faudrait procéder à une autopsie mais il n'y a pas vraiment le matériel adéquat dans le train.

- Je comprends. De toute façon, je suis d'accord avec vous. »

Le médecin de bord fut soulagé, lui aussi ! Le fameux détective était d'accord avec lui et ne le critiquait pas pour ne pas avoir déjà découpé le corps. La médecine légale n'était pas le dada du médecin de l'Orient-Express.

« Reste à savoir comment le poison est arrivé dans l'estomac de notre homme. »

Puis tout à coup la révélation se fit jour. Poirot était lent ce soir mais il avait des excuses, l'alcool, la fatigue et une jeune femme désireuse et désirable dans son lit... De quoi faire perdre la tête à n'importe qui ! Même à un homme méthodique comme Hercule Poirot.

« Où est Mme la baronne ?

- Dans le compartiment de Mme Peguet, répondit M. Raymond.

- Je lui ai administré un sédatif, reprit le médecin. La pauvre femme était en pleine crise d'hystérie et il fallait calmer les pleurs. »

Calmer les vieilles femmes était plus une des habitudes du médecin de l'Orient-Express.

« Vous avez bien fait ! La malheureuse doit être bien désespérée. »

Comme quoi ! Elle aimait son fils !

« Terrible M. Poirot. Elle a réclamé le même poison que son fils pour partir avec lui.

- Horrible, acquiesça Poirot.

- Et maintenant ?, demanda le chef de train avec insistance.

- Je vais me coucher, répondit Poirot.

- QUOI ? Et... Et M. de La Tour-Mirepoix ?

- Il est tard ! Il est mort ! Nous enquêterons demain. Ouvrez l'œil cette nuit ! Que personne ne quitte les compartiments de Première Classe !

- Mais...

- J'interrogerais les passagers demain. Demain !, répéta Poirot avec vigueur. Ou alors vous préférez que je réveille tout ce petit monde ? Histoire de paniquer tout le monde ?

- Non, non... Vous avez raison... »

Poirot eut pitié de M. Raymond. Il s'approcha de lui et lança d'une voix pleine d'autorité et sûr de lui :

« Ce soir, un terrible événement a eu lieu. Il nous reste deux jours de voyage avant d'arriver à Istanbul. Nous ne trouverons rien dans la précipitation.

- Si vous le dites, M. Poirot. Je ne connais pas le métier de policier.

- Empêchez quiconque de quitter ce compartiment et vous me faciliterez grandement la tâche. Le meurtrier est parmi nous... A moins que... »

Au diable Mlle Grey et ses yeux noisettes, et ses seins mignons, et ses cuisses si douces... Le policier s'approcha du corps et l'examina. Fouillant les poches. Puis Poirot observa le compartiment avec attention. Il essaya d'ouvrir la fenêtre mais tout était hermétique. En fait, tout était fermé à clé.

Le voir agir rassura le chef de train. Un instant, il avait eu peur que le détective ne prenne cette affaire avec désinvolture mais en fait, le petit Belge agissait avec application.

Puis ceci fait, Poirot revint vers lui. M. Raymond s'attendait à un discours enlevé mais Poirot ne dit rien. Il bâilla avec ostentation.

« Bien... Bien... Qui a trouvé le corps ?

- Mme Peguet. C'est pour cela que nous avons prévenu Mme la baronne puis nous l'avons emmenée dans le compartiment de Mme Peguet. La pauvre femme est toujours avec elle.

- Je ne comprends pas. Où était Mme de La Tour-Mirepoix lorsque son fils est mort ? »

Le pauvre chef de train fut gêné d'avouer un secret concernant un des passagers de l'Orient-Express. C'était une des règles tacites du train de permettre une vie privée aussi scandaleuse qu'elle soit... Maîtresse, amant... On se croisait, se visitait... dans le dos du mari, de l'épouse et rien n'en transpirait.

« Mme de La Tour-Mirepoix n'était pas dans son compartiment, monsieur Poirot. Elle... »

Poirot attendait sans rien dire, amusé de découvrir la tournure que prenaient les événements.

« Elle n'est pas si handicapée que cela, monsieur.

- Ha, » fit simplement Poirot.

Il n'avait aucune envie de faciliter les choses au chef de train. Cela l'amusait follement en fait.

« Elle part rejoindre toutes les nuits un des voyageurs, monsieur. Et à chacune de ses siestes.

- Tiens donc ? A son âge ?

- M. Poirot, fit M. Raymond, un peu choqué.

- Qui est son amant ?

- M. Walle. Un Français célibataire. Il ne sort que très peu de son compartiment.

- Il a aussi une santé fragile ?, demanda Poirot, un soupçon d'humour dans la voix.

- Il semblerait, M. Poirot, admit M. Raymond, ennuyé.

- Hé bien... Et son fils ? »

Nouvelle gêne. M. Raymond dut se faire violence pour répondre.

« Il restait dans le compartiment et n'appréciait pas du tout que sa mère sorte ainsi.

- Donc vous venez de me donner mon premier suspect !

- Non, non M. Poirot ! »

M. Raymond s'affolait. Poirot avait oublié sa fatigue et même les yeux brillants de désir de Mlle Grey. Il s'amusait énormément.

« Demain, j'interrogerais ce cher M. Walle. Et Mme Peguet. Comment se fait-il qu'elle ait découvert le corps ? Il est une heure du matin ! »

Même jeu que précédemment. M. Raymond devait commencer à regretter d'avoir fait appel à Hercule Poirot, le petit détective se montrait trop indiscret.

« Hé bien... Mme Peguet avait l'habitude de rejoindre M. de La Tour-Mirepoix. »

Cette fois Poirot ne put s'empêcher de rire. Cela choqua le chef de train, si guindé. Mais c'était trop drôle. On les jugeait, lui et Mlle Grey, on en faisait des gorges chaudes et tout le monde découchait ! Et dire qu'il avait passé deux nuits chastes au côté de Mlle Grey !

« Bien, répéta M. Poirot. Il me reste à trouver comment le poison s'est retrouvé dans l'estomac de M. le baron de La Tour-Mirepoix. Qu'a-t-il bu avant le coucher ? »

Un des serviteurs s'approcha de Poirot et répondit, le visage livide.

« M. le baron m'a demandé de lui apporter une tasse de tisane de camomille, M. Poirot. Il disait avoir mal à la tête et voulait boire quelque chose d'apaisant.

- Quelle heure était-il ?

- Une heure du matin, M. Poirot.

- Donc, vous êtes la dernière personne à avoir vu le baron en vie et à lui avoir parlé. »

C'était dit sans songer à choquer, d'une voix sereine, indifférente, mais cela fit pâlir le jeune homme d'une telle manière que M. Raymond le saisit par le bras, inquiet.

« Hé bien, George ! Que vous arrive-t-il ?

- Je n'ai pas empoisonné le baron. Je lui ai juste apporté une tasse. Je...

- On ne vous accuse de rien, George, » reprit le chef de train.

Un regard un peu anxieux sur le détective et Poirot eut un sourire rassurant.

« Mais non, mon jeune ami, je ne vous accuse de rien. Je veux juste savoir comment le poison est arrivé jusqu'au baron. Il semblerait que ce soit la tisane.

- Mais je n'ai rien mis dedans !

- A moins qu'il ait pris le poison durant son repas, ajouta le docteur Vernet.

- ll faudrait savoir quel poison il a pris pour répondre à cette question... Une autopsie ne serait pas du luxe, » murmura Poirot.

Le détective chercha des yeux dans le compartiment puis découvrit la tasse qui avait servi à la tisane sous la couchette. Elle avait du rouler là. Elle était brisée mais l'odeur de la tisane était encore perceptible. Camomille. Le baron avait donc du mal à dormir.

Poirot avait enfilé une paire de gants de cuir très fin qu'il avait emportée avec lui dés que l'annonce du meurtre était venue à lui. De toute façon, il avait toujours une paire de gants de ce genre sur lui car il y avait toujours des cadavres à examiner.

Une malédiction !

Donc Poirot examina puis il renifla la tasse et aussitôt l'odeur de l'amande amère lui parvint. Le baron n'avait pas tout bu. Arsenic !

Donc c'était bien dans la tasse apportée par George et le jeune homme avait bien raison d'être blanc de peur.

Poirot ne dit rien. Il enveloppa les débris de la tasse dans son mouchoir avec soin et les glissa dans la poche de sa robe de chambre.

« Nous verrons tout cela demain, » lança Poirot en bâillant encore à s'en décrocher la mâchoire.

Et il salua tout le monde avant de retourner se coucher. Un peu empressé.

Là, il déchanta.

Mlle Grey s'était endormie.

La nuit était perdue.

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